DJENNE PATRIMOINE

Informations

n° 17, automne 2004

 

NOUVELLES DE DJENNE

 

Elections communales

 

Une analyse :

 

« Depuis les élections de 1992, le cercle de Djenné était entièrement dominé par l’ADEMA-PASJ, qui était d’ailleurs le parti le plus populaire dans l’ensemble du pays, comme en témoignait alors le nombre de ses députés, conseillers communaux, régionaux et nationaux. Dans ce cercle, l’ADEMA avait à son actif les deux députés, les douze maires et le Président du Conseil de cercle. Cette situation était évidemment difficile à admettre pour les 11 autres partis présents dans le cercle.

 

« Aussi, même si certains reconnaissent les réalisations de l’ADEMA et la compétence de ses cadres, en 2004, le mot d’ordre des partis adverses a été « tout sauf l’ADEMA » : à la veille des élections, une union sacrée s’est constituée contre l’ADEMA, cible à abattre à tout prix. Les partis de la coalition n’existaient plus que de nom, les thèmes de campagne ont été les mêmes, les réunions politiques ont été organisées ensemble, il fallait tout mettre en œuvre pour évincer l’ADEMA.

 

« La campagne a donc été assez virulente, marquée notamment par la diffamation de l’ADEMA et de ses dirigeants, par une désinformation adressée aux masses paysannes (à propos de certaines actions pourtant salutaires et même profitables pour l’ensemble du cercle), par le débauchage de militants (argent, motos, distribués au vu et au su de tout le monde). L’appui de l’administration était recherché par tous les moyens.

 

« C’est pourquoi ces élections se sont déroulées sous haute tension. Jamais aucune campagne électorale n’avait engendré tant de mouvements, tant d’accrochages, tant de suites judiciaires.

 

« Bien que l’ADEMA soit sortie victorieuse de toutes les contestations pour la validation de ses listes, elle a été évincée des postes de maire dans plusieurs communes alors qu’elle était en tête (majorité relative) dans toutes. Tel est le cas de la commune urbaine de Djenné et des communes rurales de Pondori-Gomitogo, Ouro Aly, Femaye Taga, Togué Mourari ; on remarque que la coalition a bénéficié dans toutes ces communes d’une seule voie de majorité. La faiblesse des bureaux communaux ainsi constitués sur une seule voix de majorité est accentuée par le fait que les membres de certains de ces bureaux sont totalement illettrés.

 

« En définitive, l’ADEMA reste le parti majoritaire, avec 94 conseillers communaux sur un total de 164 ; avec 7 maires sur 12 ; avec la présidence du conseil de cercle, ses deux adjoints et les trois délégués à l’assemblée régionale. On aurait pu souhaiter que le parti majoritaire ne soit pas exclu complètement de la gestion du pouvoir pendant les cinq années qui viennent : la démocratisation y aurait gagné. »

Foourou Alpha Cissé

 

(Voir, page suivante, le tableau complet des résultats)

 

Quelques observations :

 

On a cherché ci-dessous à donner un tableau aussi concret que possible de la campagne électorale, du déroulement des élections, de la proclamation des résultats.

 

En ce qui concerne les thèmes de campagne, ils sont apparemment difficiles à identifier. Les candidats n’ont pas de programme bien élaboré. La campagne se fait essentiellement sur des slogans et voici ceux qu’on a entendus :

 

URD : « tout pour Djenné ville propre »

RPM : « tout pour un vrai changement »

ADEMA : « j’aime ma commune et je vote ADEMA »

 

Le premier met clairement l’accent sur un problème bien perçu par les touristes, par les djennenké qui vivent du tourisme ou qui reviennent à Djenné après de longs séjours ailleurs, ainsi que par les Maliens qui ne sont pas djennenké ; il fait aussi allusion à un domaine d’action dans lequel la mairie aurait peut-être pu  –et, beaucoup le pensent, dû– faire beaucoup plus ; mais c’est bien un slogan typiquement municipal.

 

Le second slogan est entièrement politique, il propose de chasser l’équipe actuelle pour la remplacer, mais ne prend aucun engagement d’aucune sorte sur un programme.

 

Le troisième est sentimental, il fait appel à la fidélité (à sa commune mais aussi au parti), il fait appel à l’histoire heureuse des années 90, où l’ADEMA a changé beaucoup de choses dans le paysage politique malien et dans la réputation du Mali à l’extérieur.

 

On a cependant relevé que le candidat RPM citait des thèmes de campagne un peu plus précis, mais sans en développer le contenu exact : l’emploi des jeunes, le renforcement des capacités associatives, et le regroupement de la société civile pour conduire le développement.

 

Cela dit, la campagne avait aussi beaucoup de thèmes d’attaque :

 

- contre le candidat ADEMA, on a évoqué les dangers du barrage de Talo, en faveur duquel le député ADEMA s’est prononcé depuis longtemps ;

- contre le candidat RPM, on rappelait qu’il est peul, et on laissait entendre que si un peul devenait maire de la commune, on ne saurait plus où aller cultiver, parce qu’il donnerait tous les champs en pâturages, et il ne protégerait pas les paysans contre les dégâts commis par les animaux ;

- contre le candidat URD, on rappelait qu’il aurait été poursuivi pour détournement d’argent lorsqu’il était secrétaire général des jeunes, et on laissait entendre que, s’il était élu, il ferait encore mieux.

 

Les critiques formulées à l’égard de l’équipe sortante portaient essentiellement sur la rétention de l’information, sur la gestion unilatérale de la chose communale, et sur le manque de réalisation à hauteur de souhait.

 

Au cours de la campagne électorale, on a remarqué que l’administration, chargée de l’organisation des élections, incitait beaucoup la population à voter, pour élever le taux de participation, et se préoccupait aussi du maintien de l’ordre. En ce qui concerne les autorités religieuses, elles n’ont pas pris parti : on n’a donné aucune information, ni aucune directive, à la mosquée ; cependant, toutes les tendances politiques allaient se confier à l’imam, à son domicile, et ce qui a pu être envisagé ou décidé dans ce cadre privé reste inconnu du public.

 

Quant aux associations traditionnelles des classes d’âge (waldé), elles n’ont joué aucun rôle. Seule l’Association pour le Développement de l’Islam à Djenné (ADID) a fait campagne contre le candidat ADEMA parce que ce dernier s’était opposé à ce qu’on installe à la mosquée les portes en fer forgé que le généreux mécène de l’ADID avait fait fabriquer et transporter jusqu’à Djenné.

 

La campagne électorale se traduit donc essentiellement par des efforts massifs de sensibilisation de l’électorat : des caravanes ont sillonné toute la commune, village par village, les militants ont multiplié les visites individuelles à domicile pour gagner des promesses de vote. Ces activités sont accompagnées de cadeaux : toutes les listes ont eu à cœur de distribuer aussi largement que possible de l’argent, du thé, du savon, du sucre, du sel. Ce sont

 

Elections communales de 2004 : tableau complet des résultats par commune pour le cercle de Djenné

 

Djenné

Pondori

Kewa

Togué Mourary

Derari

Niansanari

Fakala

Madiama

Nema Badeya

Dandougou

Femaye

Ouro Aly

Total

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Kafo

Fakala

 

 

 

Inscrits

9403

3913

8123

4243

2726

1902

11447

3703

13254

4119

6590

4836

74259

Votants

5240

2291

4258

3106

1843

1191

6371

1757

2584

2511

3988

2582

37722

Bulletins nuls

91

53

55

67

37

33

184

60

137

103

71

65

956

Suffrages exprimés

5149

2238

4203

3039

1806

1158

6187

1697

2447

2408

3917

2517

36766

Taux de participation

55,73%

58,55%

52,42%

73,20%

67,60%

62,62%

55,66%

47,45%

19,50%

60,96%

60,52%

53,39%

49,51%

Sièges à pourvoir

17

11

17

11

11

11

17

11

23

11

17

11

168

Listes

5

3

3

3

2

3

5

4

1

3

2

4

38

Voix par liste

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ADEMA

2205

1027

2119

1261

907

682

3600

532

2447

943

1865

1111

18699

ACC

1051

 

1650

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2701

RPM

 

 

 

1352

 

 

 

401

 

1207

 

159

3119

RPM-BDIA

1055

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1055

RND

115

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

115

URD

715

 

 

426

899

163

181

433

 

258

 

588

3663

URD-USRDA-RPM

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2059

 

2059

RPM-URD

 

619

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

619

USRDA

 

592

 

 

 

 

538

331

 

 

 

659

2120

USRDA-RPM

 

 

 

 

 

313

 

 

 

 

 

 

313

MPR-RPM-PIDS

 

 

434

 

 

 

 

 

 

 

 

 

434

FAMA

 

 

 

 

 

 

218

 

 

 

 

 

218

CNID-RPM

 

 

 

 

 

 

1650

 

 

 

 

 

1650

Sièges par liste

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ADEMA

8

5

9

5

6

7

11

3

23

4

8

5

94

ACC

4

 

7

 

 

 

 

 

 

 

 

 

11

RPM

 

 

 

5

 

 

 

3

 

6

 

0

14

RPM-BDIA

3

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3

RND

0

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

0

URD

2

 

 

1

5

1

0

3

 

1

 

3

16

URD-USRDA-RPM

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

9

 

9

RPM-URD

 

3

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3

USRDA

 

3

 

 

 

 

1

2

 

 

 

3

9

USRDA-RPM

 

 

 

 

 

3

 

 

 

 

 

 

3

MPR-RPM-PIDS

 

 

1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1

FAMA

 

 

 

 

 

 

0

 

 

 

 

 

0

CNID-RPM

 

 

 

 

 

 

5

 

 

 

 

 

5


notamment les personnalités, lorsqu’elles viennent soutenir une liste locale, qui doivent se montrer généreuses :

- Madame Babou Cisse, député RPM de Bamako, originaire de Djenné, a distribué des pagnes et de l’argent ;

- Maître Baber Gano, avocat à Bamako, originaire de Djenné, responsable RPM, a organisé des manifestations dans tous les quartiers de la ville et a distribué de l’argent, des cartes, des T-shirts, du thé et du sucre, notamment pour les jeunes ;

- M. Mahamane Santara, député ADEMA du cercle, a distribué de l’argent, du thé et du sucre, du sel et du savon, des foulards rouge et blanc (couleurs de son parti) ;

- M. Bagourou Noumansana, responsable RDA-ACC, originaire de Djenné, a distribué du thé, du sucre et du sel ;

- Sékou Baouro Cisse, militant URD, entré tardivement en campagne, a distribué de l’argent.

 

Il est de notoriété publique que les gens acceptent ces cadeaux sans se sentir tenus de voter pour le parti de celui qui les leur a remis.

 

Evidemment, il y a eu des contestations concernant la régularité des opérations électorales. A propos de leur déroulement, on a connaissance de deux cas de personnes surprises en possession d’un paquet de cartes d’électeurs : à Kana, on a arrêté des jeunes qui avaient un paquet de cartes et qui avaient même commencé à les distribuer devant l’école ; ailleurs, devant un bureau de vote, on a arrêté un vieux qui avait plusieurs cartes dans sa poche, il a été conduit à la gendarmerie, et les enquêtes auraient montré qu’il travaillait pour l’ADEMA ; mais dans les deux cas, on a retiré les cartes suspectes et les personnes ont été libérées sans suite. On n’a pas entendu dire qu’il y ait des gens qui aient pu voter deux fois.

 

Il y a eu aussi des contestations devant les tribunaux :

- M.  Foourou Alpha Cissé (ADEMA) attaquait le RPM accusant Mme Dicko Babou Cissé, député à l’Assemblée Nationale, qui, selon le plaignant, est venue battre campagne avec un véhicule de l’Assemblée Nationale.

- Madame Sirandou Bocoum (ADEMA) attaquait la liste ACC, accusant Mr Bagourou Noumansana, leader de l’ACC à Djenné qui, selon la plaignante, battait campagne avec un véhicule de l’Etat.

 

Ces affaires ont été jugées en leur défaveur par le tribunal administratif de Mopti qui est la juridiction de recours : après enquête, les plaintes ont été jugées mal fondées.

 

Pendant la période de dépouillement des résultats, l’ambiance était chaude dans les deux camps (Coalition et ADEMA). Comme les résultats venant des bureaux arrivaient au compte-goutte, elle changeait de camp au fur et à mesure que les résultats tombaient. Partout dans les rues, on rencontrait des gens qui cherchaient des informations sur le résultat final. On dansait au son des djembés devant le siège du RDA. On écoutait la chanson Sanou Néguénin de la chanteuse Tara Boré, ou une chanson de Banzoumana Sissoko qui est réservée aux grandes occasions. D’un moment à l’autre, les cris de victoire changeaient de camp, selon les informations données, jusqu’à ce que la coalition ait été sûre de gagner à Djenné. Alors, de Kanafa au pont de Seymani, les militants de la coalition chantaient et dansaient, « l’ADEMA est enterrée vivante, l’ADEMA est morte ». Les gens de l’ADEMA ont eu des réactions variées : certains sont allés se coucher, d’autres ont été si affectés qu’il a fallu leur administrer un sérum, d’autres encore se promenaient en disant « à trois contre un, nous n’avons pas perdu ! ». Après proclamation officielle des résultats, l’ambiance était extrême dans les camps de la coalition et c’était la désolation du côté de l’Adema.

 

Les tractations relatives à la constitution des bureaux communaux et du bureau du conseil de cercle avaient commencé avant même les scrutins, notamment entre les partis qui composaient la coalition (URD, ACC et RPM). Mais après les résultats, les neuf conseillers élus à Djenné sur les listes de la coalition ont discuté avec M. Bagourou Noumansana (ACC), M. Sekou Baouro Cissé (URD) et Maitre Baber Gano (RPM) et d’autres personnes, des sages de ces trois partis. C’est à l’issue de ces discussions que le poste de Maire a été attribué au parti RPM qui avait 3 conseillers sur 9 ; le poste de 1er adjoint au maire a été attribué à URD qui avait 2 conseillers sur 9. L’ACC, qui avait quatre conseillers sur neuf, a cédé les postes auxquels elle pouvait prétendre dans le conseil communal en espérant obtenir le poste de président  du conseil de cercle. Malheureusement, cet espoir a été déçu.

 

Et, pour clore la campagne, tous les candidats ont remercié leurs électeurs à la radio.

(informations recueillies par Soumaïla Sow)

 

 

Composition du bureau communal :

 

Maire : M. Gouro Diaro Cissé, maître du second cycle (RPM)

Premier adjoint : M. Youssouf Saro, maître sur second cycle (URD) (décédé le 19 septembre 2004)

Second adjoint : M. Alassane Bocoum, agent Comatex (RDA)

Troisième adjoint : Mme Bocoum Néné Bocoum, ménagère (URD)

Premier délégué au conseil de cercle : M. Bamoye Nouhoum Bocoum (RDA)

Second délégué au conseil de cercle : M. Al Habib A.O. Maïga (RDA)

 

Composition du bureau du conseil de cercle de Djenné :

 

Président : M. Kolla Cissé, agriculteur (ADEMA)

Premier Vice-Président : El Hadj Hamadoun Diallo, éleveur (ADEMA)

Second Vice-Président : M. Bokari Boura Ba, éleveur (ADEMA)

Premier Délégué au Conseil régional : M. Hamidi Diallo, ingénieur agricole (ADEMA)

Second Délégué au Conseil Régional : M. Boubacar Garba Koïta, commis en retraite (ADEMA)

Troisième Délégué au Conseil Régional : M. Hamadi Ba, éleveur (ADEMA)

 

 

Semaine culturelle

 

Les différentes communes du cercle de Djenné ont participé à la semaine artistique lcoale du 25 au 31 décembre 2004. Durant cette période les différentes troupes des communes ont rivalisé d’ardeur et d’émulation à travers des pièces de théâtre, des ballets, des danses traditionnelles, des chœurs, des ensembles instrumentaux et des solos de chants. Les communes qui ont participé à cette compétition sont celles du Fakala, du Ouro-Ali, du Kewa, du Nianssanary, du Nèma Badeya Kafo, de Madiama, de Djenné Urbain, du Pondori, du Devary, du Togué-Mourary, du Femaye.

