DJENNE PATRIMOINE
  BP 07 DJENNE Mali

 

 

DJENNE PATRIMOINE Informations

numéro 14, printemps 2003

 

NOUVELLES DE DJENNE

Le Chef de l’Etat, le Général Amadou Toumani Touré, est venu à Djenné le 23 mars 2003, pour l’inauguration du chantier de la piste Djenné-Mougna-Saye.

« Cette piste sera réalisée dans le cadre du Programme national d’infrastructures routières (PNIR) pour lequel le Mali a obtenu un financement de IDA permettant de construire 513 km de pistes rurales prioritaires dans les régions de Koulikoro, Ségou et Mopti. La piste Djenné-Mougna-Say, longue de 60 km environ, a pu être incluse dans ce programme. Les études ont été faites, après consultation restreinte,  par BETEC-Ingénieurs Conseils, bureau d’études dirigé par Kolla Cissé, qui est lui-même originaire de Djenné. A la suite de l’appel d’offres lancé le 18 octobre 2001, les travaux seront réalisés par le groupement d’entreprises GME-OTER-ETIC-EGEBAT ; ils coûteront un peu plus de 4 milliards FCFA et dureront 18 mois. C’est à BETEC-Ingénieurs Conseils qu’ont été confiées la surveillance et le contrôle des travaux.

« La piste Djenné-Mougna-Say constitue la première partie de la liaison entre Djenné et San, mais la seconde partie, de Say à San a fait l’objet de travaux récents. De cette piste, on attend donc essentiellement un désenclavement de l’interfluve. La zone traversée a un relief extrêmement plat, ce qui lui vaut d’être complètement inondée en période de crue. Elle est caractérisée en surface par une prédominance d’argile sableuse, à la fois perméable et rapidement saturée au contact de l’eau, ce qui le rend globalement très défavorable à l’usage routier. C’est dans ce contexte qu’il s’agira de construire une piste de 6 m de largeur roulable, avec des accotements de 1,5 m de part et d’autre, la couche de roulement étant faite de graveleux latéritiques sélectionnés.

L’objectif est de parvenir au désenclavement de la zone desservie en toutes saisons de l’année, d’interconnecter les différents centres de production agricole et les principaux marchés d’écoulement des produits d’élevage, de pêche, d’agriculture, d’artisanat de la zone ; cela étant, cette piste permettra aussi de rendre accessibles les principaux centres de soins en cas d’urgence, et rapprochera l’administration de ses administrés.

« La piste partira de Djenné, plus précisément du pont de Seymani, qui sera réparé ; elle entrera dans la ville par la place de la mosquée, pour tourner immédiatement à gauche, passer au pied de la mosquée pour rejoindre la maternité et contourner la ville jusqu’à l’hôpital ; elle empruntera ensuite le pont de Fokoloré, qui devra être sérieusement réhabilité, et poursuivra vers Senossa, Yébé, Mougna et Matomo avant de parvenir à Say. »

Kolla A. Cisse

L’inauguration de la mairie a eu lieu en présence du Ministre de la Culture, Cheick Oumar Sissoko, le 28 janvier 2003.

Une importante réunion concernant les barrages de Talo et de Djenné, le 15 février 2003

Ce forum a regroupé à Djenné, outre le Ministre de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche, le Ministre délégué au plan, le Ministre délégué à la sécurité alimentaire, les cadres techniques nationaux et régionaux, les représentants de tous les cercles riverains du Bani des régions de Koulikoro, Sikasso, Ségou et Mopti (Kolondiéba, Dioïla, Bla, San, Djenné et Mopti).

Ce forum, maintes fois reporté, vient clôturer une longue série de rencontres pleines d’incompréhension entre le gouvernement et les ressortissants et amis de Djenné à travers le monde. Pendant quatre ans, les populations du cercle de Djenné se sont opposées à la réalisation du seuil de Talo, pour les raisons suivantes :

1) manque d’information des populations situées en aval et en amont du site du seuil, avant sa réalisation ;

2) pourquoi réaliser Talo alors que le seuil de Djenné, plus important que celui de Talo, n’a fait l’objet d’aucune recherche de financement de la part de l’Etat malien ?

3) la hantise de voir les eaux du Bani détournées en faveur d’une zone de culture sèche au détriment de Djenné, zone rizicole par excellence ;

4) le retard de la crue du Bani, consécutif à la construction du seuil de Talo, pourrait non seulement compromettre les récoltes, diminuer les espaces cultivables, et anéantir les pâturages, alors que Djenné reçoit chaque année des troupeaux du Seno, de Ségou et même de Mauritanie.

Les institutions bancaires avaient un moment bloqué les fonds, exigeant des études complémentaires et l’obtention d’un consensus des usagers en amont et en aval.

Mais, pendant ces quatre années, aucun des gouvernements successifs du pays n’a envisagé l’abandon du projet de Talo. Cependant des efforts ont été faits pour une nouvelle conception du seuil, et des mesures d’accompagnement ont été proposées pour atténuer les impacts négatifs de la réalisation de cet ouvrage sur le cercle de Djenné.

Quelques semaines avant la tenue du forum, l’atmosphère était électrique au sein de la population du cercle de Djenné. Deux tendances sont apparues : ceux qui encouragent le refus catégorique sans aucune concession, au risque de tout perdre, et ceux qui sont prêts à dialoguer, négocier, faire des propositions au gouvernement, l’acceptation de ces dernières pouvant conduire à la fin du bras de fer. Ces propositions sont notamment les suivantes :

- diligenter les études et réaliser le seuil de Djenné

- lancer immédiatement la recherche de fonds pour la réalisation du seuil de Djenné

- surcreuser des chenaux à partir du Bani et du Niger pour permettre une inondation des plaines avant la réalisation su seuil

- relier le Pondori à la piste Djenné-Saye

- octroyer une aide alimentaire au cercle de Djenné compte tenu de l’état des récoltes cette année.

Après trois heures de débats, d’explications et de recherche de consensus, comme les maliens savent le faire sous le vestibule du chef de village, sous l’arbre à palabres, ou sous le tougouna, les litiges les plus cinglants ont généralement eu un dénouement heureux. C’est ainsi qu’une commission de rédaction composée d’un représentant par cercle, a proposé la résolution suivante :

1) créer un comité de pilotage pour la réalisation des seuils de Talo et de Djenné ;

2) créer un comité de bassin du Bani ;

3) accélérer les études complémentaires pour la réalisation du seuil de Djenné ;

4) procéder au démarrage du seuil de Talo ;

5) réaliser des mesures d’urgence d’accompagnement dans les cercles de Djenné et de Mopti ;

6) surcreuser les chenaux à partir du Bani et du Niger.

