DJENNE PATRIMOINE

BP 07 DJENNE Mali


DJENNE PATRIMOINE Informations,
n° 12, janvier 2002


La mosquée de Diombougou photographiée par Sebastian Schutyser

 

NOUVELLES DE DJENNE

Djenné bientôt " reliée à la terre ferme " ?

L’idée de construire, au départ de Djenné, une route partant vers Bamako par Mougna, Saye et Dioro est un vieux projet : il faut ici rendre hommage à feu Ousmane Cissé, qui fût député de Djenné sous la Seconde République, car c’est lui, le père du Président de DJENNE PATRIMOINE, Moussa Ousmane dit Papa Cissé, qui a formulé le premier cette idée, dès 1946, alors qu’il était conseiller territorial. A l’époque le projet était intitulé " Relier Djenné à la terre ferme ". Pour qui a connu le niveau des crues à l’époque, il est bien vrai que Djenné était alors coupée du reste du monde, pendant plusieurs mois de l’année : et donc il fallait construire une route qui romprait l’isolement de Djenné.

Malheureusement le projet ne sera pas aussitôt réalisé pour des raisons de rivalités politiques : comme la France demandait une contribution de la population, l’opposition accusa Ousmane Cissé de vouloir remettre en vigueur le travail forcé ; mais lorsqu’elle fut au pouvoir, elle ne put pas faire mieux, elle ne fit rien. La Première République a donc seulement édifié la digue en terre qui arrivait jusqu’à Djenné, puis il fallut attendre 1992 pour qu’elle soit bitumée.

C’est tout récemment, grâce aux efforts conjugués des élus des cercles de Djenné et du Macina, que cet ancien projet a été repris : il est désormais financé, les entreprises devaient être désignées fin janvier et commencer le travail en mars. On s’apprête donc déjà à voir surgir de terre une nouvelle route, en latérite dans un premier temps, qui présentera de nombreux avantages économiques, sociaux et touristiques :

- les transporteurs y gagneront beaucoup, puisque le trajet Mopti-Bamako sera raccourci de 100 km pour celui qui passera par Djenné au lieu de faire le détour par San et Bla ;

- comme toute agglomération traversée par une route fréquentée se développe, il faut s’attendre à une rapide revitalisation des villes comme Djenné, Mougna, Saye, et Dioro notamment ;

- les populations du Pondori, longtemps enclavées, auront accès à cette nouvelle route qui traversera la région de Gomitogo à Saye ; on doit s’attendre à ce qu’un nouveau courant d’échanges entre les villages du Pondori, du Pondoga et du Sakaye et les villages des régions voisines les transforme tous socialement ;

- le cercle de Djenné, qui regorge de ressources touristiques non exploitées car pratiquement inaccessibles, pourra mettre en valeur tout son arrière-pays.

Mais cette route traversera Djenné, du pont à la mosquée, en empruntant la rue principale, rasant la mosquée en son angle sud-est, et continuant à travers Yoboucaïna… On imagine déjà le trafic, ses encombrements, ses inconvénients pour les riverains, ses risques pour la protection du patrimoine ! Ne faut-il pas y réfléchir, et si nécessaire proposer un autre tracé pour la traversée de Djenné ?

Foourou Alpha Cissé, Premier Adjoint au Maire de Djenné

L’avenir de Djenné et le barrage de Talo

Le projet de construction d’un barrage sur le Bani, au seuil de Talo, date du début des années 1980. A l’époque, il était conçu comme un ouvrage complémentaire de l’aménagement du seuil de Djenné. Aujourd’hui, il est question de le réaliser alors que rien ne serait fait à Djenné. Les promoteurs du barrage prétendent que l’ouvrage permettra d’irriguer 20.316 ha, dont 13.030 pourraient être consacrés à la riziculture. Pour cela, il est prévu un barrage permettant de relever les eaux jusqu’à la cote de 274,35 m, soit un rehaussement du niveau des eaux de plus de 6 m à Talo et de plus de 2,84 m à Douna.

François Gallier, étudiant de DEA en géographie à l’Université d’Orléans a consacré son mémoire à l’étude des conséquences prévisibles de cet ouvrage. Son travail, soutenu le 12 septembre 2001, lui a valu un excellente note et la possibilité de s’inscrire en thèse. Voici quelques-unes des conclusions de son travail :

" - on ne peut que déplorer l’absence, dans les dossiers constitués pour obtenir le financement de cet ouvrage, de toute étude sérieuse de l’impact de ce barrage à l’aval ;

" - on ne peut que déplorer l’absence d’information et par suite l’absence de toute concertation avec les populations des zones concernées ; cette défaillance est désormais reconnue par l’administration, comme le signale un rapport de la DNACPN ;

" - on ne peut que constater que les avantages attendus du projet sont décrits en se plaçant dans des hypothèses toujours très optimistes, alors que les inconvénients sont purement et simplement ignorés ;

" Ces lacunes sont inacceptables parce que la seule connaissance des conséquences hydrologiques de l’ouvrage laisse attendre des conséquences très importantes sur toutes les activités de production dépendant de l’eau à l’aval. En effet, la réalisation du barrage entraînerait :

" - une baisse des débits et donc des niveaux d’eau, cette dernière comprise entre 20 cm en cas de bonne crue (comme celle de 1994) et 45 cm en cas de mauvaise crue (comme celle de 1993) ;

" - une arrivée de la crue plus tardive (de 10 à 20 jours) et plus brutale (montée de l’eau de 5 à 7 cm par jour, avec des pics à 10 cm) ;

" - une date de décrue inchangée, donc une réduction de la durée de submersion ;

" - une perte de superficie inondée variant très fortement avec la baisse du niveau de l’eau, de 20 à 90 %, mais toujours très importante, même en regard des surfaces gagnées à l’amont de San. "

François Gallier

 

L’assainissement, un rapport et un projet-pilote hollandais

Un rapport rédigé en avril 2000 par J.G. Langeveld (Université technique de Delft) pour l’Ambassade Royale des Pays-Bas à Bamako, et portant sur le système d’assainissement de la ville de Djenné a été récemment rendu disponible à Djenné même. Les points essentiels en sont les suivants :

- les toilettes traditionnelles fonctionnent bien depuis des siècles ; le stockage des matières fécales dans les réservoirs est une solution convenable ; le seul inconvénient de ce système est le ruissellement dans la rue des urines et des eaux utilisées pour la toilette personnelle, mais on pourrait y parer si on décidait de s’attaquer au problème des eaux usées ;

- la consommation d’eau est croissante depuis la réalisation du premier château d’eau en 1982 puis d’un second en 1996 : pour l’ensemble des fontaines publiques (une cinquantaine) et des abonnements des particuliers (près de 300 en 2000, apparemment près de 500 aujourd’hui), elle est de l’ordre de 3600 m3 par mois en saison des pluies et va jusqu’à 9200 m3 par mois en saison sèche ; l’assèchement du Bani et la modification des habitudes jouent l’un et l’autre son rôle ; c’est l’évacuation de ces eaux et éventuellement des eaux de surfaces utilisées à domicile, qui est le problème essentiel ; quant aux eaux pluviales, avec leur volume considérable quelques jours seulement chaque année, il est impossible de s’y attaquer actuellement, estime l’expert ;

- l’évacuation des ordures ménagères solides est le second problème d’assainissement important ; mais ce problème n’est pas technique, il est social et organisationnel, et l’expert estime donc qu’on doit attendre que la population le résolve.

Sur la base de ce diagnostic et de quelques considérations complémentaires, l’auteur du rapport élimine certaine solutions, notamment le stockage temporaire des eaux usées avant transport par roue, l’évacuation par des tranchées à ciel ouvert (c’est pourtant le système qui s’est lentement développé), l’évacuation par des tranchées couvertes, et enfin l’évacuation souterraine. Il retient l’évacuation par infiltration dans le sol, mais avec des dispositifs augmentant la capacité d’infiltration. Dans cette solution, les gargouilles se déversant des toilettes au milieu de la rue seraient remplacées par des conduits en terre cuite descendant le long des façades, et toutes les eaux usées seraient recueillies au niveau du sol dans un réservoir communiquant lui-même avec une tranchée (d’un volume de 1 à 4 m3 selon la consommation d’eau estimée) remplie de gravier et entourée de toile (pour éviter que la tranchée ne soit envahie par le sable, l’argile ou des racines), enterrée à 50 cm sous le niveau du sol, recouverte de terre.

Le coût moyen de cet aménagement a été estimé par l’expert à environ 90.000 FCFA par maison (300 florins hollandais) ; pour la ville entière, avec ses 2300 maisons, il faudrait donc au bas mot 200 millions FCFA.

L’auteur du rapport proposait une réalisation expérimentale concernant 50 maisons. Le chantier pilote commence en février 2002 : deux ingénieurs hollandais, Gerard Vos et Minne Chai Aderlieste, sont sur place pour le lancer.

L’impact du tourisme à Djenné

[Une étudiante de l’Université de Marseille, Charline Cardon, a fait son stage d’ingénieur-maître auprès de DJENNE PATRIMOINE, et a séjourné plus de trois mois à Djenné, pour décrire et analyser l’activité touristique. Voici un compte-rendu de son travail]

L’un des intérêts de ce travail est qu’il repose sur une enquête soignée auprès de 150 touristes, interrogés à l’occasion de leur passage à Djenné, entre le 15 mai et le 1er août 2001.

La grande majorité des visiteurs (87 %) découvrent Djenné à l’occasion de leur premier voyage au Mali, et 65 % d’entre eux le font à l’occasion d’un voyage de loisir. Si la durée des séjours au Mali est fréquemment longue (deux à quatre semaines pour 42 % des répondants, plus de quatre semaines pour 24 %), la visite de Djenné est très brève : 11 % des visiteurs n’y passent même pas une nuit, 53 % y passent moins de deux jours, et 16 % seulement y restent plus de trois jours. Les visiteurs sont incités à venir à Djenné par des proches (37 % des cas) aussi souvent que par les guides imprimés (37 % également), dont certains, il est vrai, contiennent des appréciations dissuasives (concernant en particulier les faux guides).

Les visiteurs voient tous la mosquée, très rapidement, de l’extérieur ; ils voient aussi le marché du lundi (77 %), la maison du chef de village (46 %), l’ancien " palais du roi " (résidence de l’autorité marocaine) et le puits de Nana Wangara (49 %), ensuite le tombeau de Tapama… Un sur quatre seulement va jusqu’à un village voisin (Sirimou ou Senossa). Cette visite est donc très sommaire, et très incomplète : 4 sur 5 des visiteurs n’entrent pas dans le musée, 5 sur 6 ne vont pas jusqu’au site de Djenné-Djèno !

Le nombre de touristes visitant Djenné est variable d’une année à l’autre, mais croissant, et il est certainement supérieur désormais à 8000 personnes par an. En effet, la taxe touristique, prélevée en haute saison seulement, et qui n’est pas payée par tous, loin de là (l’enquête montre que 40% des touristes interrogés n’ont pas payé la taxe !), a été acquittée par 8000 personnes environ en l’an 2000. Si, comme l’indique l’enquête, 4 sur 5 de ces touristes passent deux nuits à Djenné et y dépensent en moyenne 10.000 FCFA par jour et par personne en hôtellerie et restauration, la recette totale pour le secteur est de l’ordre de 130 millions FCFA par an. A cela, il faut ajouter la rémunération des guides, les achats de souvenirs et autres objets d’artisanat, etc... L’enquête n’a pas mesuré les gains des guides, mais elle montre que deux touristes sur trois font des achats, pour un montant moyen de 11.500 FCFA, ce qui représente donc environ 60 millions supplémentaires dans l’année ! Le tourisme apporte incontestablement des revenus à Djenné ! N’est-ce pas édifiant ?

Ce qui inquiète, en réalité, c’est l’évolution du tourisme de Djenné vers une clientèle à faible budget. En partie du fait de la médiocre qualité des prestations offertes, et du laisser-aller du service, la clientèle du Campement a sensiblement diminué au cours des dernières années (au moins si l’on en croit les chiffres communiqués), et divers établissements sont apparus qui offrent, en matière d’hôtellerie, des prestations encore plus mauvaises. Plus récemment, un établissement correct et un autre vraiment soigné se sont ouverts, mais leur localisation ne leur a pas encore permis d’attirer une importante clientèle. Il faut savoir aussi que, dans 40 % des cas, le choix de l’hôtel est fait sur le conseil du guide ! Mais lorsqu’on les interroge sur la propreté de l’établissement qu’ils ont fréquenté, 48 % des clients de Tapama la trouvent très satisfaisante, 17 % des clients de Kita Kourou, 9 % des clients du Campement, et 4 % des clients de Chez Baba !

On doit naturellement souhaiter que la visite de Djenné soit l’occasion de découvrir une civilisation, et pas seulement une architecture. Pour cela, il faut que cette visite soit suffisamment longue, bien plus longue qu’elle n’est aujourd’hui, et plus riche de contenu culturel : voir les bâtiments de l’extérieur ne suffit pas, il faudrait que des visites intelligemment guidées permettent de découvrir à la mosquée et dans les écoles coraniques ce qu’est la culture de l’islam, dans les maisons familiales ce qu’est l’architecture de Djenné et à quelle organisation de la vie domestique elle correspond, dans le quartier de Sankoré quelle a été l’histoire de la cité, etc. Pour proposer aux visiteurs des visites de ce genre, il faudrait des guides beaucoup mieux formés que ceux qui exercent aujourd’hui. Lorsqu’on demande aux touristes leur appréciation sur les guides, on provoque une grande gêne : la moitié des personnes interrogées prétendent qu’elles n’ont rien à dire ou refusent de répondre ! 14 % des répondants seulement estiment que les guides se comportent bien ou très bien, et 24 % des répondants les disent " oppressants ", " insistants ", " stressants ", " bluffeurs ", " agressifs ", et même " voleurs " ! Tout reste donc à faire de ce côté-là !

L’enquête auprès des touristes a été complétée par une enquête auprès de 150 chefs de famille. Parmi les résultats les plus marquants de cette dernière, il faut relever que 85 % des répondants estiment que la présence de touristes dans Djenné ne présente aucun inconvénient, alors même que très rares sont ceux qui y voient de réels avantages : 33 % pensent que les touristes ne représentent aucun avantage, 21 % voient dans le tourisme une forme d’aide au développement, 10 % citent les cadeaux comme un avantage lié à leur présence. Si les raisons sont donc peu explicites, le fait est tout de même que 81 % des répondants souhaitent voir plus de touristes à Djenné, et que 94 % voudraient avoir des contacts avec les touristes (31 % seulement en ont actuellement). De toutes ces réponses se dégage l’impression que certains arguments traditionnellement invoqués contre les touristes (qui, pour certains, seraient responsables de la déscolarisation des jeunes, de l’avilissement des mœurs, de l’accroissement de la consommation d’alcool, voire de l’introduction de la consommation de drogues) ne préoccupent pas vraiment les chefs de famille.

Une dernière question d’importance était posée aux chefs de famille, celle de savoir ce qu’ils pensaient de l’interdiction faite aux non musulmans d’entrer dans la mosquée. Cette question est, dans cette enquête, la seule qui provoque de la gêne chez les répondants : 31 % d’entre eux ne se prononcent pas ! Mais 57 % se déclarent favorables à cette disposition, et 12 % seulement ne l’approuvent pas. Pour la majorité des répondants, la mosquée est un lieu de culte, ce n’est pas un lieu touristique. Pourtant, tous ceux qui ont voyagé dans d’autres pays musulmans savent que, dans certaines conditions, les non musulmans peuvent y visiter, au moins partiellement, les mosquées. A Djenné, certains justifient leur position en affirmant que les touristes sont irrespectueux. Là encore, s’il faut reconnaître qu’il y a des touristes irrespectueux, tous les touristes le sont-ils ? Et comment présenter aux visiteurs cette dimension essentielle de la culture de Djenné, la religion islamique, si la seule manifestation qu’ils peuvent en voir un jour ordinaire est le panneau planté devant la mosquée " Entrée interdite aux non musulmans " ?

