DJENNÉ PATRIMOINE
Informations
n° 29, Automne 2010
NOUVELLES DE DJENNÉ
Activités du projet
« Niger-Loire : gouvernance et culture » : le port de pêche
de Mopti et le dépôt de transit des déchets de Djenné inaugurés
Ce
sont les installations du port de Mopti qui ont été inaugurées en premier lieu,
lundi 11 octobre, sous la présidence du
ministre l'Elevage et de la pêche, Mme Diallo Madeleine Ba. Elle avait à ses
côtés, le directeur du bureau multi-pays de l'UNESCO, Juma Shabani, le
gouverneur de la cinquième région, le représentant de l'Union Européenne,
Daouda Touré, le maire de la commune urbaine de Mopti et le président de la
région du centre-ouest.
La
restauration partielle du port de Mopti, faut-il le rappeler, a porté sur la
réfection de 400 mètres de quai et l'embellissement de la voirie attenante et
la reconstruction du muret de protection. Les travaux ont coûté 200.000 dollars
US, environ 100 millions de FCFA, financés par l'Union
Européenne. L'objectif visé à travers la réfection du port, selon
les initiateurs, est, d’une part, de rendre plus fluide la circulation, d’améliorer
la fonctionnalité du port pour les usagers et, d'autre part, de sécuriser les
berges, afin que ce port, qui est le poumon économique de la ville, retrouve
son statut d'antan. En tout cas, avec ces travaux, le port de Mopti a
littéralement changé de visage.
Premier
à se réjouir de cette initiative, le maire de Mopti n'a pas manqué de saluer le
projet « Niger-Loire-Gouvernance et culture » de l'UNESCO. Quant au
représentant de l'Union européenne et au président de la région
Centre-ouest, ils ont tous affirmé la nécessité de protéger le fleuve Niger et
ses ressources. De son côté, le directeur du bureau multi-pays de
l'UNESCO, Juma Shabani, a soutenu que l'UNESCO et ses partenaires ne
ménageront aucun effort pour soutenir la ville dans la restauration des
monuments historiques et des berges.
Pour
le ministre de l'Elevage et de la pêche, cette restauration s'inscrit en droite
ligne de la politique gouvernementale, inspirée par le Président de la
République du Mali, et qui vise à faire du secteur pêche l'un des moteurs du
développement économique durable de notre pays, tout en respectant
l'environnement. Madame le Ministre a, enfin, invité les populations à faire un
bon usage de l'infrastructure.
Plusieurs
projets ont déjà été réalisés à Djenné. S'agissant du centre de transit des
déchets de Djenné, les travaux ont été réalisés sur une superficie d'environ
1380 m2 pour un coût de 50 millions de FCFA. La décharge, à en croire le
Coordinateur national du projet « Niger-Loire-Gouvernance
et culture », M. Diawara, représentant le Directeur du Bureau multi-pays
de l'UNESCO, permettra notamment d'atténuer les dépôts de déchets sur les
berges du fleuve, mais aussi d'améliorer la propreté de la ville de Djenné,
classée Patrimoine mondial par l'UNESCO depuis 20 ans.
La
construction de ce centre de transit s'ajoute à plusieurs appuis apportés par
le projet à la ville de Djenné. Il s’agit notamment de l'appui à la création d'un
comité de l'assainissement et de l'éducation à la santé ; de la
réalisation d'un diagnostic technique des différents systèmes d'assainissement
existants ; de la réalisation d'un inventaire du patrimoine culturel ;
et enfin d'enquêtes anthropologiques liés au fleuve.
Pour
le Coordinateur national projet « Niger-Loire-Gouvernance et culture »,
le projet va continuer à poursuivre son appui à la commune de Djenné sur la
gouvernance de l'assainissement. "Nous réaliserons, dans les semaines
à venir, l'étude de faisabilité sur l'aménagement de la décharge finale" a
ajouté Bandiougou Diawara.
Tout
comme à Mopti, les populations de la ville de Djenné ont aussi exprimé leur
gratitude au projet « Niger-Loire-Gouvernance et culture ». Le
premier adjoint du maire de la commune a assuré les donateurs que la ville fera
un bon usage de l'infrastructure.
Le
Chef de Cabinet du ministre de l'Environnement et de l'assainissement, Cheick
Pléa, à l’instar du représentant de l’Union européenne, a lui aussi exprimé sa
satisfaction quant à la construction de cette décharge de transit.
Pour
lui, l'ouvrage cadre bien avec la politique d'assainissement. "C'est un
début de solution à l'évacuation des déchets dans la ville de Djenné",
a-t-il ajouté.
Le 21 septembre 2010, restera une journée
inoubliable pour la ville de Djenné et sa population. La salle de conférence de
la maison du peuple de Djenné, collée à l’hôtel de ville, a été baptisée du nom
de Feu L’Honorable Mahamane Santara.
C’était en présence du Préfet Adjoint de Djenné
monsieur Sékou Amadou Denon, du président du conseil de cercle de Djenné
Monsieur Alassane Bocoum, de l’Honorable député Sékou Cissé, du maire de la
commune urbaine de Djenné Bamoye Sory Traoré, des autorités politiques, des
notabilités, de plusieurs membres de la
famille de feu Mahamane Santara.
Après les discours et les témoignages des uns et des autres sur le parcours de
l’homme, une conférence-débat a eu lieu sur le thème : « La résistance
de Djenné à la pénétration française », présentée par Boubacar Cissé,
Secrétaire administratif, Amadou Tahirou Bah, Président de DJENNE PATRIMOINE, étant
modérateur. (Voir la communication du conférencier ci-dessous).
Cette conférence prenait place dans le cadre de la
célébration du cinquantenaire de la République du Mali.
Le Cercle de Djenné a un nouveau Préfet depuis
septembre 2010 : Monsieur Mory Cissé. Venant de Ké-Macina, un cercle de la
4ème Région, le Préfet Mory Cissé remplace le Préfet Mamoutou Balla
Dembélé, qui était en poste à Djenné depuis 2006, et qui est affecté à Niafunké
en 6ème Région.
Après la passation de service, Monsieur Cissé a
effectué des visites de courtoisie aux notabilités de la ville et a rencontré
les chefs de services techniques, les autorités politiques, la société civile,
les ONG et les associations.
Le président de DJENNE PATRIMOINE et son secrétaire
administratif ont rendu une visite de courtoisie au nouveau Préfet, et lui ont
remis à cette occasion le dernier numéro de DJENNE PATRIMOINE Informations,
le livre Djenné d’hier à demain, et un DVD Promenade dans la ville de
Djenné.
Nous souhaitons au Préfet Cissé un bon séjour dans
notre ville, sûrs qu’il contribuera au développement de la cité religieuse.
Une réunion de l’Association des Ecoles Coraniques sur la faible
fréquentation des écoles coraniques
Le 5 décembre passé, sur convocation de
l’association des écoles coraniques, une réunion de sensibilisation s’est tenue
dans la cour de la bibliothèque des manuscrits de Djenné. Etaient présents, les notables de la ville,
la société civile, les services techniques.
L’ordre du jour portait sur
la faible fréquentation des écoles coraniques par les enfants de la ville.
L’association a constaté
qu’aujourd’hui, les enfants de Djenné fréquentent de moins en moins les écoles
coraniques. Ils fréquentent plus l’école publique ou « l’école des
blancs ».
L’objectif de la rencontre
était de réfléchir sur les causes de cet abandon et de trouver une
solution.
Pour le président de
l’association des écoles coraniques, Djenné est connue à travers le monde par
son attachement à la transmission de ce savoir musulman depuis des siècles. Il
pense qu’il sera très mal vu que les écoles coraniques ferment boutique, au
moment où l’Etat prône et encourage la fréquentation des écoles publiques avec
ses partenaires techniques et financiers. Il invite toute la population de
Djenné, surtout les notables, les services techniques, les parents d’élèves et
les maîtres coraniques, à conjuguer leurs efforts enfin que les écoles
coraniques puissent continuer à former les enfants comme elles l’ont toujours fait.
Après les échanges, il a été
constaté que chaque acteur est responsable de l’absence des enfants dans les
écoles coraniques : les parents, les maîtres coraniques, les notables et
même les services techniques.
En fin de la rencontre, il a
été décidé que tout le monde doit jouer sa partition afin que les enfants
fréquentent les deux écoles comme ils le faisaient dans le temps. C'est-à-dire,
les parents doivent veiller sur les enfants, les maîtres coraniques doivent
être disponibles, les notables doivent encourager les uns et les autres par
l’organisation des lectures de coran, de récitation des versés coraniques…, les
services techniques par la création des conditions d’études dans les écoles
publiques.
La réunion a pris fin sur ces notes d’espoir, que
Djenné puisse retrouver sa place de centre de culture et de savoir
musulman.
Mamadou N’Dah Samaké
NOUVELLES DU PATRIMOINE DE DJENNÉ
Le mardi 10 aout
2010 restera une journée mémorable pour les habitants de la cité religieuse,
qui depuis fort longtemps se préoccupait de la gestion des manuscrits anciens.
Ahmadou Hama
Landouré, fils du terroir, ancien agent de la direction nationale du patrimoine
culturel et ancien directeur du centre culturel islamique de Bamako, rêvait
depuis longtemps de créer une bibliothèque des manuscrits à Djenné.
Grâce à un
financement de l’ONG
SAVAMA-DCI dirigée par Mr
Haidara, de Tombouctou, et sous le haut patronage de Son Excellence
Monsieur le Ministre de la culture, Mohamed El Moctar, la bibliothèque a été
inaugurée. Elle portera le nom de Alpha
Seydou Landouré, père du promoteur. L’inauguration a eu lieu en présence du
Préfet du cercle de Djenné Mamoutou Balla Dembelé, du chef de la mission
culturelle de Djenné, du directeur de SAVAMA-DCI, des notabilités de la ville,
amis et collaborateurs.
Selon le
promoteur, cette bibliothèque contribuera au développement culturel de la ville
de Djenné et constituera un apport
historique important à la nouvelle génération des chercheurs maliens et
étrangers. Les manuscrits de cette bibliothèque appartiennent à la famille
Landouré qui les ait sauvegardés depuis fort longtemps.
La bibliothèque
se compose d’une salle de lecture, une salle de calligraphie et un bureau.
Le préfet du
cercle de Djenné a félicité Monsieur Landouré pour son courage et son dévouement
et l’a remercié de doter le cercle d’une telle bibliothèque, une réalisation qui
servira d’exemple pour les autres manuscrits menacés de Djenné, afin qu’ils
puissent être sauvegardé pour les générations futures.
Plus tard, le 16
Septembre 2010, une autre Bibliothèque des Manuscrits verra le jour, celle de
l’iman de Djenné Almamy Korobara.
(DJENNE
PATRIMOINE n’a pas reçu d’invitation à la cérémonie d’inauguration de la
Bibliothèque des manuscrits Sarmoye Korobara, créée par l’imam de Djenné et à
laquelle il a donné le nom de son père. C’est pourquoi nous ne pouvons pas en
dire plus sur cette réalisation).