 

Après une semaine d’intenses activités, le Jury a prononcé le résultat suivant :

 

1ère, la commune de Kewa avec 96,81 points

2ème, la commune du Dandougou Fakala, avec 94,63 points

3ème, la commune du Derary, avec 88,30 points

 

Les meilleurs troupes et artistes ou acteurs seront sélectionnés pour former la troupe qui représentera le cercle de Djenné à la semaine régionale prévue en fin mars 2005.

 

Reconstruction du marché de Djenné

 

La mairie a mené à bien la reconstruction du marché de Djenné, faisant passer le nombre des boutiques de 18 à 42, grâce à un financement de l’Agence Nationale pour l’Investissement des Collectivités Territoriales (pour 80 % du coût, le complément étant apporté par la commune). Les nouvelles boutiques sont fermées, munies de portes en fer, et donnent sur les rues qui entourent le marché.

 

Tout serait parfait si on n’avait pas abondamment utilisé, sur toutes les façades sauf celle qui donne sur la place de la mosquée, des briques cuites à la place des enduits traditionnels que savent faire les maçons de Djenné. L’argument avancé est qu’il est difficile d’entretenir les bâtiments publics, mais cet argument est doublement faux : d’une part, l’entretien des bâtiments publics ne pose de problème qu’aux collectivités qui manquent de soutien de la part de la population (comme le montre le contre-exemple de l’entretien de la mosquée) ; d’autre part, le recours aux briques cuites ne fait que masquer, pendant quelques années, les infiltrations d’eau entre le banco et son revêtement (et d’ailleurs, pour la résidence du préfet-adjoint de Djenné, l’administration elle-même a fait enlever l’ancien revêtement en briques cuites).

 

L’assainissement de la ville de Djenné : un problème de mentalité et non de moyens !

 

« La sueur n’est jamais perceptible sous la pluie ! Depuis sa création en août 2002 jusqu »au 22 mars 2004, le service d’assainissement, du contrôle des pollutions et des nuisances de Djenné (SACPN) a beaucoup souffert : le nouveau service n’avait ni budget, ni local, ni matériel de travail. Cette situation extrêmement précaire n’était pas de nature à permettre de faire avancer les choses ! Les activités se limitaient au nettoyage routinier de la place du marché et de certaines artères principales de la ville.

 

« L’arrivée d’un volontaire en novembre 2002 a permis de varier les activités : ainsi a été réalisé l’aménagement de la rue qui longe la mosquée au sud, puis un projet-test de mini-égout dans le quartier d’Algassouba. C’est surtout avec le projet allemand de la KfW que le SACPN a été connu et apprécié par la majorité de la population.

 

« Depuis environ un an, une équipe de maçons encadrés par le volontaire, les maîtres-maçons barey, et Gouro Bocoum (technicien du bâtiment), est à pied d’œuvre. Les quartiers de Konofia, Seymani, Farmantala, Algassouba, Kouyetendé, Sankoré sont totalement ou partiellement équipés en ouvrages d’assainissement (une fosse d’infiltration des eaux usées par concession). Là, il fait bon vivre désormais !

 

« Mais le titre de cet article reste parfaitement justifié : l’assainissement de la ville de Djenné souffre d’un problème d’hommes, et non d’un manque de moyens ! Une véritable reconversion des mentalités est indispensable pour toute rénovation : or, c’est bien là ce qui fait défaut à Djenné ! La preuve ? La voilà : la ville a bénéficié (une fois de plus) d’un important lot de matériels d’assainissement, il est utilisé à des fins personnelles ! La mairie, qui devrait construire les dépôts de transit pour les ordures, créer un GIE d’assainissement, assurer le transport des ordures vers les décharges finales, se dit paralysée par le manque de moyens ! Chers lecteurs, est-ce un problème de moyens ou de mentalité ? A vous de juger !

 

« Nous avons cependant des perspectives d’avenir. Le consultant Daniel promet de prolonger son contrat en 2005 si les systèmes existants sont bien entretenus. Dans son programme intérimaire, le SACPN compte réaliser quatre dépôts de transit, et créer un centre de séchage et de compostage des boues fécales.

 

« Rappelons que l’amélioration de la qualité de l’environnement et du cadre de vie est un droit et un devoir pour tout citoyen ! Il y faut donc l’implication de tous ! »

Bakary Coulibaly, SACPN Djenné, 18 décembre 2004

 

 

L’assainissement de la ville de Djenné : où en est le projet KfW ?

 

« Ce projet, dénommé « Mesures d’urgence pour l’évacuation des eaux usées à Djenné-ville » a pour objectif de réaliser un millier de systèmes individuels assurant l’infiltration des eaux usées dans la rue devant chaque concession.

 

Les travaux ont repris après la fin de la trêve de saison des pluies. Ils ont été concentrés sur la remise en état des systèmes existants lorsqu’ils ne fonctionnaient pas correctement ; en même temps, quelques concessions supplémentaires ont été équipées dans les quartiers de Konofia, Farmantala et Seymani, de façon à achever l’assainissement de cette partie de la ville. Des portions importantes des quartiers d’Algassouba et Yoboucaïna avaient été aménagées avant la trêve des pluies, mais il y reste encore à faire.

 

« L’expérience de la saison des pluies 2004 a confirmé ce que d’autres projets avaient déjà suggéré : en l’état actuel des mentalités, les bénéficiaires des systèmes d’évacuation des eaux usées ne s’occuperont pas eux-mêmes de l’entretien de leurs installations, alors que sans entretien aucune technologie d’assainissement ne peut fonctionner correctement plus de deux mois dans les conditions qui prévalent à Djenné.

 

« Par conséquent, pour pérenniser l’assainissement de la ville, il n’y a qu’une solution envisageable aujourd’hui : faire payer l’entretien des systèmes individuels par les bénéficiaires à des ouvriers rémunérés pour ce travail, par l’intermédiaire d’un organisme de gestion, en l’occurrence l’Association des Usagers de l’Eau Potable de Djenné (AUEP-Dj). Cette solution est actuellement incontournable.

 

« Heureusement, le Conseil Communal a délibéré en septembre 2004, et fixé la contribution pour l’assainissement des eaux usées à 500 FCFA par mois et par système. Cette décision devrait être bientôt diffusée pour que la facturation et l’encaissement puissent commencer.

 

« Actuellement, les travaux se concentrent sur les quartiers de Sankoré et Kouyétendé, pour assécher le grand caniveau qui commence derrière le Camp des Gardes et se termine à Kamen Sébéra. Ensuite, le chantier se déplacera pour assainir les alentours de la Mairie, le Campement, puis l’ouest et le sud de la Grande Mosquée, pour arriver vers Djoboro.

 

« A la date du 28 novembre, le projet avait réalisé 568 systèmes individuels, sur un total prévu de 1180.

 

« Mais il est désormais prévu qu’une délégation du Ministère des Affaires Etrangères de l’Allemagne viendra annoncer officiellement l’octroi d’un financement complémentaire, pour porter le nombre de systèmes à réaliser à plus de 2300. Dans ce cas, environ 80 % des maisons de la ville de Djenné pourraient être équipées. Il est prévu aussi que les remboursements des bénéficiaires permettraient de compléter ces financements extérieurs pour atteindre une couverture complète de la ville, et peut-être ensuite la réalisation d’autres infrastructures d’intérêt collectif.

Nathan Forsythe, dit Dramane Cissé

 

 

L’OMATHO à Djenné

 

L’Office Malien du Tourisme et de l’Hôtellerie a ouvert cette année un local à Djenné : une grande pièce ouvrant largement par deux doubles portes sur la rue qui passe devant le groupe scolaire.

 

A l’intérieur le visiteur trouve quelques affiches vantant les charmes de divers sites touristiques du Mali. Sur une table une brochure bilingue (français-anglais) sur les fouilles de Djenne-Djeno (rédigée il y a une dizaine d’années par Roderick et Suzanne McIntosh) et un répertoire des manifestations touristiques du Mali (document édité par le Ministère de l’artisanat et de la culture, il y a plusieurs années).

 

Derrière la table, un agent occupé à croquer des cacahuètes. Il peut vous fournir un guide lorsque vous serez prêt. Il vous demande si vous êtes touriste, si vous êtes dans un groupe, en se préoccupant de savoir s’il doit vous coucher sur le registre qui est à sa main droite. Rien d’autre ! « Si vous voulez des informations sur Djenné, il faut aller à la Mission Culturelle ».

 

Un exemple typique d’administration malienne : aucun service n’est rendu, sauf aux agents qui perçoivent un salaire ! et on renvoie toute personne qui se présente d’une administration à l’autre !

 

 

Ikatel désenclave Djenné

 

Le téléphone cellulaire fonctionne à Djenné depuis le 13 septembre de cette année grâce à la société Ikatel. En trois mois, celle-ci a vendu environ 800 puces (alors que la Sotelma doit plafonner à 150 abonnements), et le nombre de cartes vendues par mois dépasse 400 (en ordre de grandeur 300 cartes à 2500 FCFA, 100 à 5000 FCFA, 20 à 10.000 FCFA et 5 à 25.000 FCFA).

 

Pendant ce temps, la société d’Etat Sotelma se permet de laisser son réseau en panne totale pendant trois semaines en novembre -décembre! Et prétend assurer un service public !

 

NOUVELLES DU PATRIMOINE DE DJENNE

 

Une saison de circoncisions et d’excisions

 

La fin de la saison des pluies aura été marquée, cette année, à Djenné, par de nombreuses fêtes de circoncision et d’excision. Certains, par exemple Moussa Kayentao, dit Moussa Diallo, élève coranique mais aussi horso,[1] disent que les années favorables sont fixées par les marabouts, et on cite parmi les marabouts qui sont consultés par les familles à ce sujet les noms de Biabia, Aboubakar Maïga, Ba Thera, Baba Toumagnon, Bamor Dembele, Sory Bangali. D’autres disent que les familles ont chacune leur tradition quant à la périodicité de ces fêtes. Ainsi Batou Traore, un membre de la famille Yaro (parce que sa mère en était), précise que la famille Yaro a pour tradition d’organiser les circoncisions tous les dix ans, à Djenné, en regroupant tous les membres de la famille dispersés entre Djenné, Mopti, San, Sikasso, Kayes, notamment ; et donc, dès l’an dernier, les dirigeants de cette famille avaient décidé d’organiser la circoncision des enfants de la famille en 2004. En outre, nous dit-il, il y a eu des récoltes assez bonnes cette année, alors que, l’année dernière, « on n’avait rien ».

 

Moussa Kayentao indique aussi qu’il y a des jours particuliers pour cette fête : soit le 2, ou le 7, ou le 12 ou le 17 ou le 22 ou le 27 du mois. Pourquoi exactement ? Il faudrait le demander.

 

Toujours est-il que le 6 septembre, dans la maison Kontao qui donne sur Kamansebera, se trouvent les fillettes qui ont été excisées il y a deux semaines. Elles sont au nombre de neuf, dont apparemment un bébé d’un an qui tient à peine sur ses jambes, les plus âgées étant deux fillettes dont les seins commencent tout juste à se former. Les garçons sont à peu près en nombre équivalent. Ils sont sur une terrasse voisine, sous la responsabilité d’un horso. Les enfants ont été surveillés pendant ces deux semaines par la femme qui les a excisés. Les filles qui allaient bien se sont lavées au bout d’une semaine, les garçons vont se laver pour la première fois ce soir, explique-t-on. Demain, c’est la fin de la période de réclusion : les enfants doivent se changer (pour les garçons, abandonner les robes bleues).

 

Le 7 septembre, à la concession Kontao, c’est la sortie des garçons et des filles. Des nattes et quelques chaises ont été installées en face, de l’autre côté de la rue, et une natte à la porte de la maison, pour El Hadj Kontao, pour son frère venu de Mopti (et qui semble jouer le rôle d’organisateur) et pour quelques autre vieux. Les arrivants viennent saluer ceux qui sont assis, en se félicitant que les enfants confiés aux officiants deux semaines plus tôt soient toujours en bonne santé après la circoncision, et en souhaitant qu’on voie ensemble leurs mariages. Les garçons sortent, tout de blanc vêtus, avec un grand bonnet de tissu blanc sur la tête et une couverture tissée sur l’épaule. Ils s’arrêtent un moment devant la porte de la concession, pour que l’assistance puisse bien les voir, puis ils partent en groupe, toujours sous la direction du horso, pour aller saluer leurs familles. Le prédécesseur du horso actuel était un certain Diadié qui est présent.

 

Bientôt les filles sortent, à leur tour. Elles sont habillées de robes neuves, mais taillées dans des tissus ordinaires, chacune le sien. Le blanc est donc réservé aux garçons. Elles aussi vont bientôt aller saluer leurs familles. Restent alors dans la concession les vieilles qui ont vécu dans la concession Kontao pendant toute la période de réclusion. Puis les cuisinières, qui elles aussi ont été mobilisées pendant deux semaines, sortent de la concession pour aller danser en chantant devant les visiteurs, sur la rue, avec les grandes mouvettes et les fouets qui leur ont servi à préparer les repas de tous les participants à la fête pendant deux semaines (on donne aux jeunes circoncis une nourriture spéciale, par exemple la soupe à la potasse, et des sauces très pimentées…). Dans la rue, l’une des danses qu’exécutent les cuisinières est explicitement sexuelle –la grande mouvette représente alors un vit qui martèle le pubis de la femme– et fait rire tout le monde.

 

On entend dire qu’il y a une sortie identique à Terehoumehinka, la mosquée aux trois portes. En fait, il s’agit des enfants regroupés chez Maïga, à Maïgala. Ils sont au nombre de douze, aucune fille (peut-être parce qu’on est chez des songhay, qui ne pratiquent pas l’excision). Les enfants sont dans un vestibule, sous la surveillance de deux vieux, Amadou Moro Barry et Sory Sidi Traore.

 

De même, la famille Yaro a organisé la circoncision de ses enfants. Alpha Sidi, qui n’est pas membre de la famille Yaro, a participé à l’organisation de la cérémonie dans cette famille parce que les Yaro lui font confiance ; il a aidé le surveillant. Il explique aussi que l’opération est faite désormais par les infirmiers du centre de santé, et que ces derniers utilisent « des produits » pour qu’il n’y ait pas de suite défavorable. Quant à Batou Traore, qui a été surveillant des enfants dans cette même famille, il avance, quant à lui, le chiffre de 101 garçons, et pense que le nombre de filles pourrait être de 60 ou 70 ; mais il faudrait voir Djeneba Yaro pour connaître le nombre exact de filles. Quant à Alhassane Diarra, le photographe qui aurait « télévisé » la cérémonie, il nous assurera que 101 est le nombre total, garçons et filles.

