Tombouctou n'aurait pas connu une telle splendeur sans sa jumelle du Sud : Djenné. Mais Djenné n'est pas une simple copie de Tombouctou. La ville a acquis au cours des âges un caractère particulier que lui ont conféré sa situation géographique et une certaine chance historique.
Située au coeur du delta intérieur du Niger, Djenné apparaît comme une véritable île, émergeant des hautes eaux du fleuve pendant la crue de l'hivernage, émergeant aussi de quelques mètres au-dessus du sol désespérément plat du Macina. Plusieurs mois de l'année protégée par les eaux, et le reste du temps confiante dans l'épaisseur des murailles qui la ceignent entièrement, Djenné est restée pratiquement exempte de pillages, d'incendies, de toutes ces catastrophes qui modifient si profondément le visage d'une ville. Aujourd'hui, l'aspect de Djenné est celui qu'a contemplé René Caillé en 1828 - à peu de choses près. Et René Caillé eut sous les yeux un spectacle qui n'avait guère changé depuis le Moyen-Age.
En fait, Djenné fut fondée à l'aube du IXème siècle. On lui donna son nom 'la petite Dia' en souvenir d'une ville de l'antique empire du Ghana. Mais son développement ne commença que vers le début du XIIème siècle, au moment où Tombouctou prit son essor. La ville se convertit à l'Islam et se dota d'une mosquée. Les marchands du Sud y affluaient avec leur plomb, leur or, leur ivoire, leurs noix de colas, leur laine. On construisit de lourdes pirogues capables de transporter par dizaines de tonnes à la fois ces produits vers Tombouctou qui drainait le commerce avec le Nord. Ainsi se créa au Moyen-Age une civilisation urbaine raffinée qui faisait s'écrier à Es-Sadi, l'auteur du Tarikh-es-Soudan : 'cette ville est grande, florissante et prospère ; elle est riche, bénie du ciel et favorisée par lui. Dieu a accordé à ce pays toutes ses faveurs comme une chose naturelle et innée. Les habitants de Djenné sont bienveillants, aimables et hospitaliers.' Le même auteur énumère les savants que Djenné fournit au monde musulman : Mourimagha Kankoï, Sanou El Ouankori et surtout Mohammed Baghayogho.
Lorsque le voyageur français René Caillié parvint à Djenné en 1828, il put constater à loisir la puissance et la beauté de cette ville, triplement fière de sa mosquée (et de ce qu'elle suppose de rayonnement intellectuel et religieux), de son commerce, enfin de l'architecture des maisons qui porte témoignage de la fortune et du goût des 'Djennenké'.
Le déclin de Djenné au XIXème siècle n'est pas sans rapport avec l'entreprise de restauration de l'intégrisme islamique menée par Cheikhou Amadou. Ce chef politique et religieux chasse littéralement 'les marchands du temple' : il transfère les marchés de Djenné plus à l'est (c'est lui qui créa Mopti) et démolit la mosquée multi-séculaire pour en rebâtir une autre plus à son gré. Aujourd'hui, la mosquée rebâtie en 1907 sur les fondations de l'ancienne, a acquis une juste célébrité et les pluies d'hivernage ont bien eu le temps de lui donner la douce patine des vieux monuments.
Le marché du Lundi fonctionne - et avec quelle vitalité ! Quant à la ville, elle offre aux regards la splendide architecture de ses maisons à étage et à fronton, rare exemple en Afrique de l'Ouest d'un site intégralement préservé des outrages du temps et du modernisme déprédateur. Aucune impression n'est aussi forte que celle que peut ressentir le voyageur qui arrive un lundi, jour de marché, à Djenné. Vers midi, l'impitoyable lumière fait flamber les couleurs des boubous et la clameur de la foule emplit l'espace devant la mosquée.
Djenné Patrimoine
"Quiconque ne tient pas compte de ce qu'il était hier,
demain ne sera rien, absolument rien"
Amadou Hampaté Ba
La
ville de Djenné