Du 19 au 20 janvier 2011, un
groupe de chercheurs venant d’Afrique du Sud, du Nigeria, de Tanzanie et du
Mali s’est rendu à Djenné pour échanger, discuter avec leurs frères
conservateurs des manuscrits de Djenné dans le but de tisser dans le futur des
relations de collaboration et de travail entre les institutions Sud-Africaines
et les bibliothèques des manuscrits de Djenné.
La journée a commencé par
les cérémonies de présentation et remerciement, avant la visite de la
bibliothèque publique en face de la mosquée.
Un atelier de formation sur
la conservation des manuscrits a été organisé à l’intention des conservateurs
des trois bibliothèques de Djenné (bibliothèque
publi-que, Bibliothèque Korobara et Bibliothèque Landouré).
L’atelier a été animé par un
conservateur de l’ONG SAVAMA-DCI (Sauvegarde, Valorisation des Manus-crits, Défense
de la Culture Islamique) de Tombouctou.
Au début de l’après-midi,
les chercheurs ont visité les bibliothèques Korobara et Landouré en compagnie de Mr Haïdara, président de
l’ONG SAVAMA-DCI, avant de procéder à la clôture de l’atelier que les conservateurs
de Djenné ont trouvé très important.
Ils ont ensuite visité la
grande mosquée de Djenné et le site archéologique de Djenné-Djeno en compagnie
de Mr Samaké de la Mission Culturelle de Djenné.
Cette rencontre de travail et de collaboration a
pris fin dans la soirée par les échanges d’adresses et d’information dans le
but de se rencontre très prochainement soit à Djenné ou en Afrique du Sud.
Mamadou
N’Dah Samaké
Organisée
conjointement par le ministère de la culture du Mali, le Centre du Patrimoine
Mondial (CPM) de l’UNESCO, et l’Ecole du Patrimoine Africain et sur un financement du gouvernement Italien,
la réunion a regroupé le 7 décembre 2010 dans la salle de réunion du Campement-Hôtel
de Djenné 10 guides touristiques de Djenné, 2 guides de Bandiagara, des gestionnaires de site, venus du Bénin, du
Togo, du Maroc, du Mali et d’experts du patrimoine.
Les
objectifs de la réunion étaient :
- Echanger
et discuter avec les guides touristiques afin d’identifier les difficultés auxquelles
ils sont confrontés.
- Partager les expériences des gestionnaires et des experts du
patrimoine en vu de surmonter toutes les difficultés que rencontre l’activité
touristique.
Deux
communications ont été présentées aux participants. La première, qui avait pour thème « Offres
touristiques à Djenné, expériences et visions », a été présentée par
Monsieur Karakon, le représentant du Directeur régional du tourisme. Cette communi-cation
s’articulait autour des points suivants : i) concept du patrimoine ;
ii) guidage et déontologie, législation et réglementation du guidage
touristique au Mali ; iii) importance des ressources culturelles sur
l’activité touristique au Mali ; iv) diagnostic et perspectives du
développement durable du tourisme dans les cercles de Djenné et Bandiagara.
Dans
son exposé, M. Karakon a insisté sur le respect de l’authenticité
socioculturelle des communautés d’accueil, la conservation et la valorisation
du patrimoine culturel bâti et vivant ainsi que les valeurs traditionnelles. Il
a aussi insisté sur la contribution à la tolérance, à la compréhension
interculturelle, des mots que tous les acteurs du tourisme et du patrimoine
doivent avoir, particulièrement les guides touristiques.
La
deuxième communication a été présentée
par Yamoussa Fané, Chef de la Mission Culturelle de Djenné. Elle portait sur le
thème « villes Ancienne de Djenné, déclaration de valeur exceptionnelle
universelle ».
Cet exposé a permis à M. Fane de rappeler les critères
qui ont favorisé le classement de Djenné en 1988, à savoir les nombreux sites
archéologiques témoins d’une civilisation préislamique disparue et
l’architecture de terre de Djenné, qui fait d’elle l’une des plus belles villes
d’Afrique au sud du Sahara. Il a évoqué l’intégrité et l’authenticité de ce
riche patrimoine culturel qui s’affirment sur plusieurs plans. Djenné possède
encore des valeurs historiques, archéologiques, religieuses, et
architecturales. Il a enfin estimé
cependant que de nombreuses menaces pèsent sur l’architecture : en
particulier l’introduction de matériaux modernes (ciment, briques cuites,
portes et fenêtres métalliques), la disparition des éléments décoratifs de la
façade.
Les sites archéologiques inscrits
connaissent eux aussi de nombreuses menaces très sérieuses : le lessivage,
le ravinement provoqués par les intempéries et l’urbanisation anarchique de la
ville.
Les visiteurs
anglophones de Djenné disposeront désormais d’un ouvrage édité spécialement
pour eux. En effet, grâce à deux sponsors suédois, Mmes Bénédicte Wahlin et Anna
Nilsson, le livre « Djenné d’hier à demain » a pu être traduit en
anglais par Ousmane Minta, et grâce à l’engagement des Editions Donniya, il a
été publié à Bamako courant 2010 sous le titre « Djenne, an Introduction
to the Millennial City ». La maquette et la mise en page, remarquablement
réussies, sont de Svetlana Amegakpoe.
Nous remercions
chaleureusement tous les concours qui ont permis de parvenir à ce résultat.
Les
8 et 9 décembre s’est tenu à Djenné, organisé par le Centre du Patrimoine
Mondial de l’UNESCO avec le soutien de la Coopération Italienne, un atelier des
gestionnaires de sites en terre.
Cet
atelier était précédé par une journée réservée aux guides. L’objectif de cette
journée était, semble-t-il, de comprendre comment les guides font visiter la
ville, et de voir quels efforts pourraient être faits pour améliorer le parti
que les visiteurs peuvent tirer de leur visite à Djenné. Mais une partie du
temps disponible a été réservée à des exposés préliminaires du chef de la
Mission culturelle sur la valeur du patrimoine de Djenné et du représentant de
l’OMATHO sur la vision de son administration. Il est évident qu’il ne
devrait pas y avoir besoin du patronage de l’UNESCO pour organiser localement
la communication sur ces thèmes.
Quant
aux discussions sur la pratique du guidage à Djenné, le faible effectif de
guides invités à cette journée, et le souci qu’a visiblement chacun de
s’adapter aux desideratas de ses clients, font que les débats ne sont pas allés
très loin. Il apparait cependant que les guides, tout en étant conscients que
les touristes disposent déjà de beaucoup d’informations lorsqu’ils arrivent à
Djenné, n’ont pas réfléchi à ce que peut être leur contribution spécifique, en
tant qu’enfants du pays.
Ceci
est dangereux, car on pourrait concevoir que les touristes visitent la ville
sans recourir aux guides : une communication de M. Boussalh, responsable
de la conservation et de la gestion du patrimoine de la province de Ouarzazate
(Maroc) sur la signalétique mise en place à Aït Ben Haddou a donné un exemple
de la façon dont le patrimoine bâti peut-être présenté à ses visiteurs de telle
sorte qu’ils le visitent sans être nécessairement accompagnés.
Cet
exemple montre aussi comment la signalétique d’une ville classée peut-être à la
fois discrète et efficace, par l’adoption de règles communes à tous les
annonceurs pour le signalement des hôtels, restaurants, monuments, lieux-dits,
parkings, etc.
Au
cours de l’atelier, les participants ont notamment appris ce que sont les
efforts de protection et de promotion du patrimoine classé en terre au Bénin
(Palais d’Abomey), au Togo (habitat traditionnel de Koutammakou), au Mali (pays
dogon, Tombouctou, mosquée de Djenné, maison des jeunes), au Maroc (Aït Ben
Haddou) et ont pu visiter tant un site archéologique (Tonomba) que le chantier
de restauration de la mosquée de Djenné (Aga Khan) et le projet de dépôt inter-médiaire
des déchets solides (Projet Niger-Loire).
Cependant,
au-delà de cet échange d’informations, les discussions sur les actions à mener
sont restées assez superficielles, par volonté de ne faire de peine à personne.
Ainsi, c’est le Préfet –et non les organisateurs de l’atelier– qui a invité (au
dernier moment, et formellement pour la seule ouverture solennelle) les
associations et les collectivités territoriales à participer. De même, alors
que, au cours des débats, plusieurs interventions ont vertement critiqué
l’attitude du gouvernement du Mali, qui néglige le patrimoine (en construisant
des bâtiments en ciment dans le périmètre classé, en organisant le regroupement
de toutes les administrations dans un quartier périphérique –au lieu de
participer à revitaliser les constructions à préserver dans le coeur ancien de
la ville–, en négligeant de faire respecter les consignes générales de
l’UNESCO, en se montrant incapable depuis 1988 de produire le règlement
d’urbanisme de la ville), le rapporteur a gommé toutes ces contributions, les
remplaçant par de longues considérations techniques connues de tous.
Dans la suite de ce séminaire, la coopération italienne a le projet de lancer quelques études sur le thème de la valorisation économique du patrimoine classé de Djenné. Ces études seraient réalisées par l’ONG CEVI dont l’un des animateurs, M Giancarlo Tonutti, juriste disposant d’une longue expérience dans les collectivités territoriales de sa région était présent à Djenné (cf. http://www.giancarlotonutti.it/chi_sono.html), aux côtés du Professeur Mauro Bertagnin, professeur d’architecture à l’Université d’Udine, qui connait les sites classés du Mali depuis longtemps (voir http://whc.unesco.org/archive/2003/mis-mali-2002.pdf)
C’est toujours,
pour Djenné et pour tous ceux qui lui sont attachés, une grande joie lorsqu’ils
apprennent que la réputation de la ville et de son patrimoine s’étend à de
nouveaux publics. Cette année, c’est à Londres qu’a été organisée une
exposition sur Djenné, cité africaine en terre au siège de
l’Association Royale des Architectes Britanniques, sous la responsabilité de
Trevor Marchand. Architecte et anthropologue, responsable de la formation à la
recherche à l’Ecole des Etudes Orientales et Africaines (School of Oriental and
African Studies) de Londres, Trevor Marchand est bien connu à Djenné, où il a
fait plusieurs séjours, travaillant sur les chantiers avec les maçons, en
particulier avec Alhadji Kouroumanse. De ces séjours, Trevor Marchand avait
jusqu’à présent tiré la matière d’un livre passionnant, simplement intitulé The
masons of Djenné[1]
(Les maçons de Djenné), paru en 2009, et d’un film réalisé en 2007 en
collaboration avec Susan Vogel et Samuel Sidibe, The future of mud (l’avenir
du banco).[2]
Les participants
aux rencontres internationales Terra2008, consacrées à la protection des
architectures de terre dans le monde –et organisées à Bamako en février 2008
par le Getty Conservation Institute, l’ICOMOS et le Ministère de la Culture du
Mali–, avaient eu le privilège de voir ce film lorsqu’il a été projeté au
Centre Culturel Français en présence de Trevor Marchand et de Samuel Sidibe.