Dans le cadre de l’appui sur le plan alimentaire, le ministre délégué à la sécurité alimentaire a annoncé au cercle de Djenné un don gratuit de 2500 tonnes de céréales et 300 tonnes d’aliments du bétail cédés aux éleveurs au prix d’usine.

La résolution ayant pris en compte les aspirations des uns et des autres, elle a été acceptée de tous. Le porte-parole de Djenné a affirmé qu’il n’y a ni perdant ni gagnant, le seul gagnant c’est le Mali. Seulement la population de Djenné recommande aux autorités du Mali une application rigoureuse de la présente résolution. C’est avec un grand espoir pour l’avenir que les différentes délégations ont quitté Djenné pour avoir réussi par le dialogue à trouver la solution d’un problème dont personne ne présageait à l’avance une telle issue heureuse. Tout le mérite en revient au ministre de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche, Monsieur Seydou Traore, qui a eu le courage de rencontrer les gens de Djenné et de leur parler en frère.

Foourou Alpha Cissé, Premier adjoint au maire de Djenné

Pour beaucoup de lecteurs, ce compte-rendu au ton intentionnellement apaisant devra sans doute être éclairé par un certain nombre d’informations complémentaires, que voici.

Autour des trois ministres, Messieurs Seydou Traore (agriculture), Ibrahim Oumar Toure (sécurité alimentaire) et Marimanthia Diarra (plan), on trouvait à cette réunion les Présidents des conseils des cercles de Bla, Bougouni, Dioïla, Djenné, Kolondieba, Mopti, San, Ségou, Sikasso, les directeurs régionaux de l’agriculture de Ségou et de Mopti, un représentant de chacune des douze communes du cercle de Djenné, mais aussi le préfet de Djenné et le Haut Commissaire de Mopti, et encore le député de Djenné, le chef de village, un représentant de l’imam, le Président de l’AMUPI, trois représentants des catégories professionnelles (les agriculteurs, les éleveurs et les pêcheurs), et le représentant des ressortissants de Djenné résidant à Bamako… Au total, plus de 100 personnes, dont  vingt-trois pour représenter Djenné. Chacun a vite compris que les  représentants de Djenné étaient noyés dans une foule, et que tous les représentants des nombreux cercles situés en amont du futur barrage ne pouvaient pas avoir la même position que ceux des deux seuls cercles situés en aval ! En outre, l’atmosphère était si tendue dans la ville, que l’accès à la salle était conditionné par la présentation d’une carte d’invitation, et que ses abords étaient ceinturés par des hommes en armes ! Djenné n’avait jamais vu un tel déploiement de forces dans ses murs, et chacun se demandait : pourquoi tant de précautions ? Radio Jamana transmettait en direct les débats qui se déroulaient dans la Maison du Peuple.

En effet, cette réunion avait été soigneusement préparée par l’administration. La direction régionale de l’agriculture avait sillonné le cercle, assurant que le projet n’avait aucun des inconvénients dont certains avaient parlé, et promettant des mesures d’accompagnement. Puis le ministre de l’agriculture lui-même est venu en visite « privée » à Djenné le 19 janvier, pour  soutenir et organiser les partisans du projet ; et le 7 février 70 représentants d’une vingtaine de villages du cercle étaient réunies à Soa, apparemment à l’initiative d’une association locale, Benkadi, présidée par le maire de Gomitogo.[1] Cette association a été créée il y a quelques années à l’initiative de Care-Mali pour soutenir ses activités. Or il est apparu que les ouvrages construits par Care-Mali dans le Pondori ne servent à rien si l’eau n’entre pas dans les plaines : Benkadi est donc devenue un soutien actif des projets de barrage de Talo et de Djenné. Le Président de la chambre d’agriculture décrit ainsi l’atmosphère de la rencontre  : « on nous a fait comprendre que la construction de ce barrage était inéluctable, il s’agissait donc seulement de discuter de mesures d’accompagnement. » Dans le même esprit, une mission d’explication a été organisée [2] par l’Assemblée régionale de Mopti : le vice-président du conseil de cercle de Djenné a été envoyé dans les villages, essentiellement pour établir la liste des mesures d’accompagnement : à Konio, à Sofara, à Taga… De même le Président de la Chambre d’agriculture s’est déplacé dans les chefs-lieux des communes pour obtenir leur ralliement.

Pour mesurer l’inquiétude engendrée à Djenné par cette campagne, il suffisait d’assister à la grande prière le jour de la tabaski, le 12 février, et d’entendre les bénédictions faites, devant des milliers de personnes, tous les hommes que compte la cité, et dans le plus grand silence, pour que le barrage de Talo ne se réalise jamais !

La réunion avec les ministres avait enfin été préparée à Djenné même, le samedi 14 février au soir. Beaucoup de gens se sont retrouvés à l’école, de 21 h à 2 h du matin, à l’initiative du député, qui avait téléphoné à la fois au maire et à un autre notable pour leur demander de convoquer les gens. Le député de Djenné présidait une grande assemblée où l’on remarquait notamment le second député du cercle, des représentants de sept communes du cercle, les plus directement concernées (Nema Bangnena Kafu, Wouro Ali, Femaye, Gomitogo –dont le maire et son adjoint–, Dandougou Fakala, Sofara, Derary), de nombreux chefs de famille de Djenné même, des représentants des groupes professionnels et des personnalités telles que le premier adjoint au maire de Djenné, et le maire lui-même, ainsi que trois représentants des djennenké de Bamako. Les discussions ont été longues parce que le Président a demandé à chaque commune de donner ses arguments. Mais la position unanime était la suivante : les présents s’opposent au lancement des travaux du barrage de Talo et à toutes les mesures d’accompa-gnement, qui ne servent qu’à acheter des avis favorables ; ils demandent, avant toute nouvelle discussion, que soit réalisée une étude sérieuse de l’impact de ce projet à l’aval, notamment dans le cercle de Djenné. A la fin de la réunion, vers 2 h du matin, la présidence promettait de rédiger ces conclusions pour le lendemain matin et de les défendre devant les ministres. 