La clientèle touristique actuelle de Djenné est en soi un atout pour l’avenir : c’est une clientèle jeune (53 % des répondants ont entre 20 et 30 ans), et malgré les critiques qu’elle exprime, c’est une clientèle qui envisage de revenir à Djenné (45 % des répondants le disent) et qui promet d’inciter ses proches à y venir (80 % des répondants). Mais pour bénéficier de ces promesses demain, il ne faut pas décevoir les touristes qui viennent aujourd’hui !

 

NOUVELLES DU PATRIMOINE DE DJENNE

Des portails en bois à la mosquée de Djenné !

Dans son bulletin n°2 (janvier 1997), DJENNE PATRIMOINE avait dénoncé le projet de l’Association pour le Développement de l’Islam à Djenné (ADID) : cette association voulait installer de hautes grilles métalliques à tous les portails extérieurs qui donnent accès à la terrasse sur laquelle est édifiée la célèbre mosquée de Djenné, ce qui aurait cruellement défiguré le bâtiment que nous ont légué nos ancêtres. A cette époque, notre position a rencontré un écho favorable dans la population, et le projet a été stoppé, les immenses grilles restant cependant entreposées contre un mur à l’Ouest de la mosquée. Mais l’ADID est revenue tout récemment à la charge, et cette fois-ci a fait confectionner des battants en bois, qui, même s’ils ne sont pas aussi massifs que les portails métalliques, constituent tout de même un élément de décor tout-à-fait incongru dans un monument classé sur la liste UNESCO du Patrimoine Mondial. Ces battants, qui auraient été dessinés par la Mission Culturelle, ont été posés en janvier, apparemment avec l’accord du chef de village, de l’imam et d’une grande partie de la population, et malgré l’avis contraire de l’AMUPI et de certains notables.

DJENNE PATRIMOINE comprend parfaitement que de pieux musulmans souhaitent contribuer à l’entretien de la mosquée. Elle-même a remis cette année au Chef de village sa contribution au crépissage de la mosquée. Elle ne peut que féliciter les enfants bénis de Djenné qui, comme Gaoussou Diawara, pharmacien à Ouagadougou, apportent en temps utile un financement supplémentaire permettant par exemple de réparer les portes en bois de la salle de prière et le mirhab.

Mais la mosquée de Djenné doit être protégée, et protégée telle qu’elle a été reconstruite il y a un siècle, car elle doit continuer à ressembler autant que possible à celle que nous ont légué nos pères depuis le XIIIème siècle. Une précédente initiative malheureuse de l’ADID, la construction de toilettes en ciment du côté Sud de la mosquée, n’a pas été stoppée avec la vigueur qui s’imposait. D’autres initiatives mal inspirées ont été tolérées : il y a plus de dix ans que Sarmoye Sounkoro, qui travaillait aux chemins de fer à Abidjan, a offert des tapis, pour les placer sur le sol, comme si la tradition de Djenné n’était pas celle du sol de simple sable ; plus récemment, on a couvert de nattes le sable sur les trois premiers rangs et on y a posé les tapis ; plus récemment encore on a installé cent ventilateurs muraux fournis par l’Ambassade des Etats-Unis ! ! !

Il faut réagir, il est urgent de réagir ! Djenné a vu, à propos du barrage de Talo, quelle pouvait être la force d’une intervention extérieure pour soutenir son point de vue, en l’occurence l’influence d’une ONG américaine venant renforcer l’opposition de Djenné à ce projet. Même si l’UNESCO n’a jamais rien financé à Djenné, Djenné ne peut pas ignorer que cette institution, comme tous les amis de Djenné à l’extérieur, ne laisseront pas faire n’importe quoi dans cette ville.

Les fouilles de 1999 à Djenné

["DJENNE PATRIMOINE Informations" a l’avantage de publier le compte-rendu ci-dessous des fouilles de 1999. Ce texte est dû à Susan Keech McIntosh, que nous remercions chaleureusement de sa contribution]

La campagne de fouilles réalisée en 1999 à Djenné a porté sur une partie du site du futur musée. L’idée initiale était que l’excavation serait laissée ouverte, recouverte d’un toit et protégée par du plexiglas, pour constituer un musée vivant de l’histoire de la ville, dans lequel les visiteurs pourraient, au sens propre, se promener dans le passé de Djenné. Mais en raison des incertitudes sur le calendrier de la construction du musée, l’excavation a été rebouchée pour éviter l’érosion ; elle pourra cependant être ré-ouverte lorsque le musée sera achevé.

Le site du futur musée est le lieu où était implanté le dispensaire colonial. Le carottage effectué en 1994 à proximité de ce lieu avait indiqué l’épaisseur considérable des dépôts. Une unité mesurant 6 m par 4,75 a été excavée jusqu’à ce qu’on parvienne au sol stérile de la plaine d’inondation, qu’on trouva à une profondeur de 7 m, bien que des fosses à ordures s’enfoncent dans ce sol jusqu’à une profondeur supplémentaire de 2 m.

Le premier 1,5 m de dépôts était composé de débris de ciment et des murs de brique du dispensaire, d’accumulations récentes d’ordures et de sacs de plastique bleu (ce qui signifie que ces dépôts sont postérieurs à 1980), puis de débris associés à l’activité du dispensaire au cours de la première moitié du 20ème siècle (ampoules et bouteilles de verre, mais pas de pipes à tabac). Le sol en ciment du dispensaire a été trouvé à une profondeur de 1,25 à 1,50 m.

En dessous est apparu un mur fait de briques de type djenne-ferey, grandes et irrégulières, ce que notre chef de chantier local, un maçon, reconnut immédiatement comme une construction de mauvaise qualité réalisée sous le régime du travail forcé. A la profondeur comprise entre 2 et 6,5 m, on a trouvé une série de murs superposés, de surfaces de sols, de fosses à ordures, et un grenier contenant encore une importante quantité de riz. Un puits habillé de buses cylindriques, en terre cuite, superposées les unes sur les autres, a été dégagé depuis le niveau de 6,4 m jusqu’à celui de 9 m. Le niveau de l’eau est aujourd’hui à 8,5 m, et les dépôts situés sous ce niveau étaient donc imbibés d’eau. Il y avait aussi de nombreuses fosses à ordures creusées à partir du niveau de l’occupation initiale, à 7 m en dessous du niveau actuel, dans le sol de la plaine d’inondation.

La chronologie de ces dépôts est indiquée par les caractéristiques de la culture matérielle qu’ils représentent. Au dessus du sol du dispensaire, ce sont des détritus du 20ème siècle. En dessous du sol du dispensaire, on a identifié des dépôts du 19ème et du 18ème siècles, avec de grandes quantités de biens importés, y compris des bouteilles en verre, des pierres à fusil, des cauris, des centaines de pipes à tabac, et des poteries similaires à l’ensemble décrit à Hamdallaye par Alain Gallay et Eric Huysecom. La densité moyenne de ces produits exotiques dans les dépôts dépassait 37 pour 10 m3.

Les pipes à tabac, les pierres à fusil et la plupart des autres objets exotiques disparaissent entre 4,5 et 5 m. A cette profondeur, et c’est intéressant, on a trouvé sous un mur de fondation une poterie brisée avec une inscription coranique exprimant une bénédiction pour une nouvelle maison. Un des tessons de cette poterie portait un nombre souligné, 519, qui pourrait être une date ; dans ce cas, ce serait l’année 1125/1126 de l’ère chrétienne, ce qui n’est certainement pas la date du dépôt : il est donc possible qu’elle commémore un événement bien plus ancien.

En dessous de 5 m de profondeur, la poterie ressemble de plus en plus à celle de la Phase IV de Djenne-Djèno, bien que les formes de la fin de la Phase IV soient associées à des poteries présentant certaines caractéristiques de la Phase V (entre 1500 et 1900 de l’ère chrétienne), telle que des engobes appliqués de façon peu soignée (quantité de gouttelettes et d’éclaboussures) et l’utilisation pour l’impression de motifs de tampons et peignes grands et grossiers. En première approximation, nous plaçons ces dépôts anciens quelque part dans la période du 15ème au 17ème siècle. Ces dépôts semblent dater la plus ancienne occupation de cet endroit à Djenné.

Il va sans dire (mais on ne le dit jamais assez) que cette information, tirée de cette fouille, se fonde sur un échantillon limité, et ne peut pas être extrapolée pour retracer l’histoire de l’occupation de toute la ville de Djenné. Beaucoup d’autres fouilles, dans des secteurs différents de la ville, devraient être réalisées si l’on voulait commencer à comprendre comment et quand les divers quartiers ont été occupés et se sont étendus. Et les analyses menées jusqu’à présent n’ont apporté aucune information sur les raisons qui ont pu pousser la population à s’implanter alors à Djenné.

Remerciements : les fouilles de 1999 à Djenné ont été financées par la Fondation Olive Branch, dirigée par Mr. Marshall Belden, à qui va toute notre gratitude. L’autorisation de fouiller nous a été accordée par la Direction nationale de la Culture (Directeur : Dr Tereba Togola), l’Institut des Sciences Humaines (Directeur : Dr Klena Sanogo), le Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (Directeur : Professeur Mamadou Diallo Iam), le Chef de Djenné (El Hadj Ba Hasseye Maïga), l’Imam de la Grande Mosquée (El Hadj Almamy Korobara). Nous remerçions toutes ces personnes de leur appui à notre recherche. Les participants étaient : Dr B. Diaby, Dr T. Togola, les Professeurs R. and S. McIntosh, ainsi que Tom Fenn, Karol Stoker, Mamadou Cissé, Daphne Gallagher, et les dessinateurs Youssouf Kalapo and Bakary (Bokar) Goïta (tous deux de l’I.S.H.). L’équipe de la Mission Culturelle de Djenne a facilité tous les aspects de la recherche : en particulier B. Diaby (directeur), Samba Thiam (directeur adjoint), et Sébastien Diallo (architecte). Nous avons eu la chance de bénéficier de l’assistance de trois volontaires du Corps de la Paix, Whitney Floyd, Kathy Fox et Esha Chiocchio, et d’une étudiante belge en anthropologie, Valerie DuBois. Alex et Annick McIntosh ont réalisé un document video rendant compte des fouilles. Nous n’aurions pas réussi sans l’aide d’une équipe locale de fouille, originaire de Djenné, et dont la conviction et la connaissance du terrain étaient sans égales. A Bamako, l’ambassadeur David Rawson lui aussi nous a, à nouveau, fourni son aide et son hospitalité.

Susan Keech McIntosh

Préserver les coutumes ! Arrêter l’étalage de richesse !

Le 19 janvier 2002 s’est tenue dans la boutique de Hamadoun Landouré une réunion de la communauté peule : environ 45 chefs de famille, sous la présidence d’honneur de six anciens à l’autorité incontestée. L’ordre du jour ne comportait qu’une question : " dispositions à prendre pour parer aux dégâts matériels et financiers lors des cérémonies de mariage et de baptême ". Les décisions essentielles, d’après le compte-rendu dactylographié, rédigé en français, qui a été fait de cette réunion exceptionnelle, ont été les suivantes :

1) il est interdit aux femmes d’organiser des festins dans l’après-midi des baptêmes ;

2) pour la déclaration des fiançailles, fétiougol tièdè tiaboudi (mot-à-mot partage des cauris de fiançailles, en pratique partage des frais entre les femmes), toutes les dépenses de festin sont interdites ;

3) pour le mariage, le voile et la robe de mariée à l’occidentale sont prohibés comme " contraires à nos coutumes musulmanes " ; au contraire, " il est recommandé un habillement décent conforme à nos coutumes " ;

4) pour le mariage à l’état-civil, le nombre de personnes participant à cette cérémonie est limité à 6 : les deux témoins, les deux époux et un ami pour chaque marié ; en effet, l’habitude s’était progressivement établie que, en cette occasion, à laquelle participaient beaucoup d’invités, les frères et sœurs des mariés distribuent beaucoup d’argent aux griots, au lieu d’aider le jeune couple ;

5) le jour du mariage civil, tout regroupement entraînant des dépenses dans les familles des mariés, notamment les festins et les " intimités ", est interdit ; l’habitude s’était créée de rassembler, après le mariage civil, autour des mariés, tous leurs amis, parfois aussi les voisins, pour toute une journée d’" intimité ", c’est-à-dire de danse au son de la musique moderne, avec nourriture et boissons en abondance, le tout aux frais du marié ;

6) lors des cérémonies rituelles du soir du mariage, il est interdit de cacher la mariée ; il faut savoir que, dans la coutume peule, le mariage religieux est célébré dans l’après-midi, vers 16 ou 17 h ; la tradition veut qu’après cette cérémonie, les sœurs et les amies de la jeune mariée se rendent dans la famille paternelle de cette dernière pour la chercher et l’accompagner chez l’époux ; mais elles profitaient de cette occasion pour cacher la jeune mariée, et ne la délivrer que contre une indemnité ; ce jeu, qui procure des ressources à l’association de classe d’âge, waldé, à laquelle appartenait la mariée et qu’elle quitte nécessairement en se mariant, se prolongeait parfois très tard dans la nuit, et détournait l’attention (et les ressources) d’une autre cérémonie tout aussi importante : cette même soirée, en effet, la nouvelle mariée doit se rendre dans sa belle famille avec ses accompagnatrices, et, à la porte de la maison, recevoir les cadeaux (tissus, or, argent, bovins, etc.) des parents et amis de la famille de son mari ; désormais, on demandera simplement au waldé du marié de payer au waldé de la mariée, à titre de tièdè-waldé (indemnité de départ de leur camarade) la somme de 1000 FCFA (ou 5000 si l’époux vient d’un autre village) ;

7) il est interdit aux jeunes d’organiser des intimités (soirées dansantes) à l’occasion du mariage civil ;

8) l’exhibition et la distribution d’argent sont interdites aux cours des manifestations de vœux des sœurs au marié, hownourou (traduction littérale : le bonjour) ; en effet, il est de tradition chez les peuls que le second jour du mariage, alors que la mariée est encore avec ses amies dans une concession différente de celle où se trouvent le marié et ses amis (car la nuit nuptiale n’aura lieu que le troisième jour), les sœurs du marié se regroupent et vont " dire bonjour " à leur frère marié et à ses amis dans la maison où ils sont rassemblés ; pour cette occasion, elles se sont parées de leurs plus beaux habits, et elles sont accompagnées de flûtistes ; lors de cette visite, une grande fête est organisée, et chacune des sœurs est tenue de danser pour manifester sa joie ; de leur côté, les frères et amis du marié, pour prouver leur attachement à leurs sœurs, n’hésitent pas à accrocher des billets de banque au " mouchoir de tête " (élégante et volumineuse coiffure que les femmes savent faire d’un simple morceau de pagne amidonné) que porte chacune des sœurs ; à la fin de la danse, chacune est tenue de redistribuer les sommes qu’elle a reçues aux gens de caste qui se trouvent sur place ; en deux heures de temps, on pouvait voir se volatiliser de cette façon des sommes de 250.000 à 500.000 FCFA, et même plus encore ; et la même fête reprend le lendemain ! Ce jour-là se terminera par la nuit du mbaloudi, au cours de laquelle les amis du marié vont lui manifester leur générosité en lui offrant divers cadeaux, dont notamment du bétail ;

9) lors de la réjouissance des cousins après le mariage, dâgâ, les déguisements comme les propos malsains et les comportements violents sont formellement interdits ; il faut savoir ici que ces réjouissances entre cousins des deux époux, au lendemain de la nuit de noces, sont la manifestation d’un droit des cousins à réclamer aux parents des deux époux une indemnisation pour l’autorisation de s’unir qu’ils ont donnée, eux les cousins, aux deux mariés ; le mariage entre cousins étant très fréquent, on comprend que le mariage d’une fille avec un de ses cousins rend cette fille inaccessible pour les autres cousins… ; dâgâ signifie " ce qui est toléré " : l’intimité entre les nouveaux époux est tolérée, mais moyennant une indemnisation (voir ci-dessous) de tous ceux qui pourraient en éprouver de la jalousie ; par la même occasion, tous ceux qui, descendants des anciens captifs de la famille, ont aidé à l’organisation des fêtes du mariage, reçoivent aussi un cadeau ; et comme ces circonstances, ici comme ailleurs dans le monde, favorisent les manifestations grivoises ou grossières, une interdiction générale est prononcée ;

10) l’indemnisation du dâga est fixée de la façon suivante : chacun des 4 groupes de cousins (les cousins du marié, ses cousines, les cousins de la mariée, et ses cousines) reçoit un pagne et 1000 FCFA ; les parents des mariés donnent ce qu’ils veulent aux familles Tapama et Djenepo, dont on commémore ainsi le sacrifice, lors de la fondation de la ville ; les rimaïbé de la famille, les griots de Djenné et les griots de Senossa, qui les uns et les autres sont les témoins de l’histoire, reçoivent 1 pagne pour les hommes et un pagne pour les femmes ; et il est interdit à toute autre personne de réclamer une part de dâga (par exemple, il est interdit aux cousins du marié, s’ils appartiennent à plusieurs familles, de se scinder en autant de groupes pour tenter d’obtenir une part pour chacun)

Comme on le voit, il ne s’agit pas seulement de lutter contre le renchérissement du coût de cérémonies qui ont toujours représenté une charge écrasante, mais assez volontiers supportée jusqu’à présent, pour les chefs de famille. Il s’agit aujourd’hui essentiellement de lutter contre la tendance de certains à faire, en ces occasions notamment, un étalage volontairement indécent et même insultant de leur richesse, étalage qui est ici explicitement condamné dans la disposition relative aux manifestations des vœux des sœurs.