Mais, grâce à
l’obligeance de Susan Vogel, le film dans sa version française a
aussi été présenté tant à l’étranger (par exemple en France, à
Clermont-Ferrand, à l’occasion de la Biennale du carnet de voyages, en 2008)
qu’à Djenné même, notamment en janvier 2010 lors de l’atelier de deux jours
organisé par DJENNE PATRIMOINE pour les maçons de Djenné sur le thème de la
protection de l’architecture de leur ville.
Trevor Marchand
a donc déjà beaucoup fait pour Djenné. Mais, avant de visiter avec le lecteur
l’exposition qu’il nous propose aujourd’hui, il convient de mieux connaître
l’auteur lui-même. Après la visite, on fera place à quelques commentaires.
***
Trevor Marchand
est spécialiste de la transmission des métiers, et notamment des métiers du
bâtiment. Avant de venir à Djenné, il avait déjà travaillé avec les quelques
familles de maçons qui sont spécialisées, au Yémen, dans la construction de
minarets en briques de terre crue, et on mesure la prouesse lorsqu’on apprend
que ces minarets peuvent atteindre une hauteur de 70 m. Trevor Marchand a
publié dès 2001 un livre relatant son expérience : Minaret Building and
Apprenticeship in Yemen.[3]
Depuis lors, il a longuement travaillé aussi avec les charpentiers de Londres.
Cette connaissance intime de la pratique professionnelle dans des corporations
qui ont préservé leurs traditions en matière d’apprentissage et de solidarité
professionnelle a permis à Trevor Marchand de porter sur la corporation des
maçons de Djenné un regard bien différent de celui qui est ordinaire chez les
responsables politiques et administratifs du Mali comme chez les intervenants
extérieurs. Pour les uns et les autres, les traditions corporatives doivent
être rapidement balayées, car seul le modèle des pays développés brille. Il
faut donc organiser un centre d’apprentissage[4]
comme on le fait dans les pays où la construction est totalement
industrialisée, et organiser la profession sur le modèle du marché global, où
n’importe qui peut intervenir n’importe où. Et il faut installer ce centre
d’apprentissage à Ségou, capitale régionale où le touriste se développe
facilement, où cependant l’architecture de terre a depuis longtemps été ravagée
par la progression des constructions en ciment, plutôt qu’à Djenné, classée
Patrimoine Mondial, dont tout le centre ancien est aujourd’hui encore bâti en
terre et doit être entretenu.
Au contraire de
ces politiques à courte vue, Trevor Marchand a plaidé pour le renforcement de
la corporation des maçons de Djenné, tant dans son rôle éducatif que dans son
rôle social. C’est en effet une véritable éducation –et pas seulement un
enseignement– que dispense la formation délivrée au cours de l’apprentissage
sur les chantiers : elle transmet non seulement les connaissances
professionnelles, mais aussi les comportements mis en jeu par les relations
entre maçons, entre les maçons et les fournisseurs, entre les maçons et les
propriétaires des maisons ; elle ne se limite pas à enseigner des
savoir-faire ou les formules ésotériques auxquelles sont prêtées la, vertu
de protéger les maçons contre les accidents sur les chantiers et de garantir la
qualité de leur travail; elle développe une intelligence pratique et des
capacités d’innovation que l’on est surpris de trouver dans une profession où
l’on entend souvent dire par chacun qu’il fait seulement ce qu’il a appris de
son maître.
Trevor Marchand
a décrit son propre émerveillement devant la façon dont un maître maçon de
Djenné a bâti une arche de véranda d’un modèle un peu inhabituel, à partir
d’une mauvaise photographie. Ce n’est pas par hasard qu’il intitulé un chapitre
de son livre ‘The Michelangelo of Djenné » (le Michel-Ange de Djenné).[5]
Mais la corporation
développait aussi, avant d’être attaquée frontalement par la
« pré-coopérative » mise en place sous le régime de Modibo Keita, une
solidarité professionnelle qui intervenait non seulement, comme elle le fait
aujourd’hui encore, lors des évènements familiaux qui sont fêtés chez ses
membres, mais surtout, tâche autrement importante, dans la fixation du salaire
des maçons, dans la répartition du travail entre ses membres et dans la prise
en charge des accidents de santé de ses membres.
C’est dans un article
qu’il a bien voulu publier dans DJENNE PATRIMOINE Informations que
Trevor Marchand a exprimé le plus clairement l’une des conclusions essentielles
de son travail. Voici : « […] les partisans de la conservation, les
architectes, les planificateurs, les experts en développement et les
scientifiques devraient s’efforcer de rendre du pouvoir aux maçons (et aux
autres artisans) de Djenné, non pas en les protégeant de façon paternaliste
contre la fragilité de leur économie ou l’évolution des goûts et des demandes
de leur clientèle, mais en leur donnant au contraire une plus grande autonomie
et un rôle central dans leurs projets et dans leurs études.
« Les
maçons doivent être ré-introduits au centre des discussions concernant le
patrimoine architectural de leur ville et son futur en tant qu’environnement
urbain, alors qu’ils en sont tenus à la périphérie. Les chercheurs et les
professionnels doivent les engager activement dans un dialogue
interdisciplinaire portant sur la question de la « connaissance » en
relation avec toutes les traditions constructives. Un regard élargi sur la
« connaissance » devrait porter au-delà des connaissances
conceptuelles exprimées par les propositions traduites par le langage parlé, et
inclure le comportement qualifié, technique et social, des maçons.
« Cette
connaissance incorporée est apprise dans le contexte situé du chantier de
construction, et par conséquent le rôle et la pérennité de cette formation
donnée par l’apprentissage, doivent avoir une place éminente dans la conservation
de la tradition constructive de Djenné. Reconnaître l’importance de
l’apprentissage dans l’appui à une architecture dynamique et porteuse de sens
devrait, espérons-le, amener à une ré-évaluation de ce mode d’éducation
« traditionnel », et suggérer de considérer sérieusement comment il
pourrait être revitalisé dans les sociétés occidentales ».[6]
Trevor Marchand
a donc tiré de ses séjours à Djenné des idées précises sur le métier de maçon,
tel qu’il est exercé dans cette ville, et sur le rôle des maçons dans la
conservation de son patrimoine architectural. Il était donc nécessaire de
visiter l’exposition qu’il a organisée à Londres. Nous y voici !
***
L’exposition de
Londres ne pouvait probablement pas entrer dans un débat sur le rôle des maçons
dans la société, elle se fixait sans doute un objectif plus modeste, qui était
d’intéresser un public de spécialistes à une architecture d’exception, tant par
l’ancienneté de sa technique que par l’originalité des formes qu’elle a su
donner à de simples bâtiments de terre. Elle s’adressait prioritairement à un
public de spécialistes, puisqu’elle se tenait dans les locaux de l’association
des architectes britanniques, un bâtiment splendide et convivial, avec son
immense café au premier étage, où l’on voit les visiteurs se reposer en
conversant comme le font, en d’autres occasions, les membres de l’association
eux-mêmes. On y trouve même un piano, et lors de notre visite un amateur est
venu y jouer pendant près d’une heure. A ce même étage se tenait d’ailleurs une
autre exposition très différente, utilisant essentiellement la vidéo et
quelques maquettes, consacrée à explorer le rôle central de l’espace dans la
société contemporaine : une exposition pour architectes et amateurs
d’architecture.
Djenné, cité africaine en terre s’adressait
donc sans doute à un public assez large, le plus large possible. Le premier
souci du curateur a été d’accrocher l’intérêt du visiteur non seulement par
quelques formules directement issues du vocabulaire publicitaire,[7]
mais surtout par une description des traits les plus saisissants de
l’architecture de Djenné : majesté des façades rythmées de pilastres
montant plus haut que l’acrotère, immense mosquée de terre édifiée sur une
terrasse surplombant la ville, frontons à la décoration totalement originale,
faisceaux de bois de palmier sortant de la façades comme le feraient des
gargouilles, plafonds en argamasse, que de nouveautés pour l’œil
occidental ! Et il faut le dire, les photographies de Trevor Marchand sont
belles et illustrent parfaitement son propos. D’ailleurs, ces photos étaient en
vente au profit de l’organisation non gouvernementale Oxfam et plusieurs ont
été vendues.
Mais ensuite, à
ce visiteur, il fallait montrer où se trouve Djenné sur la planète, ce qui est
aussi une occasion de donner quelque idée de l’histoire de la ville (en
particulier de sa longue autonomie par rapport aux grands empires qui se sont
succédé en Afrique de l’Ouest au cours des siècles) et de ses activités
économiques, notamment du rôle du commerce (à longue distance pendant les
siècles fastes, local depuis deux siècles) et de l’artisanat, encore présent
bien qu’appauvri.
L’exposition
aborde alors le thème de l’ « invention de l’authenticité ». Il
est vrai que, à partir de l’entrée des troupes d’Archinard dans la ville, en
1893, de nombreux voyageurs, des administrateurs coloniaux puis des chercheurs
se sont émerveillés de ce que cette ville donnait à voir et l’ont étudié. Il
est vrai que l’architecture de Djenné est devenue célèbre, qu’elle est devenue
le modèle des constructions coloniales au Soudan français, qu’elle a servi à
prouver que ce continent lui aussi disposait de chefs d’œuvre en même temps que
de ressources agricoles et minières. Il n’est pas douteux aussi que cette
architecture a été transformée par l’influence des occupants, qui ont introduit
par exemple les vérandas (donnant sur les cours intérieures,[8]
puis sur la rue[9])
avec leurs ouvertures en arc. La colonisation n’était pas soutenue en masse par
l’opinion publique française, chaque débat à la Chambre devait être préparé, et
les groupes de pression fourbissaient leurs arguments : la richesse –en
partie imaginaire, la suite l’a montré– du sol, et celle –bien réelle, on n’a
pas fini de le découvrir– du patrimoine ont été utilisées dans ce contexte,
c’est évident.
Le visiteur en
vient maintenant à la présentation de la profession de maçon et de l’art de
construire en terre. Les maçons de Djenné sont organisés en une corporation,
sans doute depuis très longtemps, et pourtant aujourd’hui encore cette
organisation n’a aucun support juridique, ce qui permet à l’administration de
l’ignorer. La profession est très hiérarchisées : depuis les manœuvres
(souvent élèves coraniques, qui travaillent pour payer leurs études), jusqu’aux
maîtres maçons, en passant par les apprentis qui restent longtemps attachés à
leur maître, même après avoir été admis à pratiquer pour leur propre compte...
Par ailleurs, chaque maçon est lié à une ou plusieurs familles de propriétaires
de maisons, de sorte que son activité dépend en partie des travaux que ces
familles lui confient ; en outre, selon la tradition, ce maçon de famille
doit non seulement construire et entretenir les bâtiments de la famille, mais
aussi creuser les tombes de ses défunts. La pratique professionnelle est même
encore bien plus large, puisqu’elle est inséparable de toute une gamme de
protections ésotériques contre les risques du métier.