Mais là, devant les ministres, les interventions étaient si unanimement favorables au projet de barrage, et les mesures d’accompagnement exploitaient de façon si évidente les mauvaises récoltes dont le cercle de Djenné souffre cette année, que ses représentants ont vite compris qu’ils étaient tombés dans un traquenard organisé depuis Bamako. Aussi, après la suspension des débats prononcée à 14 h pour la prière, les représentants des groupes socio-professionnels de Djenné ont décidé de ne pas rejoindre la salle des débats.

A vrai dire, un membre de la délégation venue de Bamako avait clairement affirmé dans la salle, chacun l’a entendu à la radio : « nous ne sommes pas venus pour négocier les barrages, mais pour les mesures d’accompagnement ; si vous persistez à refuser, vous ne sortirez pas de cette réunion la tête haute ». C’est ce même message que l’administration avait fait passer pendant des mois : l’Etat fera Talo, que Djenné le veuille ou non, il est donc inutile de s’y opposer ; mais on mettra des formes à cette capitulation… De fait, trois ministres sont venus, ils ont parlé aux gens de Djenné, et ce faisant, ils ont montré qu’ils ne méprisaient pas Djenné, et donc les notables de Djenné ont pu donner leur accord du bout des lèvres.

La commission chargée de rédiger les recommandations était ainsi composée : les représentants élus des cercles de Bougouni, Koutiala, San, Bla et Mopti, plus le Haut Commissaire. Mais le cercle de Djenné, lui, était représenté par le préfet de Djenné ! Cette commission rédigera les recommandations suivantes :

1)    « création et mise en place d’un comité de pilotage des seuils de Djenné et de Talo

2)       création et mise en place du comité du bassin du Bani

3)       accélérer la mise en œuvre du projet de développement intégré du cercle de Djenné (seuil de Djenné)

4)       démarrage des travaux du seuil de Talo (phase I)

5)       réalisation des mesures d’urgence pour soutenir la production agricole dans les cercles de Djenné et Mopti (VRES, PNIR, PADR), surcreusement des chenaux d’irrigation à partir des fleuves Niger et Bani pour améliorer l’alimentation des plaines ;

6)       prendre les mesures nécessaires pour l’approfondissement de la connaissance des ressources en eau pour une meilleure gestion des ouvrages ;

7)       accélérer les études des sites identifiés sur le haut bassin du Bani »

C’est alors que, pour ceux qui suivaient les débats à la radio, s’est produit le coup de théâtre : au grand dam de la population de Djenné, son député, son chef de village et son maire ont accepté ces recommandations, et le représentant de son imam y a ajouté ses bénédictions ! Il ne restait plus au Président du conseil de cercle et au Préfet qu’à apposer leurs signatures !

Propreté de Djenné

Depuis le 3 août 2002, un agent de la direction nationale de l’assainissement et de la lutte contre les pollutions et les nuisances, Monsieur Bakary Coulibaly, a été affecté à Djenné. Il a été rejoint par un volontaire américain, Nathan Forsythe. Ce service ne dispose cependant, jusqu’à présent, ni de local, ni de budget, ni de matériel. Pourtant il a relancé certaines activités et recommencé à mobiliser toutes les personnes et groupements qui jouent un rôle dans la propreté de Djenné.

Ainsi, le 24 décembre 2002, une réunion a rassemblé autour du préfet toutes les associations féminines qui interviennent dans ce domaine, les services publics concernés, les hôteliers, les guides, les milieux religieux (AMUPI), les services de l’enseignement (CAP) et les « porteurs d’uniformes » (gendarmerie, garde nationale). Parmi les questions débattues figurait la relance du balayage de Djenné, l’évacuation des eaux usées et l’installation de poubelles dans la ville.

Depuis des années, le balayage de la place du marché et des rues adjacentes dépend d’associations féminines, qui ont été périodiquement motivées par des dons de matériels et par des promesses de subventions, et périodiquement découragées par les promesses non tenues. Ainsi, en août 2002, les associations concernées souffraient d’un retard de cinq mois dans la modeste subvention municipale grâce à laquelle elles fonctionnent (60.000 FCFA par mois, soit 12500 FCFA par association). Actuellement cinq associations ont repris le travail, deux fois par semaine (lundi soir ou mardi, et samedi) :

- la Coopérative multifonctionnelle, présidée par Mme Aïssata Simpara,

- Badegna, à Djoboro, présidée par Mme Mamou Sao,

- Hamfendou, à Seymani, présidée par Mme Wahou Naciré,

- AFAM, à Farmantala, présidée par Mme Tata Santara,

- Faïda, à Yoboucaïna, présidée par Mme Tata Souko

et trois autres ont manifesté l’intention de se remettre au travail :

- Sabunyuman, à Kanafa, présidée par Mme Fanta Kanta,

- Lahidou, à Farmantala, présidée par Mme Nako Yaro

- Demessen bolo, à Yoboucaïna, présidée par Mme Aïssa Toure

Parallèlement, le nouveau service prenait contact avec tous les notables et les chefs de quartiers, et sensibilisait la population sur le thème de l’évacuation des eaux usées. Au cours de visites des quartiers, un certains nombre de chefs de familles ont été invités soit à installer un canari ou une fosse cimentée pour recueillir les eaux usées pendant la journée (elles seront déversées sur la rue dans la nuit et y sécheront avant le lever du jour au lieu d’y stagner toute la journée) ; d’autres à faire de petits aménagements dans la rue pour canaliser les eaux usées.

Après cette action, une commission de verbalisation nommée d’après la tradition ndie fisifisi, celui qui s’occupe du balayage, a été constituée pour surveiller les effets de la sensibilisation : des amendes allant de 3.000 à 18.000 FCFA pourront être infligées (loi 01-020 du 30 mai 2001 relative aux pollutions et nuisances). Parallèlement, un prix de la propreté a été créé, doté de 500.000 FCFA, qui sera attribué aux trois quartiers qui auront fait le plus grand effort (premier prix : 250.000 FCFA ; second prix : 150.000 FCFA ; troisième prix : 100.000 FCFA).