Mais d’autres motifs sont également indiqués en clair dans le compte rendu : il s’agit d’abord d’en revenir aux coutumes au lieu d’adopter celles de l’étranger, comme on le voit à l’interdiction de la robe de mariée, mais aussi à la limitation de l’assistance à la cérémonie civile, et à l’interdiction des festins. Ce souci de revenir à des " coutumes " était d’ailleurs lui aussi présent, cette année, dans les discussions des députés sur le code de la famille, de nombreuses voix musulmanes demandant à cette occasion la reconnaissance de la valeur civile du mariage religieux. On peut en dire autant de la stricte limitation des " intimités " : depuis toujours, les danses modernes sont considérées à Djenné comme licencieuses. Et les jeunes ont bien compris qu’il s’agit d’une réaction contre leur manière de s’amuser.

Il s’agit aussi de proscrire les manifestations qui ont tendance à dégénérer en propos malsains et comportements violents, et qui peuvent être favorisés par l’immunité qu’assurent les déguisements (voir la disposition relative aux réjouissances des cousins). Il s’agit aussi, comme le montre à l’évidence la rédaction du compte-rendu, de lutter contre la décision –prêtée aux femmes– d’organiser des festins à tout propos et hors de propos : dans l’après-midi des baptêmes, pour les déclarations de fiançailles, notamment.

Certains aspects de ces fêtes sont donc désormais réglementés, et les contrevenants s’exposent à des sanctions : une amende de 25.000 FCFA, ce qui n’est pas rien à Djenné ; et en cas de récidive, un " bannissement " qui se traduira par le refus de la communauté de participer désormais aux cérémonies familiales du fautif. En outre, et là encore apparaît le sérieux de l’affaire, " la prière a été faite pour que le malheur tombe sur tout contrevenant à cette présente décision de la communauté " !

Ces problèmes concernent tous les groupes ethniques de Djenné, comme on le voit à la lecture d’un procès-verbal similaire, celui d’une " réunion des notables de la grande famille de Houberme ". Houberme est le nom songhoï du quartier de Nana Wangara. La grande famille de Houberme est donc la grande famille de la chefferie songhoï. Cette réunion s’est tenue deux mois après celle des Peuls, le 25 septembre 2001, et elle est présentée comme " une large concertation empreinte d’unanimités autour des sujets débattus à savoir les difficultés rencontrées à propos des fiançailles, mariages, baptêmes et circoncisions ". Quelques fêtes dont il n’était pas question dans la première réunion sont ici prises en considération. Voici les disposition arrêtées par ce groupe de notables :

1) pour les circoncisions, il faut éviter les dépenses inutiles telles que distribuer des repas à travers la ville, mais aussi préparer des repas servis par la mère du circoncis lorsqu’elle reçoit chez elle ses parents et amis pour la remise de cadeaux ou simplement la présentation de vœux et de souhaits ;

2) pour les excisions, interdiction est faite d’amener les filles excisées dans la foule des hommes ; on sait que, quinze jours après l’opération, les garçons circoncis sortent de réclusion et sont présentés à leurs pères et frères ; de même pour les filles excisées, qui sont présentées à leurs mères et sœurs ; mais il arrive que, pour gagner de l’argent, les femmes horso (esclaves des songhoï, elles ignorent donc la honte, et organisent cette fête), amènent les filles du côté des hommes ; pour n’importe quel motif que ce soit, est interdite la présence des femmes dans la foule des hommes ; les pratiques grossières des femmes horso sont elles aussi à proscrire (elles se livraient en effet, dans leur tradition, à des danses et mimiques indécentes, allant par exemple jusqu’à l’exhibition des parties intimes) ;

3) " le jour du baptême, ne préparer que du riz et rien d’autre, arrêter le " baptême des femmes ", fête au cours de laquelle les femmes se préparent toutes sortes de repas en prenant prétexte du baptême ; les aides que les femmes s’apportent et les cadeaux qu’elles se font restent autorisés, " mais il est souhaitable que les femmes se fassent des cadeaux et des aides qu’elles peuvent se rembourser sans problèmes […] sinon ils perdent toutes leurs portée et valeur " (souligné par nous).

4) lors des fiançailles, les obligations à ne pas dépasser sont les suivantes : 52 noix de cola, 15.000 FCFA à titre de nafa à proprement parler (nafa signifie intérêt, le versement de cette somme manifeste que désormais aucun autre garçon que son fiancé ne peut prétendre à la fille ; cette somme sera répartie par la mère entre ses amies à qui elle annonce les fiançailles), 50.000 FCFA à la charge de l’homme pour acheter les ustensiles indispensables au ménage, djiney haï;

5) pendant le carême, le fiancé doit envoyer comme par le passé 5 paquets de sucre aux beaux-parents, mais en leur donnant désormais comme consigne de ne pas faire adresser en retour, à titre de remerciement, les boules d’akassa (terme songhoï : pâte faite de farine de riz, d’arachide pétrie avec du sucre cuit et du tamarin, et épicée à volonté ; djimita en peul, didéguè en bamanan), elles seraient refusées et, en cas d’entêtement, une sanction serait prise ;

6) pendant la fête de ramadan, lors des salutations, les cadeaux et " gestes " restent autorisés, mais les beaux-parents ne doivent plus préparer des repas pour les envoyer dans la famille de leur gendre ;

7) à la première fête de ramadan après les fiançailles, le fiancé doit ne pas dépasser les cadeaux suivants : deux " complets " (ensemble de trois pagnes, dont un servira à coudre la camisole, le second sera porté comme pagne et le troisième comme " mouchoir de tête ") pour la fiancée, un habit pour la mère de la fiancée, 2 savons, 2 parfums, 2 pommades et 2 paires de chaussures ;

8) pour le mariage, seulement 12 habits sont autorisés dans le trousseau ; " le riz (1 sac) et les accessoires (5000 F et un demi mouton) restent à leur place " (c’est-à-dire restent prescrits); celui qui amène les habits reçoit 500 F, comme celui qui apporte le riz et les accessoires (un cadeau n’est d’ordinaire pas remis de la main à la main, mais apporté par un intermédiaire à qui il est de tradition de remettre une petite rétribution) ;

9) il est prohibé que la cérémonie au cours de laquelle on fixe la dot soit l’occasion de servir un repas ou de distribuer de l’argent, il est également prohibé d’y passer toute la journée, on doit procéder comme cela se faisait par le passé ;

10) la dot est de 10.000 FCFA pour la jeune fille, 5000 pour une femme qui a déjà été mariée ;

11) le mé day, mot-à-mot " acheter la bouche ", est fixé à 10.000 FCFA plus un pagne tissé ; dans la tradition des songhoï de Djenné, en effet, la jeune mariée refuse toute communication verbale avec son époux, ses amies et ses parents, tant que ceux-ci n’auront pas " acheté sa bouche " en lui faisant un cadeau ; le mouton cambadin fédji (mot-à-mot le " mouton offert pour la prise de bras ", euphémisme désignant la relation sexuelle) qui est égorgé après la nuit nuptiale (et qui exprime la joie de l’époux d’avoir trouvé sa femme vierge) reste, lui aussi, autorisé ;

12) à la mairie, le port du voile (à l’européenne) est totalement interdit, ainsi que l’argent que l’on donne pour cette circonstance (dépense de gâteau, sirop de gingembre jinjinber, soirée dansante) ; six personnes seulement sont autorisées, et après la mairie il n’y a pas d’autre regroupement, pas d’autre dépense ;

13) les nouvelles habitudes qui se sont installées, le gongho et le combocar, identiques au dâgâ des peuls, sont interdites ; seuls les travailleurs et travailleuses engagés pour les besoins du mariage, sont autorisés à faire le combo : on donnera un pagne aux hommes et un pagne aux femmes ; les autres pagnes que l’on donnait par le passé aux familles Djenépo et Mandé djéli (l’une est honorée pour son rôle dans l’établissement de la ville de Djenné, l’autre parce qu’elle peut raconter l’histoire des habitants depuis leur origine, dans le Mandé ; djéli signifie griot) restent aussi autorisés ;

14) les salutations soubo des sœurs et cousines doivent se faire désormais seulement le matin comme cela se faisait par le passé, et non le soir comme c’est la pratique actuellement ;

15) après le mariage, le plat que l’on prépare coucou tassou (mot-à-mot, le plat de salutations, le plat de félicitation : ce plat est offert par le marié à la mère de sa femme, le lendemain de la consommation du mariage, pour la remercier, la féliciter) doit être uniquement du riz, et non du vermicelle, plus coûteux, kata, comme la pratique s’en est installée ; pour le repas du soir, fakoundi, la pratique ancienne reste de mise, à savoir un repas avec le fako-oye (c’est un plat typique de Tombouctou, fait de riz avec une sauce au fakou, un arbuste du Sahel, Curcurus stridens) ;

16) toutes les dépenses inutiles sont à proscrire, notamment le regroupement des femmes avec préparation de repas et distribution d’argent lors de la cérémonie de partage des colas, ou le regroupement de femmes avec emménagement de certaines, pour les trois jours que dure la fête, chez celle qui marie sa fille ou son garçon, etc. ;

17) le jour où la mère de la mariée montre le trousseau qu’elle a réuni, et les aides et cadeaux qu’elle a reçus de ses parents et amis, il est souhaitable de mettre le tout ensemble et de les montrer globalement en disant " voilà ce que mes parents et amis et moi avons pu réunir pour la mariée " ; il faut retrouver un peu de discrétion, et éviter d’individualiser de qui provient chaque cadeau et chaque aide.

Si ces dispositions rappellent bien celles du groupe peul, un certain nombre de décisions prises par la grande famille de Houberme complètent les précédentes. Le même souci d’éviter les dépenses inutiles, notamment celles qui sont causées par des traditions crées par les femmes, le même souci d’éviter l’étalage ostentatoire de la richesse par les uns ou les autres apparaissent bien. Mais il s’y ajoute ici des précisions intéressantes : il faut revenir à la tradition sur des points précis (le riz et pas les vermicelles, tel montant et pas tel autre…) ; ou encore, il faut aller jusqu’à cette forme admirable de délicatesse qui évite l’identification des donateurs. Le sens de toute la révision des coutumes apparaît clairement ici ! Cependant, elle manifeste un tel souci de décharger les vieux de certaines de leurs obligations, qu’elle prend le risque de négliger un principe qui paraît essentiel au jeu de ces obligations, la réciprocité. Ainsi, pendant le carême, le fiancé de leur fille leur enverra du sucre, mais eux ne répondront plus en adressant les boules d’akassa ; et lors de la fête, le gendre viendra saluer et apportera éventuellement des cadeaux, mais les beaux-parents n’auront plus à préparer des repas pour les envoyer dans la famille de leur gendre.

On peut se demander aussi dans quelle mesure le souci de légiférer et le détail de la législation sont compatibles avec une concurrence sociale qui s’est bel et bien introduite dans la société djennenké, et qui porte sur la possession et sur l’usage des biens matériels plus que sur toute autre valeur : par exemple, peut-on fixer un montant déterminé pour la dot, compte tenu de la façon dont se décident aujourd’hui les mariages et de ce que sont les relations entre les fiancés ?

Les rédacteurs

 

 

 

Quel avenir pour l’architecture de Djenné ?

[Une étudiante de l’Université de Marseille, Marie-Laure Villesuzanne, a fait son stage d’ingénieur-maître auprès de DJENNE PATRIMOINE, et a séjourné environ deux mois à Djenné, pour répondre à cette question. Voici le compte-rendu de son travail qu’elle a préparé pour nos lecteurs.]

Djenné mérite d’être qualifiée de chef-d’œuvre architectural, elle est grandiose, splendide, somptueuse : ces mots font rêver et n’éveillent aucune inquiétude. Mais Djenné peut aussi être considérée comme un patrimoine en péril, ou en danger, car l’évolution de la ville est liée à des facteurs qui vont à l’encontre de la conservation de l’architecture traditionnelle djennenké. Aujourd’hui les maisons en djenné-ferey(1) disparaissent les unes après les autres, le ciment encadre les ouvertures sur les façades ou recouvre ses éléments décoratifs, les briques cuites tapissent les murs exposés à la pluie, les gouttières en PVC se font de plus en plus nombreuses, de même que les éléments en fer tels que claustras, volets ou portes métalliques…..

Vers un nouveau type de construction

Les djennenké font évoluer leurs constructions pour qu’elles soient le plus solides possible, réaction logique quand on ne sait pas de quoi demain sera fait. D’après mon questionnaire passé auprès de 200 chefs de famille, le premier critère de choix des matériaux de construction est celui de la solidité. Cet argument se retrouve dans plus de la moitié des réponses, quel que soit l’élément considéré. Par exemple, 50 % de la population souhaite des constructions en béton, et la justification donnée est en première ligne la solidité (98 % des réponses), puis la modernité (56 %). Les matériaux considérés comme les plus solides sont le béton, les briques cuites, le métal et le PVC.

Ces matériaux dit " solides " ne sont pas encore les plus fréquents dans la ville de Djenné, mais ils risquent d’augmenter rapidement car la population, en particulier les plus jeunes, y aspirent.

Tableau 1 : Pourcentage des répondants disposant de.. et souhaitant disposer des matériaux qualifiés de solides.

 

Disposent

Souhaitent disposer

Murs en ciment

0 %

50 %

Façades en briques cuites

14 %

51 %

Portes métalliques

13 %

40 %

Claustras métalliques

3 %

27 %

Gouttières en PVC

16 %

46 %

Ces opinions sont exprimées alors même que la solidité des matériaux modernes apparaît toute relative. En effet, l’école qui a été construite en béton n’a pas fait ses preuves. D’une part, les murs en moellons concentrent la chaleur beaucoup plus que les murs en banco(2) et, d’autre part, ils se fissurent : malfaçons difficiles à contrôler par le profane ou mauvaise adaptation au terrain argileux ? Le revêtement en ciment n’est pas beaucoup plus solide car il ne se lie pas bien avec le banco. L’eau s’infiltre entre le mur et le ciment, et ce dernier finit par se fissurer et par tomber. Au mieux, il peut durer 20 ans, mais en moyenne il ne résiste que 6 ans. Certains maçons soulignent le danger de cette méthode : le ciment cache ce qui se passe derrière, et bien des réparations pourraient être réalisées plus tôt si les dégradations étaient visibles comme lorsque le crépi est tout en banco. Ce matériau ne semble donc pas indispensable aux constructions et dans l’ensemble les maçons n’approuvent pas son utilisation.