 

Ainsi, la famille Yaro maintient la tradition de la circoncision et de l’excision, et la pratique et la célèbre en famille. Les membres éloignés de la famille peuvent venir passer jusqu’à un mois à Djenné à cette occasion. On les répartit dans les maisons en mettant à contribution les familles alliées. Les vieux de la famille gèrent les contributions de chacun, en fixant un montant précis pour ceux dont on sait qu’ils ont des moyens, et en demandant aux autres de donner ce qu’ils peuvent. Les contributions sont en céréales, en animaux et en argent. Apparemment, les condiments sont à la charge des femmes.

 

La même cérémonie a lieu aujourd’hui même dans la famille de Sékou Touré, donc à Touréla, dans le quartier de Yoboucaïna. Les filles seraient au nombre de 21 au total nous dit-on ; mais dans la chambre où elles sont couchées, on n’en comptera que 12, les autres, trop petites pour rester avec le groupe, seraient retournées avec leurs mères. Les garçons sont dans une autre concession toute proche du cimetière des Français. Ils sont sous la garde d’un fils de Sékou Touré, Mahamane Toure, qui ne se déplace pas sans un fouet, alors qu’on imagine difficilement qu’il ait beaucoup à s’en servir aujourd’hui ! Ils seraient au nombre de 24, mais là encore tous ne seront pas présents, car les petits, dont certains encore au sein de leur mère, ne sont pas restés avec le groupe.

 

La même cérémonie a eu lieu récemment dans la famille Sounkoro, à Sounkorola. D’après le horso, il y avait dans cette famille 50 garçons et 30 filles. La circoncision a aussi eu lieu dans la famille Nientao (celle du muezzin) : 37 garçons et 80 filles ; et dans la famille Cisse Sinaly : 4 garçons, 6 filles.

 

Plusieurs personnes interrogées, notamment le marabout Alpha Sidiki Yaro, mais aussi Hamma Cissé, conseiller pédagogique, insistent sur le fait que cette occasion de regrouper les membres de la famille, d’ordinaire dispersés partout au Mali et éventuellement à l’étranger, est très importante pour l’éducation des enfants : ils apprennent à connaître les descendants éloignés de la famille et les liens de parenté.

 

Le même marabout précise que, si la circoncision est prescrite par l’islam, il n’est pas besoin de consulter les marabouts pour en fixer la date ou les modalités, car l’organisation de l’opération est laissée aux familles. Ainsi, dans sa famille, elle a lieu tous les 9 ans.

Mais là est peut-être aussi la raison pour laquelle on n’a entendu nulle part les enfants chanter des maduhu, ces chants de louanges au Prophète ou aux érudits de l’Islam, alors que telle était semble-t-il la tradition, d’après une mémoire collective encore bien vivante.[2]

 

Amadou Tahirou Bah explique la signification de la couverture tissée que chaque nouveau circoncis porte sur son épaule : jusqu’à la circoncision, on admet que les petits enfants dorment avec leur mère et même qu’ils soient couverts par le pagne de leur mère ; ce ne sont alors que des bilakoro. Mais, après la circoncision, les garçons vivront et dormiront du côté des hommes, et chacun aura sa propre couverture ; la première lui est offerte par sa mère, précisément le jour de la sortie.

 

Naturellement, il faut adapter ces traditions au rajeunissement sensible de l’âge des circoncis. Alors que la cérémonie concernait des adolescents il y a encore une génération, l’opération est désormais pratiquée sur des enfants, voire des nourrissons. Il est évident que ces derniers ne pourront pas être séparés de leur mère comme le voudrait la tradition.

 

A ce rajeunissement, M. Bah fournit deux explications : d’une part, à partir du moment où certains enfants sont circoncis dans leur jeune âge, ceux qui ne le sont pas sont moqués ; d’autre part, on en vient à une « pratique plus saine de l’islam ». On comprend bien : dès lors que l’islam est sociologiquement majoritaire, la pression sociale est plus forte sur chaque individu et chaque famille pour qu’ils se conforment aux prescriptions et rites de cette religion ; en même temps, il ne s’agit plus d’une religion de convertis, mais désormais d’une religion héritée, qu’on peut pratiquer dès l’enfance, que la famille imposera de pratiquer dès la plus tendre enfance, et qui se transmettra de cette façon.

 

Il va de soi que la période de réclusion a une grande importance dans la socialisation des enfants. Monsieur Bah signale en particulier que l’égalité qui règne entre les enfants durant ces deux semaines est exploitée pour faire connaître à chacun des aspects de la vie qu’il ignore : par exemple, alors que les enfants des familles riches ignorent la faim, on organise pour tous les circoncis, une fois ou l’autre, un repas nettement insuffisant, pour qu’ils voient ce que c’est ; de même, alors que les enfants des familles pauvres ne savent pas ce que c’est que de manger de la viande à satiété, on organisera pendant la période de réclusion un ou plusieurs repas qui leur permettra de faire cette expérience.

 

Moussa Kayentao, dit Moussa Diallo, donne quelques précisions sur la période de réclusion. Les enfants la vivent comme une école, en internat. Les surveillants vivent avec les enfants jour et nuit : ils les réveillent après la prière de l’aube et les couchent après le repas du soir, vers 20 heures. Ils veillent sur chacun, surtout pendant les trois premières nuits : les enfants doivent dormir sur le dos, s’ils se tournent sur le côté, il faut les changer de position. Les surveillants tolèrent pendant un moment les moqueries qu’on adresse dans le noir à ceux qui ont pleuré, mais imposent bientôt le silence.

 

Dans la journée, les enfants mangent trois fois. Le matin, c’est la bouillie à la potasse et une sauce très pimentée avec beaucoup de viande : ces plats assureraient une cicatrisation rapide. A midi, c’est le , et le soir le riz. On force les enfants à manger beaucoup : même si l’un d’entre eux vomit, on le force à manger à nouveau, sinon on le bat ! « Le développe l’intestin, c’est bon ! »

 

La période de réclusion est une période d’enseignements, c’est ce qui justifie qu’on regroupe les enfants. Les leçons portent d’abord sur le respect des plus âgés, et notamment des vieux. Elles sont accompagnées de correction des fautes, au fouet, l’instrument de l’autorité des surveillants.

 

L’enseignement porte aussi sur la famille : chacun doit bien assimiler qu’il appartient à la même famille que les autres enfants de son groupe, puisqu’ils sont circoncis ensemble ; chacun doit bien comprendre aussi les liens de parenté et l’ordre de primogéniture des parents, puisque de ce dernier dépend l’ordre dans lequel les enfants ont été circoncis. C’est selon ce même ordre qu’on partagera les cadeaux que chacun recevra.

 

On apprend enfin aux enfants des chants variés, qu’ils chantent en tournant dans la cour. Des chants de bénédictions pour les pères, qui fournissent tout ce qui est nécessaire à leurs enfants ; des chants de remerciement aux surveillants, qui s’occupent bien des circoncis ; des chants de remerciements aux parents qui apportent chaque jour les plats que mangent les enfants ; des chants d’insultes aux surveillants (les relations entre les circoncis et leurs surveillants ressemblent à la parenté à plaisanterie) ; des chants d’insultes aux sorciers (« qui sont très méchants avec les circoncis » ; ces chants-là sont à chanter au crépuscule ; ils sont compétés par l’action des parents, qui apportent des herbes à jeter dans le feu pour « déranger » les sorciers) ; et les surveillants ont aussi leurs chants d’insultes à l’égard des mères des circoncis, et ils chicotent les enfants qui refuseraient de chanter ces chants !

 

Le lundi, pendant la période de réclusion, les circoncis viennent au marché, s’installent devant la mosquée, au coin sud (s’ils sont très nombreux un second groupe ira se placer au coin nord, près du muezzin), et attendent qu’on leur donne des bonbons ou des piécettes. Lorsqu’ils rentreront, on procédera à la distribution, chacun recevra 25 FCFA, et le reste ira aux surveillants.

 

Bien sûr, tout cela a un coût. Alpha Sidiki Yaro explique que c’est le chef de famille qui gère cette affaire, seul, et que personne n’exerce le moindre contrôle sur ses décisions. Comme les moyens des membres de la famille sont très inégaux, on demande à chacun de faire ce qu’il peut. Mais il faut trouver de quoi nourrir les enfants et les parents venus de l’extérieur en cette occasion, et qui resteront dans la famille pendant deux à quatre semaines. Dans certaines familles on abat un mouton tous les deux jours, dans d’autres un mouton chaque jour, et bien entendu certains font en sorte d’abattre  ostensiblement un bœuf de temps à autre.

Joseph Brunet-Jailly

 

 

Circoncision dans la famille Kontao : le groupe des garçons la veille du jour de la sortie (il en manque apparemment deux) ; ils sont avec le horso (à gauche) et le frère aîné de El Hadj Kontao (à droite)

 

 

Circoncision dans la famille Sounkoro à Seymani

(Photo aimablement communiquée par Alassane Diarra)

 


Circoncision dans la famille Kontao : les vieilles et les petites filles excisées le jour de la sortie de ces dernières

Circoncision dans la famille de Sékou Touré à Yoboucaïna : le groupe des garçons, le jour de la circoncision, se reposant dans la cour d'une concession toute proche du cimetière des Français, sous la surveillance d'un fils de Sékou Touré et sans doute du horso

Circoncision dans la famille Kontao : le jour de la sortie, les garçons dans le vestibule de la concession avec les vieux

Circoncision dans la famille Yaro à Konofia

 (Photo aimablement communiquée par Alassane Diarra)

 

Circoncision dans la famille Kontao : les femmes qui ont aidé à la cuisine viennent danser devant les parents des enfants, avec leurs mouvettes, une danse dont le thème est visiblement assez leste

Circoncision dans la famille Maïga (près de Terehoumehinka), avec leurs surveillants, le jour de la sortie Circoncision dans la famille de Sékou Touré à Yoboucaïna : le groupe des filles, le jour de l'excision, se reposant dans une pièce du rez-de-chaussée de la concession
Circoncision dans la famille Yaro
(photo aimablement communiquée par Alassane Diarra)

 

Construction d’un bâtiment pour la Mission Culturelle

 

Un terrain, situé près de la station service, juste après la porte monumentale lorsqu’on entre à Djenné, a été attribué à la Mission Culturelle, qui a en outre obtenu un financement du budget national pour y construire ses locaux. Une entreprise de Mopti a été désignée pour réaliser les travaux : celle de Aligui Touré.

 

On attendra qu’on nous explique pourquoi la Mission Culturelle n’a pas traité directement avec les maçons de Djenné, dont elle se plait tant à vanter les compétences devant les étrangers !

 

Formation des guides

 

Cette année, et pour la première fois de mémoire de guide, l’OMATHO a organisé, avec l’Agence pour l’emploi des jeunes (APEJ) et l’Association malienne des agences de voyage et de tourisme (AMAVT) une formation sérieuse pour les guides. Cette formation prenait en considération le choix des candidats, qui pouvaient demander à être formés soit comme guides nationaux, soit comme guides locaux. La formation pour les guides locaux a été organisée du 23 septembre au 12 octobre 2004 (trois semaines) à Mopti pour les guides des régions de Mopti, Tombouctou, Gao et Kidal ; et à Bamako, aux mêmes dates, pour les guides des autres régions du Mali. La formation des guides nationaux a eu lieu à Bamako du 16 septembre au 12 octobre (quatre semaines).

 

Bien que cette formation ait été laissée à la charge des intéressés (pas de prise en charge des frais de transport ni des frais de séjour, et certains ont donc dû abandonner), 219 guides locaux se sont retrouvés à Mopti. Parmi eux, 9 guides de Djenné : Boubacar Koïta dit Tapo, Alassane Guyitteye, Ibrahim Cisse, Oumar Antaly Tchocari, Oumar Gogo Tchocari, Vié Traore, Mohamed Mayentao, Sory Bocoum dit Moustique, et Amadou Sékou Cissé. Le programme de la première semaine portait essentiellement sur l’histoire et la géographie. La seconde semaine était consacrée à l’accueil, au secourisme, et à la technique de guidage. La troisième semaine reprenait l’ensemble de ces matières pour une meilleure assimilation. Les cours ont été assurés par des formateurs venus de Bamako ou des enseignants recrutés sur place. D’une façon générale, les guides, dont la plupart avaient déjà une grande expérience du métier, ont apprécié cette formation, qui leur a permis d’apprendre (ou de réapprendre) beaucoup, et de mesurer les enjeux collectifs (pour la profession) et nationaux (pour la promotion et l’image du Mali) d’un comportement irréprochable et d’une grande compétence des guides. Pour une fois, à leur avis, un réel effort de formation leur a été proposé, avec la durée nécessaire et le contenu voulu.

 

De leur côté quatre guides de Djenné suivaient la formation de guides nationaux : Bahammadoun Tchocari, Kolla Ba dit Chirac, Boubou Bocoum et Sory Sidibe.

 

Voilà donc une excellente réalisation.

(informations fournies par Boubacar Koïta, dit Tapo)

 

 

 

NOUVELLES DE DJENNE PATRIMOINE

 

1) Le Président de DJENNE PATRIMOINE, Papa Cisse, et le trésorier, Amadou Tahirou Bah, peuvent désormais être joints sur leurs téléphones cellulaires : 621 36 16 pour Papa Cisse, 614 33 98 pour Amadou Tahirou Bah. Les membres de DJENNE PATRIMOINE, et notamment ceux qui résident à l’extérieur du Mali, vont pouvoir enfin communiquer directement avec l’association, ce qui va être très apprécié de part et d’autre !

 

Par ailleurs, Amadou Tahirou Bah dispose désormais d’une adresse électronique : < amdtahirou@yahoo.fr >

 

2) Evelyne Bertrand, enseignante en éducation artistique dans un lycée professionnel de Grenoble, après des études aux Beaux Arts, est devenue une passionnée d'histoire de l'art et des civilisations. Elle consacre tous ses moyens à des voyages à travers le monde. Pendant longtemps elle s’est intéressée de façon privilégiée aux civilisations précolombiennes et indiennes d'Amérique centrale et du sud. Mais, au début des années 1990, elle a découvert le continent africain, après s’être sérieusement documentée (ce qui est pour elle la moitié du plaisir des voyages). C’est à ce moment-là qu’elle a découvert cette fabuleuse architecture de terre, dans le livre de Sergio Domian "Architecture soudanaise". Son premier voyage au Mali a eu lieu en février 1990, et le second dès décembre 1990. Ces voyages lui ont permis de découvrir Djenné, mais aussi Kouakourou et Kolenzé, et malheureusement lui ont laissé une impression de grande tristesse, devant l'état de décrépitude totale des sahos (maisons des jeunes, selon la tradition bozo) de ces villages.

 

Evelyne Bertrand est revenue trois fois dans la région depuis 1990, son dernier voyage ayant eu lieu en février 2003. Là elle s’est résolue à agir, en constituant un dossier pour le maire de Kouakourou, et un autre pour le maire de Djenné.