Bakary Coulibaly, chef du service d’assainissement

Ces nouvelles appellent un commentaire. On ne peut que se réjouir de voir qu’un nouvel effort est entrepris pour la propreté de Djenné. Cependant, on y voit les administrations centrales continuer à nommer des agents dépendant d’elles dans les communes, et compter sur les mairies pour fournir à ces agents les moyens de travailler. Localement, les agents des services centraux faisant bloc, la mairie se trouve dépossédée des décisions qui lui incombent d’après les textes sur la décentralisation. Le préfet décide et demande ensuite à ses services de veiller à ce que le maire prenne les arrêtés municipaux qui s’imposent. La décentralisation est-elle donc une façon de mettre à la charge de la collectivité locale de nouvelles charges tout en lui imposant un contrôle plus étroit par la présence d’un personnel central plus important ? D’un autre côté, si la mairie reconnaît que « du fait que nous sommes tous parents, à Djenné, il ne nous est pas possible de recourir à la force » pour imposer des décisions d’intérêt collectif, ne faut-il pas que l’administration centrale agisse ? Aujourd’hui, la mairie ne peut s’affirmer qu’en tardant indéfiniment à financer les actions décidées en dehors d’elle, et les administrations continuent à prospérer en décidant à la place des intéressés !

Evaluation de l’expérimentation d’assainissement de Djenné

L’expérimentation lancée par l’Université technologique de Delft dans les quartiers de Yoboucaïna et Bamana a été évaluée en janvier 2003. [3] On y apprend notamment que plus de 600 maisons de Djenné sont raccordées au réseau d’eau. Cependant, dans le quartier de Yoboucaïna, et plus précisément dans le secteur choisi pour l’expérience, la grande majorité s’approvisionne aux fontaines publiques (25 des 30 maisons concernées). D’après l’étude faite auprès de ces 30 maisons, la consommation maximum journalière d’une famille raccordée est de 528 litres, à comparer à 234 litres pour une famille non raccordée. [4] Dans ce quartier, la capacité d’infiltration du sol, argileux comme ailleurs dans Djenné, serait néanmoins assez importante : presque 300 litres par m2 et par jour. Néanmoins, les fosses d’infiltration, enterrées à 50 cm en dessous du niveau du sol, ont des volumes assez conséquents : de 0,4 à 1,8 m3, selon la consommation d’eau de la maison. Le coût de l’opération a été de 2 millions FCFA, ce qui représente en ordre de grandeur une dépense de 60.000 FCFA par maison (certaines sont équipées de deux, voire de trois dispositifs). L’évaluation se termine par les questions suivantes :

- est-ce qu’on doit redouter un compactage du sol dans les fosses d’infiltration, ce qui diminuerait progressivement leur capacité d’infiltration ?

- est-ce qu’on doit redouter, comme conséquence à terme de l’infiltration, un ramollissement du sol, qui pourrait entraîner des dégâts aux maisons ?

- en combien de temps la fosse d’infiltration serait-elle envasée ?

- le dispositif se montrera-t-il fonctionnel et facile d’utilisation en toute saison ?

- les utilisateurs prendront-ils facilement l’habitude d’entretenir le dispositif en nettoyant les cuvettes de décantation ?[5]

Ce premier bilan de l’expérience n’apporte pas de réponse à ces questions, parce qu’on n’a pas assez de recul ; mais il est prévu une autre évaluation, un an plus tard, en 2003.

Un « plan stratégique d’assainissement» pour Djenné

Le Ministère de l’environnement avait confié à un bureau d’étude la préparation d’un plan stratégique d’assainissement (PSA) pour la ville de Djenné. Le rapport du bureau d’études, CIRA-Ingénieurs Conseils [6] a été présenté à un atelier de validation qui s’est tenu à Djenné les 4 et 5 janvier 2003. Les solutions proposées sont les suivantes :

1)       pour les eaux pluviales :

- un réseau de collecteurs à ciel ouvert en maçonnerie de moellons pour les grandes rues de la ville (soit 5 km de collecteurs à créer) ;

- rues pavées et refaçonnées pour obtenir le ruissellement superficiel des eaux dans les petites rues de la ville (plus de 58000 m3 de blocs de grès à tailler pour paver 14 km de ruelles) ;

- aménagement de l’ensemble des berges (pavage en pierres naturelles), des quais et des exutoires de la ville ;

- aménagement des cours des concessions et des cours des établissements publics pour faciliter le drainage des eaux pluviales ;

- aménagement des abords des bornes-fontaines et des aires de lavage en vue de drainer leurs eaux vers le réseau d’égout.

2)       pour les eaux usées et les excreta :

- installation de lavoirs pour les eaux usées de lessive et de vaisselle dans toutes les habitations ;

- installation de latrines à deux fosses ventilées alternantes dans toutes les habitations qui disposent de l’espace voulu ;

- installation de bassins d’interception dans les concessions qui n’ont pas assez d’espace ;

- système « condominial » pour l’évacuation des eaux usées ; ce système a pour caractéristique que les blocs ou groupes de maisons se trouvant sur un même tronçon ont la responsabilité de la gestion commune des installations qui les concernent ; ces tronçons aboutissent à des points de rejet, au nombre de 22, sur les berges ;[7]

- filtres bactériens et pré-filtres à flux horizontal pour l’épuration des eaux usées sur les berges ;

- bassins de stabilisation pour la station d’épuration ;

- lits de séchage des boues ;

- latrines à deux fosses ventilées alternantes et à cabines multiples pour les lieux publics ;

- fosses septiques avec toilettes modernes pour les centres d’hébergement, hôtels et services.[8]

3)       déchets solides

- pré-collecte dans les concessions et services publics dans des poubelles métalliques ;

- collecte et évacuation vers quatre sites de transfert à l’aide de chariots en tricycle, opération pour laquelle on compte sur la redynamisation des associations féminines qui sont déjà intervenues dans ce domaine dans le passé ;

- évacuation vers la décharge finale à l’aide de camions porte-conteneurs ;

- valorisation par compostage de la composante biodégradable des déchets.[9]

Ce programme devrait être réalisé en répartissant le coût entre l’investissement public et l’apport des bénéficiaires. L’investissement colossal nécessité par l’évacuation  des eaux usées (3,6 milliards FCFA) serait à rechercher auprès de bailleurs de fonds, car il est hors de portée de la population. [10] Par contre, « les coûts d’aménagement nécessaires dans les cours des concessions pour assurer l’évacuation correcte des eaux pluviales seront à la charge des ménages. Les enquêtes menées ont établi une prédisposition des bénéficiaires à ce sujet » peut-on lire dans le même document. [11] On prévoit pourtant que le projet pourrait fournir gratuitement des dalles et des tuyaux PVC, et que les familles pourraient emprunter 60.000 FCFA au taux de 21 % remboursables en 2 ans, « ce qui est tout à fait supportable par près de 95 % des ménages enquêtés ». [12] Plus généralement, tous les frais de branchement individuel au réseau seront à la charge des familles, car « l’idée maîtresse est d’assurer le paiement par les usagers/bénéficiaires du service rendu ».[13] Mais le document, prolixe lorsqu’il s’agit de faire de grandes phrases sur la participation, ne dit rien de plus précis sur la répartition des coûts, sauf que « la population a démontré, lors des enquêtes, sa volonté de payer pour des services fiables ».[14]

Ce rapport conclut par une estimation du coût des travaux à envisager : pas moins de 6,5 milliards FCFA. Est-ce bien raisonnable ?