De même, les façades revêtues de briques cuites évitent d’avoir à recrépir les façades tous les ans, mais ne sont pas plus solides que le ciment et restent excessivement chères. Tout semble indiquer que le rapport qualité/prix de ce procédé n’est pas très bon.

La demande de portes en tôle (ondulée ou non) est en augmentation ces dernières années, bien qu’on puisse leur reprocher de faire augmenter davantage que les portes en bois la température qui règne à l’intérieur des maisons. Selon les menuisiers, les portes en bois sont aussi solides que les portes en fer, voire encore plus solides selon certains.

Bien que les gouttières en terre cuite aient une durée de vie très longue –celles de la mosquée édifiée en 1906 par exemple n’ont jamais été changées– la population pense que le P.V.C. est plus solide. Il n’est pas vraiment possible de dire ce qu’il en est, parce que les gouttières en plastique ne sont utilisées à Djenné que depuis la dernière génération. On peut quand même noter que les gouttières en terre cuite des toilettes sont plus rapidement dégradées.

Le second critère de choix évoqué par les répondants, juste après la solidité, est celui de l’esthétique et il se trouve que les éléments considérés comme esthétiques sont quasiment toujours les plus traditionnels : gouttières en terre cuite, claustras en bois ou en terre cuite, portes en bois ; mais les murs recouverts de briques cuites et ornés d’éléments en ciment sont aussi perçus comme esthétiques, parce qu’ils permettent d’éviter d’avoir une façade délabrée au cours de l’année ; le banco marron est cité comme esthétique dans 84 % des réponses.

Des idées pour la sauvegarde de l’architecture

La clé de la sauvegarde de l’architecture de Djenné se trouve, à mon avis, dans une véritable sensibilisation de la population à la qualité du patrimoine de la ville. On devrait souhaiter que la population de Djenné soit fière de ce patrimoine et s’investisse dans sa promotion. Or, aujourd’hui, 56 % des répondants ne savent pas que la ville de Djenné est classée sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO ; et parmi les 44 % qui sont au courant, 86 % ne peuvent pas dire si c’est positif ou négatif, car ils ne connaissent pas la signification du classement.

Bien sûr, parler de revalorisation de sa culture à une population confrontée à un quotidien très difficile peut sembler impossible et même indécent, d’autant plus que l’Etat lui-même a donné le mauvais exemple, en construisant une école en béton à la place de la mosquée de Chékou Amadou !

Mais la richesse de l’héritage architectural associée à la richesse de l’histoire de Djenné peuvent faire surgir des valeurs non monétaires qui sont essentielles à l’identité, à l’estime de soi, à la confiance en soi et à la fierté de sa culture. Ces valeurs sont l’énergie d’un moteur qui permet de relever tous les défis. Il s’agit d’un travail de longue haleine, mais qui ne peut que porter ses fruits, car les djennenké eux-mêmes savent montrer, à l’occasion, dans bien des domaines, que " l’homme ne se nourrit pas seulement de pain ", et qu’on peut faire beaucoup sans l’Etat.

- sensibiliser la population

Une sensibilisation de ce genre doit passer par des réunions s’adressant à toutes les tranches d’âges, comme il y en a déjà eu à Djenné. Elles pourront finir par un débat illustré par des photos qui ouvrent sur la comparaison de la beauté de Djenné avec le reste du monde. Des émissions à la télévision ou à la radio peuvent être une solution complémentaire. Ces activités pourraient par la suite être complétées par l’utilisation du kit éducatif fourni par l’UNESCO. Le Mali est un des 120 pays à faire l’expérience de ce kit, et le coordinateur national du test actuellement mené dans les écoles de Bamako et de Ségou est Monsieur Adama Moussa Traore. Ce kit permet de faire entrer dans les programmes éducatifs la protection de l’environnement, l’interculturalité, la promotion des droits de l’homme et la coopération internationale. Le but est d’arriver à insérer la notion d’environnement au sens le plus large du terme dans le programme scolaire dès les plus petites classes.

- préparer des mesures réglementaires

Pour faciliter la prise de conscience nécessaire et pour limiter la dégradation de la qualité de l’architecture de Djenné en attendant que la protection vienne spontanément de chaque djennenké, des mesures réglementaires peuvent –et doivent– être prises et cela essentiellement à travers le schéma d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) actuellement en cours de révision par le Ministère de l’urbanisme et la Mairie de Djenné. A cet égard nous avançons deux propositions, fondées l’une et l’autre sur une division de la ville en 3 zones allant de la plus grande conservation (zone 1) à la plus limitée (zone 3).

"PROPOSITION 1"

"PROPOSITION 2"

 

La première proposition (voir figure) fait dépendre l’intensité de la conservation de l’ancienneté des quartiers et de leur qualité architecturale. Ainsi la zone 1 recouvre le quartier central (autour de la mosquée) et la partie est de l’ancien tissu urbain ; la zone 2 comprend le reste du tissu ancien et la zone 3 englobe le nouveau tissu urbain.

La seconde proposition (voir figure) est définie à partir d’un trajet touristique qui permet lors de son parcours d’être toujours dans " le plus beau de la ville " et de faire le tour de tous les monuments et de tous les types de quartier. Ce type de zonage limite la formation de " ghetto de conservation " et de " ghetto de modernisation ". Dans ce cas, la zone 1 est constituée par toutes les façades se trouvant sur le chemin défini par le trajet touristique retenu ; la zone 2 est le tissu avoisinant la première zone, et la dernière zone est le reste.

Dans la zone 1 (de chaque proposition), où l’on recherche la plus haute conservation, sont interdites les constructions en béton, les éléments en ciment, les murs en briques cuites, les portes et les volets en métal, les claustras en ciment ou en fer, les portes et les volets peints avec les peintures du commerce, les gouttières en plastique, les paraboles apparentes. Dans cette zone il est également interdit d’agrandir les ouvertures donnant sur la rue, ou d’en créer de nouvelles . C’est dans cette zone qu’il faut conserver quelques exemples de l’organisation intérieure des maisons, pour conserver une trace de ce patrimoine. Dans la zone 2, les règles sont plus souples : ne sont interdits que les constructions en béton, les éléments en ciment, les murs en briques cuites, les claustras en ciment ou en fer, les couleurs industrielles criardes des peintures des volets et des portes, et les gouttières en plastique. Dans la zone 3, il n’y a ni interdiction ni restriction générales, mais cela ne signifie pas que tout est possible : le maire peut, grâce au permis de construire, interdire toute construction en cas " d’atteinte à l’esthétique " (conformément au décret n°90-033/P-RM portant règlement de la délivrance du permis de construire).

Par ailleurs, il est urgent de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour retrouver la technique de fabrication des djenné-ferey. La perte de cette technique est doublement malheureuse, car, d’une part, la ville tient une partie de sa réputation de ces briques, et d’autre part, les constructions traditionnelles sont plus solides que les modernes. D’après mon questionnaire, pour des raisons de solidité, plus de 23 % des répondants souhaiteraient réaliser leurs constructions en djenné-ferey et 50 % voudraient employer le béton. Comme le béton est interdit à Djenné, il est probable que ces derniers se rabattraient sur les constructions en djenné-ferey si elles redevenaient possibles. Si la méthode de construction était retrouvée, elle intéresserait donc une majorité des djennenké. Aujourd’hui seulement 2 maçons ont construit de leurs propres mains des parties de maison en briques traditionnelles : il est donc impossible de définir même de façon approximative le coût de revient d’une construction de ce type et sa durée, mais des maçons sont prêts à essayer si on leur en donne les moyens.

- assainir la ville

Le problème de l’assainissement, est loin d’être résolu. Réhabiliter les maisons sans assainir le sol sur lequel elles sont construites est une illusion. Il faut espérer que les autorités de Bamako et la Banque Mondiale à travers leur programme PDUD (Projet de Développement Urbain et Décentralisation) prendront ce sujet au sérieux car leur contribution est indispensable, étant donné la complexité du problème et le coût de toutes les solutions envisageables.

- financer la protection du patrimoine architectural

Pour conclure, je soulignerai l’incontournable besoin de financement que représente la protection du patrimoine architectural de Djenné. Jusqu’à présent, l’Etat n’a mis à la disposition de la Mission culturelle qu’un maigre budget, mais il faut savoir que des ressources peuvent être trouvées auprès d’ONG ou auprès de l’UNESCO même. La convention du patrimoine mondial peut permettre d’obtenir de l’équipement, des prêts à faible intérêt ou qui pourraient être remboursés à long terme, ou même, dans des cas exceptionnels et spécialement motivés, des subventions non remboursables. Des " programmes de participation " peuvent être subventionnés à hauteur de 25 000 $ (environ 16 300 000 CFA). Chaque Etat a droit à 15 requêtes par an : c’est une opportunité non négligeable pour Djenné ! Mais elle nécessite des projets fondés sur la participation de la population.

Cela dit, la décentralisation a amené des changements profonds dans la logique de la gestion de la commune. Aujourd’hui, les politiques de développement doivent d’abord et avant tout être conçues à la base, par la population et les élus locaux. Cette nouvelle politique, je l’espère, va faciliter la protection du patrimoine de Djenné.

Marie-Laure Villesuzanne

Réunion du comité de pilotage du projet hollandais de réhabilitation de maisons typiques de Djenné

Cette réunion s’est tenue à Djenné le 6 février dans les locaux de la Mission Culturelle. Le comité de pilotage est ainsi composé : le chef de la Mission culturelle, les techniciens de cette Mission, les représentants du bailleur (en particulier du Musée d’ethnologie de Leyde), le chef de village de Djenné, l’Imam, le Préfet, un représentant de DJENNE PATRIMOINE, le chef des maçons. La réunion s’est tenue en présence d’une journaliste hollandaise et de quelques propriétaires. Il s’agissait de faire le point de l’évolution des travaux, et plus précisément d’identifier les causes du retard qu’accuse ce projet, alors qu’il doit prendre fin cette année. Les causes évoquées sont notamment le retard dans l’arrivée des financements hollandais, et l’absence d’implication des propriétaires des maisons dans la gestion des fonds (seuls le Chef de la mission et le chef des maçons connaissent le montant et l’utilisation des fonds).

Les propriétaires ont demandé au Comité de pilotage, et obtenu de ce dernier, qu’on les informe du montant du financement alloué à la restauration de leurs maisons, et que le financement concernant chaque maison soit remis au maçon en présence du propriétaire. D’autre part, pour les derniers mois du projet, la partie hollandaise s’engage à mettre le financement à disposition avant l’annonce de l’hivernage, période pendant laquelle la construction est impossible. Pendant la dernière phase du projet, il est prévu de réhabiliter 23 maisons ; toutes les parties ont promis de s’impliquer pour une réussite totale de ce programme.

Amadou Tahirou Bah

NOUVELLES DE DJENNE PATRIMOINE

Nouveau site Internet

Boubou Cisse, originaire de Djenné, qui prépare une thèse de doctorat en sciences économiques à Marseille, et qui est l’auteur du premier site Internet de DJENNE PATRIMOINE, en a élaboré ces derniers mois, avec l’aide d’Hamadoun Maïga, une seconde version, plus complète et mieux illustrée, qui est désormais accessible à l’adresse suivante :

www.djenne-patrimoine.asso.fr

Assemblée générale de DJENNE PATRIMOINE

Une assemblée générale ordinaire de DJENNE PATRIMOINE s’est tenue le 5 février 2002 dans la salle de conférence de la Maison du Peuple, à Djenné. Dans son rapport moral, le Président de DJENNE PATRIMOINE, Moussa Ousmane dit Papa Cissé, après avoir remercié l’assistance et présenté à tous ses meilleurs vœux de bonne et heureuse année 2002, a d’abord fait le point des adhésions à l’association : 52 membres actifs et une quarantaine de membres bienfaiteurs. Il a ensuite présenté, en les commentant, les activités de l’association :

- organisation de conférences (par exemple en 1996, Roderick MacIntosh à propos des carottages qu’il était en train de réaliser à Djenné même) ou de projections de films (par exemple " African King " sur le pillage des biens culturels) ;

- réception et discussion avec des missions (par exemple la mission de la Fondation Getty) ;

- appui à la Mission culturelle (par exemple pour le lancement de l’opération de réhabilitation de maisons typiques de Djenné, pour l’inventaire des biens culturels détenus par les familles…) ;

- organisation de plusieurs concours destinés à mettre en valeur les traditions en matière de coiffure et de vêtement ;

- missions à Kolenze à la recherche de solutions pour la conservations des sahos ;

- publication d’un bulletin (deux numéros par an), largement diffusé à Djenné, mais aussi dans les administrations maliennes et étrangères ou internationales, ainsi qu’auprès des membres bienfaiteurs ;

- activités d’appui à l’assainissement, nettoyage du port de Kamansébéra, appui à Denthal pour la plantation de rangées d’arbres à l’entrée de Djenné, plantation d’arbres dans la cour du nouvel hôpital ;

- appui au crépissage de la mosquée ;

- participation à la lutte contre le projet de barrage de Talo ;

- participation au colloque des archéologues africains réunis à Djenné, et participation au Toguna organisé par le Ministère de la Culture sur le thème " patrimoine et créativité " ;

- organisation d’un séjour culturel pour les membres bienfaiteurs résidant hors d’Afrique " Fêter à Djenné l’aube du 3ème millénaire " : une semaine à Djenné avec des visites à Sénossa, Kéké, Rounde Sirou et Kolenze ; certaines des manifestations de ce séjour ont été filmées par la télévision malienne et diffusées dans l’émission " Racines " en janvier 2001 ; il est depuis lors question de produire une cassette vidéo à partir de ces images ;

- accueil de stagiaires envoyés par des universités françaises et travaillant sur des questions intéressant Djenné : l’impact prévisible du barrage de Talo, le tourisme à Djenné, le rôle de la mairie dans la protection du patrimoine architectural de Djenné ;

- mise à disposition de tous les djennenkés capables de s’en servir d’un ordinateur donné à l’association par Jean-Louis Bourgeois ;

- participation aux émissions radio soutenues par la Mission Culturelle auprès de Radio Jamana ;

etc., etc.

Le Président a signalé qu’un document plus complet sur les activités de DJENNE PATRIMOINE est à la disposition des adhérents : il leur suffit de le demander. Il a aussi signalé que l’association dispose désormais d’un siège, un local d’une pièce, situé à gauche de l’entrée du campement de Djenné, donc très accessible, et disposant de l’électricité.

Les questions posées par l’assistance ont porté notamment sur la cassette vidéo, qu’on attend depuis deux ans maintenant, et sur les conditions de l’annulation du nouveau séjour touristique initialement prévu pour fin décembre 2001. Plusieurs membres sont intervenus pour dire qu’ils étaient agréablement surpris d’apprendre que toutes ces activités avaient été menées à bien. Après avoir répondu, le Président a donné la parole à Amadou Tahirou Bah, trésorier de DJENNE PATRIMOINE, pour son rapport financier.