 

A Djenné, elle a remarqué que, en 1994, la mosquée portait deux rangées de torons de plus sur sa façade Est, des hauts parleurs et  des tubes néon sur la façade Nord, qu’un mur avait été élevé  entourant les tombes à l'angle Nord-Est du soubassement de la mosquée. Dans la ville, elle a observé que de nombreuses maisons étaient tombées depuis 1990. Ce phénomène s'est considérablement aggravé depuis lors, et sont venus aussi s’ajouter les problèmes esthétiques liés à l'installation de l'eau et de l'électricité. En 2003, elle a constaté qu'il y a désormais 4 rangées de torons sur la façade Nord de la mosquée. Autrement dit, en une dizaine d’années, des changements visibles ont été apportés au paysage urbain et notamment à la mosquée.

 

Au mois de mai 2004, elle a achevé un dossier dans lequel elle présente les dégradations qu’elle a constatées dans le patrimoine architectural de Djenné, et présenté quelques idées d’actions de protection et de réhabilitation. Le titre de ce dossier « SOS Djenné ! » fait mal, mais il incite sérieusement à la réflexion.

 

Evelyne Bertrand a communiqué ce dossier à DJENNE PATRIMOINE et alerté la mairie de Djenné, l’OMATHO et l’UNESCO ; elle a aussi pris contact avec une ONG spécialisée, Acroterre, dont l’un des animateurs, qui a résidé deux ans au Mali, devrait passer à Djenné début 2005.

 

Elle a prévu de revenir au Mali à la fin de l’année 2004, et DJENNE PATRIMOINE lui a demandé de présenter ses photos et ses idées à l’occasion d’une conférence à laquelle seront invités tous les membres de l’association, tous les maçons et toutes les personnes intéressées.

 

 

3) Conférences de Jean Dethier sur l’architecture de terre

 

Avec le concours du Centre Culturel Français, DJENNE PATRIMOINE a organisé, au mois de mai 2004, une visite d’une semaine au Mali pour Jean Dethier, architecte au Centre Pompidou et spécialiste internationalement reconnu de l’architecture de terre. Cette visite a permis à Jean Dethier de se faire une idée plus précise du patrimoine malien dans ce domaine (notamment à Djenné et à Ségou), et de faire connaître à divers auditoires les réalisations en terre de nombreux pays de par le monde.

 

Ainsi, le 17 mai 2004, une conférence était organisée à Djenné, en présence d’un groupe de maçons et de beaucoup de notables. Deux jours plus tard, Jean Dethier intervenait au Centre Culturel Français, devant un public plutôt professionnel (architectes, cadres des administrations concernées par l’urbanisme, la construction, le partimoine). Et en fin de semaine, le samedi matin, Jean Dethier donnait une troisième conférence, cette fois-ci au Centre Djoliba, devant le public que cette institution sait rassembler : intellectuels, membres actifs de la société civile, étudiants, hauts cadres de l’administration. Dans les deux derniers cas, Amadou Tahirou Bah a pu présenter DJENNE PATRIMOINE et ses activités aux auditoires.

 

Les conférences étaient agrémentées par la projection de très nombreuses photographies de bâtiments en terre, des plus simples aux plus luxueux. Là était la découverte pour beaucoup d’auditeurs : alors qu’on pense généralement au Mali que l’architecture en terre est une architecture pour les pauvres, d’innombrables exemples montrent qu’on peut construire avec la terre des minarets incroyablement élevés, des immeubles à étage, des palais de grand luxe. Les qualités du matériau local jouent leur rôle, mais le savoir-faire des maçons également, et le goût des propriétaires aussi, naturellement.

 

La notoriété de Jean Dethier dans le domaine des architectures de terre résulte du fait que, depuis plus de 30 ans, il a mené à bien diverses actions internationales qui ont contribué à valoriser ce patrimoine mondial méconnu, à faire apprécier son histoire et ses traditions aussi bien que son actualité et son avenir, notamment dans le contexte du développement durable. Il est l'auteur sur ce thème de plusieurs ouvrages (traduits en 10 langues) et, au Centre Pompidou, d'une exposition qui, au cours des 15 années de son itinérance sur les 5 continents, a attiré 3 millions de visiteurs. Il est aussi l'initiateur du premier quartier d'habitat d'Europe entièrement construit en terre crue –Le Domaine de la Terre près de Lyon– auquel l'ONU a attribué le statut d'opération-pilote exemplaire. Jean Dethier a reçu du gouvernement français la plus haute récompense de la profession : le Grand Prix National d'Architecture. Il prépare actuellement aux éditions Gallimard un livre intitulé Habiter la Terre : un "panorama mondial des architectures de terre" couvrant 60 nations du monde. Le Mali y sera l'un des pays du monde le plus abondamment représenté du fait de l'extrême richesse, vitalité et diversité de son patrimoine national édifié en banco.

 


HISTOIRE, ACTUALITE ET AVENIR

DES ARCHITECTURES DE TERRE EN AFRIQUE ET EN EUROPE :

ou comment une tradition millénaire peut engendrer une

modernité alternative respectueuse à la fois des spécificités

locales et des exigences nouvelles, à l'échelle planétaire, 

en faveur du "développement durable"



Les conférences de Jean Dethier ont été illustrées par une sélection abondante et inédite des nombreux témoignages anciens et modernes les plus remarquables de la construction en terre choisis dans monde entier. Ces photographies -exceptionnelles par leur qualité et leur diversité- ont pour but de révéler une évidence méconnue : les architectures de terre sont universelles. Elles sont universelles aussi bien en termes d'histoire, de géographie que de modernité. Elles ont donné lieu à d'extraordinaires chef-d'oeuvres d'ingéniosité et d'intelligence créatrice qui sont souvent encore méconnus. En effet dans ce domaine, les préjugés négatifs ont souvent la vie longue.

 

En termes d'archéologie, c'est avec les seules ressources de la terre crue que les hommes ont –il y a quelques millénaires– "inventé" la civilisation urbaine en construisant les premières villes de Mésopotamie, qui elles-mêmes ont influencé de multiples autres civilisations, notamment durant l'antiquité égyptienne. Depuis lors, ce savoir-faire technique et culturel n'a cessé de se diversifier et de s'étendre à l'ensemble des continents, au Nord et au Sud, à l'Est et à l'Ouest. On en trouve les témoignages éloquents aussi bien en Afrique qu'en Asie, aussi bien aux Amériques (aux USA notamment) qu'en  Europe.

 

Les Africains ont trop souvent tendance à croire que l'usage du banco est spécifique à leurs pays et qu'il serait un signe de pauvreté ou de "sous-développement". Pour démentir ce double préjugé, les conférences ont fait état des multiples usages de la terre crue dans de nombreux pays d'Europe (de l'Espagne à la Suède, de l'Angleterre à l'Allemagne), où la France fait figure de pays-pilote.

 

En effet, c'est à l'époque de la Révolution française que François Cointeraux, dans la mouvance du Siècle des Lumières, est le premier architecte au monde à promouvoir –sur le plan théorique et pratique– une modernisation des techniques ancestrales afin de répondre aux besoins de la nouvelle société qui émerge. Son action pionnière couvre aussi bien la construction d'habitats rationnels et confortables en terre crue (pour toutes les classes sociales, de la paysannerie à la bourgeoisie) que celle de bâtiments publics (écoles, mairies, etc…) ou même de manufactures.

 

Au 19ème siècle son influence a été très importante à travers toute l'Europe et même dans les "pays nouveaux" tels que les USA ou l'Australie. Dès la fin du 20ème siècle, ce renouveau des usages de la terre crue comme matériau moderne de construction s'enrichit de connaissances scientifiques et technologiques qui permettent de répondre de façon novatrice aux contraintes de l'habitat économique et aux exigences nouvelles du "développement durable". En effet, le processus de fabrication et de transport des matériaux industrialisés (ciment, béton, acier, etc.) entraîne partout une très lourde consommation d'énergies ainsi qu'une très forte production de pollutions et de gaz à effet de serre qui menacent désormais l'équilibre écologique de notre planète.

 

Afin de palier à ces graves inconvénients, il apparaît de plus en plus indispensable et réaliste –surtout pour l'habitat– de privilégier des usages modernisés des principaux matériaux de construction naturels : le bois, le bambou, la pierre et surtout la terre crue. C'est pour orienter cette stratégie nouvelle qu'a été fondé en France en 1970 le CRATerre (Centre international de la construction en terre) et que le premier quartier moderne d'habitat urbain d'Europe a été entièrement édifié en terre (le Domaine de la Terre près de Lyon). Cette réalisation-pilote (appuyée par le gouvernement et saluée par l'ONU comme exemplaire) ne constitue plus désormais un cas isolé. Depuis quelques années, on a vu émerger dans divers pays du Nord et du Sud des exemples convaincants et séduisants d'habitat en terre qui savent habilement concilier économie et harmonie, écologie et confort. C'est même le cas pour des hôtels ou des hôpitaux, des lieux de culte ou des écoles. C'est dans cette perspective porteuse d'avenir  –porteuse d'un modèle de modernité respectueux de notre environnement et de nos ressources– qu'il convient désormais de re-considérer les savoir-faire constructifs ancestraux, notamment ceux si abondants en Afrique de l'ouest.

 

Dans ce contexte, le Mali apparaît comme un pays où cette  tradition architecturale est une des plus remarquables du monde. Il apparaît donc opportun d'entreprendre sa valorisation en tant que richesse nationale exceptionnelle, tant sur le plan culturel, social que technique. Par ailleurs, le Mali est aussi une des rares régions du monde où cette tradition est encore bien vivante. C'est donc un atout majeur pour imaginer que ce pays, porté par sa vitalité créatrice,  puisse lui aussi désormais inventer de nouvelles architectures modernes en terre, de nouveaux habitats contemporains en terre, répondant aux besoins matériels et aux aspirations culturelles de ses habitants. Dans ce pays –comme dans d'autres où une telle dynamique est amorcée dans ce domaine– la sagesse des Anciens pourrait ainsi alimenter l'indispensable quête d'un nouveau modèle de modernité, ancré à la fois dans les traditions et dans l'avenir, ancré à la fois dans le local et dans l'universel.

Jean Dethier   <jean.dethier@wanadoo.fr >

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DOCUMENT 1

 

« La politique est quelque chose qui passe » :

une ethnographie historique du pouvoir, du

développement et de la démocratie

dans la plaine d’inondation du Pondori au Mali,

1818-2002 »

 

Thèse de doctorat en études interdisciplinaires présentée devant l’Université Emory par Kent Glenzer, Institut des arts libéraux/Institut des études africaines

 

 

Kent Glenzer a séjourné au Mali de juin 2001 à décembre 2002, puis il est revenu au Mali pour quelques semaines en mai 2004. Il a enquêté sur la mise en œuvre, dans le Pondori, des réformes de démocratisation, libéralisation et décentralisation, en combinant plusieurs méthodes :

 

1.  La recherche documentaire dans les archives nationales à Bamako et dans celles du Cercle à Djenné. 

 

2.  Plus de 180 interviews, dans 21 villages de la plaine et à Bamako, auprès des différents types de pouvoirs consensuels, des historiens oraux, des membres et leaders des organisations dites « traditionnelles », des membres de l’association chargée de la gestion de la plaine inondée du Pondori, des membres des conseils communaux, du personnel des ONG maliennes et internationales, des représentants de l’Etat (préfet, sous-préfets), des représentants des services techniques de l’Etat, et des représentants des bailleurs de fonds et des autorités nationales. 

 

3.  L’analyse critique du discours de l’USAID et de Care Mali (seule ONG à intervenir dans le Pondori), concernant la démocratisation, la décentralisation, et le renforcement de la société civile. 

 

4.  L’observation-participante de situations-clés d’interface entre différents acteurs (réunions, conférences, ateliers, formations, débats, et les simples rencontres de prise de décision quotidiennes), et les réunions informelles. 

 

5.  L’utilisation des enquêtes socio-économiques réalisées par Care International Mali dans la plaine du Pondori et dans la région de Mopti.

 

Il a bien voulu autoriser DJENNE PATRIMOINE Informations à publier le résumé ci-dessous de ce travail, et nous l’en remercions chaleureusement.

Résumé

 

Depuis 1991, le Mali a conduit un des processus de décentralisation démocratique les plus sérieux du continent africain, avec trois buts : 1) libéraliser l’économie, 2) démocratiser et 3) décentraliser le pouvoir de décision et les ressources vers les communes, la circonscription politique la plus proche des électeurs. Les progrès vers ces buts ont valu au gouvernement du Mali les applaudissements de la communauté internationale pendant toutes les années 1990. Les résultats mesurables ont été impressionnants :

 

- pendant les années 1990, l’économie malienne a connu la croissance à un taux solide (en moyenne voisin de 4,6 %), et le pays est devenu l’un des principaux exportateurs de coton en Afrique sub-saharienne, tandis que la production d’or explosait ;

 

- les élections nationales en 1992, 1997 et 2002 ont conduit à des transitions paisibles entre les tenants du pouvoir (y compris la Présidence) et entre partis politiques majoritaires au parlement[3] ; les élections dans les 701 communes, pour la plupart rurales, en 1999 et 2004, ont été largement considérées comme libres et équitables ;

 

- avec le Bénin, le Mali a été le seul pays d’Afrique francophone à entretenir et de plusieurs façons à approfondir sa démocratie depuis le début des années 1990, [4]  et le Mali a évité un certain nombre de problèmes qui sont apparus un peu partout en Afrique ;[5]

Un caractéristique essentielle des efforts du Mali pour réaliser la démocratisation, la libéralisation économique et la décentralisation, a été de compter sur les organisations de la société civile pour délivrer les services sociaux, pour obliger les élus à rendre compte et pour rassembler les voix des exclus et des marginalisés. Ces organisations ont été considérées comme des partenaires essentiels qui devaient aider l’Etat à consolider et à institutionnaliser la décentralisation démocratique et à atteindre l’objectif prioritaire qui n’était ni l’indépendance des collectivités territoriales par rapport à l’Etat, ni moins d’Etat, mais bien plutôt « un Etat meilleur » (MDRI 1999).

 

Effectivement, pendant les années 1990 le nombre des organisations de la société civile a augmenté rapidement, les organisations du niveau national ont influencé la politique, la pratique et la gestion de l’Etat, une presse vigoureuse et libre, imprimée et radiodiffusée, à Bamako, a donné voix à des opinions politiques divergentes, et les leaders de la société civile ont participé à des processus tels que les plans de l’Etat en matière de développement rural, la stratégie de la Banque Mondiale pour le pays, la stratégie de développement de l’USAID, et à d’autres fora.

 

Cependant, à la fin de la décennie, dans des études qui faisaient écho à celles réalisées dans d’autres parties de l’Afrique, des critiques ont contesté les succès de la décentralisation démocratique et du renforcement de la société civile au Mali (Fay 1995 ;  Bertrand 1999 ; Davis 1999 ; Kassibo 2001). C’est pourquoi  notre recherche[6]  a été conçue, au niveau le plus général, pour examiner deux questions :

1) de quelles façons le Mali pourrait-il être un modèle à suivre pour d’autres pays d’Afrique ?

2) de quelles façons au contraire la décentralisation démocratique pourrait-elle n’être que la dernière manière pour les élites de tout temps de maintenir leurs réseaux patrimoniaux et les structures inégalitaires ?