Un premier commentaire de ce projet

Le volontaire du Corps de la paix placé, auprès du service d’assainissement de Djenné, Nathan Forsythe, surnommé Dramane Cisse, a rédigé le commentaire ci-dessous du projet.

« Le rapport final du PSA a été rendu par le bureau CIRA-Sarl vers la fin du mois de novembre 2002. Une première lecture révèle que les solutions retenues penchent vers le côté sophistiqué des technologies appropriées, et que la réalisation de ces solutions nécessiterait de très gros financements. Les paragraphes suivants expliquent les recommandations du volontaire.

1.        Concernant la démarche générale à adopter par le Service d’assainissement et de contrôle des pollutions et nuisances (SACPN)

Le volontaire recommande que le SACPN entreprenne une enquête approfondie auprès de la population de la ville, pour :

-          recenser les équipements privés déjà présents, évaluer leur évolution probable ;

-          vérifier quantitativement la volonté de la population de payer pour la réalisation et surtout l’entretien des infrastructures ;

-          pour trouver un consensus parmi la population sur un compromis équilibré entre la sophistication et la qualité des ouvrages (représentée par leur prix unitaire) et le nombre de ceux qui pourront être réalisés compte tenu de la disponibilité des financements.

Il est recommandé aussi, à la suite de l’enquête, de développer et d’exécuter un programme de sensibilisation des élèves (et des autres groupes cibles pertinents) aux comportements favorables en matière d’assainissement et d’hygiène.

Une troisième recommandation concernant la démarche générale est de développer les capacités organisationnelles du SAPCN : le doter d’un local permanent, l’équiper pour qu’il puisse travailler efficacement et créer un système d’information géographique contenant les données nécessaires à la planification et à la gestion des infrastructures d’assainissement.

2.        Concernant la gestion des eaux pluviales

Toute décision concernant les solutions techniques et l’ordre de priorité des réalisations, compte tenu des financements, devrait recevoir l’accord  d’un groupe représentant les différents acteurs de l’assainissement et les diverses composantes de la communauté économique et sociale.

Cela dit, dans un premier temps, l’aménagement des voies carrossables pourrait être prioritaire, parce qu’il pourrait sécuriser la circulation (voire diminuer l’enclavement de la ville pendant la saison des pluies) et renforcer la capacité des autorités à réagir en cas d’urgence. Il aurait aussi un impact sur la première impression des touristes, et par là probablement sur l’activité économique, favorisant des séjours plus longs.

En outre, il conviendrait sans doute de repenser les dimensions des caniveaux. Il s’agit ici premièrement de minimiser les coûts de réalisation et d’entretien, ainsi que leur emprise sur les espaces publics, ce qui implique de minimiser la longueur des chemins d’écoulement et de favoriser le déversement des eaux pluviales sur les berges en chaque point convenable ; en second lieu, il faut se demander si l’intensité des pluies utilisée pour dimensionner les caniveaux ne sera pas si peu fréquente qu’on s’imposerait en la conservant des sur-coûts injustifiés en construction et en entretien.

En ce qui concerne les ruelles, il est recommandé de séparer la réalisation des rigoles centrales et celle des trottoirs qui les bordent. L’extension du système des rigoles est prioritaire car elle réduirait fortement la stagnation des eaux à l’intérieur de la ville, et diminuerait aussi l’effet néfaste des eaux pluviales sur les trottoirs non aménagés ; la mise en état des trottoirs ne présente par le même caractère. Or l’aménagement des ruelles présente une excellente opportunité pour instaurer une approche participative de l’aménagement de la ville. Impliquer la population de chaque quartier dans la planification et l’ordre de réalisation des aménagements, dans leur financement et dans leur entretien renforcera la prise de conscience des avantages et des besoins en infrastructures ; elle renforcera aussi la capacité locale d’action communautaire.

En ce qui concerne les berges, le coût astronomique du devis estimatif pour les travaux proposés et le fait que les principaux bénéficiaires en seront les touristes, conduisent à recommander que le financement de ces travaux soit recherché à part de celui du reste du projet.

3.        Concernant la gestion des eaux usées

Sur ce point, il est essentiel de considérer la complémentarité des équipements. Les problèmes actuels viennent de ce que l’équipement public d’évacuation des eaux usées n’a pas tenu le rythme de l’équipement public d’adduction d’eau. Pour l’avenir, s’il y a donc un retard à rattraper, il faut aussi prendre le temps de vérifier que les ouvrages envisagés pour l’évacuation des eaux usées sont véritablement justifiés par les activités et équipements qui génèrent des eaux usées. L’hypothèse du volontaire est que même si les branchements privés vont se multiplier dans les années qui viennent, ils risquent de se limiter à un robinet au milieu de la cour, avec des équipements domestiques restant « traditionnels » (latrines simples, aires de lavage au milieu de la concession ou de la rue…). Cette hypothèse est à vérifier, et on ne peut le faire que par une enquête directe auprès de la population : cette enquête a donc une importance prépondérante.

Si cette hypothèse se confirmait, le volontaire recommanderait un système mixte, où les eaux « grises » (eaux de lavage, vaisselle et bain) seraient évacuées par des rigoles à ciel ouvert, servant aussi à l’évacuation des eaux pluviales, vers des dispositifs locaux de traitement (probablement : un ou des décanteurs, un lit bactérien et un puisard). Dans ce cas, en effet, les bassins d’interception et les conduites enterrées recommandées par le PSA ne seraient pas appropriés à la situation réelle de Djenné. Quoi qu’il en soit, les recherches de financement concernant les rigoles et les dispositifs locaux de traitement  devraient être regoupées.