Monsieur Bah a d’abord indiqué que l’association dispose d’un compte en banque à la BNDA à Mopti et d’un compte à l’association locale d’épargne et de crédit Kondo Jigima. Il a expliqué comment l’accroissement des frais d’encaissement des chèques étrangers par les banques maliennes (pour des chèques de 25.000 FCFA, les frais dépassent désormais 9.000 FCFA !) a conduit à l’ouverture d’un compte bancaire en France, au nom de l’Association Internationale DJENNE PATRIMOINE, compte sur lequel sont regroupées les cotisations individuelles payées par les membres bienfaiteurs, avant d’être virées en bloc sur le compte de Mopti, ce qui diminue les frais d’encaissement. Il a ensuite montré les états de recettes, qui se montent à 4.562.418 FCFA depuis la création de l’association, il y a 5 ans, et les états de dépenses, qui atteignent 3.865.605 FCFA : le solde est disponible. Il a commenté les principaux postes de dépense : impression et diffusion du bulletin, dépenses engagées pour les manifestations soutenues par l’association ou organisées par elle (par exemple : fabrication de cadres pour les expositions de photos, prix dont sont dotés les concours, etc.…), frais de fonctionnement de l’association (frais de déplacement, frais postaux, téléphone et fax…). Tous les détails sont à la disposition des adhérents à Djenné, et un tableau synthétique sera publié dans un prochain numéro du bulletin.

Les questions ont porté notamment sur le financement de la production d’une cassette à partir des images déjà diffusées par la télévision malienne (et dont DJENNE PATRIMOINE était producteur), sur la possibilité d’obtenir, pour certaines activités, des subventions du programme soutenu par l’Union Européenne et dirigé par Salia Mallé.

Les membres présents ont alors félicité le bureau pour le travail accompli, et, en le renouvelant en bloc dans ses fonctions, lui ont demandé de redoubler d’efforts. Ils ont spécialement insisté sur la nécessité de tenir des réunions régulières. Ils lui ont enfin demandé de développer principalement les activités suivantes :

1) la production de la cassette, qui pourrait être vendue aux touristes et procurer des recettes à l’association ;

2) l’organisation d’un nouveau séjour touristique pour les membres bienfaiteurs résidant hors du Mali, si possible dès la fin de l’année 2002 ;

3) l’organisation d’émissions en langues nationales (songhaï, bambara, fulfuldé) pour présenter le contenu du bulletin de l’association aux habitants de Djenné et des environs qui ne lisent pas le français ;

4) l’organisation des interventions qui pourraient être utiles pour débloquer le dossier du musée de Djenné (la première pierre a été posée il y a trois ans par Madame Adame Konare Ba, et rien ne s’est passé depuis lors !)

5) ensuite l’organisation d’une aide aux artisans, à qui il faut faire comprendre qu’ils doivent se mettre à fabriquer avec le plus grand soin des produits de qualité, susceptibles d’être exportés, et à qui il faudrait offrir l’accès à une clientèle extérieure capable de payer un prix rémunérateur pour les produits de l’artisanat d’art de Djenné.

Le secrétaire administratif, Hamma Cisse

 

DOCUMENT 1

[DJENNE PATRIMOINE a la chance exceptionnelle de pouvoir publier dans son intégralité un poème d’Albakaye Ousmane Konta, écrit à la demande du Courrier de l’UNESCO, qui en a publié des extraits dans son numéro d’avril 2000. DJENNE PATRIMOINE remercie chaleureusement le poète de son geste d’encouragement. Les notes, destinées à aider le lecteur étranger,sont de la rédaction ]

DES PILIERS PLEIN LES MAINS D’ARGILE

Un léger vent d’Est faisait rouler les dernières feuilles de karité(3), couleur latérite, sur le sol encore affermi par les toutes récentes pluies. On était jour de fête : c’était la fin du mois de ramadan. Tout était radieux : et le soleil, et les habits aux couleurs tantôt crues, tantôt pâles, tantôt éclatantes des gens de Djenné, venus sur la grande place de la mosquée(4), célébrer la prière de neuf heures de ce jour sacré.

Fin du rituel ! Les hommes restèrent toujours assis, écoutant le serment(5) de l’imam, transmis par le plus grand des griots(6), un homme svelte à l’aspect vif et à la langue agile, promenant sa voix métallique sur l’assemblée, semblant sonder l’expression et l’état d’âme de chacun.

Il tenait le pouls de la foule dans ses mains et dans son regard.

A la fin du serment, son œil d’épervier aperçut le bâton du vieillard, que celui-ci levait. Le patriarche s’en était servi pour donner trois coups secs sur le sol ; et chacun les avait entendus car tout était muet et silence. Et le griot s’apprêta à transmettre les paroles du vieux.

Le griot écouta les mots, les phrases, et les sons, qu’il retint un moment dans ses oreilles, dans sa poitrine et dans sa tête ; puis sa langue les massa, les lessiva, les tira, les fila, les rinça et les livra ainsi à l’assemblée, propres de toute douleur et tout poison ; car la parole peut être douleur qui assassine et poignard qui écorche pour la vie.

L’aîné de tout ce monde, interjeta le maître de la parole, dit :

Que le vent du Nord grossit à chaque aube
Et chaque jour il murmure
Et vide tout de toute eau
Les eaux des deux fleuves
Chaque jour fuient vers l’Est !

Il a dit que :
Les sarcelles et les pélicans,
Les poules d’eau et les cormorans,
Les aigrettes et les oies sauvages
Tournent à présent leur vol vers le Nord.
Ils survolent les plaines
Et accompagnent les rayons ocres du soleil

Il a dit :
Qu’on a assemblé
Aux bords des greniers les gerbes de mil
Et entassé dans les réserves
Les bouquets d’épis de riz
Des bras attendent pour les retourner
Et les rentrer sous les abris

Il a dit :
Qu’on fermenta les amandes de karité
Qu’on mit en sac
Graines de courge
Et feuilles d’oseille

Il a dit :
Que les murs ont fini de larmoyer
Et qu’il est temps de fermer
Les plaies par l’hivernage laissées

On comprit :
On se tourna vers l’Ouest
Vers le sanctuaire de Tapama(7), emmurée
Celle qui fendit le mur
Par ses larmes(8)
On fera appel aux grands pêcheurs
Aux Karamyara(9)
Aux Famenta
Aux Kasaminta
Maîtres des vagues de la nuit.

Puis
Aux Tomota
Aux Nienta
Aux Dienta
Maîtres des hippopotames et des caïmans

Puis
Aux Niomenta
Aux Sininta
Aux Tienda(10)
Maîtres des lamantins et des crocodiles

Puis
Aux Kalapo
Aux Niantao
Aux Kampo
Maîtres de tous les poissons et des tétrodons(11)

On se retourna vers la plaine du Pondo et
vers le village de Sirimou
Vers les marabouts
Vers les Cisse-Barry(12)
Vers les markas(13) dialan
Vers les Diaby(14)
Et les Terra(15)

On alla à la porte Sud, et tout droit à l’opposé vers celle de Sory, puis à l’Est à la " mare du lait frais(16) "
Là étaient les maçons-bâtisseurs
Les hommes qui tracent sur le sable
Avec des mains de bois
Les formules magiques
A ceux qui deviennent lézard
Et collent aux murs
Ou colombe au creux
Des colonnes d’argile
Lorsque s’écroulent les échafaudages,
Quand titubent les échelles

Alors on dit :
" Un avec deux
Le tout dans trois
Le tout fait six
Six c’est aussi
Deux une seule fois
Deux trois fois
Le tout c’est six
Six c’est la mère de tout chiffre
Car c’est un et quinze "
C’est aussi Hawa notre mère

On alla parler
A ceux qui giflent le mur
Avec les tartines d’argile


On alla enfin à la rencontre des deux fleuves :
Le petit fleuve, le Bani(17)
Mignon comme une petite sœur
Le grand fleuve, le Djoliba(18)
Comme un puissant taureau
On alla trouver tous les Soninkés, tous les Sonraïs, tous les peuples autres.
Pour crépir le sanctuaire
Des gens bossus par l’âge
Qui dorment dans le sein de la terre

Les chefs prêtèrent leur bâton
Pour ordonner dans tous les tons
Quel que soit l’âge et le clan
Que soit et reste Djenné

Les marabouts et les dévots
Une semaine avant et à toute prière
Avaient protégé les travaux.
Ni malheur ni douleur si minime avaient-ils dit !

Puis on parla aux grands pêcheurs
Qui calmèrent les eaux
On parla aux audacieux chasseurs
Qui firent paix aux gibiers
Et même aux hyènes
Aux chacals et aux lions
Les féticheurs tous ensemble
Chassèrent des cimes vieillies
Des grands arbres
Tous les mauvais djinns
Et le malin des cinq portes
Le matin, aux cinq portes de la ville(19), venaient de tous les points de l’horizon, des villages de culture et des hameaux de pêche, des campements de bergers

De Soufroulaye, de Hamdallaye
De Gani Gani de Karamani
Et même de Gati et de Sofara

Pêcheurs et chasseurs
Paysans et artisans
Sur les ânes sur les chevaux
Et à pied et pieds nus
Venaient joyeux
La poitrine gonflée d’extase
Et de liberté
Avec leurs paniers
Avec leurs seaux
Avec leurs cuvettes

Et leurs sacs de provisions gonflés
Sur les épaules

Galettes de riz
Tout chaud
Mouillé dans le miel
Et le beurre de karité

Pâte de mil
De la veille en gratin
Avec sauce rouge
Et silure fumé
Il faut dans le ventre en ce jour
Quelque met solide comme béton

L’argile était déjà
Malaxée de paille poudreuse de riz
Pétrie de bale et de son de mil
Les pieds nus la piétinaient
Les mains nues la massaient

On en remplit
Tout récipient
Avec les pelles
Et les grands daba(20)
Et par centaines, femmes et hommes
Formaient foule qui coulait
Vers les murs géants
De la mosquée de Djenné la grande

Ils prirent les piliers d’assaut
Comme pour monter au ciel
Ils portaient seaux et paniers
Comme remplis de miel et de lait
Ils mirent les pieds de part et d’autre
Des bouts de rônier plantés dans le mur
La tête entre les jambes de l’autre

Des mains généreuses
Saisissaient les tartines d’argile
Assis sur les échafauds
Comme des cavaliers du ciel

Ils prenaient dans leur main
De volonté mouillée des boules de terre
Qu’ils accompagnaient
Avec amour et douceu
r

Tiens ! A celui-là !
Celui-ci, à l’autre !
L’autre à l’autre, jusqu’au maçon !

Mais souvent en cette journée
D’euphorie on n’a de temps
Ni pour manger ni pour boire
On se contente sans casser le temps
De sachets de lait
De boulettes de viande
Ou de bouillie de riz

Tout est argile
Tout est boue
On en prend
Un bon bain
De la tête aux mains

Pieds nus et torse nu aux vents
On descendit dans le lit
De la mare au lait
Là où les deux fleuves s’embrassent
Et là où le limon se tasse
On descendit dans le lit du fleuve

Remonter des boulets d’argile
Sur la berge
Et on mit pour chemin
Une large digue vers le sanctuaire

On pétrit la terre poudreuse
Avec pieds nus
Jambes rugueuses
Corps nus

On y mit une coulée brune
De bale de riz
Qui se mit à pourrir
On y mit de la paille de riz


Qui ramollit et fondit.
Quelques gourdes d’huile de karité
Rendront cette terre, une pâte fiévreuse
Une pâte comme une pensée
Qui sommeille.

On y ajouta
Des bouffées de farine
De pain de singe(21)
Et des poignées
De gomme arabique
(22)
Oui cette argile sera fidélité
Et d’une saison à l’autre félicité

On lui souffla un cœur et une âme
Qui couvriront
Les formes douces et rondes
Cette terre, elle ne sera
Ni brune ni jaune ni ocre

Elle sera presque indigo
Presque aveugle, presque ivre
Dans les paniers de fibres de rônier
Panier d’un jour, pour un jour
Et sans nom.
Cette terre à crépir
Sera douce comme les seins
De la vierge Tapama

Douce comme la sueur
Qui perla de son front
Comme la larme
Qui roula sur la rondeur de sa joue

On offrira les tartines de cet argile
Aux génies des eaux
Pour parer Djenné l’honorable
Vieille ville qui veille sur la plaine
Du Pondori face à Macina
Djenné avec ses cinq portes
Et sa mare au lait frais.

La maîtrise des travaux fut confiée
A un membre de la famille des Karamyanta
(23)
Il était trapu
Avec des jambes bien arquées
Et des yeux vifs et mobiles

Comme les éclairs de fin d’hivernage

On lui ceint
La taille avec douze coudées
De bande de coton écru
En deux tours un quart

De ses douces mains
Il caressait le minaret
Avec les tartines d’argile lancées
D’un trou quelque part en bas
Son corps allait et venait, majestueux
Comme les oreilles du vent
Comme les ailes du pélican du Mandé
Soutenu par les pleurs de tam-tam

Kara ne tomberait pas dit-on
Même si l’échelle se brisait
Et Karanyara partirait d’un côté
Kara sera lézard
Ou Salamandre collé au mur
Ou il fondra dans l’air étriqué du soir
Les vieilles femmes
Du clan tirant
Sur leur pipe d’argile cuite

Mâchant des formules magiques
Veilleront sur Kara
Les yeux rivés
Sur tout mouvement
De son corps

On lui offrit
Ainsi qu’à tous ses compagnons
De la Société la grande
De silence cousue(24)
De fraîches noix de cola
Rouges et blanches
Dans les petits éventails
Tissés de Hombori,
Dans les paniers de roseaux du tabac de Dori

Car les plus grands
Des maîtres maçons viennent de Dori


Alors il leur faut
De l’encens du pays de Touat
Des parfums d’Orient
Et des formules magiques de Dandi
Pays des ancêtres

Vous voici magiciens fils de magiciens
Six est bien la mère
De toute chose.
Il est un,
Il est deux
Il est trois
Il est lui-même
Il est autre chose
Il est tout.


      Le maître colla sa dernière tartine
      D’argile mauve et fiévreuse
      Dans le reposoir de l’œuf
d’autruche(25)
      Tout à fait au sommet
      Où se reposent tourterelles et colombes
      Lorsque les rayons dorés du soleil
      Illuminaient son visage radieux,
      Le dernier coup de tam-tam
      Descendit sur la foule
      Enveloppé d’un silence
      Majestueux et attendu


On leva les bras
Vers le ciel pour prier
Et souhaiter que cette ville
De Djenné demeure
Avec sa mosquée aux formes rondes d’argile
Qui transperce maint hivernage
Depuis tant de temps

On cessa de crépir
La tour-mirhab(26)
Peu avant l’heure
Où retournent au nid les hirondelles

Elles volent
Vers les arcades et les colonnes
Baignées de crépuscule
Et qu’éclaire une lueur poudreuse

On dérangea ce jour
Les hirondelles paniquées
Et les chauves-souris affolées

Les yeux s’élèvent
Tout de même pour interroger
Colonnes et minarets
Etes-vous donc bien crépis ? leur demande-t-on
Avec la plus bonne des terres ?
On se dit au fin fond du cœur :
Et voilà une fois encore
Une idée plus grande
Que la tête et le corps
Une idée qui demeure et qui monte dans les nuages.

Le soleil était au zénith. L’ombre était comme un point.
Les corbeaux poussaient dans le ciel immense et immobile leur cri de soif et de détresse des midis arides.

Un silence pesant descendait en cascade sur la ville enchantée comme des flocons de coton. Et alors les tam-tams se turent

Le soleil était au zénith ; il avalait l’ombre de toute chose et la réduisait en un point.

Les corbeaux solitaires partaient des cimes blanchies des arbres vers les marécages. Un silence pesant descendait, en saccades, et cascades, et sanglots sur la ville. Les tam-tams, les tambourins(27), les balafons, les flûtes se turent.

Seule la voix du crieur public s’épandait par-dessus toits et minarets pour annoncer le moment du repas ; le repas est sacré et il est pour tout le monde.

De toutes les maisons, par toutes les rues, par toutes les grandes places sortaient des plats de riz, de beignets, de viande, de volaille(28), de poisson. Les hommes mangeaient en cercle et par groupe d’âge, en se donnant de petites tapes sur le dos, en s’enduisant de lait et d’argile.