 

L’argument central et la contribution à la connaissance

 

L’étude montre que les trois communes et plus de 45.000 personnes qui vivent dans la plaine d’inondation du Pondori ne sont à l’aise ni avec l’une ni avec l’autre des deux questions posées ci-dessus. Les  succès qu’ils apprécient ne sont pas nécessairement ceux que revendiquent les leaders du pays ; les échecs qu’ils déplorent ne sont pas exactement ceux qui sont signalés dans les études étrangères au Mali.

 

Globalement en effet, notre étude montre que les programmes de décentralisation démocratique et de renforcement de la société civile semblent n’avoir eu, dans cette zone rurale du Mali, qu’un impact minimal sur trois résultats souvent cités, dans la littérature africaniste sur la décentralisation démocratique, comme ses raisons d’être :

 

1) une plus grande participation et une plus grande influence des citoyens, particulièrement des pauvres et des marginalisés, dans le processus de prise de décision ;

2) une plus grande responsabilité des agents de l’Etat et des élus vis-à-vis des citoyens ;

3) une plus grande égalité entre citoyens.

 

En outre, il apparaît que les programmes qui ont été menés dans la zone étudiée renforcent et approfondissent l’inégalité et l’exclusion de certains groupes sociaux, au moins dans certains cas.

 

Mais, si ces observations jettent une lumière nouvelle sur les processus de démocratisation démocratique et de renforcement de la société civile au Mali, la contribution la plus importante de cette thèse est l’analyse du tissu de déterminations dont dépendent ces conclusions. Ces causes sont, en bref :

 

1)  les notions Mande de pouvoir sont en conflit avec les notions implicites dans les programmes de décentralisation démocratique et de renforcement de la société civile, particulièrement en ce qui concerne les types d’acteurs auxquels ces idéologies donnent une légitimité pour prendre les décisions concernant la terre, la main-d’oeuvre et l’organisation de travail collectif, ou encore les ressources financières et symboliques ;

 

2)  les élites du Pondori ont des stratégies très anciennes –remontant au moins jusqu’en 1818–  et sophistiquées pour isoler les villages des régimes politiques qui sont ceux de l’Etat ou d’organisations similaires, afin de protéger et de promouvoir certaines relations de pouvoir, et certaines hiérarchies à l’intérieur des villages et entre eux ;

 

3)  les habitants du Pondori en général acceptent largement les normes de participation, d’expression, d’influence et de responsabilité qui résultent des deux facteurs ci-dessus ; les stratégies d’isolement ou de protection sont considérées comme socialement favorables, comme étant dans l’intérêt public, et cette opinion largement partagée s’est développée sur près de deux siècles d’expérience directe des comportements d’Etats exploiteurs, prédateurs et violents ;

 

4)  d’importants détenteurs de pouvoir par consensus à la base[7] sont insuffisamment investis de rôles formels (c’est-à-dire légaux), de participation, ou d’influence dans les processus de décentralisation démocratique et de renforcement de la société civile ;

 

5)  les acteurs extérieurs (l’Etat, les donateurs, les ONG) sont souvent ignorants des caractéristiques 1 à 3 ci-dessus, ou bien sous-estiment la sophistication, les racines historiques et la profondeur comme la vitalité de ces facteurs pour les résidents du Pondori ; et même lorsqu’ils en sont conscients, ils tendent à oublier cette compréhension lorsqu’ils s’occupent de mettre en œuvre effectivement les programmes destinés à renforcer les communes ou la société civile ;

 

6)  les acteurs extérieurs (l’Etat, les donateurs, les ONG) ont du mal à incorporer dans leurs programmes et stratégies cette réalité que les facteurs 1 à 5 ci-dessus sont le résultat d’un processus historique de structuration dans lequel ils ont eux-mêmes joué un rôle constitutif important. D’une manière complexe et puissante, ces acteurs extérieurs, pour les habitants du Pondori, portent une double identité : ils font partie du « problème pré-démocratique » autant qu’ils sont promoteurs des « solutions d’après 1991 ». Cependant, les programmes ne sont, en général, pas conçus en tenant compte de ces relations historiques ;

 

7)  les facteurs 4 à 6 ci-dessus sont des conséquences de (ou au moins sont fortement conditionnés par) l’antipolitique (Ferguson 1994), c’est-à-dire par la mise en actes des mythes politiques mondiaux qui sous-tendent le discours sur le développement global. Ils sont par conséquent le produit des institutions de développement. En d’autres termes : les normes, les pratiques, les standards et les procédures opératoires imposées par l’industrie du développement renforcent et, d’une certaine façon, produisent et reproduisent les facteurs 1 à 6 ci-dessus.

 

Nous prétendons donc que l’impact ambigu des programmes extérieurs sur les trois raisons d’être citées plus haut résulte de ces sept facteurs. Ensemble, ces sept facteurs sont une coproduction, un résultat d’une collaboration tacite entre les élites locales, l’industrie du développement et l’Etat. Nos données signalent que de tels résultats ne sont pas la conséquence d’un défaut des stratégies, programmes ou projets de décentralisation démocratique, mais au contraire la preuve de leur succès. Car ce qui en résulte, comme nous le constatons dans le Pondori, n’est pas l’affaiblissement des détenteurs de pouvoirs fondés sur un consensus à la base, ni le rejet de la démocratie, mais bien la perpétuation et le renforcement de deux systèmes parallèles de pouvoir.

 

Cette étude apporte ainsi cinq contributions aux études africaines en général et plus spécifiquement aux recherches sur la société civile et le développement :

 

- il est erroné de croire qu’il existe une résistance rurale africaine aux discours et programmes de démocratisation : au contraire, dans le Pondori, il y a collaboration des élites pour la reproduction et le renforcement des structures de pouvoir. Les habitants du Pondori sont beaucoup moins stéréotypés, beaucoup plus intéressants, que des Africains ‘marginalisés’, ‘dépossédés’, –ou que des Africains aux commandes, rusés, qui ont tout de suite compris ce qui compte dans  le développement– qui tous résistent à la domination. Les acteurs du développement venant de l’extérieur, eux aussi, sont bien plus humains, et beaucoup moins sûrs d’eux-mêmes, que beaucoup de critiques du développement l’admettraient.

 

- il n’y a pas de grand intérêt à essayer d’identifier ce qui est mal (ou bien) dans la société civile de la plaine d’inondation du Pondori au Mali en comparant la réalité à l’étalon fourni par la théorie néo-libérale de la démocratie, avec toutes ses prescriptions ; il est beaucoup plus intéressant de regarder comment des acteurs sociaux multiples tentent de donner un sens aux notions de la société civile et de la démocratie, et de chercher à discerner qui dans ce processus semble y gagner, qui y perdre, et pourquoi.

- ce que l’on observe aujourd’hui dans le Pondori ne peut pas être compris sans se référer à l’évolution, dans cette région, des relations entre l’Etat et la société locale sur une durée de près de 200 ans : certains comportements ont été mis en place dès le Califat peul de Sékou Amadou entre 1818 et 1862, ou dès la période Toucouleur de 1862 à 1893. Dans cette région, il apparaît aussi que le pouvoir colonial était relativement faible, laissant beaucoup de marge de manœuvres aux élites locales pour modifier et ensuite consolider de nouvelles formes et nouveaux types de pouvoirs.

 

- le discours extérieur sur le développement et ses thèmes essentiels (société civile, démocratie, décentralisation…) parvient assez faiblement au niveau local, et de façon irrégulière et déformée ; en partie pour ces raisons, il est rapidement contesté ; loin d’être une contrainte pour les acteurs locaux, il est une ressource (discursive, symbolique ou sociale) qui est à leur disposition et qu’ils ne se privent pas d’utiliser.

 

Au niveau le plus large, par conséquent, cette étude soutient que, au lieu de s’intéresser à la transition vers un avenir prédéterminé (la démocratie à l’occidentale), les chercheurs devraient plutôt considérer que des significations locales se développent autour de la notion de démocratie et de ses procédures, de telle sorte que se mettront éventuellement en place des formes de réalisation différentes de ce que sont les démocraties occidentales.

 

Ce faisant, cette étude ouvre des territoires intellectuels aux chercheurs, aux dirigeants des Etats, et peut-être surtout aux praticiens : penser différemment la démocratie, la décentralisation et la société civile au Mali, et à travers l’Afrique.

 

Limites de l’étude et recherches futures

 

En raison de la nature de cette étude, ses résultats et conclusions ne peuvent pas être généralisés à d’autres régions du Mali. En réalité, la plaine d’inondation du Pondori pourrait très bien se présenter comme unique dans sa sociologie politique, dans son histoire des relations entre l’Etat et la société, dans son anthropologie du pouvoir. L’étude est qualitative, historique, et, par sa conception même, profondément locale ; les analyses comparatives doivent être conduites, par conséquent, avec les plus extrêmes précautions.

En effet, sur le plan méthodologique, l’étude s’est concentrée sur les acteurs de l’élite du Pondori, la grande majorité des interviews et des situations d’interface les ayant concernés. Il est non seulement possible, mais en fait presque certain, que les acteurs n’appartenant pas à l’élite auraient des perspectives et des interprétations différentes de la démocratie, de la décentralisation et de la société civile. Il est possible qu’il existe, en dehors de l’élite, une résistance aux formes de pouvoir et d’autorité basées sur le consensus bien plus importante que celle qui a été décrite ici, et, à l’inverse, plus d’enthousiasme et de soutien pour la démocratie. Une révolte lente et calme de la jeunesse et d’autres groupes marginalisés contre l’autorité basée sur le consensus a été remarquée dans d’autres régions du Mali au cours de la dernière décennie, et elle est parfois citée comme la preuve que le triomphe de la démocratie est inévitable dans ce pays à long terme. Si un tel phénomène était identifié dans le Pondori ou dans ses alentours, alors certains des résultats  et conclusions de cette étude devraient être reformulés.

 

Cependant, notre étude suggère quatre domaines pour des recherches futures :

 

1)  Quels moyens peuvent être trouvés pour amener l’Etat, les autorités basées sur un consensus à la base, et les acteurs du développement à interagir selon de nouvelles modalités, en rompant avec les anciennes habitudes ? Leurs formes d’action, d’interaction, de communication comme leurs identités et rôles sont établis de longue date dans le Pondori, et sont si stéréotypés qu’ils interdisent pratiquement toute réalisation de la participation, toute expression indépendante de l’opinion, toute recherche démocratique du consensus. Une recherche-action pour identifier de nouvelles formes et modalités de dialogue et de processus de décision semble cruciale.

 

Une forme particulièrement importante de recherche-action tenterait d’aider les ONG à reconsidérer leur stratégie de recrutement. Pour l’essentiel, les agents de terrain des ONG sont jeunes et très souvent étrangers au Pondori. Il est extraordinairement difficile –probable-ment presque impossible– à de tels acteurs sociaux d’interagir avec les leaders par consensus à la base et les fonctionnaires de haut niveau de la façon qui serait nécessaire pour changer les comportements, les attitudes, les pratiques. Les ONG devraient penser de façon plus créative à la question de savoir qui, exactement, est le mieux placé pour entreprendre, guider et mener de telles conversations, sur le meilleur moyen pour incorporer ces acteurs aux programmes, et sur la nature des relations entre elles et leur expertise.

 

2)  Quels éléments de la philosophie politique du Mandé peuvent être incorporés dans une démocratie procédurale, quels aspects de la démocratie néo-libérale peut-on éliminer et quelle philosophie hybride en découlerait ? Jusqu’à présent, les études commandées par l’Etat ou ses donateurs sont trop superficielles pour parvenir à la synergie profonde qui est nécessaire, et qui pourrait  défier et questionner la philosophie politique Mandé aussi bien que la philosophie démocratique néo-libérale.

 

3)  Comment la démocratie procédurale peut-elle être un moyen de promouvoir la fusion des deux systèmes parallèles de pouvoir trouvés dans le Mandé ? Il est facile de critiquer les procédures démocratiques, mais des procédures sont nécessaires –même si elles ne sont pas suffisantes–  à la consolidation de la démocratie au Mali. Dans cette perspective, des recherches qui envisageraient par exemple de nouvelles compositions des communes, des alternatives à la représentation proportionnelle, des réglementations diverses des partis politiques, et de nouvelles manières de sanctionner, promouvoir, financer et définir la société civile, pourraient être utiles.

 

4)  Quelles sont les différentes catégories d’acteurs qui seraient les mieux placées pour aider à diminuer l’écart qui existe entre les deux systèmes parallèles de pouvoir dans la zone étudiée, et quels types de mécanismes de financement et d’incitation pourraient leur convenir ? Il est peut-être trop évident de rappeler que toutes les conditionnalités des programmes au niveau local (les contrats exigeant des résultats, leurs indicateurs de succès, les procédures qui permettent de les obtenir et leurs systèmes d’incitation…), favorisent  certains types d’acteurs et pas les autres. Toute stratégie de donateur a, évidemment, cette conséquence. La question qui exigerait beaucoup plus de recherche est « est-ce que les acteurs qui sont favorisés par les donateurs sont justement les acteurs qu’il faut pour remettre en contact les deux systèmes parallèles de pouvoir d’une façon positive ? ». Il n’est pas évident du tout, par exemple, que les ONG, les associations formelles, les groupes de consultants, etc. soient les acteurs qu’il faut pour entreprendre cette tâche. Il n’est pas évident non plus que le recours de plus en plus fréquent aux appels d’offre soit le bon mécanisme pour identifier et appuyer ces acteurs.

 

Kent GLENZER  <kglenzer@earthlink.net >


Bibliographie

 

Bertrand, Monique.  “Décentralisation et culture politique locale au Mali: de la réforme territoriale au cas de Bamako.”  Autrepart 10 (1999): 23-40.

Davis, John Uniack.  “'A single finger cannot lift a stone': Local organizations and democracy in Mali.”  Ph.D. dissertation, Michigan State University, 1999.

Fay. Claude.  « La démocratie au Mali, ou le pouvoir en pâture. »  Cahiers d’Études Africaines 137 (1995): 19-53.

Ferguson, James.  The Anti-Politics Machine: “Development”, Depoliticization, and Bureaucratic Power in Lesotho. Minneapolis, MN: University of Minnesota Press, 1994.

Kassibo, Bréhima.  “Fondements historiques et politiques de la gestion décentralisée des ressources naturelles au Mali.”  Working Paper soumis au Programme de recherche sur les décentralisations environnementales, Programme Institutions et Gouvernance, World Ressources Institute, Washington, D.C, October 2001.

MDRI.  Guide Pratique du Maire et des Conseillers Communaux.  Bamako: ImprimColor, juillet 1999, 3ème édition.

Paley, Julia.  “Toward an Anthropology of Democracy.”  Annual Review of Anthropology 31 (2002): 469-96

van de Walle, Nicolas.  “Presidentialism and Clientelism in Africa’s Emerging Party Systems.”  Journal of Modern African Studies 41, 2 (2003): 297-321.