Pour les excreta, il est recommandé que la vidange des latrines soit confiée à un ou des GIE à vocation d’assainissement. Il faudra sans doute envisager à long terme la construction d’une station d’épuration des boues, sauf si une station édifiée à Mopti ou Sévaré ou San –et des coûts de transport faibles– la concurrençaient. Pour cette raison, la recherche de financement pour une station d’épuration doit être traitée à part de celle qui concerne les autres équipements.

4.        Concernant les déchets solides

L’initiative prise en décembre 2002 par le Préfet, qui a mis en œuvre un « plan d’action citoyen pour l’assainissement de la ville de Djenné » est très importante à cet égard. L’un de ses aspects les plus judicieux est l’idée que les quartiers concluent des contrats de prestation avec des GIE pour le balayage des ruelles et la collecte des déchets ; que les commerçants passent contrat avec des associations féminines pour le balayage des marchés et des places publiques, ou encore que la mairie s’entende avec des GIE pour l’évacuation vers une décharge finale des déchets ramassés. Cependant, ces contrats ne pourront être exécutés que si les autorités imposent et suivent le recouvrement de la cotisation de 100 FCFA par mois et par famille, ce qui représente une recette d’environ 200.000 FCFA par mois, à répartir entre les GIE (le prix des services des associations féminines étant à négocier entre elles et les commerçants).

Sur ce point, le volontaire recommande la réalisation des quatre dépôts de transit et de la décharge finale qui sont prévus dans le PSA. Mais leur dimensionnement, et le devis estimatif prévu pour cette réalisation dans le PSA, sont à revoir. La réduction du volume des déchets par compostage des matières organiques, par recyclage des matières synthétiques, et surtout par réutilisation, permet de diminuer la dimension des ouvrages, donc leur coût de construction et leur coût d’entretien.

Il est recommandé de séparer la recherche de financement pour les dépôts de transit et celle qui concernera la décharge finale. Les premiers peuvent être le support d’une activité participative, la dernière est un ouvrage important pour lequel un bailleur de fonds doit être sollicité. L’éventuel financement des poubelles et leur répartition entre les quartiers sont aussi des questions favorisant une approche participative.

5.        Concernant la gestion des ouvrages

Tout au long de la démarche de planification et de réalisation des infrastructures, il faudra rester conscient des limites de la volonté de payer (VDP) de la population pour la réalisation et surtout pour l’entretien des infrastructures d’assainissement. Cette volonté sera appréciée lors de l’enquête auprès de la population, mais les infrastructures planifiées doivent être limitées pour que les coûts de leur exploitation et de leur entretien soient inférieurs ou égaux à la VDP.

Nathan Forsythe, dit Dramane Cisse

Un second commentaire de ce projet

Les choix techniques sur lesquels repose ce projet sont en cours d’expérimentation à Mopti, ou chacun peut visiter le chantier, rue du Pont Carré et rues voisines, qui concerne actuellement 300 concessions, soit environ 3000 personnes. Cette visite permet de se poser deux questions : 1) sera-t-il facile d’entretenir (par exemple de déboucher), ou d’étendre à de nouveaux bénéficiaires, ce réseau de canalisations en plastique enterrées assez profond (jusqu’à 2 m) pour ménager une pente suffisante à l’écoulement par gravité, et auxquelles on n’accédera que par des regards étroits ? 2) où placera-t-on autour de Djenné les immenses bassins de décantation qui sont nécessaires ? Ces bassins occupent plus de 4000 m2 à Mopti pour 3000 personnes, il faudrait donc quatre installations de ce type à Djenné !

Visiteurs de marque

Le 9 décembre 2002, Djenné a accueilli une importante délégation de professionnels étrangers du tourisme, conduite par l’Office Malien du Tourisme et de l’Hôtellerie, en collaboration avec l’agence française AS Tour, Timbuktours, l’Association malienne des agences de voyage et de tourisme (AMAVT) et l’Association des hôteliers du Mali. Auparavant, cette délégation avait visité le Musée National à Bamako (exposé de Samuel Sidibe), était passée à Tombouctou (exposés de l’imam Abderhamane Ben Essayouti, de M. Dicko, directeur de l’IHERI, anciennement Centre Ahmed Baba), était allée à Mopti et en pays dogon. A Djenné, la délégation a pu visiter la mosquée en suivant les explications données par  M. Foourou Cisse, premier adjoint au maire. Cette tournée fait suite à la campagne de relance du tourisme au Mali qui a été organisée dès le mois de novembre par le Ministre de l’artisanat et du tourisme, Monsieur Bah N’Diaye.

Jean-Pierre Haigneré, Directeur de la division des astronautes à l’Agence spatiale européenne, de passage à Djenné le 9 janvier 2003, accompagné par Youssouf Tata Cissé, anthropologue malien bien connu, a donné une conférence complétée par une projection vidéo sur l’espace. Il a rendu compte, devant les personnalités administratives, politiques et religieuses, et devant un groupe de talibé, de son séjour de 6 mois dans l’espace. Il a répondu à toutes les questions, portant notamment sur ce qu’il a vu depuis le vaisseau spatial. Il a échangé en particulier avec le vieux Baber Thera sur l’astrologie : il s’intéresse lui-même à la façon dont les marabouts ont étudié et compris la science de l’espace et des étoiles.

Cheikh Oumar Sissoko, ministre de la culture, était à Djenné les 27 et 28 janvier 2003, à l’occasion de la réunion du dernier comité scientifique du projet de réhabilitation et de conservation de l’architecture de Djenné.

Un nouveau projet de jardinage pour les femmes

Le visiteur de Djenné ne pourra pas manquer de remarquer, au carrefour et à l’entrée de la ville, d’immenses panneaux annonçant le nouveau projet de jardinage pour les femmes, Hamfendo, avec le logo de l’USAID ; il pourra aussi remarquer les planches tirées au cordeau sur la rive du bras d’eau qui longe le cercle, juste à droite avant le pont par lequel on entre dans la vieille ville. Ce projet vient après celui de l’association Benkadi, créé en 1984 (par feue Manthini Niare, alors gérante du campement de Djenné), soutenue par Care à partir de 1988 et qui fonctionne toujours près de la digue du cimetière ; après celui de l’association « Sabunyuman », créé en octobre 1991 ; après celui de l’Association des femmes maraîchères (Afem) soutenu par le jumelage Djenné-Vitré, créé lui aussi en 1991, et qui fonctionne toujours à l’entrée de Djenné ; après celui des femmes bozo, Hamfendou, le panier de poisson, installé d’abord au nord-ouest de Djenné, et qui vient d’obtenir un financement USAID pour se développer vers le cercle. Bref, l’activité de maraîchage se développe au fil des ans, et correspond visiblement à un besoin.