Puis On fait les comptes
On va par les rues
Et par les maisons
Chercher ses camarades d’âge
Qui n’ont pas été vus sur le champ de travail
On les cherche
On les attrape
On leur saisit
Et mains,
Et pieds
Et turban
On les transporte
Jusqu’à la grande place(29) des bancos
Et on leur fait prendre

De force un bon bain
De banco arrosé de lait d’argile

Cela porte bonheur et fait tomber les barrières entre hommes ; cela fait oublier les peines et les rancunes. On se fait des vœux. On souhaite qu’on se rencontre l’année prochaine sur les mêmes lieux, qu’on mange ensemble, ensemble qu’on boive le lait frais, le lait fermenté, la crème de mil. Qu’on mange les sarcelles grillées venues des pays des vents froids, qu’on grille grillons et œufs de poissons, qu’on goutte aux tubercules neufs de l’hivernage passé.

Les derniers moments de cette journée sont émouvants. Déjà aux heures chaudes de la journée, la future belle famille des jeunes gens candidats au mariage leur ont envoyé force boissons fraîches pour étancher leur soif. Mais maintenant qu’il se fait tard, ils reçoivent qui quelques noix de cola, qui un éventail de Hombori rempli de tabac, de cigarettes parfumées(30) : de leur fiancée, en plus d’un regard, d’un sourire, d’un battement de cœur. 

Albakaye Ousmane Kounta, le 3 février 2000

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DOCUMENT 2

 

[Texte intégral des deux articles publiés par Jean Dethier et Jean-Luc Monterosso dans le catalogue édité en janvier 2002 par la " Maison Européenne de la Photographie " à Paris (58 pages, 3O illustrations, prix de vente : 10 Euros),sous le titre : LES MOSQUEES EN TERRE DU MALI, par Sebastian SCHUTYSER. Ces deux textes sont reproduits en exclusivité au Mali avec l'aimable autorisation de Jean Dethier, Jean-Luc Monterosso et Sebastian Schutyser et de la "Maison Européenne de la Photographie", un des musées de la Ville de Paris, que DJENNE PATRIMOINE remercie tous chaleureusement. L'exposition des photos du Mali de Sebastian Schutyser à la Maison Européenne de la Photographie (82 rue François Miron, Paris 75004, téléphone 33 1 44 78 75 00 ) aura lieu du 22 janvier au 10 mars 2002].

 

LES MOSQUEES EN TERRE DU MALI
SELON SEBASTIAN SCHUTYSER :
une dimension culturelle nouvelle pour les missions d'inventaire
photographique et typologique sur l'architecture

 par Jean DETHIER architecte-conseil au Centre Pompidou, Paris
(31)

La trentaine de photographies de Sebastian Schutyser présentées dans cet ouvrage –et dans l'exposition qui l'accompagne–- ne constitue qu'un modeste fragment du vaste corpus qu'il a pris l'initiative de réaliser sur les mosquées rurales en terre du Mali en y séjournant à maintes reprises depuis les années 1990. La démarche de ce jeune photographe belge –un Flamand né à Bruges en 1968– s'inscrit dans le contexte plus global de sa volonté d'instaurer une relation très personnelle et délibérément intimiste entre lui et l'Afrique. Son enfance a été profondément marquée par un séjour de sept ans en Afrique centrale et par un retour en Europe qui semble alors le priver de certaines de ses racines affectives. Aussi cherchera-t-il à plusieurs reprises, dès son adolescence, de trouver de bonnes raisons de revenir en Afrique noire.

C'est peut-être la perspective imaginaire d'une vie professionnelle vouée à la diplomatie ou à la coopération dans ces pays qui l'amène, à 18 ans, à entamer un cycle de cinq années d'études en sciences politiques à l'Université de Gand. Au terme de cet apprentissage, la nature bureau-cratique du premier emploi qui lui est alors proposé lui révèle d'emblée que telle n'est pas sa vocation. Une forte intuition culturelle le guide alors vers l'Ecole des Beaux Arts de la même ville où durant quatre ans il va s'initier avec une passion croissante à la photographie. Pour son diplôme de fin d'études il décide de réaliser une série de portraits d'Africains. Ayant amorcé cette démarche avec des Africains vivant en Belgique, il perçoit l'artifice et les limites de cette approche " délocalisée " ; il ressent alors le besoin impérieux de les photographier désormais chez eux, in situ, dans leur propre environnement natal.

Séduit par la force d'attraction de la culture du Mali –notamment par les écrits de Amadou Hampaté Ba et les musiques d'Ali Farka Touré– c'est ce pays qu'il choisit pour y développer son premier travail photographique. C'est en réalisant en couleurs les portraits d'hommes et de femmes dans divers villages le long du fleuve Niger qu'il prend conscience –d'abord intuitivement et bientôt plus rationnellement– de la puissance exceptionnelle de certaines architectures communautaires– essentiellement de petites mosquées– qui ponctuent chacun des hameaux ou bourgs où il passe. Ces bâtiments emblématiques de la culture régionale –inconnus des touristes, méconnus de la majorité des africanistes et souvent méprisés par les élites urbaines du fait de leur modeste ruralité– vont exercer sur lui une fascination croissante: au point qu'il décide alors de revenir spécialement au Mali pour mieux tenter de capter " le génie du lieu " propre à ces architectures religieuses du delta intérieur du Niger. Ces mosquées vont ainsi progressivement devenir durant plusieurs années un des pivots de la vie professionnelle de Sebastian, l'objet de toutes ses attentions et le thème fédérateur de son premier grand travail photographique en noir et blanc.

Ayant choisi de focaliser son intérêt sur plusieurs centaines de villages situés le long de la grande voie fluviale qui traverse le Mali –entre Tombouctou, Niafunké, Mopti, Djenné et San– il décide de se doter d'un moyen de transport individuel qui lui assure à la fois une indépendance complète de circulation et un mode optimal de proximité sociale avec les habitants de la région : de village en village, il improvise son périple en pirogue et en vélo. Ce parcours est facilité par l'aisance naturelle qu'il a pour instaurer d'emblée des relations de confiance avec les habitants. Il apprécie leur culture quotidienne dont il ressent la force, l'authenticité et l'homogénéité. Il est frappé aussi par le fait que jamais ne s'exprime de méfiance ou de condescendance à son égard.

C’est que Sebastian a pris le temps de construire une relation sereine et de confiance avec ses interlocuteurs qui manifestent à son égard une chaleureuse hospitalité. Ces civilités réciproques préliminaires contrastent avec l'attitude de nombreux photographes occidentaux, qui déferlent en Afrique sans le désir d'une réelle proximité culturelle et sociale dans les territoires qu'ils traversent superficiellement , et apparaissent ainsi dans leur précipitation aux yeux des habitants comme des "voyeurs" et surtout comme des " voleurs d'images ". Sebastian n'est pas de ceux-là : il a pris l'option d'une lente progression et immersion dans le milieu qu'il a choisi de parcourir.

Il se retrouve ainsi au cœur profond du Mali dans la position d'un photographe qui a décidé d'entreprendre une mission d'inventaire photographique d'une facette très précise du patrimoine architectural ; sa démarche s'apparente quelque peu, notamment par son sérieux méthodologique, aux célèbres " missions héliographiques " que la première génération de photographes avait entreprises en Europe au 19e siècle pour y révéler la richesse artistique des architectures monumentales et institutionnelles : principalement des vestiges archéologiques, des églises ou des châteaux.

C'est ainsi qu'en France, dès 1851, la Commission des Monuments Historiques (fondée en 1837) confie aux meilleurs photographes des commandes précises visant à instaurer , dans une démarche alors très pionnière et militante, une nouvelle mémoire visuelle de sauvegarde archivistique d'un patrimoine alors très menacé de disparition. Ainsi prennent corps les remarquables collections photographiques réalisées, par exemple, par Baldus en Bourgogne, Le Secq en Alsace-Lorraine, Bayard en Normandie, Le Gray et Mestral en Tourraine et en Aquitaine. Bien d'autres missions –similaires dans leurs vocations d'inventaire mais de plus en plus diversifiées– suivront à travers l'Europe jusqu'à inspirer quelques mémorables campagnes photographiques du 20ème siècle.

Celle initiée aux USA entre 1935 et 1942 par la Farm Security Administration (FSA) a su concilier les vocations patrimoniales originelles avec une dimension sociale nouvelle en inventant ainsi une approche culturelle plus globale qui privilégie l'environnement vécu au quotidien durant ces années de crise économique et de misère en milieu rural. C'est ainsi qu'un des douze photographes affectés à cette tâche –le plus célèbre d'entre eux , Walter Evans– a fait émerger le concept d'une "photographie de l'habitat" en noir et blanc comme révélateur global d'une micro-société. La puissance artistique et affective des 270.000 images ainsi produites en 7 ans par la FSA (conservées en majorité à la Library of Congress à Washington) ont été dès l'origine amplement médiatisées; elles auraient même, selon certains, inspiré à Steinbeck son chef-d'oeuvre : " Les raisins de la colère ".

Quatre décennies plus tard en Belgique, un inventaire photographique sur le logement social en Wallonie est confié en 1979 à l'architecte et photographe François Hers (né à Bruxelles en 1943) : son parti est d'ignorer les façades et de centrer entièrement ses prises de vues en couleurs sur les " Intérieurs " : présenté sous ce titre au Centre Pompidou en 1981, son travail s'avérera influent. Après avoir été en 1972 le co-fondateur à Paris de l'agence Viva, il initiera en 1983 avec Bernard Latarjet la " Mission photographique de la DATAR" qui constituera en France le plus ambitieux projet global du genre tout en régénérant l'héritage historique de la première " mission héliographique" créée 120 ans plus tôt à Paris. Une pléiade de talents, choisis dans divers pays européens, seront associés à cette entreprise d'une ampleur nationale sans précédent : et notamment Basilico, Depardon, Doisneau, Drahos, Fastenaekens, de Fenoyl, Garnell, Hers, Ristelhueber ou Trülzsch. Leurs œuvres, conservées à la Bibliothèque de France, ont généré une vision globale et novatrice - souvent critique - de l'environnement bâti en France.

Cette diversion historique sur l'Europe et les USA pourra sembler incongrue dans ce bref article consacré aux mosquées du Mali photographiées par Sebastian Schutyser ; je la crois pourtant utile pour mieux souligner la spécificité créative et militante de son propre travail vis à vis de ses illustres prédécesseurs; en effet, malgré un certain parallélisme dans les finalités culturelles, une différence éthique et opérationnelle majeure apparaît avec évidence. Dans tous les cas historiques cités plus haut, l'initiative de ces missions est due à des institutions gouvernementales ou para-publiques. Elles assument le cadrage du projet et le choix de ses intervenants sur le terrain, sa gestion, sa médiatisation, son archivage et globalement le financement de toutes ces opérations. Rien de tel avec Sebastian : il a initié seul son projet, le gère lui-même et l'auto-finance sur la base de ses modestes ressources. Le lien fédérateur de ses actions réside essentiellement dans sa très forte intuition et motivation culturelle, dans un choix de vie autonome et modeste, voire parfois ascétique. La qualité et la persévérance de son travail résulte aussi de sa volonté inflexible de poursuivre - malgré d'inévitables aléas matériels et budgétaires - l'itinéraire d'exploration artistique qu'il s'est fixé à travers le Mali et l'Afrique. C'est dans ce contexte qu'il a su déployer et exacerber ses talents.

Certes, divers photographes contemporains ont aussi assumé l'initiative individuelle de réaliser des campagnes photographiques thématiques et systématiques destinées à révéler des patrimoines architecturaux jusque là ignorés : ils ont ainsi contribué à élargir de façon notoire notre champ de perception –à nous sensibiliser, à nous conscientiser– vis à vis de pans entiers de notre environnement bâti qui jusque là étaient passés inaperçus. Plusieurs créateurs relèvent de cette logique. Le cas du couple allemand Illa et Bernd Becher est à ce titre emblématique : dès les années 1960 ils innovent en consacrant l'ensemble de leur vies professionnelles à la recherche minutieuse et à la mise en valeur des multiples facettes de l'archéologie industrielle en Europe et en Amérique du nord : hauts fourneaux, gazomètres, chevalets des puits de mines, silos, châteaux d'eau, etc.

Leurs inventaires très cohérents instaurent une notion très forte et novatrice : une déclinaison de nature " typologique" . Il ne s'agit plus simplement de " reportages " culturels ayant pour but d'instaurer un "inventaire " superficiel et souvent hétérogène. Il s'agit désormais de révéler – en profondeur – les multiples variations d'un " thème porteur " qui est souvent de nature architecturale. Cette maturité nouvelle du regard, cette exigence nouvelle de l'esprit et cette méthodologie nouvelle du travail instaurent une dimension qui peut apparaître quasi scientifique. Cette spécificité est accentuée par l'option de " vues frontales " en noir et blanc et par une politique éditoriale de leurs travaux au sein d'une collection unitaire d'ouvrages qui privilégie une perception réellement différente de notre environnement. Celle-ci acquiert sa spécificité par une approche " minimaliste " qui gomme au maximum tout sentimentalisme subjectif, tout effet d'ombres et de lumières, pour instaurer une vision qui se veut objective. Ces " inventaires typologiques " seront alors exposés dans les musées comme des "œuvres globales", comme des "installations", et ceci dès 1972 en Allemagne à la "Dokumenta V" de Kassel. Leur vision très novatrice permet notamment de promouvoir une lecture artistique inédite de l'architecture industrielle –jusque là ignorée du monde culturel– puisque beaucoup y découvrent un langage d'ordre sculptural ; on ne s'étonnera donc point que la Biennale de Venise de 1992 accorde aux photographes Becher son " Grand Prix de la ... Sculpture ".

Consciemment ou inconsciemment Sebastian Schutyser semble, au moins pour partie, s'inscrire dans cette sensibilité nouvelle de la photographie européenne. Mais, même dans ce contexte, son travail sur les mosquées rurales du Mali révèle plusieurs innovations significatives. D'abord sur le plan éthique et géo-politique. En effet, depuis Baldus en 1851 jusqu'aux Becher tout récemment, toutes les missions d'inventaire photographiques publiques ou privées ont essentiellement servi à valoriser des territoires du monde occidental. En clair, les richesses patrimoniales du Tiers monde avaient été jusqu'ici tenues à l'écart de ces initiatives artistiques. Les architectures africaines en particulier n'avaient pas encore bénéficié de ce type de regard contemporain et valorisant. A cet égard Sebastian constate lucidement que la majorité des photographies produites par les Occidentaux sur l'Afrique s'inscrit dans le champ restrictif issu d'une "triple vision oscillant entre colonialisme, exotisme et misérabilisme ". C'est précisément une voie alternative –de nature culturelle– qu'il cherche à instaurer à travers ses premiers travaux au Mali. Une autre innovation majeure attribuable à Sebastian est, dans ce contexte, d'avoir accompli la première couverture photographique "typologique " concernant une filière spécifique et souvent sous-estimée du patrimoine bâti : les architectures dites "traditionnelles " et " vernaculaires " ou encore "populaires" et "domestiques " en Afrique.

Si ces termes sont ici entre guillemets, c'est qu'aucun n'est vraiment satisfaisant, surtout dans le cas qui nous concerne au Mali. En effet, ces mosquées rurales s'inscrivent bien dans une tradition rurale qui est elle même vernaculaire en exprimant un génie constructif populaire au sein d'une culture domestique; mais elles relèvent aussi –et simultanément– d'une créativité artistique vraiment " moderne " et même parfois " contemporaine " puisqu'elles ont été édifiées ou remaniées pour la grande majorité d'entre elles au cours du 20e siècle, et même parfois durant les dernières décennies, en intégrant dans ce processus constructif des innovations formelles et autres. C'est cette rare synergie entre une tradition vraiment vivante et une modernité de l'acte constructif qui est fascinante. Cette double lecture –à la fois catégorielle et chronologique– est importante car elle tend à briser des dogmes intellectuels, des carcans idéologiques, qui contribuent à enfermer ce genre de créativité dans les oubliettes d'une tradition prétendue immuable et statique qui ne serait donc pas vraiment artistique, ni révélatrice de " notre temps " . Cette injuste marginalisation est due à un triple phénomène externe de paternalisme, d'ignorance et donc d'absence de valorisation ; elle favorise le mépris des élites et , par voie de conséquence, la dégradation de la dynamique qui a jusqu'ici alimenté la vitalité et l'actualisation progressive de cette tradition ancestrale. Pour réagir contre cet ostracisme implicite, cette authentique culture architecturale doit désormais être valorisée comme telle. C'est à cette action que Sebastian contribue avec son travail.