 

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DOCUMENT 2

 

L’identité Djennenké et les réformes politiques :

  démocratie et décentralisation

 

par Boureima Touré [8]

 

La grande diversité ethnique de la population de Djenné, constituée de générations successives d’immigrants pacifiques ou conquérants, avec ce que cette histoire laisse de traces dans les mémoires pourrait laisser craindre que la question ethnique ne soit brûlante dans cette cité. Tout au contraire, Djenné révèle un phénomène de rejet de l’ethnicité au profit d’une identité construite à travers l’histoire, le commerce, la religion et la politique. Revendiquée par la majorité de la population, cette identité constitue, en soi, un maillon essentiel de la cohésion de la ville. Ici, en effet, la méthode qui consiste à étudier une société en commençant par l’énumération des différents groupes ethniques qui la composent ne mène à rien. Car, dans cette cité, les catégories dans lesquelles certains groupes se situent ne renvoient pas à une classification en ethnies. En outre, le niveau actuel d’intégration des communautés a fortement réduit les frontières ethniques et a crée une nouvelle identité qu’on désigne par le terme « Djennenké,» ou « Djenne-boro » ou encore « Djennenkobè ». Par ailleurs, avec l’avènement de la démocratie assortie de la décentralisation, on assiste, à travers cette identité, à tout un autre processus qui a consisté à ajuster la réforme adoptée aux réalités historiques, sociologiques et culturelles. Pour comprendre ces phénomènes, il est intéressant de voir comment se présente la société Djennenké, les facteurs ayant concouru à la formation de son identité et l’évolution de la démocratie et la décentralisation.

 

La société Djennenké

 

En dépit des événements historiques qui permettraient de distinguer des vagues successives d’immigrants et de conquérants, l’observation de la ville de Djenné révèle aujourd’hui deux grands groupes sociaux : les Peul et les Djennenké.

Les Peul

 

Le groupe Peul est composé des Rimbé ou Dimo  qui sont, aux yeux de tous, des hommes libres ou de sang pur dans la conception locale et les Jawambé (courtiers). Indissociables de ce groupe, on retrouve au bas de l’échelle sociale les Nyaybé (griots ou artisans) et un ensemble d’esclaves qui se repartissent entre :

- Rimaîbé (descendants d’anciens esclaves)

- Maccubé (esclaves de case)

 

Pour une saisie facile de cette structuration, le lecteur peut se référer au tableau qui suit :

 

Hommes libres (Rimbé ou Dimo)

Esclaves

Fulbé (hommes de sang pur ou nobles)

Jawambé (courtiers)

Nyaybé (griots)

Rimaibé (descendants d’anciens esclaves)

Maccubé (esclave de case)

 

C’est au sein de cette communauté fortement hiérarchisée que se forment les associations appelées Waaldé : elles regroupent les membres de tous les statuts, mais sans les confondre, puisque les relations de dépendance y sont réaffirmées de multiples manières. En particulier les fonctions d’animation et même de commandement sont généralement réservées aux nobles tandis que les fonctions subalternes et ancillaires sont dévolues aux esclaves. Ce que racontait Amadou H. Bâ, qui fut très jeune, et malgré sa faible taille, mais grâce à son statut et à sa vivacité d’esprit, amiru (chef) d’un Waaldé, reste toujours vrai : « Chaque association était en effet organisée selon une hiérarchie qui reproduisait la société du village ou de la communauté. Outre le mawdo, doyen et président d’honneur extérieur à l’association, il devait y avoir un chef (amiru), un ou plusieurs présidents ou vice-chefs (diokko), un juge ou cadi (alkaali), un ou plusieurs commissaires à la discipline ou accusateurs publics (mutaassibi), enfin un ou plusieurs griots pour jouer le rôle d’émissaires ou de porte-parole » (A. H. Bâ, 1991, 189).

 

Cette division de la société en groupes d’âge, appelée communément cereterey, est encore perceptible de nos jours dans les cérémonies de baptême, de mariage et de décès où il n’est pas rare de voir les personnes de même catégorie d’âge assises les unes à côté des autres. Sur le plan politique, le phénomène conserve une importance capitale. Il constitue en effet un réseau important de mobilisation  pour bon nombre de leaders politiques de la localité. Or, on retrouve à peu près le même type d’organisation sociale au sein de la population dite Djennenké.  

 

 

 

Les Djennenké,  Djenne-boro ou Djennenkobé (gens de Djenné)

 

Le terme Djennenké (langue Sonninké ou Marka), Djenne-boro (langue Sonraî) ou Djennenkobé (langue Peul) ne désigne pas une ethnie mais plutôt un ensemble cosmopolite. Il recouvre tous ceux qui ne sont pas Peul ou qui, à l’origine, étaient  Nono, Sonraî[9], Malinké, Mossi, et Bozo partageant à peu près la même langue locale.

 

Dans sa classification des groupes ethniques du Soudan, Delafosse considère les Djennenké comme un peuple au même titre que les Nono ou Marka et tous les autres groupes ethniques (Bobo, Minianka, Dogon, Samo, Mossi et Dafing) qui acceptent une telle appellation ; il indique d’ailleurs qu’ils constituent la presque totalité de la population de Djenné. La liste de patronymes qu’il donne à ce sujet se présente comme suit : Traoré, Touré, Simpara, Fofana, Djabourouga, Cissé, Niaré, Niagaté, Tounkara, Baradji, Semega, Dramé, Haidara, Naabo, Payato, Koné, Timité, Sacko, Kourmassé, Djaby, Djabira, Koumaré, Kanté, Siby, Kamara, Soumaré, Doukouré et Kouma (Delafosse, 1972, 89).

 

Chez les Djennenké on retrouve la distinction entre les hommes libres –borcin (nobles) ou gaabibi (peaux noires : esclaves affranchis)–, et un ensemble d’esclaves communément appelés tam –où l’on distingue bagna et kongo, respectivement esclaves homme et femme. De même, on retrouve les horso ou wolo-so, esclaves nés de la maison du maître, et qui vivent dans une sorte d’exclusion puisqu’ils n’ont pas accès à certaines fonctions de responsabilité politique.

 

La classe des borcin est elle-même divisée en trois sous-groupes :

- les waakorey (les purs), ceux dont les géniteurs sont nobles et appartenant au même groupe ethnique ;

- les waakoy (qui contient du lait : métis), issus du métissage entre deux groupes différents (Bozo, Marka ou Sonraî) ;

- les gaabibi (peaux noires), esclaves affranchis restés clients de leurs anciens maîtres, conservant  certains rapports de subordination avec ces derniers.

 

C’est au sein de cet ensemble structuré que se forment les associations appelées tilla. Contrairement à l’association des Peul (waaldé), celle des Djennenké peut être dirigée par n’importe lequel de ses membres, exceptés les esclaves. Pour une saisie facile des catégories en présence dans la société Djennenké, le lecteur pourra consulter le tableau qui suit :

Borcin (hommes libres ou nobles)

Tam (esclaves)

Waakorey (les purs)

Waakoy (qui contiennent du lait ou métisses)

Gaabibi (peaux noires)

Bagna ou kongo (esclaves homme ou femme)

Horso ou woloso (esclaves nés de la maison)

 

La difficulté  fondamentale relative à ce groupe est donc l’identification des ethnies. En rappelant les définitions de plusieurs auteurs sur l’ethnie (P. Mercier, G. Nikola, F. Barth), J.L Amselle dénombre sept critères qui nous permettent d’identifier un groupe ethnique : la langue, un espace, des coutumes, des valeurs, un nom, une même descendance et la conscience qu’ont les acteurs sociaux d’appartenir au même groupe.

 

Il ressort cependant de nos constats que, à Djenné, plusieurs groupes ethniques (Marka, Sonraî, Bambara, Malinké, Bozo, Bobo et Dafing) revendiquent plutôt l’identité Djennenké ou Djenne-boro que leur ethnie d’origine. Toutes étant venues d’horizons divers, aucune des ethnies vivant à Djenné ne revendique de nos jours une origine extérieure. De plus, les relations intergroupes tissées à travers l’histoire, le commerce, la politique, les pratiques et valeurs islamiques ont modifié les comportements sociaux à tel point qu’il est difficile de distinguer une ethnie. Au-delà des patronymes qui peuvent parfois servir de référence, rares sont les groupes qui revendiquent une autre identité que celle des Djennenké.

 

En outre, ils s’expriment tous dans la langue locale propre à la ville de Djenné, appelée Djenne-ciini (en Sonraî), Djennekakan (en Bambara) ou encore le Djennekoore (en Peul). Il s’agit d’une variante de la langue Sonraî proche de celle de Tombouctou. Delafosse affirme à ce sujet : « La langue de Djenné est la langue sonraî, il est vrai…mais c’est là un phénomène dû à des raisons politiques et économiques, et qui n’a rien à avoir avec l’origine ethnique des Djennenké » (Delafosse, 1972, 239). Ceci est d’autant plus frappant que le Bamanakan (la langue des Bambara) est la langue la plus utilisée dans le cadre des échanges commerciaux avec les populations venues de l’extérieur (Barry, 1990, 206) : mais « il ne vient à l’esprit de personne de présenter cette dernière comme langue de Djenné ». D’ailleurs, « dans le marché quotidien de Djenné, le Djenne-ciini ou le Koîra-ciini domine les interactions », à la différence de ce qui se passe le jour du marché hebdomadaire. De plus, à la mosquée aussi bien que dans les cérémonies de baptême, les prêches et les bénédictions sont dits en Djenne-ciini. Ceci montre que la langue Bambara a essentiellement une fonction commerciale avec les populations venues de l’extérieur, alors que, au contraire, le Djenne-ciini reste la langue dominante par ses fonctions culturelles, religieuses et politiques.

 

Pour autant, l’identité Djennenké ou Djenne-boro pourrait-elle, et devrait-elle, être considérée comme une ethnie ? Cette question nous amènera à analyser ultérieurement  l’identité Djennenké et à voir comment elle s’est construite à travers l’histoire.

 

L’organisation politique traditionnelle de Djenné

 

Le système actuel de l’organisation politique « traditionnelle » de Djenné semble remonter aux XVème, XVIème et XVIIème siècles, époque de la domination des Sonraî. Les concepts relatifs à ses structures et à son organisation l’attestent. Ainsi, l’ossature de l’organisation politique révèle trois niveaux distincts : la famille, le quartier et la ville. Même si ce système d’organisation ne bénéficie plus de sa vigueur d’antan, du fait de l’évolution politique du pays, il pourrait être encore sollicité en cas de crise profonde ou de prise de décision importante liée aux intérêts de la ville. Chacune de ces entités se caractérise  par des pratiques et des règles qui sont en corrélation les unes avec les autres. En outre, certaines chefferies traditionnelles et grandes familles maraboutique ayant de la réputation dans la ville sont aussi sollicitées dans la gestion des affaires.

 

La famille

 

Appelée communément huu ou galle, la famille restreinte est la base de toute l’organisation traditionnelle de Djenné. Elle est placée sous la responsabilité du huu-koy ou jom-galle (chef de famille) qui exerce son autorité sur toutes les personnes et les choses qui l’entourent (champs, concession et conseil de famille). Ce faisant, ce chef de famille jouit d’une notoriété et de marques de déférence qui font de lui un notable, à telle enseigne qu’il est par exemple difficile pour un membre de sa famille d’afficher publiquement une opposition à ses idées politiques. Cette situation met les chefs de famille au premier rang des couches convoitées lors des campagnes politiques. Cependant, ces chefs de famille sont généralement liés à leur patrilignage (baba-huu ou suudu-baaba) qui peuvent selon les circonstances influencer les décisions prises dans les familles.

 

Les quartiers

 

L’organisation des quartiers utilise à peu près les mêmes vocables parentaux pour désigner ses structures. Chaque quartier est en effet organisé autour du farandi-baba-huu (litt : quartier-père-maison) formant une sorte de patrilignage pour ses habitants, et qui s’étend à toutes les familles qui le composent. Le quartier est dirigé par un farandi-amir (litt : quartier-président). Contrairement au patrilignage, composé des familles, le farandi-baba-huu regroupe en son sein plusieurs catégories de groupes d’âge appelé cereterey (camaraderie).

Au sein des quartiers, ces groupes d’âge forment des associations appelées tilla ou waaldé. Constituées généralement dès l’âge de la circoncision, ces associations ont des relations étroites avec les conseils des quartiers. Elles sont ainsi sollicitées pour toutes les activités relevant de l’intérêt du quartier ou de la ville. Lorsqu’un groupe d’âge atteint les vingt un ans, il aura ainsi le privilège de voir son représentant (amir) prendre place au sein du conseil du quartier. Cependant, il n’en est qu’un membre passif,  puisqu’il n’a pas le droit de discuter les décisions du conseil ; il n’en est membre qu’en tant qu’exécutant des décisions du conseil. Mais après avoir dépassé la limite de sarfa (l’âge du mariage), le représentant du groupe d’âge siège dans le conseil comme membre actif, ayant droit à la parole. Par ailleurs, les représentants des catégories d’âge dépassant la cinquantaine siègent dans le conseil comme membres de droit et conseillers du chef de quartier. Ainsi, le conseil de quartier regroupe plusieurs catégories de groupes d’âge et quelques personnages du quartier appelés boro-saahinté ou saahibé (personnes sages) qui veillent à l’équilibre des décisions prises par le conseil par  rapport aux principes de la religion et aux traditions de la ville.

 

La ville

 

Les questions délicates relevant de l’intérêt de la ville de Djenné sont discutées par un conseil restreint communément appelé batu qui regroupait tous les représentants des quartiers et quelques marabouts notables de la ville. Présidé par le Koîra-kokoy (chef de la ville), ce conseil discute généralement des sujets liés à la sécurité de la ville, de la nomination de l’imam, du crépissage de la mosquée ainsi que des difficultés liées au recouvrement des impôts et aux calamités naturelles.

 

Dans les prises de décision comme dans leur exécution, il apparaît une certaine complémentarité entre le batu et les conseils de quartier. Pour tout sujet relevant de l’intérêt de la ville, les chefs de quartiers sont informés par le Koîra-kokoy. Ces derniers discutent du problème au niveau des conseils de quartier et les décisions prises sont transmises au batu par leurs représentants. Et en retour, les décisions prises par le batu sont transmises aux conseils de quartier, et l’exécution se fait travers les réseaux de groupes d’âge et les familles. Ainsi, toute prise de décision au niveau de la ville requiert le point de vue de toutes les instances. Le fonctionnement des structures bannit l’individualisme dans la conduite sociale. Cependant, l’évolution socio-politique et économique actuelle fait que certains, par leur nouvelle position, prennent des décisions en marge de ce processus traditionnel.

 

De l’identité Djennenké, Djenne-boro ou Djennenkobè

 

La particularité de la ville de Djenné s’explique par la convergence de plusieurs phénomènes. En plus de son ancienneté et de son cosmopolitisme traditionnel, elle a été un grand centre commercial, religieux et politique. C’est ce rôle, joint d’ailleurs à une position stratégique de carrefour sur les routes commerciales, qui aurait suscité l’intérêt et même la convoitise de tous les grands empires de l’époque pré-coloniale. Ainsi, loin d’être une société repliée sur elle-même, Djenné était sans doute intégrée dans d’autres formations plus générales qui lui déterminaient et lui donnaient un contenu spécifique. Mais elle-même doit aussi être considérée comme constituée d’un réseau de relations qui doivent être explorées, si l’on veut trouver la clé de son fonctionnement réel. Nous nous proposons ainsi de montrer que l’identité Djennenké ou Djenne-boro résulte de la coïncidence de trois réseaux d’intégration à la société  Djennenké : le commerce, la religion et la politique.