Apparaissent
ensuite les problèmes de la conservation de ce patrimoine, visiblement très
menacé depuis que les sècheresses des années 1970 et 1980 ont appauvri
Djenné ; menacé aussi depuis que l’on a réalisé l’adduction d’eau sans
penser à l’évacuation des eaux usées ; menacé encore depuis que le modèle
occidental de développement est imposé tant par la télévision (qui propage des
modèles comportement, et notamment de consommation) que par l’administration
(qui ne construit qu’en béton de ciment) ; menacé enfin par l’école, qui
inévitablement ouvrira aux enfants, bozos ou non, d’autres horizons que celui
d’apprendre le dur métier de maçon. Parmi les moyens mobilisés pour lutter
contre ces menaces, sont cités à juste titre le projet financé par les
Pays-Bas, et visant à réhabiliter près de 170 maisons d’intérêt architectural,
et l’importante intervention actuelle du Trust Aga Khan pour la culture sur la
mosquée de Djenné.
Le visiteur
aborde ensuite l’étape la plus spectaculaire de la visite, avec les magnifiques
et impressionnantes photographies du recrépissage annuel de la mosquée, grande
fête plus civile que religieuse, à laquelle participe toute la population, les
hommes en crépissant ou transportant le banco, les jeunes filles en
apportant de l’eau, les femmes en préparant les repas, grande fête pendant
laquelle la musique étourdit les esprits, alors que pourtant toute cette
activité suppose une organisation complexe, et des moyens non négligeables, que
fournissent les bonnes volontés sollicitées par des comités constitués dans
chaque quartier de la ville. Le visiteur peut aussi visionner des extraits du
film The future of mud, qui complètent les photographies, en montrant le
mouvement très rapide qui anime toutes les activités de cette journée
exceptionnelle, et en donnant une idée du volume sonore qui les soutient. Ce
sont sans doute là les meilleurs moments de ce film, ils sont vraiment
excellents.
L’exposition se
termine sur un thème inévitable par les temps qui courent :
« exporter Djenné » ! Les illustrations montrent les maçons de
Djenné bâtissant une porte monumentale, copiée sur celle par laquelle on entre
dans leur ville, mais à Washington, sur le Mall, à deux pas du Capitole, à
l’occasion du Folklife Festival de 2003, ou une mosquée de taille réduite qui a
été construite par des maçons de Djenné dans le ClayArch Gimhae Museum en Corée
du Sud en 2007.[10]
Mais le texte apposé à côté de ces images se préoccupe de la survie de
l’architecture de Djenné en analysant d’une part les compétences et les
capacités d’adaptation des maçons, d’autre part l’influence des défenseurs des
architectures traditionnelles. Les premières sont présentées sous un jour
favorable, la dernière ne parait pas très appréciée. Voilà qui –entre autres
sujets d’intérêt– appelle quelques commentaires.
***
Comme on vient
de le voir, cette exposition a un caractère pédagogique très réussi, en ce sens
que le visiteur y aura acquis une vision synthétique des aspects les plus
caractéristiques de l’architecture de Djenné, une architecture de terre qui,
avec le site archéologique découvert à la fin des années 1970 par Rod et Susan
McIntosh,[11]
a valu à Djenné d’être classée Patrimoine de l’humanité dès 1988. Mais elle
permet aussi au visiteur attentif d’aller plus loin que la découverte, parce
que, comme dans toute production de l’esprit, les moyens mis en œuvre, ici le
choix des mots, l’équilibre des thèmes, la sélection des illustrations
traduisent les options et les opinions de l’auteur. C’est ainsi que certaines
questions restent à peine évoquées, d’autres sont directement traitées, même si
c’est de façon succincte. Et ici ou là un membre de phrase révèle une hésitation,
ou bien un choix ! Voici donc quelques remarques issues de cette
« vision de près », dont les résultats ont été si brillamment mis en
évidence par Daniel Arasse à propos de la peinture classique.[12]
Le visiteur
intéressé par la technique constructive de cette ville de terre aurait
pu souhaiter en apprendre plus. Il quittera l’exposition sans savoir que l’on a
construit pendant mille ans à Djenné en utilisant des briques cylindriques
moulées à la main et séchées au soleil, maçonnées verticalement, les djenne-ferey,
mot à mot briques de Djenné. Le panneau qui montre quelques outils utilisés par
les maçons fait plutôt la part belle aux outils nouvellement introduits sur les
chantiers (fil à plomb, truelle, cordeau, mètre-ruban…) alors que les vieux maçons
ont connu un temps où tous les ajustements se faisaient au coup d’œil. A
fortiori, il ne verra pas le geste rapide de celui qui moule ces briques
cylindriques, ni la posture de celui qui les place sur le mur qu’il monte.
Pourquoi fallait-il faire l’impasse sur cet héritage technique, alors que la
restauration des bâtiments de Djenné, si l’on en croit la Charte de Venise,[13]
exige l’emploi des techniques et matériaux d’origine ? En ce moment même,
la restauration de la mosquée de Djenné se fait en utilisant des djenne
ferey, et la tour qui s’est effondrée le 5 novembre 2009 a été reconstruite
en djenne ferey, toute autre solution aurait été considérée comme
inacceptable par les maçons ; c’est grâce à l’insistance de certains
protecteurs de l’architecture de terre et à certaines initiatives de DJENNE
PATRIMOINE que les maçons de Djenné n’ont pas perdu le coup de main qui a
permis de fabriquer ces briques.
Le visiteur
intéressé par la technique constructive pourra aussi s’interroger, bien
naturellement, à l’évolution de cette technique. Il lira qu’il faut attribuer à
une influence française, inspirée par ce que les colonisateurs avaient appris
en Algérie, la construction d’ouvertures en arc, celles des vérandas par
exemple. Jusqu’à ces derniers temps, on croyait, comme Labelle Prussin l’avait
affirmé, qu’il était impossible de bâtir de tels arcs avec des djenne ferey.
Pour Labelle Prussin, les arcs sont un apport de la colonisation parce que
« les briques rectangulaires sont nécessaires pour la construction de
véritables arcs romans »[14] ;
la ré-introduction[15]
de ces briques parallélépipédiques par les Français aurait seule permis la
construction d’arcs. Pourtant, les travaux menés en 2009-2010 par les équipes
de l’Aga Khan sur la mosquée de Djenné ont en particulier, parce qu’ils ont
nécessité que l’on décape les murs de toutes les couches de crépi accumulées
depuis un siècle, révélé que les fenêtres de la mosquées étaient en arc, et
faites de djenne-ferey maçonnés en éventail vertical, comme le sont
aussi les arcs qui supportent le toit. Au début du XXème siècle, au moins, les
maçons de Djenné savaient construire des arcs, rien ne prouve qu’ils l’aient
appris des Français, dont l’influence sur la construction de la mosquée a sans
doute été limitée[16] ;
il reste à savoir s’ils utilisaient auparavant cette technique dans
l’architecture civile.
Le visiteur
intéressé par l’organisation sociale de la profession et par les activités de
la corporation des maçons risque de ressortir de l’exposition avec une vision
simplifiée et idyllique de la situation. Certes la corporation est ancienne, et
elle a de multiples rôles. Mais elle n’est pas aussi démocratique que le laisse
entendre la phrase relative à l’élection de son chef. La société de Djenné
n’est pas encore véritablement démocratique, en ce sens que le droit de parler
est encore très inégalement réparti, surtout à la base ; et l’accès aux
postes de pouvoir, même au cas où il doit résulter d’une élection, est précédé
d’une sélection des candidats selon des critères traditionnels que l’étranger
au milieu n’a pas à connaître. Aussi, même si à un moment ou à un autre, la
désignation du chef de la corporation des maçons résulte d’une procédure qui
peut ressembler à une élection (plus probablement un vote à main levée ou par acclamation
qui traduira un consentement unanime après de longs débats confus pour le
profane), le fait est que, en temps ordinaire, la fonction de chef de la
corporation des maçons est héritée au sein d’une même famille, et n’en change
que dans les périodes de grande difficulté socio-politique (dont l’exemple le
plus important, par son influence jusqu’à ce jour, a été l’instauration au Mali
nouvellement indépendant d’un régime socialiste, pour lequel la corporation des
maçons était une institution d’un autre âge). L’histoire récente de la
corporation des maçons devrait être recueillie, mais il est significatif
qu’aujourd’hui, lorsque le chef de la corporation s’absente, parfois pour
plusieurs mois, il délègue le pouvoir à son jeune frère, pas à un autre membre
élu d’un quelconque bureau. D’une façon plus générale, cette institution doit
être comprise dans son contexte historique et actuel, qui est celui d’une
société bâtie sur les hiérarchies, et pas sur l’égalité démocratique formelle.
Une autre illustration du contexte se trouve dans le fait que l’accès à la
profession de maçon reste, en pratique, réservé aux Bozos, comme Trevor
Marchand le montre de façon parfaitement convaincante dans son livre.[17]
L’une des
questions qui laisseront sans doute perplexe le visiteur de l’exposition est
celle de « l’invention de l’authenticité ». Ce titre si efficace
parce que paradoxal laisse en fait entendre que l’authenticité n’est qu’une
fiction que chaque pouvoir invente à chaque époque, lorsqu’il a besoin de justifications.
Cette idée contient assurément une part de vérité dans ce pays, dans lequel
chacun sait que la liste des khalifes de l’islam pour le Tékrour, telle qu’elle
figurait dans le Tarikh el Fettash, a été réécrite à l’initiative de
Sekou Amadou, pour qu’on y lise que le douzième khalife du Tekrour proviendrait
de Djenné, comme lui-même ![18]
Mais faut-il vraiment s’étonner que les documents photographiques de l’époque
continuent de « façonner le discours sur l’authenticité
architecturale » et de « guider les efforts contemporains de
conservation » ?[19]
Voudrait-on contester que Djenné disposait, à
l’extrême fin du XIXème siècle, d’une collection impressionnante de maisons
splendides, souvent vastes, extrêmement majestueuses, qui faisaient partie de
son patrimoine architectural ? Le fait que ces maisons aient évidemment
appartenu à des gens aisés et même probablement riches ne les disqualifie pas
en tant que patrimoine architectural. Le fait que les Français s’en soient
émerveillé, qu’ils s’en soient inspiré, lui non plus ne change rien au fait que
ce patrimoine bâti était là, trace d’une tradition plus ancienne dont nous ne
savons rien. Si le legs des études post-coloniales consiste simplement ici à
nier le fait qu’il existait à Djenné un patrimoine architectural parfaitement
inédit au moment de la conquête coloniale, il ne reste qu’à oublier cette
stupidité et les distorsions fâcheuses qu’elle introduit dans la présentation
des faits. Dans les interactions complexes qui ont résulté de la colonisation,
le simple fait que l’architecture de Djenné ait été admirée, décrite, imitée et
relativement bien protégée est à porter au crédit de la puissance coloniale, et
le fait qu’elle en ait tiré tout le parti qu’elle pouvait n’enlève rien à ce
crédit.
Il est même
tentant de comparer le rôle de la puissance publique à l’époque et aujourd’hui.