Ses photographies révèlent un langage plastique désormais rarissime dans notre environnement bâti planétaire: une fusion artistique complète entre deux arts majeurs, entre l'architecture et la sculpture. S'agit-il ici d'architecture aux vertus sculpturales? Ou plutôt d'une sculpture architectonique? On ne sait plus; car notre esprit et nos sens sont troublés par l'exception culturelle de cet amalgame créatif exceptionnel. A l'origine de chacune de ces créations il n'y a pourtant ni architecte, ni sculpteur : uniquement des artisans villageois: des maîtres d'œuvre qui ont une maîtrise ancestrale du matériau et du geste pour le modeler. Certains sont d'ailleurs tentés d'évoquer à propos de leurs pratiques constructives une sorte d'architecture gestuelle: une dynamique chorégraphique pétrifiée dans la terre. Sebastian traite chacune de "ses" mosquées de façon à ce qu'elles nous apparaisse comme une œuvre unique - personnelle, forte et vigoureuse - tout en nous démontrant simultanément qu'elle est indissociable d'une famille typologique régionale au sein de laquelle se déploient de très nombreuses variantes sur un thème commun. Et c'est là que sa " série typologique " s'avère pertinente et efficace. Elle révèle notamment l'intensité unitaire de cette variation thématique d'un langage architectural tout autant que la cohérence globale d'une multitude de déclinaisons individuelles.

Un des facteurs clef de cette " unité dans la diversité" résulte du seul matériau constructif utilisé pour tous ces bâtiments: la terre crue, appelée " banco" en Afrique occidentale. Elle constitue ici le " matériau premier ", tout comme on parle des " arts premiers ". Dans le contexte géographique de cette ressource naturelle omni-présente, le Mali apparaît comme un remarquable " musée en plein air " des architectures de terre: les facettes diversifiées de ce patrimoine se déploie à travers ses multiples villages et nombre de ses cités ancestrales telles que San et Mopti, Tombouctou ou Djenné. Tout comme l'entité territoriale de Bandiagara, ces deux dernières villes ont été érigées par l'Unesco dès 1989 comme "Patrimoine Mondial de l'Humanité ". La " grande mosquée " de Djenné – intégrée à ce classement prestigieux– est célébrée comme une des plus belles et spectaculaires d'Afrique: elle apparaît d'ailleurs aussi comme la plus universellement célèbre des architectures monumentales modernes en terre crue dans le monde: elle a été édifiée en 1907. Ce fait confirme la continuité exceptionnelle dans ce pays d'une tradition vivante qui s'ancre dans l'histoire tout en se prolongeant dans la modernité. C'est au sein de ce processus rare de continuité que s'inscrit aujourd'hui encore la pratique courante de la construction en terre au Mali, notamment pour l'architecture religieuse.

Cette vitalité contemporaine a été confirmée dans ce pays par le fait même que le Aga Khan Award –un des prix internationaux d'architecture les plus prestigieux– a été attribué aux auteurs de deux bâtiments modernes et emblématiques en terre crue : d'une part l'hôpital édifié à Mopti en 1976 par l'architecte français André Ravereau et d'autre part la grande mosquée achevée en 1973 à Niono (à 200 km. à l'ouest de Mopti) due au maître maçon Lassina Minta. Il faut souligner que c'est la première fois dans le monde qu'une récompense internationale de haute réputation est ainsi remise à un artisan pour sa contribution à la culture architecturale contemporaine.(32)

En assumant ce choix éthique et stratégique exemplaire, le jury de ce Prix a exprimé une forte conviction : la puissante dynamique que représente cette créativité à la fois architecturale, artisanale et vernaculaire constitue une des filières d'activité indispensables pour maintenir et actualiser l'identité culturelle du pays; cette force créative, ancrée dans la culture populaire, est à encourager et à valoriser afin de résister aux pressions et menaces que représentent l'importation abusive depuis l'Occident (et depuis le Moyen Orient) de stéréotypes architecturaux ou de technologies industrielles qui menacent gravement de dénaturer ce qui subsiste de la spécificité de l'environnement urbain et rural du Mali.

Au cours de ses périples, Sebastian a d'ailleurs constaté sur place ce risque : les mosquées rurales en terre commencent à être remplacées par de très banales constructions édifiées sans esprit en ciment et en béton armé. Une des raisons du risque de déclin progressif des architectures de terre crue réside dans le fait que les techniques archaïques utilisant ce matériau impliquent, à la saison des pluies, une érosion par l'eau des surfaces externes. Il était donc de tradition que périodiquement chaque famille restaure les enduits en terre de sa maison et participe collectivement à ce même travail en faveur de la mosquée. Ce qui était jadis considéré comme un rite social collectif et valorisant tend à être perçu désormais comme une corvée physiquement pénible. D'où la tentative d'y échapper notamment par le recours à des matériaux de construction industrialisés, alors que d'autres techniques plus contemporaines de construction en terre pourraient résoudre cette cruciale question de résistance aux eaux de pluie sans remettre en cause l'usage dominant du matériau naturel –le banco– qui caractérise la culture architecturale nationale. L'issue de ces questions est d'autant plus importante que la construction moderne en terre crue devient – en Europe comme en Afrique - un enjeu significatif sur le plan culturel et social, économique et écologique afin de promouvoir des habitats et un cadre de vie conformes aux nouvelles exigences du " développement durable " formulé dès 1991 par les Nations Unies durant le Sommet de la Terre de Rio.

Dans ce contexte stratégique, il est donc indispensable de promouvoir une mise en valeur conjointe de l'histoire, de l'actualité et de l'avenir des architectures de terre. Du fait de ses très riches traditions ayant survécu jusqu'à nos jours, le Mali constitue un des pays-clef vis à vis de cet enjeu.

Le travail de Sebastian s'inscrit dans ce contexte de valorisation. La nature même de ses photographies en noir et blanc, réalisées au format 4 x 5 inches(33) avec une chambre technique à correction optique, révèle – sans doute mieux qu'en couleurs - la puissance, la monumentalité et la modernité du langage formel qui génère ici " l'esprit du lieu ". Ses images valorisent aussi le grain et la matière –lissée à la main ou craquelée par l'érosion– de l'argile, du banco ; elles exacerbent la massivité sécurisante des maçonneries, la sensualité des textures et parfois l'érotisme des formes. Comme il le dit lui-même, il a choisi une " approche sobre, sans effets photographiques, pour mettre en valeur la morphologie des édifices; pour rendre hommage à la beauté de ces mosquées. En effet, dans le domaine de l'art africain, l'architecture est trop souvent négligée ".

POSTFACE

Sebastian a achevé et accompli avec talent sa première mission photographique sur l'architecture en Afrique. Il convient maintenant que diverses institutions prennent le relais pour faire connaître son travail, le valoriser et le diffuser. L'Aga Khan Trust for Culture de Genève a accordé son soutien pour la dernière mission de photographie au Mali. Après le Musée de l'Afrique à Bruxelles-Tervuren, la Maison Européenne de la Photographie accueille à Paris sa première exposition accompagnée d'un catalogue. Le Deutsches Architekturmuseum de Francfort fera de même dès janvier 2002 et éditera en allemand cette publication enrichie d'autres articles à solliciter auprès de deux anthropologues du Mali et d'Europe.

Mais il convient aussi de trouver des partenaires pour présenter en Afrique une version appropriée de cette exposition afin d'exprimer aux Africains l'intérêt nouveau des Européens vis à vis de leur patrimoine bâti. Cette démarche spécifique est en effet essentielle pour donner aux communautés qui y vivent une image externe et artistiquement valorisante de leur propre culture architecturale qui est trop souvent méprisée ou méconnue localement du fait même des ravages de l'acculturation dont la colonisation a introduit les germes initiaux. Idéalement, cette exposition itinérante devrait débuter à Bamako –où se déroule désormais une très tonique Biennale Africaine de la Photographie– et se poursuivre dans les villes et villages du pays.

Il reste aussi à développer en Europe une version élargie de l'exposition : celle de Paris et Francfort ne comporte que trente tirages photographiques alors que Sebastian a désormais couvert plusieurs centaines de mosquées. Une sélection élargie apparaît donc indispensable pour révéler la pleine puissance de cette typologie architecturale. Il faut donc qu'un musée d'Occident concerné l'Afrique prenne l'initiative de cette démarche globalisante. De même pour la publication d'un ouvrage couvrant l'ensemble du travail photographique sur les mosquées et sa mise en contexte par des textes appropriés. Et finalement il reste aussi à assurer la conservation, au sein d'une institution appropriée, des milliers de négatifs réalisés par le photographe. Toutes ces actions culturelles contribueraient ainsi efficacement à l'ambitieuse opération récemment lancée sous l'appellation " Africa 2009"'(34) : elle a pour vocation, durant toute une décennie, d'instaurer une tardive mais indispensable sauvegarde et valorisation du patrimoine architectural sur ce continent. Nombreux ont été les ouvrages publiés par l'Europe coloniale et consacrés à l'Afrique noire où l'on affirmait mensongèrement que ses territoires ne comportaient guère de patrimoine d'intérêt architectural. En termes de civisme culturel, cette monumentale erreur d'appréciation de nos aînés doit être corrigée: c'est une des obligations éthiques de notre génération qu'il faut désormais médiatiser grâce au relais de multiples partenaires institutionnels et artistiques. Le citoyen Schutyser a déjà assumé cette responsabilité culturelle. Merci Sebastian.

Jean Dethier

 

ENTRETIEN AVEC SEBASTIAN SCHUTYSER PAR JEAN-LUC MONTEROSSO

Comment s'est développé votre projet en Afrique ?

Mon enfance a été marquée par l'Afrique noire: pendant huit années - j'avais alors entre deux et dix ans - j'ai vécu avec mes parents dans l'ancien Congo, au Zaïre. Après être rentré en Belgique j'ai été tenté, à dix huit ans, de retourner en Afrique et d'y habiter. Mais cette option n'a pas pu se matérialiser. J'ai alors entrepris à l'université de Gand des études de sciences politiques. Après cela, mon premier emploi m'a amené à stagner dans un bureau : j'ai vite compris que ce n'était pas du tout ma vocation. Le hasard m'a conduit à assumer un travail de nuit comme " train steward " dans les Wagons-Lits. Par ce biais je parcourais l'Europe et je me rendais souvent à Rome. Mon père m'avait alors prêté son appareil et j'ai commencer à photographier la ville. Je cherchais intuitivement à éviter le côté réducteur des clichés touristiques. Je voulais créer d'autres images urbaines, plus personnelles. Pour mieux maîtriser cette démarche encore balbutiante, je me suis alors présenté aux cours du soir de l'Académie des Beaux Arts à Gand. J'avais alors un peu plus de vingt ans. Au vu de mes premiers travaux, et après une discussion au cours de laquelle j'ai évoqué mes motivations, un professeur m'a proposé de suivre le cursus professionnel complet de cette école. Ces quatre années d'enseignement m'ont permis de consolider ma détermination, et d'assumer aujourd'hui mon métier de photographe. Notamment en Afrique.

Vous portiez en vous depuis longtemps ce projet de photographie au Mali?

Dès ma deuxième année de cours, j'ai appris à travailler avec une chambre. Cet outil m'a fasciné et je ne l'ai plus jamais quitté. C'est ainsi que j'ai commencé à réaliser mes premiers portraits d'Africains, mais il s'agissait alors d'Africains vivant à Gand ! Pour mon projet de fin d'études, j'ai voulu réaliser une nouvelle série de tels portraits en Afrique même. Je cherchais à me démarquer des deux grands stéréotypes qui, selon moi, caractérisent le regard de l'immense majorité des photographes occidentaux sur l'Afrique : l'exotisme et le misérabilisme. Deux visions artificielles et réductrices vis à vis des réalités multiformes de ce continent. Je voulais donc rechercher une alternative, défricher une sorte de troisième voie.

Pour tenter cette démarche j'ai, une fois encore, souhaité retourner au Zaïre; mais la situation là-bas ne le permettait pas. Mon alternative ce fût donc le Mali . La culture très prégnante et diversifiée de ce pays me séduisait et m'y attirait. J'y ai donc réalisé une première série de portraits. Pour assurer ma complète liberté de mouvement, j'ai parcouru en vélo les 1.200 kilomètres de mon itinéraire le long du fleuve Niger. Entre Tombouctou et Bamako, j'ai ainsi pu improviser de multiples détours et parcours, de village en village, loin des grands axes routiers. C'est comme cela que j'ai découvert, notamment dans les hameaux les plus retirés, l'existence d'une multitude de petites mosquées édifiées en terre crue. J'ai été frappé par la beauté, la diversité et l'authenticité de ces surprenantes architectures. C'est ainsi que mon projet est né.

C'est là, "sur le terrain", que le concept a pris corps et s'est finalement imposé à moi : j'ai acquis la conviction qu'il fallait consacrer un ample travail photographique à ces mosquées en terre du Mali rural jusqu'ici ignorées, méconnues ou sous-estimées. C'est le "génie du lieu " propre à ces modestes lieux de culte – tous blottis au cœur de petits et lointains villages du Mali "profond "– qui a stimulé chez moi un intérêt de longue durée. C'est progressivement devenu une passion pour découvrir toutes les facettes de ces authentiques témoignages d'une culture traditionnelle encore bien vivante ; et finalement une volonté de faire apprécier à d'autres le talent des communautés qui les bâtissent ces mosquées.

Vous avez donc choisi de photographier d'une manière très systématique les architectures vivantes de ces petites mosquées de terre crue ?

De retour en Belgique, j'ai cherché à m'informer sur ces architectures qui m'avaient fasciné. A part quelques documents scientifiques ou photographies documentaires, j'ai identifié peu de chose m'intéressant vraiment. Par contre j'ai trouvé beaucoup de matériel sur certaines grandes mosquées urbaines d'Afrique de l'ouest –comme celle de Djenné– qui ont un statut de "monument historique", parfois même renforcé par un classement par l'UNESCO au titre du " Patrimoine Universel de l'Humanité ". C'est ainsi que j'ai progressivement pris conscience du décalage que l'Occident a implicitement établi entre une reconnaissance culturelle concédée à quelques mosquées citadines et monumentales et l'apparent désintérêt témoigné jusqu'ici vis à vis des multiples petites mosquées rurales. Ce constat a stimulé mes motivations en faveur de celles-ci. D'autant plus qu'elles constituent encore aujourd'hui autant de témoignages très diversifiés de la dynamique créative d'une culture vivante.

Ce qui me fascine en effet, c'est le caractère vivant et évolutif de cette créativité architecturale communautaire. Dans la plupart des pays du monde les cultures traditionnelles populaires liées à l'acte de bâtir sont mortes, agonisantes ou figées. Au contraire le langage formel des mosquées rurales du Mali évolue constamment : ici rien n'apparaît immobile, tout semble encore évoluer selon un processus organique. Mais de cet art pourtant vivant, je n'ai trouvé nulle trace consistante dans les livres d'art édités en Europe. Jusqu'ici cet art régional de bâtir a été préservé, notamment du fait de son isolement géographique, économique et culturel. Mais j'ai été témoin des signes avant-coureurs de mutations qui s'ébauchent. Sur place on commence déjà à ressentir les menaces qui planent sur la survivance des pratiques sociales traditionnelles qui engendrent cette vitalité architecturale. En effet, dans divers villages on voit déjà apparaître des éléments étrangers à ce patrimoine architectural. Les financements des moquées issus de donateurs externes à la communauté –par exemple l'Arabie Saoudite– impliquent le plus souvent le recours –choisi ou imposé– à des modèles dominants importés de l'étranger : c'est ainsi que sont apparus il y a quelques années –à la fin du 20e siècle– les premières mosquées rurales se soustrayant aux contraintes du seul matériau local disponible –l'ancestrale terre crue– et qui tentent d'apprivoiser le ciment ou même le béton comme nouveau signe de ralliement. La richesse de cette culture architecturale populaire est donc déjà menacée, à court ou moyen terme.