Un lotissement à Dotome-Tolo

Le préfet de Djenné a attribué récemment près d’une centaine de lots de terrains à bâtir à Dotomé-Tolo, à l’entrée de Djenné, juste avant le pont, à gauche, derrière l’école franco-arabe. Il en reste encore environ 70 d’après le plan d’ensemble. Cette procédure montre les limites du processus de décentralisation en cours au Mali : c’est encore le représentant de l’Etat, en principe chargé seulement de la tutelle sur les collectivités locales, qui décide d’une opération de cette importance et la réalise

Par ailleurs, bien que ces terrains soient à l’évidence situés sur un site archéologique (le sol est jonché de tessons, des jarres affleurent ici et là…), l’idée n’est venue à personne que cette zone devrait être interdite à la construction. De fait, on verra plus loin dans ce même bulletin, que la zone considérée n’est pas classée. Cela ne veut pas dire, pour autant, que l’administration peut y laisser construire n’importe quoi et n’importe comment : au contraire, elle doit imposer le respect de règles simples assurant que la ville ne sera pas défigurée par des constructions jurant avec leur environnement. DJENNE PATRIMOINE a fait des propositions précises sur ce sujet (voir DJENNE PATRIMOINE Informations, n° 12, janvier 2002)

Crépissage de la mosquée

Le vendredi 17 janvier, lors de la grande prière à la mosquée, le muezzin a annoncé qu’il fallait commencer à penser comment on ferait face aux travaux de crépissage de la mosquée. Dès le jeudi 23 janvier, les maçons, les griots et les gens de caste des quartiers sud et ouest de la ville, et qui étaient à l’origine de cette annonce, puisque toute l’organisation de cette opération leur incombe, se sont regroupés, dans chaque quartier, pour creuser la fosse à banco et commencer à laisser pourrir. Cette décision très précoce, cette année, témoigne de la rapidité de l’assèchement du marigot qui entoure Djenné : on se presse de faire le travail avant qu’il n’y ait plus d’eau ! Mais, comme il fait froid cette année pendant la saison sèche, il faudra attendre plus longtemps que d’habitude : au moins trois semaines, avant que le banco ne soit prêt. Ainsi, la première moitié du travail a été faite le jeudi 20 février. Et la seconde l’a été le jeudi 20 mars.

Ces dates sont été, chaque fois, annoncées le vendredi précédent, à la mosquée : un délai trop court pour que  les personnes intéressées puissent être prévenues, surtout si elles résident à l’étranger et surtout si elles utilisent les services d’agences de voyages qui établissent leurs programmes plusieurs mois à l’avance. Pourtant, on aimerait que cet exemple unique d’action collective, avec toute l’organisation qu’elle implique, soit  vu par beaucoup de visiteurs ! Djenné s’y révélerait alors à eux sous un jour inoubliable, où toute le société est engagée dans un geste hautement symbolique d’entretien de la célèbre mosquée. N’est-ce pas ce genre d’image de soi que Djenné devrait diffuser dans le monde entier ?

NOUVELLES DU PATRIMOINE DE DJENNE

Crépir ou revêtir les façades de briques cuites ?

Il semblerait que l’administration commence à évoluer : au moment de remettre en état la maison du sous-préfet, elle a choisi de la recrépir, et pour cela de supprimer le revêtement de briques cuites qui y avait été posé il y a quelques années. On sait que ce type de revêtement ne constitue pas une solution satisfaisante, parce que, outre son coût supérieur à celui du crépissage, l’eau s’infiltre derrière les briques et créée des dommages qui peuvent rester inapparents tant qu’ils ne sont pas très graves ; souvent, il est alors trop tard pour intervenir. Mais les propriétaires, mal informés,[15]   croient faire une bonne opération qui leur évitera quelques simples crépissages !

Lutte contre le trafic de biens culturels

18 statuettes sorties illégalement du Mali ont été restituées en novembre 2002, après une longue procédure judiciaire en France, où elles avaient été exportées illégalement. Un lot de 16 statuettes des 13ème-15ème siècle, provenant du delta intérieur du Niger, avaient en effet été saisies en 1996 par les douanes françaises. Elles ont été restituées au Musée National du Mali, qui enrichit donc ses collections d’objets sans valeur archéologique. Deux statuettes volées il y a quelques années dans le village dogon de Néni ont également rejoint le Mali, après qu’une plainte ait été déposée à la Mission culturelle de Bandiagara par les villageois ; elles auraient été retrouvées chez un antiquaire parisien à la suite d’une enquête menée par un journaliste belge, Michel Brent, et la chaîne de télévision France2. [16]

Pour en savoir plus sur le problème général, voir Cristiana Panella : « Les terres cuites de la discorde : déterrement et écoulement des terres cuites anthropomorphes du Mali, les réseaux locaux », Research School of Asian, African and Amerindian Studies, Universiteit Leiden, The Netherlands, 2002, 236 p.

Réunion du comité scientifique du projet de restauration et de conservation de l’architecture de Djenné (27 janvier 2003)

Ce projet a été lancé en 1996 grâce au financement apporté par le Royaume des Pays-Bas. Sa gestion a été l’activité essentielle de la Mission Culturelle. La supervision a été assurée par un comité dans lequel Rogier Bedaux et Pierre Maas ont joué un rôle essentiel, dont ils doivent être remerciés. Une équipe locale du projet a été constituée, mais sa composition a changé au cours du temps. Dans une première phase, l’architecte Sébastien Diallo s’est établi à Djenné pour suivre les travaux ; dans une seconde étape, cette surveillance a été confiée à un cabinet d’architectes de Mopti, qui a délégué un technicien.

Une nouvelle fois, le comité scientifique a constaté que le programme était en retard par rapport à ses prévisions : « des chantiers traînent depuis des années », et par exemple, au début 2003, toutes les maisons qui étaient au programme des années 2001 et 2000 ne sont pas terminées. Les raisons invoquées dans le rapport sont « l’attitude négative de certains maçons, qui n’honorent pas régulièrement leurs engagements », d’une part, et « l’indifférence des propriétaires des maisons » d’autre part. C’est pour cette dernière raison qu’il avait été décidé d’ouvrir le comité de pilotage aux propriétaires de maisons, mais le résultat n’est apparemment pas convaincant. Naturellement, la Mission culturelle a aussi évoqué les retards des virements bancaires.