 

Le commerce 

 

Les auteurs, à commencer par Es-sadi, sont unanimes sur la tradition commerciale de Djenné. Certains témoignages donnent l’antériorité au commerce sur l’islam. « L’entrée de Djenné dans l’orbite des échanges commerciaux transsahariens semble remonter au Xème siècle » (D. Diakité, 1999, 47). Et en se référant au Tarikh al-Fattash, l’auteur indique par ailleurs que c’est au milieu du XIIIème siècle que le souverain de Djenné, Koy Komboro, se convertit à l’islam.

 

C’est le site de la ville qui expliquerait son importance historique, en tant que point de rencontre, et les ambitions de conquête qu’elle a fait naître chez les empereurs du Mali. « Elle se situait au carrefour des routes allant des pays Maghrébins aux pays du Sud, vers l’or du Bitou, vers la cola de la forêt et les esclaves des pays du Sud, pays auxquels  elle pouvait faire parvenir le sel et toutes sortes de marchandises venant d’au-delà du Sahara. Elle ne pouvait ne pas susciter des convoitises » (A. Bâ Konaré, 1999, 28). La stratégie des empereurs de l’époque était non seulement de s’approprier les territoires d’où provenaient les richesses du moment, mais aussi de contrôler les routes y conduisant.

 

De par sa position de relais, Djenné a été, sans aucun doute, une zone de convergence des biens provenant de plusieurs sociétés et de marchands aux cultures différentes. Dans un tel creuset, les échanges entre groupes peuvent se développer et se diversifier en créant ainsi un réseau d’intégration sociale. C’est ainsi que, probablement, plusieurs groupes (Marka, Bobo, Sonrai et Bambara) qui, à l’origine, étaient venus pour des raisons commerciales ou religieuses, finirent par s’installer dans la ville. De  même, certains groupes Arma et Marka s’identifient beaucoup plus par leur activité professionnelle (artisans et barey) que par leur ethnie d’origine. En somme, on peut affirmer que les activités économiques ont permis à bon nombre de groupes de s’intégrer à la société Djennenké. Ce qui est valable pour le commerce l’est aussi pour la religion et la politique.

La religion : l’islam

 

A Djenné, l’islam est manifestement un facteur de cohésion et d’intégration sociale. Ne faisant pas de distinction entre groupes et statuts, il rassemble toute la population de la ville, quelle que soit son origine, autour de la foi islamique. « Le lien le plus fort, celui qui est le plus anciennement encré et qui participe aujourd’hui de l’identité même des Djennenké, c’est l’islam » (Diakité, 1999, 45). Aujourd’hui encore, on entend dire : « A Djenné, tout le monde prie ». Il importe cependant de noter que l’islam pratiqué à Djenné jouit d’une certaine particularité, qui s’explique, selon certains auteurs (Bah et Diakité), par la diversité de sa population, mais aussi par la longue survivance de l’animisme et l’influence récente des empires Peul et Toucouleur. En s’opposant successivement aux différentes entités religieuses, les Djennenké semblent avoir adopté un islam conforme à leur identité et qu’ils défendent avec une évidente fierté. « Voilà Djenné complexe et fascinante ! » a  déclaré A. Ba Konaré.

 

Confondue à l’islam, cette revendication identitaire représente certainement une force pour l’unité des Djennenké. La récente opposition de la ville au barrage de Talo a en effet permis à tous ceux qui, de l’intérieur ou de l’extérieur, revendiquaient cette identité de s’unir contre ce projet de l’Etat malien, et de parvenir à fortement retarder la mise en œuvre d’un projet considérablement amendé.

 

Cette revendication identitaire peut cependant freiner l’évolution de sa société. Par exemple, l’islam pratiqué à Djenné rejette la notion de laïcité alors que l’Etat malien se proclame laïc. De plus, cet islam n’est pas à l’abri de menaces extérieures. L’émergence actuelle de la secte Ansar Dine est de plus en plus perçue comme une menace, et la dernière visite de son représentant aurait suscité de vives polémiques au sein de la population. De même, la récente tentative de l’ambassade des Etats-Unis d’établir des relations étroites avec l’islam de Djenné n’aurait pas été appréciée par bon nombre des habitants.

 

Indépendamment de son contenu religieux, mais à cause des liens qu’il établit entre personnes de statuts différents, l’islam donne accès à d’autres moyens d’intégration à la société Djennenké. Il y a de cela des signes très révélateurs. D’abord, en parvenant à maîtriser la langue locale, le Djenne-ciini, les élèves des écoles coraniques  peuvent préparer leur identification en qualité de fils de la ville sainte. Mais surtout, au cours ou à la fin de leurs études coraniques, certains étudiants finissent par prendre le patronyme de leur maître, comme l’ont toujours fait les dépendants au cours des temps. Dans ce cas, le patronyme premier disparaît. Cette labilité des patronymes a déjà été évoquée par F. Barth, comme une illustration d’un phénomène plus général : « Un acteur social, en fonction du contexte où il se trouve, opérera à l’intérieur du corpus catégoriel mis à sa disposition par la langue, un choix d’identification » (Amselle, 1999, 34).

 

Dans la pratique, ces acteurs peuvent s’affilier soit à l’identité de la ville ou à une ethnie quelconque de leur choix. C’est ainsi qu’un habitant de la ville déclare : « A l’origine, mon grand-père était Diarra. Lorsqu’il est venu étudier à Djenné, il a pris le nom de son maître : Cissé. Et en faisant le petit commerce,  il a fini par s’installer dans la ville. C’est ainsi que notre père est devenu Cissé et nous sommes tous désormais des  gens de Djenné ». De même, Gallais montre que, Barry de la tribu Ourubé qu’il était, Sékou Amadou, fondateur de la Diina, était devenu Cissé à la prise de pouvoir. Ainsi, on peut affirmer qu’à Djenné, les ethnonymes aussi bien que les patronymes ne sont pas figés, ils peuvent évoluer selon les contingences historiques et les intérêts socio-économiques, politiques et religieux des acteurs.

 

La politique

 

Le contrôle de la ville de Djenné a été l’objectif de plusieurs empires (Mali, Songhoy, Arma, Bambara, Peul et Toucouleur). Par ailleurs, il est remarqué que le concept de « gens de Djenné » est désigné différemment dans trois langues de la localité : Djennenké (en Soninké ou Marka), Djenne-boro (en Sonraî) et Djennenkobé (en Peul), alors même que ces trois termes signifient une seule et même chose, précisément « les gens de Djenné ». Or, il ressort de nos investigations que chacun d’eux connote une domination politique assortie d’une langue. Autrement dit, le concept « gens de Djenné » aurait pris forme et aurait évolué en fonction des multiples dominations que la ville a connues.

 

Ainsi, dans le processus de création de la ville, les premiers étrangers, des Marka qui ont fourni l’impulsion extérieure à la première population Bozo, avaient bien leur identité spécifique, s’appelant ou étant appelés Nono ; mais ils ont pu devenir par la suite Djennenké lors et à cause de la domination des Sonraî. Ce phénomène pourrait s’expliquer par le fait que les Marka, ayant longtemps cohabité avec les Bozo, s’étaient progressivement intégrés à ces derniers ou éventuellement avaient formé avec eux une population totalement métissée. Ils ont pu ainsi se considérer comme gens de la localité, Djennenké, face aux nouveaux détenteurs du pouvoir venus d’ailleurs pour s’imposer par la force.

 

La même logique jouera à nouveau lors de la conquête marocaine, puis à nouveau lorsque ses derniers représentants seront vaincus par les Peul : les populations autochtones se sentiront alors  Djenne-boro face à l’intervention extérieure. D’après ce qu’on sait des troupes qui ont défait l’empire Sonraî, « ces étrangers dont l’encadrement était Andalou ou Européen, en majorité, conservant le souvenir d’avoir été chassés de leur patrie, eurent peut-être un moment l’idée d’organiser le pays à leur profit ; ils n’y parvinrent pas mais se fondirent dans la population » (J. Brunet-Jailly, 1999, 10).

 

Cependant chez les Peul, qui constituent la dernière vague de conquête, la plus récente, c’est le phénomène contraire qu’on observe : ou plutôt le phénomène inachevé, interrompu dans son cours. En effet, dans la conception locale, les Peul ne sont pas inclus dans la population Djennenké ou Djenne-boro. Le concept Djennenkobé désigne ainsi la grande majorité de la population de Djenné, exceptés les « Peul de Djenné ». Il est important de noter que la domination Peul n’a duré que quarante-cinq ans, tandis que celles des Marka et des Sonraî ont l’une et l’autre duré plus d’un siècle. D’ailleurs certains témoignages recueillis dans la ville affirment qu’à l’époque de la Diina, le processus d’intégration avait déjà été amorcé. Il se traduisait par exemple par le fait que, à cette époque, si un guerrier perdait la vie au cours d’une bataille, sa femme était remise à un autre de même statut mais d’origine ethnique différente.

 

Mais ce processus sera interrompu par les troubles causés par l’intervention Toucouleur. Et, bien entendu, l’arrivée des colonisateurs n’a pas permis au processus d’intégration des Peul de poursuivre son cours normal, car « lorsque les Français entrèrent à Djenné ce fût bien sûr à la chefferie Songhaî qu’ils eurent affaire… » (G. Holder, 1999, 17).

 

A vrai dire, la conquête coloniale va non seulement interrompre le processus d’intégration des Peul mais aussi introduire un autre type de relation avec les nouveaux maîtres de la ville. On passe désormais à une autre forme de relation de pouvoir, car, loin de vouloir s’intégrer, les nouveaux maîtres cherchent plutôt à créer des stratégies d’assimilation  pour mieux asseoir leur domination. Au contraire, dans l’histoire de Djenné jusqu’au XIXème siècle, lorsqu’une nouvelle autorité politique s’emparait de la ville, l’autorité politique précédente, désormais vaincue, tendait à abandonner son identité d’origine, qu’elle avait conservée pendant toute sa domination, et adoptait en la renforçant l’identité de la ville de Djenné.

 

L’identité Djennenké à l’épreuve des réformes politiques

 

La démocratie

 

La difficulté qu’on éprouve à comprendre le jeu politique de la ville de Djenné tient pour l’essentiel à l’idée qu’on se fait de la démocratie : un système politique dans lequel les populations devront, dans la plus scrupuleuse égalité, s’exprimer individuellement dans le cadre de la citoyenneté. Autrement dit, chacun est supposé « se transformer en individu assez politisé pour pouvoir effectuer consciemment des choix dans le cadre d’une représentation élue sur des bases multipartisanes » (Chabal et Dalloz, 1998, 69). Mais, en réalité, avec l’avènement effectif de la démocratie, assortie de la décentralisation, on assiste à Djenné à un tout autre processus, qui consiste à ajuster la réforme venue de la capitale aux réalités historiques, sociologiques et culturelles de la ville.

 

Ici, il est important de noter que, à Djenné, il est difficile de déterminer à l’avance ce qui relève ou non de la politique, du fait de l’enchevêtrement des domaines politique, économique et religieux. Le commerce qui, jadis fut le premier élément d’intégration à la société Djennenké, n’est plus aussi prospère et ne jouit plus de sa réputation d’antan, du fait du développement des centres voisins : San , Baramandugu, Sofara et Mopti. C’est ainsi que, à l’opposé des populations qui ont migré vers les nouveaux centres, plusieurs groupes Marka et Sonraî, restés à Djenné, se sont purement et simplement reconvertis dans les activités de maraboutage. Devenue lucratif, le statut de marabout confère aussi un prestige considérable à ceux qui l’acquièrent dans la ville. De même, sans être directement engagées dans l’arène politique, mais par ce qu’elles sont considérées comme les protecteurs de la cité, les grandes familles maraboutiques sont consultées pour tout ce qui a trait à la gestion et à l’image de la ville. Encore de nos jours, une grande partie des familles qui comptent dans la ville sont des familles maraboutiques.  Ainsi, ayant remplacé le commerce autrefois si florissant, la religion jouerait  désormais, mais de façon obscure, un rôle prépondérant dans la politique à Djenné. Mais pourquoi pas, puisque, pour certains auteurs, Diakité par exemple, l’identité Djennenké se réduirait à  l’islam ?

 

Une autre adaptation de la démocratie vient de ce que, sans être rigides dans la pratique, les relations de dépendance entre nobles, esclaves affranchis (gaabibi) et horso sont toujours d’actualité. Jusqu’à présent, ces derniers ne peuvent donc pas prétendre à certains postes de responsabilité politique dans la gestion de la ville. Sur le plan électoral, ils sont par ailleurs généralement considérés comme les premiers alliés et agents de leurs anciens maîtres. Ils peuvent cependant changer de couleur politique par rapport à ces derniers, mais sans pour autant l’afficher publiquement, car alors ils risqueraient d’être dénigrés ou de perdre certains avantages toujours octroyés par leurs  anciens maîtres.

 

Il fallait aussi localement tenir compte du fait que les chefferies politiques traditionnelles de la ville bénéficient encore de quelque influence dans les quartiers. Au cours des campagnes politiques, elles constituent de véritables réseaux de tractations, ponctuées d’allégeances et de dons, ce qui leur vaut la sympathie et la convoitise des leaders politiques modernes. De même, la notion de cereterey (camaraderie) fonde un réseau important de clientèle dans la ville. Par ailleurs, il faut admettre, à Djenné comme ailleurs au Mali, que dans la population, la compréhension de la signification du vote, de la citoyenneté, semble encore très limitée.

 

Bref, on voit qu’il s’agit là d’un ensemble de phénomènes qui font que l’action politique d’individus isolés ne peut être qu’insignifiante. Seuls peuvent agir en pratique les groupes d’âge, seule peut être efficace l’identité Djennenké, dont on doit se présenter comme un témoin incontestable et irréprochable, à laquelle on doit se conformer parfaitement, et grâce à laquelle on pourra élaborer des réseaux de relations, mais aussi des propos et propositions qui joueront sur des thèmes intimement entrelacés de la religion, de la politique et de l’économie. C’est cette identité qui crée le type d’homme politique idéal de la localité. Elle passe par des relations entre statut et ethnie, entre l’histoire et le présent, entre les représentations et les intérêts, relations qui ne sont pas celles qu’on trouve dans une société conforme au modèle weberien par exemple.

 

Dans ce contexte, la conformité à tous les traits de l’identité Djennenké ou Djenne-boro sera un élément stratégique pour les leaders politiques qui voudront se rendre populaires. L’identification précise de tous ces traits est d’autant plus importante que toute candidature, toute tentative de campagne qui s’appuierait sur une revendication ethnique serait, autant que nous puissions en juger, vouée à l’échec. Ceci n’implique pas forcément que les leaders des groupes minoritaires soient défavorisés ou exclus par le système de la démocratie actuelle, mais il semble que leur ascension politique dépende non seulement de leur largesse, mais plus encore de leur capacité à maintenir intacts, étroits et même intimes leurs liens avec leur groupe, et aussi des stratégies qu’ils déploient pour se faire reconnaître comme authentiquement et complètement Djennenké auprès de tous les autres groupes, afin de gagner leur adhésion.