Ce constat m'a progressivement conduit à une conviction: l'urgence d'entreprendre ce travail photographique. Afin qu'il puisse témoigner –au Mali, en Afrique et dans le monde– en faveur d'une culture remarquable que pourtant l'Occident a jusqu'ici omis de prendre en considération. Malgré ses qualités architecturales et plastiques exceptionnelles.

Quelles sont les différentes facettes et implications de votre travail ?

Toutes mes images de ces mosquées sont prises à la chambre , toujours en noir et blanc. J'ai aussi choisi de limiter ma recherche à une région précise pour mieux en appréhender la globalité : le delta intérieur du fleuve Niger. C'est un territoire très riche en mosquées rurales, tant par leur quantité que par leur extrême diversité. En parcourant ce territoire durant mon premier voyage j'ai visité 170 villages et photographié 111 mosquées. Dans cette seule région, il existe plus de 2.300 villages ou campements, et plus d'un millier de mosquées méritant aussi d'être photographiées. Dans l'exposition à laquelle se réfère ce catalogue 30 de ces mosquées seulement sont présentées.

Quelles sont vos exigences ? Voulez-vous réaliser un reportage objectif sur ces mosquées africaines ou des images plus subjectives, plus personnelles ?

Mes images ont pour seul objet d'apporter une modeste contribution en faveur de la connaissance de l'Afrique en Europe et dans le monde occidental. Je tente d'utiliser l'outil de l'objectivité ; mais celle-ci n'est qu'apparente. Aucune image ne peut être vraiment objective. Je ne cherche en aucun cas l'aspect spectaculaire ou romantique. Je cherche seulement le meilleur angle de vue pour fixer une image nette et claire de ces mosquées; je souhaite ainsi créer une collection d'images dont l'ensemble révélerait au mieux leur morphologie et leur diversité. L'usage du noir et blanc permet de mieux assurer et cerner cette démarche.

Comment s'organise la prise de vue d'une mosquée au sein d'un village ?

Je circule de village en village en naviguant en pirogue sur le fleuve. Quand j'arrive dans l'un d'entre eux, je demande de suite à rencontrer le chef. Je lui offre du thé. Ensuite je lui explique pourquoi je suis là et ce que je souhaite faire : je lui demande l'autorisation de photographier l'extérieur de la mosquée. Personne ne m'a jamais opposé un quelconque refus. De suite après ces palabres, je me rends sur place et je choisis deux angles appropriés pour des prises de vues à la chambre. Ultérieurement, j'envoie toujours à chaque village une image de sa mosquée.

Comment financez-vous vos recherches ?

J'ai amorcé le processus seul. Quand j'ai réalisé ma première série de portraits au Mali, j'ai obtenu à mon retour d'Afrique une bourse qui m'a permis de financer ma chambre et des tirages. En 1998, je suis reparti à ma propre initiative pour entamer ma série sur les mosquées. A mon retour, le " Musée de l'Afrique " à Tervuren –dans la périphérie de Bruxelles– a donné suite à ma demande : financer et présenter quelques grands tirages. Ce fût ma première exposition des mosquées du Mali. Tout ce travail s'est développé petit à petit. Récemment la fondation Aga Khan de Genève –qui assume notamment une valorisation du patrimoine architectural historique et contemporain du monde arabe– a accepté de contribuer au financement de ma deuxième mission sur les mosquées du Mali. Avec cette aide, j'y repars cinq mois à partir d'octobre 2001 : pour y achever ce cycle de travaux entamé il y a trois ans.

C'est grâce à Jean Dethier, l'auteur de l'exposition "Architectures de Terre" au Centre Pompidou, que j'ai pris connaissance de votre travail. Comment l'avez-vous rencontré ?

J'avais entendu parler du groupe CRATerre, créé au sein de l'Ecole d'Architecture de Grenoble, comme étant le plus réputé dans le monde pour ses recherches, ses enseignements et ses projets valorisant les architectures traditionnelles et contemporaines en terre crue. Je lui ai donc envoyé un dossier sur mon travail. Un des trois fondateurs du groupe, Hugo Houben, a relayé cette information vers l'un de ses amis : Jean Dethier. Le jour même, ce dernier a pris contact avec moi à Gand. C'est lui qui, dans la foulée, a initié mes deux dernières expositions: à Paris à la " Maison Européenne de la Photographie " dès janvier 2002 et, dès janvier 2003, à Francfort (Schaumainkai) au sein du " Musée Allemand de l'Architecture ", le D.A.M..

Vous y présentez de grands formats ...

Qu'il s'agisse de portraits ou de mosquées, j'aime les grands formats. Grâce aux grands tirages, on peut vraiment s'immiscer dans la photographie, on peut en apprécier les détails et lire l'image à de multiples niveaux. Le face à face ainsi instauré à grande échelle avec une personne ou avec un lieu est à la fois plus fort et plus intime. Le regard s'en trouve enrichi, renforcé. L'observateur est ainsi davantage impliqué dans le projet du photographe et dans l'image elle-même.

Comment allez-vous aujourd'hui poursuivre ce travail ?

Je me suis donc fixé comme nouvel objectif, entre la fin 2001 et le début 2002, de parachever mon travail typologique sur les moquées au Mali : afin de les photographier dans près de 2.300 villages du delta intérieur du Niger. Lors de ma précédente mission, j'avais passé les trois quarts de mon temps en itinérant en pirogue ou en vélo. Pour assumer l'ampleur de ce repérage sur un vaste territoire, j'ai pris cette fois l'option de m'y déplacer plus rapidement : en moto et en pirogue motorisée. A mon retour en Europe, j'aimerais trouver les partenaires culturels et scientifiques –éditeurs, musées et mécènes– qui souhaiteraient participer avec moi à l'exploitation cohérente des images des centaines de mosquées que j'aurai alors collectées au Mali.

Dans ce contexte, je désire notamment éditer un livre qui puisse concilier à la fois un regard artistique et un questionnement anthropologique. Mon souhait c'est que cette démarche globale –dont mes photographies constituent la composante visuelle– constitue un hommage à la fois affectif et raisonné de l'Europe vis-à-vis d'une facette méconnue et pourtant remarquable des cultures architecturales d'Afrique. Ayant eu écho du lancement récent d'un ambitieux projet nommé " Africa 2009 " –qui a précisément pour objectif de valoriser cette dimension artistique du continent noir–j'aimerais pouvoir m'intégrer dans une telle démarche globale et communautaire et y inscrire de façon appropriée l'inventaire photographique que j'ai réalisé au Mali depuis quelques années.

Par ailleurs, je tiens aussi à entreprendre un nouveau travail photographique en Afrique dès 2003 : j'ai le projet, qui reste à préciser et à mettre en forme, d'entreprendre un autre périple, sans doute en vélo, mais trans-africain cette fois, peut-être de Tanger au Cap. Ce circuit constituerait une sorte de lien fédérateur entre divers territoires culturels qui auraient en commun plusieurs caractéristiques dont j'aimerais rendre compte visuellement : et notamment celle de patrimoines architecturaux traditionnels et modernes en terre crue; car ils constituent une facette majeure de l'identité historique et actuelle de ce continent.

[Cet entretien a eu lieu à Paris, à la Maison Européenne de la Photographie (82 rue François Miron / tel 33 1 44 78 75 00), en octobre 2001. Transposition de l'oral à l'écrit : Jean Dethier]

[La superbe photographie de la mosquée de Diombougou, jointe à ce numéro, est offerte par Sebastian Schutyser aux lecteurs de DJENNE PATRIMOINE Informations. C’est un prélude à d’autres projets !]


1 Brique de terre crue, moulée à la main, approximativement cylindrique, qui, après simple séchage au soleil, servait à la construction des murs des bâtiments ; cette technique a été perdue au cours des trente dernières années, les djenne ferey étant remplacées par les toubabou ferey, briques parallélépipédiques obtenues grâce à un moule rectangulaire en bois. Retour au texte

2 c’est-à-dire, ici, en terre crue Retour au texte

3 Le poète voit des karité à Djenné, où il n’y en a pas, sans doute parce que cet arbre représente mieux à ses yeux la richesse nourricière de la nature ; l’arbre le plus fréquent dans la célèbre cité est apparemment le doubalèn, une variété de ficus, réputée pour la fraîcheur de son ombre, et qui abrite beaucoup de conversations Retour au texte

4 En réalité, ce jour-là, on prie sur une grande place spécialement aménagée à l’ouest de la ville (sauf s’il pleut, auquel cas on priera dans la mosquée) : les croyants placés à l’ouest, et priant tournés vers l’est, leurs prières survoleront la ville en montant vers le ciel, et elles profiteront pleinement à tous ses habitants Retour au texte

5Probablement les vœux que prononce l’imam, ce jour-là, au seuil d’une nouvelle année de l’hégire Retour au texte

6 En fait, seul le muezzin peut parler en cette occasion, et c’est donc lui qui transmettra à la foule, de sa voix forte et claire, à la fin de la cérémonie religieuse, les vœux prononcés à son oreille par les personnalités civiles, par exemple par le président de l’association islamique ou par le maire de la ville ; mais désormais le poète est dans son univers, il évoque Djenné dans ses travaux, ses mythes et ses mystères Retour au texte

7 Les récits légendaires de la fondation de Djenné signalent que les djinns ont exigé, pour autoriser la construction de la première ville, qu’on leur sacrifie une jeune vierge, la plus belle, fille unique de ses parents : cette victime fut Tapama Retour au texte

8 La légende rapporte que, pendant qu’on l’emmurait, Tapama pleurait, et que le mur que les maçons montait autour d’elle se fendait ; son père serait venu la prier de ne plus pleurer, elle aurait obtempéré, et les maçons auraient pu achever leur travail Retour au texte

9 Le poète utilise ici un patronyme de diawando, cette caste peule spécialisée dans les transactions entre familles, et notamment dans le commerce, mais aussi dans toutes les négociations difficiles Retour au texte

10A vrai dire, les noms Tomota, Nienta, Dienta, Niomenta, Sininta, Tienda sont peu communs à Djenné, mais ils sonnent bien comme des noms bozo et c’est sans doute pour cette raison que le poète les cite Retour au texte

11 Celui qui cherchera ce mot dans un dictionnaire apprendra qu’il s’agit d’un poisson vivant dans l’Atlantique tropical ; mais il faudrait un ouvrage spécialisé pour apprendre qu’une espèce Tetrodron falaka vit dans le delta intérieur du Niger ! Retour au texte

12 Patronymes peuls, dont le premier a été adopté par les marabouts Retour au texte

13 Ethnie de commerçants, qui a activement participé au peuplement de Djenné Retour au texte

14 Patronyme sarakolé (= soninké) Retour au texte

15 Patronyme bobo Retour au texte

16 Là, nous avons vu l’œil du poète se plisser malicieusement : cette mare du lait frais est de son invention ! Retour au texte

17 Le Bani est un affluent du Niger, il passe à 4 km de Djenné et rejoint le Niger à Mopti Retour au texte

18 Tel est le nom du Niger en bamanan, la langue des Bambara Retour au texte

19 Cinq portes, c’est déjà une multitude, mais les gens de Djenné n’en dénombrent pas moins de neuf ! Retour au texte

20 La houe traditionnelle, outil essentiel du paysan Retour au texte

21 Le fruit du baobab est appelé " pain de singe " et il contient une farine au goût acidulé, qui donne une pâte collante si on la mélange à l’eau Retour au texte

22 Ces trois produits, beurre de karité, farine de pain de singe et gomme arabique sont bien ceux que, dans la tradition, on ajoute à la boue pour la rendre plus imperméable et plus durcissante ; ils ne sont plus guère employés, au motif qu’ils seraient devenus beaucoup trop chers. Retour au texte

23 C’est en réalité plutôt à un conseil de sages qu’on confie cette responsabilité Retour au texte

24 La corporation des bari, ou maçons, entretient effectivement ses traditions et notamment par le secret qui entoure ses pratiques magiques Retour au texte

25 Les minarets de la mosquée de Djenné sont effectivement décorés, comme ceux de toutes les mosquées de la région, à leur pointe, d’un œuf d’autruche Retour au texte

26Cette tour indique la direction de la Mecque Retour au texte

27 Le balafon est un type particulier de xylophone, dont la puissance est augmentée par des calebasse fixées sous les lames de bois et servant de résonateurs Retour au texte

28 Effectivement, l’organisation du crépissage, c’est aussi la répartition entre tous ceux qui veulent y contribuer, de la tâche d’approvisionner les travailleurs du chantier, mais aussi les notables, les vieux et les marabouts, qui tous jouent un rôle ce jour-là, en plats de fête (viande, poisson), en boissons, en noix de cola (et aujourd’hui, de plus en plus souvent, en bonbons et cigarettes)…voir DJENNE PATRIMOINE Informations n° 11 Retour au texte

29 La place où l’on a préparé les provisions de boue à crépir, cette boue riche en matières organiques, et fermentée pendant plusieurs jours, que l’on appelle banco Retour au texte

30 Le poète utilise ici une tradition qui est toujours vivante, mais qui se manifeste au moment de la traditionnelle battue au lapin, grande fête civile, et pas à l’occasion du crépissage de la mosquée ; ce jour-là, les cadeaux ne vont pas de la fiancée à son fiancé, mais des parents de la première aux jeunes hommes qui ont travaillé au crépissage, ou des parents et amis aux jeunes qui ont pris la responsabilité d’organiser le travail, et qu’on désigne comme amirou ha (au masculin) et amirou wey (au féminin) Retour au texte

31 Jean Dethier est l’auteur de l’exposition " Architectures de terre " qui a eu lieu au Centre Pompidou, et il est à l’origine de la construction, dans la ville nouvelle de l’Isle-d’Abeau, près de Lyon, du premier quartier d'habitat urbain en terre crue en Europe Retour au texte

32 Les architectures de l'ensemble des lauréats de l'Aga Khan Award entre 1980 et 1995 ont été publiées dans le livre " Architecture for a changing world " édité par cette fondation à Genève. Parmi elles figurent –outre les deux œuvres primées situés au Mali– plusieurs constructions contemporaines en terre crue édifiées en Afrique : au Niger (la grande mosquée de Yaana édifiée en 1982 par le maître-maçon Falké Barmou), en Egypte– (l'œuvre de l'architecte Hassan Fathy et le Centre artisanal construit en 1974 à Gizeh par Ramsès Wissa Wassef), au Sénégal (le Centre de Formation Agricole édifié en 1977 à Nianing), et au Burkina Faso (l'Institut Panafricain pour le Développement achevé en 1984 à Ouagadougou) Retour au texte

33 le pouce vaut 25,4 mm Retour au texte

34 La plaquette " Africa 2009 " décrivant la nature et les objectifs de ce programme peut être obtenue auprès d'un des initiateurs et partenaires de ce projet international, le groupe CRATerre, qui y collabore avec l'UNESCO et l'ICCROM (CRATerre, BP 2636, 38036 Grenoble Cedex 2, France. tél : 04 76 40 66 25. Fax: 04 76 22 72 56. E mail: craterre-eag.grenoble@grenoble.archi.fr ; site : www.craterre.archi.fr ; contact: Thierry Joffroy, architecte) Retour au texte


 

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