Depuis que Djenné a été classée comme Patrimoine de l’Humanité,
l’administration du Mali indépendant n’a rien fait pour protéger la ville et
son architecture, sauf d’y installer un service administratif –la Mission
culturelle– chargé de surveiller les sites et de gérer les financements
extérieurs qui lui permettent de survivre. Alors que la ville jumelle de Vitré
consacre de grands efforts à protéger son patrimoine bâti, avec l’aide de
l’Etat, tous les bâtiments publics désertent le centre ancien de Djenné, avec
l’aide et souvent à l’initiative de l’Etat. Près d’une décennie après les lois
de décentralisation, les communes du Mali n’ont pas encore les ressources
propres qui leur permettraient de faire face à leurs charges, ni une autonomie
suffisante pour se créer des ressources supplémentaires à la dérisoire
subvention de l’Etat. Les édiles discourent sur la pauvreté en profitant des
petits avantages que leur donne leur statut, et se soucient du patrimoine comme
d’une guigne. Les administrations, qu’elles soient nationales ou déconcentrées,
n’ont aucune considération pour le patrimoine de la ville : on a construit
en plein cœur de Djenné, sur le site de l’ancienne mosquée de Sékou Amadou, une
école en béton de ciment, parce que la banque arabe concernée finançait
quelques dizaines d’écoles au Mali, toutes du même modèle, et que Djenné avait
eu la « chance » d’être au nombre des bénéficiaires. Et toutes les
administrations se construisent aujourd’hui de nouveaux locaux en ciment dans
le nouveau quartier administratif, à l’extérieur du périmètre de la ville
ancienne : elles donnent le signal de la désertion !
Que retiendra le
visiteur en ce qui concerne les interventions extérieures ? Il est vrai
que ce projet visait à « alimenter un regain d’intérêt pour le patrimoine
dans la population », mais visait-il aussi à « renouveler l’expertise
en matière de conservation » comme on le lit dans la même phrase ?[20]
Qu’y avait-il exactement à renouveler dans ce domaine ? Le problème
était-il dans l’expertise, ou dans l’usage que l’administration fait de
l’expertise dont elle pourrait disposer, des capacités des citoyens, dans ce
domaine comme dans d’autres ? S’il y a un problème d’expertise, il
n’est pas possible d’écrire sur un panneau voisin que « le long
apprentissage avec des outils rudimentaires et une palette étroite de matériaux
aboutit à des connaissances pratiques profondes sur les possibilités
structurelles et esthétiques »,[21]
ni de laisser entendre que « le style architectural distinctif de Djenné
survit non pas à cause de réglementations rigides en matière de protection mais
parce que la reproduction des compétences professionnelles suppose des
négociations dynamiques avec un monde qui change ».[22]
Peut-être serait-il plus réaliste de reconnaître qu’il y a des problèmes de
compétence technique dans certains aspects du métier, car alors on pourrait
envisager d’y remédier. Une présentation trop optimiste de la situation
renforce l’attitude habituelle de l’administration, qui ne cesse de discourir
sur les prouesses des maçons de Djenné, mais ne les associe jamais à ses
délibérations ni à ses décisions.[23]
L’incapacité de
l’administration à être en phase avec la population, ou avec les professions
avec lesquelles elle doit traiter tel ou tel problème, nous ramène au rôle de
la puissance publique. Le projet hollandais, mentionné dans l’exposition, a été
géré localement dans des conditions si opaques que les maçons ont été à de
multiples reprises en conflit avec la Mission culturelle. Cette opacité de la
gestion est une conséquence de l’incapacité de l’administration à tenir un
langage franc et crédible à ses administrés, qu’ils soient propriétaires ou
maçons, et de son incapacité à être crue de ses interlocuteurs. Le visiteur de
l’exposition aura relevé que la question de l’autorité du barey ton est
présentée comme vitale[24] :
c’est précisément là que le bât blesse, car l’administration ne veut partager
avec personne le rôle que les bailleurs étrangers lui concèdent en matière de
gestion de leurs financements. Car sur le plan technique, bien entendu,
l’expertise est sans conteste du côté des bailleurs !
***
Le visiteur
attentif n’aura pas manqué de se pencher un peu par-dessus la balustrade qui
entoure la cage de l’escalier monumental, car il aura aperçu quelques portraits
de maçons. Il y en a quelques-uns aussi dans le parcours principal de
l’exposition. Ces portraits traduisent manifestement l’empathie que Trevor
Marchand a éprouvée à l’égard des personnes avec lesquelles il a travaillé de
longs mois, un sentiment profond qui s’exprime aussi par quelques admirables
portraits écrits que le lecteur saura trouver dans le livre The masons of
Djenne. La qualité de la relation humaine que Trevor Marchand sait établir
explique probablement la finesse de ses analyses, notamment lorsque les
personnes révèlent des aspects inattendus de leur personnalité, ou dans les
situations de conflit sur les chantiers. L’exposition ne développe pas tout
cela, elle fournit un signe de piste à celui qui restera admiratif devant les
visages et les ports de tête saisis sur le terrain.
Peut-être y
a-t-il un risque à laisser parler son cœur ? Le risque d’une trop grande
connivence, d’une trop grande compréhension des difficultés dans lesquelles
vivent les maçons de Djenné, d’une trop grande indulgence à leur égard… Il se
pourrait que l’opinion probablement trop optimiste exprimée par l’auteur à
propos des capacités d’adaptation de la profession, dans son état actuel,
provienne en partie du cœur plus que de la froide raison. Il se pourrait aussi
que cette bonté à l’égard des personnes s’accompagne d’une trop grande
indulgence à l’égard des institutions publiques qui règnent à Djenné sans se
soucier de l’avenir de la ville. On ne peut pas ne pas quitter cette exposition
sans se dire que l’Etat, qui parle tant, et les bailleurs, si soucieux de se
montrer et de se vanter, ont échappé à la sévère critique qu’appellent leur ton
péremptoire et leurs actions à courte vue.
Peut-être
faut-il admettre que cette sorte d’ethnologie rapprochée, empathique, attentive
aux personnes et aux situations locales n’autorise pas l’analyse à déborder sur
le champ des institutions et des luttes qui les caractérisent ?
Quittant
l’exposition, nous éprouvons un immense regret : toutes ces questions,
qu’elle pose à qui la regarde de près, ont largement été débattues à l’occasion
du cycle de conférences qui devait tout naturellement, au moins pour les
heureux Londoniens, compléter la visite. Paul Oliver, professeur à l’unité
consacrée aux architectures vernaculaires dans le monde à l’Oxford Brookes
University a discuté le 2 mars de l’avenir de l’architecture de terre ;
Jean-Christophe Bouleau, du Trust Aga Khan pour la Culture, a présenté le 11
mars les restaurations des mosquées en terre du Mali ; Francis Kéré, prix
Aga Khan d’architecture en 2004, a parlé le 16 mars de son expérience de
construction de bâtiments durables en Afrique ; Rogier Bedaux, Pierre Maas
et Annette Schmidt ont exposé le 18 mars leur action de restauration de la
splendeur de Djenné ; Michael Rowlands et Charlotte Joy se sont interrogés
le 25 mars sur la façon de donner une valeur locale au patrimoine ; et le
29 avril Rowland Keable situait l’architecture de terre dans le contexte des
nouvelles préoccupations en matière de durabilité environnementale et
économique. On imagine l’intérêt de ces conférences, organisées dans un cadre
académique où il est possible de tirer des enseignements aussi bien des échecs
ou des difficultés rencontrées que des grands mais trop rares succès
complets ! Malheureusement, il semblerait que ces conférences n’aient pas
été enregistrées ! Quel dommage, pour nous qui sommes loin !
C’eut été un passionnant complément à la
réflexion que Trevor Marchand a suscitée par cette exposition si réussie !
J. Brunet-Jailly
NOUVELLES
DE DJENNÉ PATRIMOINE
Rapport de mission
à Bamako de la délégation de Djenné à propos de la Maison du Patrimoine
Une mission
conjointe de la commune urbaine de Djenné, du barey ton de Djenné et de
l’association DJENNE PATRIMOINE a effectué un séjour à Bamako du 27 septembre 2010 au 02 octobre
2010.
L’objet de cette
mission était de contacter toutes les autorités qui puissent aider à l’acquisition
de la parcelle TF n°44, titre foncier de l’Etat, située dans la ville historique
de Djenné, et destinée à accueillir la « Maison du patrimoine » de
Djenné, qui a été fortement retardée.
Le 28 septembre
2010, la mission a été reçue par le Secrétaire Général du Ministère de la
Culture, avec qui elle a fait le point de tout ce que ledit ministère a
entrepris pour aider à l’acquisition de la parcelle au profit de l’association
DJENNE PATRIMOINE. Il en ressort que le Secrétaire Général du Ministère de la Culture a envoyé trois
correspondance dans ce sens au Ministère des Domaines de l’Etat. Le Secrétaire
Général du Ministère de la Culture a même préparé un rendez-vous pour la
délégation de Djenné auprès de son homologue du Ministère des Domaines de
l’Etat.
Dans
l’après-midi du 28 septembre 2010, la délégation a pu obtenir un rendez-vous à
la Primature pour vendredi 1er octobre 2010.
Le mercredi 29
septembre 2010, vers 10 heures, la délégation de Djenné a rencontré le
Secrétaire Général du Ministère des Domaines de l’Etat, qui a confirmé avoir
reçu toutes les correspondances du Ministère de la Culture, et aussi le dossier
du projet de la Maison du Patrimoine de Djenné, qui depuis fait l’objet d’un
traitement au niveau de leur service. Il nous a confirmé aussi leur service ne
s’opposera pas à la distraction de la dite parcelle au bénéfice de l’association
DJENNE PATRIMOINE ; mais, il a aussi ajouté que seule l’administration au
niveau local peut affecter cette parcelle à l’association, par suite d’une
demande. Le Président de DJENNE PATRIMOINE a immédiatement précisé qu’une
demande en ce sens a été déposée en 2008 par feu Papa Cissé, qui était alors le président de l’association (demande
enregistrée au courrier du cercle de Djenné sous le numéro 1375 en date du 31
octobre 2008).
Nous savons que
c’est le représentant de cette administration locale, le Préfet du cercle de
Djenné, qui en son temps était intervenu auprès du service régional des
domaines de Mopti (dont relève Djenné) en évoquant, pour des raisons obscures,
le risque que l’attribution de la parcelle TF n°44 à l’association DJENNE PATRIMOINE
pourrait susciter des réactions hostiles dans la population.
Le jeudi 30
septembre 2010, la délégation de Djenné accompagnée par Gilles Holder,
secrétaire général de l’association internationale DJENNE PATRIMOINE, chercheur
au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS, Paris) en service à
l’IRD à Bamako, a rencontré Monsieur Thierry Vielle, Conseiller de coopération
et d’action culturelle à l’Ambassade de France à Bamako.