 

La décentralisation à Djenné

 

Le changement politique intervenu en mars 1991 au Mali a eu des répercussions institutionnelles sur l’ensemble du pays. Et, à Djenné en particulier, il s’est accompagné d’une vaste réforme adminis-trative et institutionnelle couronnée par la création des communes. Les élections du 6 juin 1999 ont permis la mise en place d’un conseil communal auquel est désormais confiée la gestion des affaires. A travers ce dessein, l’Etat a instauré une nouvelle forme de gestion favorisant la participation des populations à la gestion des affaires locales. Pour la première fois, la population de la commune de Djenné était appelée à choisir elle-même ses responsables selon les principes du suffrage universel, avant de leur confier la gestion et la défense des ressources de la commune. La réussite d’un tel projet nécessite une forte adhésion de la population à la réforme, ainsi que la mobilisation de toutes ses structures autour des actions de l’institution communale.

Cependant, l’évolution des communes en général, et celle de Djenné en particulier, a du mal à confirmer une telle attente. Bien au contraire, l’amer constat qui s’impose révèle une indifférence manifeste de la population, qui la traduit par l’incivisme et la faiblesse de la mobilisation autour des actions de développement de la commune : très faible recouvrement des impôts et taxes, lenteur dans l’exécution des projets entrepris par le conseil communal, sabotage des chantiers publics, etc. Dans la pratique se crée un climat de méfiance entre la mairie et la population et l’institution communale se racornit jusqu’à n’être plus qu’une simple bureaucratie, point par point assimilable aux formes d’administration précédentes que la ville a connues.

 

On doit donc se demander, aujourd’hui, comment expliquer la faible mobilisation des populations autour des actions de la commune. Une forte collaboration entre l’institution communale et les structures traditionnelles du pouvoir pourrait-elle constituer une alternative crédible pour amorcer un réel développement « participatif » ? Une telle approche nous paraît nécessaire. En fait, deux questions nous paraissent essentielles pour comprendre la situation : le rôle des autorités traditionnelles et la place faite aux contraintes publiques dans une stratégie de développement.

 

Une place pour les autorités traditionnelles

 

La gestion communale des affaires repose sur un partenariat entre plusieurs acteurs dont l’Etat, le conseil communal et les autorités traditionnelles. La loi n° 96-056 déterminant les conditions de la libre administration des collectivités territoriales confère à l’Etat un droit de regard et de contrôle sur les activités du conseil communal. Elle stipule en son article 18 : « Les collectivités territoriales exercent leurs activités sous le contrôle de l’Etat et dans les conditions définies par la loi ». Quant à la loi portant code électoral, elle permet au conseil communal de délibérer sur toutes les affaires de la commune, notamment celles relatives au développement socio-économique et culturel. Cette même loi n’accorde aux autorités traditionnelles qu’une voix consultative dans la gestion des affaires communales. Or, en tant que gestionnaires traditionnels des ressources, ces institutions locales demeurent jusqu’à présent des acteurs incontournables dans la gestion des problèmes liés à la terre, à l’eau et au pastoralisme. Ce qui nous met dans une situation de « dualisme ou de pluralisme juridique » (Keita, 2001, p. 9).

 

C’est là un phénomène que certains expliquent par l’histoire. « L’enquête que nous avons faites en vue de connaître l’état de la propriété foncière nous a permis de constater qu’au demeurant trois catégories de population ont bénéficié du nouvel état des choses. Les anciens serfs (Rimaîbé), les Bozo et les chefs politiques (Sonrai et Peul). Les premiers ont gardé les champs qu’ils étaient appelés à exploiter, les seconds sont restés partout comme maîtres des eaux et les derniers ont agi comme chefs politiques » (Monteil, 1932, 171). Mais avec l’avènement de la décentralisation, les dispositions des lois semblent  limiter le rôle des autorités traditionnelles dans la gestion des affaires locales. D’ailleurs, en pratique, ces dernières sont de plus en plus assimilées à une entité chargée d’apaiser les conflits sociaux ou d’accueillir les délégations officielles venant de la capitale régionale ou de Bamako. Pourtant, elles ont un rôle avéré dans la gestion des ressources qui constituent de nos jours un enjeu fondamental du pouvoir en milieu rural.

 

Mais plusieurs interrogations subsistent. La longue cohabitation des populations avec les autorités traditionnelles dans la gestion des ressources va-t-elle permettre aux premières de se détourner des secondes, ou de les contourner, pour traiter directement avec le conseil communal ? Le rôle consultatif dévolu aux institutions traditionnelles est-il compatible avec leur influence réelle dans la gestion des affaires locales ? La position actuelle de retrait de l’Etat dans la gestion des affaires locales crée-t-elle un cadre de gestion consensuelle ou bien favorise-t-elle une concurrence entre les élus et les autorités locales traditionnelles dans la gestion des ressources ?

 

Les contraintes publiques et le développement

 

Au-delà de ces différends entre entités dont la collaboration est vitale pour le développement de la commune, le rôle actuel de l’Etat et les logiques qui sous-tendent le « leadership local » à Djenné  peuvent aussi être analysées pour appréhender ces phénomènes. En effet, alors que l’Etat se retire de la gestion des affaires locales, aucune contrainte n’assure plus le paiement des impôts. Or, de l’époque coloniale jusqu’à une période récente, l’impôt a toujours été imposé aux populations. De nos jours, il constitue la première ressource des communes qui, par contre, ne bénéficient plus des moyens de la contrainte publique. De même, avec l’avènement de la décentralisation, le discours sur l’impôt a connu peu d’évolution au niveau local. Fixé de l’extérieur, et par des logiques méconnues, il est encore mal perçu par bon nombre de personnes qui ne voient pas son importance. Et, dans le même sens, il ressort de nos constats que la majeure partie des populations ne fait pas encore de liaison entre démocratie et développement.

 

Au-delà de la liberté retrouvée face aux  formes d’administration précédentes (liberté qui est d’ailleurs considérée par certains comme yeremabila)[10], la question du développement et son lien avec la participation communautaire ne semblent pas encore être ancrés chez bon nombre de personnes. C’est cette situation qui transforme la mairie en une nouvelle structure bureaucratique, supplémentaire par rapport à l’Etat, moins exigeante que les précédentes, mais qui n’a  rien du rôle d’un animateur ou d’un pourvoyeur du développement.

Quant aux élus communaux, ils se trouvent désormais entre deux logiques difficilement conciliables : ou bien conserver le statut de « notables locaux », ou bien jouer pleinement leur rôle dans la sphère communale. En effet le statut de maire confère désormais des avantages matériels et symboliques certains, que les élus cherchent à tout prix à pérenniser. Pour réaliser un tel dessein, ils doivent se conduire de manière irréprochable envers des populations qui, désormais, ont un nouveau statut d’électeurs leur permettant de sanctionner qui prendra une attitude jugée malveillante à leur égard. Aussi, les maires vont se montrer indulgents, voire laxistes, en dépit le plus souvent de toutes les règles de la bonne gouvernance, et au profit des réalités communautaires (relations d’amitié, de parenté, voire de clan). Il est important de signaler à ce sujet qu’à Djenné il n’est pas facile de dire où sont les limites des relations d’une personne ou de sa famille. De même, amitié et parenté se chevauchent constamment, ce qui met les leaders politiques locaux dans une position délicate.

 

Evidemment, dans la gestion des problèmes liés au développement, les leaders politiques locaux sont constamment appelés à trouver un équilibre entre le social, la politique et les principes de la décentralisation. C’est en raison de ce contexte difficile d’exercice de pouvoir communal que l’actuel président de la République, Amadou Toumani TOURE a pu déclarer, lors de la conférence annuelle de l’association des maires : « Il est plus facile d’être président de la République que d’être maire d’une commune. »

 

En fait, dans un tel univers, les élus sont beaucoup plus enclins à réaliser les actions susceptibles de consolider leur popularité et leurs relations sociales que de s’occuper des véritables problèmes de développement de la commune. Car, la logique du jeu montre qu’ils sont rarement jugés sur leur programme, mais plutôt sur leur attitude envers les populations. D’ailleurs lors des campagnes électorales, rares sont les candidats qui présentent un programme aux électeurs. Les discours sont généralement centrés sur les « comportements sociaux »[11] des candidats en compétition et la capacité de chacun d’eux à se montrer un véritable Djennenké. C’est ainsi que lors des dernières campagnes pour les élections communales, un ancien  candidat déclare: « A Djenné, les élections communales sont loin d’être de la démocratie mais plutôt le fadenya[12]. Chacun est jugé selon ce qu’il vaut et ce qu’il représente pour les Djennenké ». Ce propos résume l’essentiel de l’enjeu des élections communales.

 

Il importe cependant de signaler qu’une telle vision des choses à tendance à s’infléchir. En effet, lors de la campagne pour les élections communales du 30 mai 2004, il est ressorti de nos constats que les discours s’orientent de plus en plus vers les problèmes internes du développement de la ville (l’assainissement, les infrastructures routières, la santé, l’éducation et l’emploi des jeunes). De même, certains commencent à faire des comparaisons sur l’état du développement de leur commune par rapport aux communes environnantes. De là naîtra inéluctablement une prise de conscience collective qui aboutira à des interpellations sur le développement de la commune. Et les récents résultats des élections communales attestent que le changement s’opère : le nouveau mandat communal marqué par un changement de majorité constitue un challenge pour tous les leaders politiques locaux.

 

Conclusion

 

A la lumière de tout ce qui précède, il apparaît que Djenné a su construire un modèle de société qui rejette toute forme de revendication ethnique. Malgré les vicissitudes de l’histoire, elle a pu garder un équilibre dans son évolution. Et loin d’être une société fermée, Djenné ne s’ouvre que progressivement, et par persuasion, en faisant constamment le tri de ce qu’on lui propose pour maintenir sa stabilité et son identité. Par rapport aux récentes réformes, elle n’est pas restée inerte, car, à une nouvelle forme de gestion et de citoyenneté décrétée par les lois de la démocratie, Djenné oppose sa propre logique de gestion et de citoyenneté construite à travers son histoire et qu’elle essaye d’adapter à ce qu’on lui propose. Ainsi, le changement souhaité dans le cadre de la décentralisation ne saurait être brusque et immédiat : les Djennenké ont besoin du temps pour comprendre et s’adapter. Malgré les hésitations et les logiques communautaires auxquelles la réforme actuelle est confrontée, les dernières élections communales ont montré que le changement s’opère, et la décentralisation ouvre désormais de nouvelles perspectives de développement pour la ville de Djenné.

 

Boureima Touré

<toureboureima@hotmail.com >

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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[1] Esclave domestique chargé de l’organisation de toutes les fêtes familiales et collectives traditionnelles Retour au texte

[2] Emmanuelle Olivier : La petite musique de la ville : musique et construction de la citadinité à Djenné (Mali), Journal des Africanistes, 74, 1-2, p. 97-123 (voir notamment p. 112) Retour au texte

[3] C’est ce qui distingue le Mali de la Namibie, de la Zambie et du Malawi où des présidents démocratiquement élus ont cherché à modifier les constitutions qui limitaient la durée de leurs mandats et le pouvoir de leurs partis, ou encore du Botswana où le même parti est au pouvoir depuis près de 40 ans tout en organisant des élections régulières, ouvertes, libres et équitables. Retour au texte

[4] par exemple le Niger, le Congo-Brazzaville et l’Algérie ont connu des coups d’Etat militaires dans les années 1990 ; le République démocratique du Congo a été politiquement troublée depuis la chute de Mobutu ; il est difficile de caractériser le Togo, le Burkina Faso ou la Côte d’Ivoire autrement que comme des quasi-démocraties ; le Cameroun, le Gabon, le Tchad et Madagascar ont tous connu beaucoup plus de problèmes que le Mali. Le Sénégal et Maurice ont, bien sûr, une bien plus longue expérience de stabilité démocratique. Retour au texte

[5] Par exemple Van de Walle (2003) identifie trois tendances générales en Afrique, mais que le Mali a évitées : 1) les partis qui gagnent les élections au début des années 1990 se trouvent presque invariablement encore au pouvoir en 2003 ; 2) les systèmes politiques sont constitués par un parti dominant entouré de petits partis instables ; 3) les différences entre partis sont massivement de nature ethno-linguistique, alors que les débats idéologiques et sur les programmes sont étouffés et rares. Retour au texte

[6] Cette recherche a été financée par le programme Fullbright-Hays du Gouvernement des Etats-Unis, par le Conseil des recherches en sciences sociales (SSRC), et par l’Institut des arts libéraux et par l’Institut d’Etudes africaines de l’Université Emory.   L’équipe était composée de chercheur principal au-dessus cité et Boureima Touré, socio-anthropologue formé à la FLASH.  Nous remercions nos collègues du CNRST, de l’ISH et de l’ISFRA pour leur appui et leurs encouragements. Nous sommes profondément reconnaissant à Care International au Mali pour l’appui logistique fourni pendant les 18 mois du travail de terrain, ainsi que pour l’esprit d’ouverture, de recherche critique et de réflexion qui imprègne cette organisation. Nous voudrions exprimer notre gratitude aux responsables et personnels des administrations à Djenné, en particulier au Préfet, ainsi qu’au directeur et au personnel de la Mission Culturelle, sans qui cette recherche n’aurait tout simplement pas été possible. Enfin, Nous sommes reconnaissant pour le temps, la gentillesse, l’intérêt, les défis et l’engagement dont ont fait preuve les résidents du Pondori, du Nema Badenyakafo et du Niansanari. Retour au texte

 

[7] Nous utilisons « détenteurs de pouvoir par consensus à la base » plutôt que « chefs traditionnels » pour trois raisons. D’abord, nous voulons éviter les connotations négatives de cette dernière appellation, marquée par son origine coloniale et néocoloniale. En second lieu, nous croyons que la dénomination reflète plus exactement la façon dont les gens de la zone étudiée classent ce type d’acteur. Enfin, la phrase « détenteurs de pouvoir par consensus à la base » signalent a) que le pouvoir est pluriel dans la zone et incorporé dans de multiples canaux et rôles d’acteurs sociaux ; et b) que ces rôles sont socialement construits, et par conséquent malléables, manipulables, et sujets à des luttes sociales à propos de leur compétence normative, de leur autorité, de leur responsabilité, et de leur légitimité. Le « consensus » est sans cesse retravaillé, inéluctablement problématique, et contesté ; c’est un résultat social qui demande de l’énergie, du temps et de l’investissement. Retour au texte

[8] L’auteur a obtenu sa maîtrise en sciences sociales à la Faculté des Lettres, des Arts et des Sciences Humaines de Bamako ; depuis lors, il travaille soit avec des chercheurs étrangers, notamment à Djenné et dans le Pondori, soit avec des ONG ou bureaux d’études. Retour au texte

  [9] Le mot recouvre en fait deux groupes sociaux qui se distinguent  par leurs noms et leurs périodes de domination à Djenné : celle des  Soghay ou Maiga qui s’étend du XVeme au XVIeme et celle des Touré ou Arma, du XVIeme au XVIIIeme siècle Retour au texte

[10] La liberté exagérée qui s’assimile à une forme d’anarchie Retour au texte

[11] La présence régulière du candidat la mosquée, dans les cérémonies de baptêmes, de décès, son sens de la convivialité et sa largesse envers les autres. Retour au texte

[12] Selon Bagayogo, dans « Démocratie et multipartisme au Mali », le fadenya est une rivalité entre agnats, qu’on oppose à la badenya,la fraternité utérine. Retour au texte

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