Cette rencontre
visait à expliquer à Monsieur Vielle tout l’intérêt que la communauté de Djenné
toute entière porte à la réussite du projet « Maison du Patrimoine »
et quel préjudice son abandon porterait au développement des activités déjà commencées à l’initiative
de l’association DJENNE PATRIMOINE, à savoir l’alphabétisation des maçons, la
sensibilisation du monde scolaire pour la protection et la promotion du
patrimoine de Djenné, ainsi que la sensibilisation de la population de la ville
(expositions, émissions radiophoniques…). L’objectif de cette rencontre était
aussi d’amener Monsieur Vielle à s’impliquer davantage afin que nos
partenaires, notamment le Ministère français des Affaires Etrangères et
l’Agence Française de Développement (AFD), maintiennent leur financement malgré
les retards pris dans l’exécution du projet, et continuent à nous appuyer pour
sa réalisation.
Monsieur Vielle
a accepté de nous accompagner, mais a souhaité que le Ministère de la Culture
adresse à l’AFD une lettre confirmant son soutien à ce projet. Cette demande a
été transmise par la mission au Ministère de la Culture, et la lettre a été
obtenue dans les jours suivants.
La délégation a
aussi profité de son séjour à Bamako pour sensibiliser d’autres ressortissants
de Djenné à la cause du projet.
Vendredi 1er octobre 2010 vers 16 heures,
la délégation de Djenné a été reçue à la Primature. Son Excellence Monsieur le
Premier Ministre était accompagnée par trois de ses conseillers.
Après les vœux
de bienvenue à la délégation, Monsieur le Premier Ministre a donné la parole au
président de DJENNE PATRIMOINE qui a expliqué la genèse du projet jusqu’au
problème né de la suspension, par le délégué régional du service des domaines
de l’Etat à Mopti, de sa propre décision d’attribuer à DJENNE PATRIMOINE, pour
la réalisation de la Maison du Patrimoine, une parcelle à délimiter sur le TF
n° 44. Ce fut ensuite le tour du représentant du Barey Ton d’expliquer
toute l’importance que revêt le projet pour l’association professionnelle des
maçons, à savoir l’alphabétisation et l’acquisition de compétences en post-alpha.
Ensuite ce fut
le tour de M. Bocoum, 2ème adjoint au Maire de la commune urbaine de
Djenné, d’expliquer au Premier Ministre et à ses conseillers toute l’importance
du projet pour la commune du point de vue du développement du tourisme et de
ses retombées économiques. L’adjoint au maire a tenu aussi à expliquer au
Premier Ministre que la parcelle TF N°44 ne fait l’objet d’aucun litige, et que son
attribution à l’association DJENNE PATRIMOINE ne suscitera aucune réaction
d’hostilité.
Après quelques
questions de précisions relatives à l’état actuel du terrain, le Premier
Ministre s’est déclaré favorable à notre cause et a promis de s’impliquer pour
que la parcelle soit attribuée pour les besoins du projet de Maison du
Patrimoine. Il a ensuite instruit à ses conseillers de s’occuper spécialement
du dossier du projet.
C’est avec cette
note d’espoir que la délégation a rejoint Djenné le mardi 02 octobre 2010.
Conférence-débat préparée et présentée par
DJENNE PATRIMOINE le 21 septembre 2010 à la maison du peuple de Djenné
Thème :
La Resistance de Djenné à la pénétration Française (Conquête coloniale)
Depuis toujours,
Djenné a été un carrefour d’échanges entre les populations soudanaises vivant au sud du Sahara, et les
populations arabo-berbères d’Afrique du Nord. Djenné a ainsi connu une histoire
très riche comme centre urbain, commercial et religieux. Sa position
stratégique a excité la convoitise de plusieurs conquérants : l’empire du
Mali entre le XIIIème et XVIème ; Sonni Ali Ber en 1473, les Marocains au
XVIème siècle, les Peulhs vers 1815, les Foutankés en 1862.
Ainsi à la
veille de la pénétration française (le 12 avril 1893), Djenné n’est plus que
l’ombre de la célèbre métropole du delta du Niger dont la réputation avait
pendant des siècles dépassé les frontières du continent africain.
L’avancée
des troupes Françaises vers Djenné :
Au sixième
chapitre de son rapport de campagne 1892-1893, le colonel d’artillerie de la
marine française Louis Archinard, alors âgé de 43 ans, écrivait ceci : « A
neuf heure du matin, le 11 avril 1893, après une étape de 24 kilomètres, nous arrivons devant
Djenné, pendant qu’à notre droite, à notre gauche et derrière nous, s’allument
les grandes herbes sèches dont la plaine est couverte ».
Cette mise à feu
des herbes sèches dans la plaine du Baní ne fut qu’une vaine tentative des gens
de Djenné pour contenir la supériorité de l’ennemi, car ils sont déjà informés
de la destruction du village de Kentièri par les troupes d’Archinard, deux
semaines auparavant le 27 mars 1893 exactement. Kentièri, tout comme Djenné,
était fortifiée par un tata (un mur d’enceinte
en terre et bois), mais la grande muraille a cédé face aux 136 obus tirés par
deux canons de 95.
Après la prise
de Kentiéri, Archinard fit rentrer ses canons à Ségou, car il comptait sur la
terreur que ces canonnades et ces excursions inspireraient désromais sur son
passage. Il n’attendait donc plus de résistance sérieuse. Les gens de Djenné
pour leur part pensaient que le danger était passé, et d’ailleurs les espions
qu’ils ont envoyés en reconnaissance apprécièrent mal l’importance des troupes
d’Archinard qu’ils ont qualifié de « cinq ou six canards dans le
fleuve ».
La colonne
d’Archinard était en fait constituée de
2000 hommes qui marchaient la nuit au rythme de 20 à 25 km par étape :
après Kentiéri, MPessoba, San, et enfin Djenné.
La
chute de Djenné : une résistance acharnée
Le mardi 11
avril 1893, les troupes du colonel Archinard, prennent position à 400 m du tata de Djenné. Les portes étaient fermées,
personne ne se montrait en dehors ou en haut des murs.
Après l’envoi de
trois émissaires, sous l’insistance de Aguibou, pour obtenir
la reddition de la ville, et trois échecs, Archinard décida le pilonnage de la
ville. Vers une heure de l’après midi, déjà 44 obus avaient été tirés sur la
ville. Toute la nuit encore 80 obus furent tirés.
La résistance
s’organisait à l’intérieur de la ville, on entendait les chants des griots
rappelant les hauts faits des anciens rois peulh du Macina.
Le 12 avril
1893, vers 10 h, plusieurs brèches furent ouvertes sur le
tata, et la ville fut prise d’assaut par six officiers et 3
compagnies ; un combat acharné débuta. La ville était défendue, rue par
rue et porte par porte, par des défenseurs barricadés, avec des fusils ou des
arcs bandés.
Ces hardis
combattants ne reculaient devant rien si bien que l’officier Laforest qui
dirigeait la première compagnie écrivit : « Ceux qui n’ont pas
d’armes, montent sur les toits, avec une audace extraordinaire et arrachent de
gros moellons de terre aussi durs que des cailloux, qu’ils font pleuvoir sur
nos têtes ».
Cet autre
témoignage, celui de Monsieur Thiriet, vétérinaire, qui a assisté au terrible
spectacle, le décrivait comme ceci : « les Djennékés résistent et
luttent avec de grands cris sauvages, à coup de fusils, de lances, de mottes de
terre même. Le choc est terrible, les
lances des assiégés volent en l’air par centaines, tourbillonnent et
s’abattent dans le tas des tirailleurs qui ne s’arrêtent pas, et s’engouffrant
dans les petites ruelles étroites ».
Deux heures plus
tard, toute résistance cessa, le chef Alpha Moussa blessé parvint à s’enfuir.
Après la
bataille, on a compté 510 morts et 1200 blessés. Du coté de l’armée française,
on dénombrait 14 morts, dont deux officiers et 12 tirailleurs, auxquels s’ajoutaient
16 blessés graves.
Après la
reddition de la ville, Archinard imposa les conditions de la paix, et comme
amende de guerre, il exigea 1000 barres de sel, 35000 Francs, tous les chevaux
de la ville, un impôt annuel d’un million de cauris (2000 Francs), la
confiscation de la flottille sur le Baní en partance sur Tombouctou ; un
quartier sera réservé à la compagnie devant tenir garnison à Djenné.
Le drapeau
Français flotte désormais sur la résidence d’Alpha Moussa, et le capitaine
Gauthéron fut nommé comme premier commandant de cercle de Djenné.
L’installation
des français dans la région de Djenné est jalonnée d’exactions qui se
traduisent par des réquisitions de céréales et de diverses autres denrées, des
recrutements de tirailleurs, des répressions…
Vers 1900, les
premiers commerçants européens s’établirent à Djenné, dont le colonel Archinard
avait écrit qu’avec ses 12000 habitants elle était la plus riche et la plus
commerçante du Soudan. Mais ils ne tardèrent pas à l’abandonner pour Mopti.
Le colonisateur,
pour asseoir sa domination politique et favoriser ses entreprises économiques,
a créé des écoles d’où sont sorties des élites qui finalement ont remis en
cause le système colonial d’oppression par la création de partis politiques.
Boubacar Cissé
_____________________________________________
Document : un article mal informé et malveillant sur
Djenné en première page du New York Times
Le New York Times du 9 janvier 2011 a publié en
première page, sous la signature de Neil MacFarqar, un article dont nous
donnons ci-dessous une traduction privée à l’usage de nos lecteurs. Cet article
mal informé a été repris par l’International Herald Tribune, par le New
Scotsman et par La Republica. Le tirage du New York Times est de l’ordre de 1
million d’exemplaires, celui de International Herald
Tribune d’environ 300.000 exemplaires diffusé en Europe, celui du Scotsman
proche de 50.000 en Ecosse et La Republica tire à près de 600.000 exemplaires
en Italie. Ce mauvais article aura donc bénéficié d’une très large diffusion.
En voici la traduction.
Djenné,
Mali, s’irrite des règles de protection de l’UNESCO
ou
Une
cité du Mali a sur le coeur les contraintes d’une vie sous les projecteurs
Par
Neil MacFarquar
Djenné,
Mali. Abba Maïga se tenait debout dans sa cour sale, fumant et bouillant de
colère à cause du fait que sa maison en briques de terre, vieille de 150 ans,
est tellement précieuse qu’il n’a pas le droit de l’aménager – pas de sols
carrelés, pas de porte-moustiquaire, pas de douche. « Qui veut vivre dans
une maison dont le sol est en terre ? » grognait M. Maïga, un
batelier aujourd’hui retraité.
Avec
ses acrotères en forme de cône et ses gargouilles en bois de palmier doum, la
façade principale parait hors du temps et permet de comprendre pourquoi cette ancienne
cité de l’Est du Mali est un site classé du Patrimoine Mondial. Mais les
consignes établies par l’UNESCO, le bras culturel des Nations-Unies, qui dresse la liste du Patrimoine Mondial, demandent qu’aucune
reconstruction n’altère substantiellement l’original.
« Quand
une ville est inscrite sur la liste du Patrimoine Mondial, cela signifie que
rien ne devrait plus changer » dit M. Maïga. « Mais nous, nous
voulons le développement, plus d’espace, de nouveaux équipements, des choses
qui sont beaucoup plus modernes. Nous sommes en colère à cause de tout
ça. »
C’est
un clash culturel qui résonne dans les sites du Patrimoine Mondial en Afrique
et dans le monde. Même si cela peut être bon pour le tourisme, les résidents se
plaignent d’être figés dans le temps comme des pièces de collection dans un
musée – et leurs vies condamnées pour que les visiteurs puissent rester bouche
bée !
« La
question à Djenné est que les gens puissent accéder au confort, utiliser les
bons matériaux sans compromettre la valeur architecturale de leur cité»
dit Lazare Eloundou Assomo, le chef de l’unité Afrique au Centre du Patrimoine
Mondial de l’UNESCO. M. Assomo a pointé une liste de sites où se manifeste une
tension similaire, notamment l’île de Saint-Louis au Sénégal voisin, l’île de
Lamu au Kénya, la totalité de l’île de Mozambique au large de la côte du pays
du même nom, ou encore des cités asiatiques ou européennes, par exemple Lyon en
France.
Ici,
à Djenné, l’impressionnante Grande Mosquée est ce qui a fait la célébrité de la
ville. C’est la plus grande construction en briques de terre dans le monde, si
unique qu’elle semble avoir atterri là d’une autre planète, un imposant château
de sable surgissant au dessus de la place principale. Le style architectural,
dit soudanais, a son origine ici dans le Sahel.
Un
trio de minarets exceptionnels –des tours carrées, taillées en pointe,
surmontées de piliers pointus et couronnées par un oeuf d’autruche– domine la
façade. Des madriers taillés dans des troncs de palmier, sortant des murs de la
mosquée en rangées comme des cure-dents, créent un échafaudage permanent qui
permet aux habitants de grimper sur le bâtiment pour le recrépir de terre, un
rituel annuel qui en février mobilise la ville entière.
Djenné
est la soeur moins célèbre mais mieux conservée de Tombouctou. Toutes deux ont
atteint leur zénith de richesse et de puissance au 16ème siècle
parce qu’elles se trouvaient au carrefour des routes commerciales du Sahara où
s’échangeaient des biens tels que l’or, l’ivoire et les esclaves. La ville a
aussi été un point de passage par lequel l’islam s’est répandu dans la région.
Lorsque son roi se convertit au 13ème siècle, il abattit son palais
et construisit une mosquée. Par la suite, les colonisateurs Français du Mali
ont supervisé sa reconstruction en 1907.
La
Grande Mosquée était à nouveau en danger de ruine lorsque la Fondation de l’Aga
Khan arriva pour lancer un projet de restauration de 900.000 $, nous dit
Josephine Dilario, l’un des deux architectes superviseurs. Le recrépissage annuel
avait plus que doublé l’épaisseur des murs et empilé près d’un mètre de terre
sur le toit. C’était trop lourd, même pour la forêt de gros piliers qui, à
l’intérieur de la mosquée, supportent son haut plafond – un pilier pour chacun
des 99 noms de Dieu.
En
2006, la première visite de restauration enflamma une émeute. Les
protestataires pillèrent l’intérieur de la mosquée, attaquèrent des bâtiments
de la ville et détruisirent des véhicules. La révolte avait apparemment son
origine dans la tension qui bouillonnait parmi les 12000 habitants de la ville,
particulièrement les jeunes, qui se sentaient forcés de vivre dans la misère
alors que l’imam et quelques familles de notables ratissaient le bénéfice du
tourisme.
La
frustration semble perdurer. Alors que la mosquée honore la signature du Mali,
les habitants de Djenné paraissent nettement plus maussades à propos du
tourisme que dans beaucoup d’autres villes du pays. Ils jettent un regard
farouche plus souvent qu’ils ne sourient aux touristes, et ils ont tendance ou
bien à demander de l’argent ou bien à se détourner d’un pas lourd lorsque les
cameras sont dirigées vers eux.
Comme
la restauration de la mosquée touche à sa fin, la ville concentre son attention
sur d’autres problèmes critiques – les eaux d’égout non traitées, et la
réhabilitation d’environ 2000 maisons.
« Il
y a une sorte de tension, une difficulté qui doit être résolue en évitant
d’enfermer les gens dans une architecture dite traditionnelle et
authentique » déclare Samuel Sidibe, le directeur du Musée National du
Mali, à Bamako, la capitale. « Nous avons à trouver un moyen de faire
évoluer cette architecture, de procurer les nécessités de base dont les gens
ont besoin pour vivre, et de le faire d’une telle façon que la qualité de l’architecture
en briques de terre ne soit pas compromise, puisque c’est la caractéristique au
coeur de l’identité de la ville ».
Elhajj
Diakate, 54 ans, et son frère ont hérité de trois maisons de leur père. M.
Diakate a horreur de se courber pour traverser les
vestibules bas et étroits, dit-il, et aucune pièce dans ces maisons n’est assez
grande pour y installer un lit à deux places. Et ce n’est pas tout,
ajoute-t-il, puisque ses femmes et les femmes de son frère veulent toutes des
armoires !
Mais
une équipe de restauration conduite par des Hollandais et travaillant à sauver
une centaine de maisons a exclu tout agrandissement des chambres pour qu’on
puisse y mettre des armoires, dit-il. Aussi, M. Diakaté les a chassés, et a
lui-même détruit un épais mur intérieur orné de deux arcs étroits. La maison
entière s’est écroulée. Le responsable du projet Hollandais a pleuré lorsqu’il a vu ça,
ajoute-t-il.
Les
effondrements sont la menace principale, parce que les briques de terre exigent
un entretien régulier. Il a suffi de quatre orages de pluie pour laver
l’essentiel du nouveau crépi de la Grande Mosquée, exposant les briques
cylindriques –chacune de la taille d’un pot de mayonnaise, à peu près– dont
sont faits les murs. Mais les matériaux naturels qui sont nécessaires –comme le
son de riz ou le beurre de karité qui rend les briques imperméables– sont
devenus si onéreux que l’art de façonner les briques à la main a presque
disparu.
Djenné
occupe une petite île au milieu du delta intérieur du fleuve Niger et de ses
affluents. L’eau était une abondante source de boue, jusqu’à ce qu’elle se
retire durant la longue sècheresse des années 1970. Les maçons ont utilisé plus
de sable, travaillant donc avec des briques plus faibles. Et les habitants
affamés mangeaient le son de riz plutôt que de l’utiliser pour construire.
Les
problèmes urbains se sont multipliés. Un projet d’adduction d’eau dans la ville
a négligé de prévoir l’évacuation des eaux usées, qui donc souillent les rues
non pavées. Des dépôts d’ordures gâtent les berges du fleuve. Les déchets se
retrouvent même dans les briques, et l’on voit des morceaux de sac plastique
noir dépasser des murs des maisons. Une légère odeur de pourriture plane à
l’arrière-plan.
Des
touristes se sont plaints, et en 2008 l’UNESCO a averti la ville que quelque
chose devait être fait, explique Fane Yamoussa, chef de la Mission Culturelle
de la ville. Les ordures et les eaux usées seules ne peuvent pas entraîner le
déclassement de la ville, tant qu’elles ne commencent pas à affecter l’architecture.
Le problème, dit N’Diaye Bah, ministre du tourisme du Mali, c’est de moderniser
la ville sans détruire son ambiance. « Si vous détruisez le patrimoine que
les gens viennent voir, si vous détruisez 2000 ans d’histoire, alors la ville
aura perdu son âme » précise-t-il.
Les
habitants de Djenné trouvent de la fierté dans ce patrimoine, et reconnaissent
que l’inscription sur la liste de l’UNESCO a aidé à rendre célèbre leur ville.
Cependant ils se demandent à haute voix
s’il faut en rester là, étant donné l’absence de gain tangible, s’ils sont
contraints de vivre littéralement dans la boue. Beaucoup de propriétaires
veulent conserver les façades originales, mais modifier les intérieurs. Or les
consignes de l’UNESCO interdisent les altérations radicales qu’ils
souhaiteraient.
Mahamane
Bamoye Traore, le chef de la puissante corporation des maçons, a visité la
maison étriquée du batelier en retraite, en indiquant tout ce qu’il changerait
si les règles du Patrimoine Mondial étaient plus flexibles. « Si vous voulez
aider quelqu’un, il faut l’aider de la façon qu’il veut ; le forcer à
vivre d’une certaine façon, ce n’est pas bien », dit-il, avant de
s’étendre sur le sol en terre battue d’une pièce mesurant environ 6 pieds par
3, et sans fenêtre. « Ce n’est pas une pièce, conclut-il, ça pourrait tout
aussi bien être une tombe ».
Neil
MacFarquar
Nos lecteurs qui lisent l’anglais pourront trouver cet
article sur internet en utilisant le lien suivant :
http://www.nytimes.com/2011/01/09/world/africa/09mali.html?_r=2&emc=eta1
Ils y trouveront également des photos et une video
montrant notamment des extraits des interviews de Cheich Abdelkader Fofana,
Yamoussa Fane, Samuel Sidibe, et du Ministre N'Diaye Bah.
Le
Président de DJENNE PATRIMOINE a envoyé rapidement un commentaire détaillé en
anglais, mais le journal n’en a même pas accusé réception. Voici le texte
français de ce commentaire.
« Monsieur
le Rédacteur en Chef du New York Times,,
« Je
voudrais ajouter quelques commentaires à l’article que vous avez publié le 9
janvier sous la signature de Neil MacFarquar.
« En
fait il est tout simplement faux et malveillant de laisser entendre que les
règles de l’UNESCO empêchent les propriétaires de maisons à Djenné d’aménager
leurs maisons. Les gens sont libres d’aménager leurs maisons avec des sols
carrelés, des portes-moustiquaires, des douches
etc. Evidemment le projet lancé par les Hollandais n’a pas pris en charge de
tels aménagements, même si tant de projets financés de l’extérieur ont habitué
les habitants de Djenné à compter sur l’argent des étrangers plutôt que sur
leurs propres ressources. Mais l’article trompe le lecteur lorsqu’il écrit que
« lorsqu’une ville est inscrite sur la Liste du Patrimoine, cela signifie
que rien ne doit plus changer » !
« En
outre, il est ridicule de répéter la pure invention selon laquelle un
propriétaire à Djenné aurait détruit lui-même un épais mur intérieur de sa
maison, entrainant l’effondrement de cette dernière : tout habitant de
Djenné sait parfaitement que dans une maison construite en briques de terre
tout mur est porteur ! Personne à Djenné ne peut se comporter comme le
prétend l’article.
« Cela
dit, le fait est que les consignes qui garantissent la protection d’un bâtiment
construit en briques de terre –et d’une ville entièrement construite en terre,
comme la vieille ville de Djenné– sont
contraignantes. Lorsqu’il a demandé l’inscription de Djenné sur la Liste
du Patrimoine Mondial, le gouvernement du Mali
s’est engagé lui-même à aider à la mise en oeuvre de certaines règles
essentielles de protection. Aider, dans ce contexte, signifie expliquer,
convaincre les habitants de Djenné, et trouver avec eux –un par un, parce que
chaque famille est différente de toute autre– les solutions aux difficultés
rencontrées par les propriétaires. C’est là que réside le vrai problème. Comme
les interviews de certains officiels Maliens le montrent (cf. la vidéo sur
votre site internet), aucun d’eux n’a une idée claire de ce qui doit être fait
pour protéger le patrimoine bâti de Djenné : ni au niveau local, ni au
niveau national une stratégie n’a été définie
et exposée à chaque citoyen.
« Pire,
au lieu d’acquérir quelques maisons dans le centre de l’ancienne ville, pour
les restaurer et les utiliser comme bâtiments publics, les administrations
maliennes ont déserté le centre et sont en train de construire tout un quartier
administratif en dehors de la zone protégée. Elles donnent un signal clair aux
propriétaires privés : fuyez et faites-vous construire à l’extérieur une
maison en béton !
« Il
n’est pas exact que les consignes actuelles sont trop strictes ; en
réalité elles ne sont pas appliquées, comme chacun le sait à Djenné. Dans les
années récentes, le ministère de l’éducation et celui de la santé ont construit
des bâtiments en ciment dans le vieux centre de la ville : une école, un
hôpital, aujourd’hui un jardin d’enfants. L’Etat ne pratique pas ce qu’il
prêche et, par conséquent, les propriétaires privés cherchent aussi à échapper
aux contraintes du classement, et ils y parviennent parfaitement. DJENNE
PATRIMOINE, une association locale, a suggéré que les contraintes soient
strictement appliquées dans un périmètre restreint, de façon à préserver quelques
anciennes maisons exactement dans l’état où elles étaient d’après les plus
anciens documents dont nous disposons : cela traduirait l’engagement à
transmettre aux générations futures le patrimoine hérité des ancêtres. Mais les
contraintes seraient allégées dans un second périmètre, plus légèrement
protégé, où par exemple les façades des maisons devraient respecter les dessins
et décors traditionnels, mais le plan intérieur et les aménagements seraient
libres. Des propositions inspirées de cette idée ont été publiées il y a
quelques années, mais n’ont été ni prises en considération ni discutées par
l’administration malienne chargée du patrimoine.
« Enfin,
et ce n’est pas rien, les contraintes découlant du classement sont
contrebalancées par les bénéfices que les habitants de Djenné en tirent. Il
résulte du projet conduit par les Hollandais qu’environ une maison sur douze a
été soit réhabilitée soit reconstruite des fondations jusqu’au toit : un
bénéfice considérable pour les propriétaires et pour leurs familles ! Mais
aussi des équipements publics ont été installés à Djenné depuis son inscription
su la liste du Patrimoine Mondial, et probablement à cause d’elle :
électricité, télévision, téléphone, adduction d’eau et fontaines publiques...
Il est tout-à-fait exact que l’évacuation des eaux usées reste irrésolue, en
partie parce que le projet actuel est beaucoup trop coûteux. Mais les
conditions de vie des habitants de Djenné n’ont pas été aggravées par
l’intervention de l’UNESCO. Au contraire, le développement touristique est
évident : on trouve nettement plus d’hôtels à Djenné aujourd’hui qu’il y a
vingt ans, plus de restaurants, plus de magasins pour les
touristes, et la renaissance des activités artisanales est probable, liée aux flux touristiques. Combien y a-t-il aujourd’hui
de guides officiels pour faire visiter Djenné, alors qu’il y en avait deux en
1986 ? Plus de vingt ! Combien de maçons ont travaillé avec le projet
hollandais et combien avec le projet de l’Aga Khan ? Combien d’artisans gagnent
aujourd’hui leur vie grâce aux visiteurs étrangers de la cité ? Pourquoi
les brodeurs ont-ils recommencé à former des apprentis, après deux décennies de
découragement ? Oui, l’UNESCO ne peut pas aider les paysans à avoir de
bonnes saisons des pluies, mais elle contribue à développer d’autres activités
génératrices de revenu.
« Pourtant,
Djenné reste une ville pauvre, avec beaucoup trop peu d’activités modernes, et
sans stratégie de développement. Un observateur a écrit
récemment : « L’impression évidente, en janvier 2006, était que
le gouvernement du Mali voulait conserver Djenné comme une relique du passé et
en tirer autant de profit que possible sans la relier au monde actuel. Je ne
sais pas et je n’ai pas recherché les raisons d’une telle marginalisation de la
cité. Peut-être le gouvernement ne veut-il pas que Djenné devienne trop
influente politiquement sur le plan national ou même simplement régional ?
Peut-être ne veut-il pas que Djenné fasse de l’ombre à la nouvelle capitale
régionale qu’est Mopti ? Ou peut-être pense-t-il que la plus grande valeur
de Djenné est de rester une relique du passé, une vitrine de traditions non
polluées par la modernité. Quelles que soient les raisons, Djenné reste une
enclave, avec des relations très ténues avec le reste du Mali moderne, mais pas
dans le sens ni pour les raisons que Sékou Amadou avait à l’esprit il y a près
de deux siècles. » (Viktor Azarya)
« La
plus importante des conditions à remplir pour la protection du patrimoine de
Djenné et pour le développement de la ville est l’implantation effective d’un
processus de décision démocratique au niveau local. Aujourd’hui, après deux
générations sous le joug colonial et une génération sous le joug de la
dictature, les citoyens se sont habitués à attendre les décisions des dirigeants
et l’argent des partenaires étrangers. Aucun développement ne peut se produire
sans une appropriation locale du pouvoir : que faisons-nous de l’argent
qui vient de l’étranger ? que faisons-nous de nos
propres ressources ? quels engagements prenons-nous ?
quelles sanctions sommes-nous capables d’infliger aux
membres désobéissants de la communauté ?
« L’UNESCO
n’est que l’un des acteurs dans le jeu, et pas le plus important. Le
gouvernement du Mali et les citoyens de Djenné ont une responsabilité pleine et
entière, et pour demain un rôle décisif à jouer.
« Veuillez agréer ; Monsieur le Rédacteur en
Chef, l’expression de mes meilleures salutations.
Amadou
Tahirou BAH
Président
de DJENNE PATRIMOINE
Par ailleurs, deux lettres à l’éditeur ont été envoyées
dans la semaine suivant la publication, l’une venant de Youssouf Dembele,
propriétaire à Djoboro, quartier Sud de Djenné, l’autre de Boubou Cisse,
originaire de Djenné et travaillant à Abuja ; elles n’ont pas été prises
en considération.
[1] Trevor H.J. Marchand : The masons of Djenné,
Indiana University Press,
[2] The Future of Mud, a Tale of Houses and Lives in Djenne, directed by Susan Vogel, produced by Susan Vogel, Samuel Sidibé,
Trevor Marchand & the Musée National du Mali, video, 58’, 2007, svogel@igc.org, http://icarusfilms.com/new2007/mud.html
[3] Trevor H.J. Marchand :
[4] Ce fut un temps le projet de la FISA à Ségou, avec l’appui de l’Union Européenne, par l’intermédiaire du Programme de soutien aux initiatives culturelles (PSIC), cf. http://ec.europa.eu/development/services/events/EDD2007/PDF/Exhibition/FISA_FR.pdf et aussi http://www.malikounda.com/nouvelle_voir.php?idNouvelle=6664
[5] Trevor H.J. Marchand : The
masons of Djenné, op. cit. p. 167 sq.
[6] Trevor H.J. Marchand : Le rôle des maçons
et de l’apprentissage dans la pérennité de l’architecture vernaculaire de
Djenné, DJENNE PATRIMOINE Informations, n° 21, automne 2006, p. 14-16, www.djenne-patrimoine.asso.fr ; voir aussi Trevor H.J. Marchand :
Endorsing indigenous knowledge, the role of masons and apprenticeship in
sustaining vernacular architecture, the case of Djenné, chapter 2 (p. 46-62) in
Lindsay Asquith and Marcel Vellinga : Vernacular Architecture in 21st
Century, Taylor and Francis,
[7] Les bâtiments, qui sont « exotiques », et l’urbanité « sophistiquée », se révèlent dans un paysage par ailleurs « sauvage » lit-on sur le cartel 3
[8] Par exemple dans la maison Nientao, cf. R. Bedaux, B.Diaby et P. Maas : L’architecture de Djenné, la pérennité d’un patrimoine mondial, Rijksmuseum voor Volkenkunde Leiden, et Editions Snoek, Gand, 2003, p. 106
[9] Par exemple la maison Soufounthera, cf. R. Bedaux et alii, op. cit., p. 188 (photo de gauche, représentant la façade sur la rue ; photo de droite, représentant la façade sur cour)
[10] Dans les deux cas, les institutions invitantes ont cependant jugé nécessaire, pour rendre l’expérience respectable à leur yeux, de coiffer les maçons de Djenné de techniciens chargés de garantir la qualité des travaux : des ingénieurs au Etats-Unis, un architecte en Corée du Sud !
[11] Pour une présentation résumée, voir Roderick McIntosh : Que nous ont appris les fouilles de Djenné jusqu’à ce jour ? DJENNE PATRIMOINE Informations, n° 20, printemps 2006, p. 11-16, accessible sur le site www.djenne-patrimoine.asso.fr ; voir aussi http://anthropology.rice.edu/Content.aspx?id=501
[12] Daniel Arasse : Le Détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture, Flammarion, 1992, 1998 ; Daniel Arasse : Histoires de peinture, Folio/Essais, 2004 ; Daniel Arasse : On n’y voit rien, Folio/Essais,
[14] L. Prussin : Hatumere, Islamic Design in West Africa,
University of California Press, 1986 p. 38-40
[15] Elles n’étaient pas totalement inconnues dans la région, puisque Labelle Prussin a rappelé que le mirhab de la mosquée de Gao est construit en utilisant des briques parallélépipédiques, alors qu’il a probablement été édifié au XIVème siècle, cf. Labelle Prussin : Hatumere, op. cit., p. 40
[16] Comme l’a soutenu Jean-Louis Bourgeois : Spectacular Vernacular, Aperture, 1996 (dont le chapitre 11, p. 127-156 est consacré à la mosquée de Djenné)
[17] Trevor H.J. Marchand :
The masons of Djenné, op.cit. notamment p. 25, 56, 269
[18] Adame Konare Bah : Djenné, des origines à la pénétration coloniale, un aperçu historique, p. 27-44 in J. Brunet-Jailly (sous la direction de) : Djenné, d’hier à demain, éditions Donniya, Bamako, 1997 (p. 44)
[19] Cartel 3 troisième alinea
[20] Cartel 5 second alinea
[21] Cartel 7 premier alinea
[22] Cartel 7 second alinea
[23] Voir la mise au point du chef de la Mission culturelle à l’interprétation donnée par DJENNE PATRIMOINE de l’origine des évènements du 20 septembre 2006 : alors que cette interprétation est fondée sur le manque d’information, en particulier à l’intention des maçons, l’administration répond par une liste de réunions entre responsables administratifs, les maçons étant ensuite éventuellement informés des dispositions qu’il leur incombe de prendre, cf. DJENNE PATRIMOINE Informations, n° 21, automne 2006, p. 4-6
[24] Cartel 5 second alinea