La qualité des travaux réalisés pose aussi problème. « Des constructions qui n’ont qu’une année commencent à présenter des fissures ; des décorations ayant subi l’épreuve d’une seule saison des pluies sont toutes parties » : même si les maçons ont raison de dire qu’il faut crépir plusieurs fois pour obtenir un crépi solide, les habitants de Djenné savent tous que la qualité du travail sur les chantiers de la Mission culturelle n’est pas ce qu’on attendait. On devait obtenir la meilleure qualité, on en est loin ! Le prix décerné au maçon de l’année (50.000 FCFA) ne suffit manifestement pas à entraîner l’adhésion enthousiaste de la profession ! On en est d’ailleurs à donner des ordres aux maçons, dans le bureau du préfet et en présence du chef de village ! De même, l’introduction d’un minimum de transparence dans les opérations (depuis 2002, chaque propriétaire sait quelles sommes sont versées au maçon pour faire les travaux convenus) ne suffit pas à obtenir que les propriétaires s’approprient le projet, qui reste une affaire de la bureaucratie nationale appuyée par des étrangers. Les taux de refus sont très importants : sur 19 maisons initialement programmées en 2002, 9 ont fait l’objet de refus ! La Mission culturelle a été amenée à réhabiliter des maisons qui n’étaient pas sur la liste dite « des réserves », et même à intervenir sur les bâtiments de l’OPAM [17] qui, construits dans les années 1970, ne sont aucunement un témoignage de l’architecture originale de Djenné !

Il faut rappeler que l’objectif du projet, tel qu’il a été présenté dans les documents spécialisés, était de restaurer 176 maisons identifiées lors du recensement réalisé en 1995 par l’équipe hollandaise. [18] Cet objectif a été ramené à 100 maisons au motif que, lors du lancement effectif du projet, 30 maisons avaient disparu et que 34 autres avaient été construites sur des places nouvelles. Aujourd’hui, à quelques mois du terme du projet, 92 maisons ont fait l’objet d’une intervention. Et le financement hollandais de 350 millions FCFA –ce qui n’est tout de même pas rien ! – est pratiquement épuisé. En outre, tous ceux qui pensaient que l’opération permettrait de retrouver les techniques traditionnelles et d’en revivifier l’emploi, tous sont déçus : aucun effort n’a été fait pour retrouver la technique de construction en djenne ferey ou la composition des meilleurs revêtements de façade, aucun effort pour retrouver les modèles de claustra en terre cuite, aucun effort pour retrouver la meilleure qualité dans le travail des menuisiers et dans la protection des portes et fenêtres (pour ces dernières, on a employé les peintures du commerce, et on a choisi des couleurs à la mode à la place de la seule couleur traditionnelle rouge brique obtenue à partir de la latérite).

C’est ainsi que, au cours de la discussion, le représentant de DJENNE PATRIMOINE a été amené à rappeler que, si aucun maçon vivant aujourd’hui à Djenné n’a jamais construit lui-même une maison en djenne ferey, des éléments de savoir-faire sont encore disponibles ; et ils ont été utilisés au cours d’un chantier–école, pendant un mois, dans le quartier de Djoboro, courant 2002 : une entrée de concession, sifa (ou bolon), a été édifiée et le chantier a reçu beaucoup de visiteurs. C’est aussi dans un cadre privé que les motifs des claustra anciennes ont pu être retrouvés par la potière Mme Badji Samassekou.

Le souci exprimé en diverses occasions concernant l’appropriation du projet par les chefs de famille et par les représentants élus de la population locale a été perçu et exprimé, à l’occasion de cette réunion du comité scientifique et par le Directeur National du Patrimoine et par le Directeur Général de l’Institut des Sciences Humaines. La gestion du projet a été caractérisée par une pratique bureaucratique éprouvée, où les services centraux s’appuient sur le chef de village et quelques notables, qu’on intéresse personnellement à l’affaire, avant que les décisions ne soient imposées de façon autoritaire aux populations.

Pour l’avenir, il paraît très important de modifier ces pratiques. Dans un pays qui s’est engagé avec détermination dans la voie de la décentralisation, la présence au niveau local de fonctionnaires centraux disposant de moyens –fournis par l’aide extérieure– considérables par rapport à ceux des collectivités territoriales est un anachronisme. Ce sont ces dernières qui doivent être responsabilisées et qui doivent gérer les ressources humaines et financières que l’Etat obtient pour leur permettre de réaliser des tâches d’intérêt national, par exemple la conservation du patrimoine. De même, les ressources humaines consacrées par l’Etat à ces tâches doivent être placées sous la direction des collectivités concernées. En matière de patrimoine, le cas est particulièrement net : si tout, les décisions, les financements, les personnels, vient de la capitale, sans que les collectivités territoriales soient investies de responsabilités et de pouvoir de décision, ces collectivités sont à proprement parler dépossédées de leur patrimoine.

Cette question pourrait avoir une application très concrète. Le comité scientifique s’est préoccupé de la façon dont les chantiers de réhabilitation ont été documentés. On lui a répondu que l’état des maisons avant les travaux a été documenté. La mission d’évaluation présente à Djenné du 20 au 27 janvier a constaté que, par contre, les travaux de réhabilitation eux-mêmes n’ont pas été documentés : il manque dans les dossiers le plan de restauration et le plan de restitution. Or, la protection du patrimoine architectural de Djenné exige que la mairie, qui donne les autorisation de construire et par là joue théoriquement un rôle essentiel, dispose de toute la documentation et de toutes les compétences qui peuvent lui permettre de remplir cette fonction. Les archives du projet ne doivent pas rester aux Pays-Bas ou à Mopti, en un seul exemplaire, dans des cabinets d’architecte, elles doivent être déposées à Djenné même pour servir de base de travail à la mairie.

Dans le même esprit, qui est de responsabiliser la collectivité territoriale et la population, on se demandera combien ont pu coûter les nombreuses missions dépêchées depuis Bamako pour expliquer à la mairie de Djenné que les administrations centrales sont défavorables à la taxe touristique créée par la commune ! Le patrimoine de Djenné appartient à l’humanité toute entière, oui, et nous en sommes fiers, mais il appartient aussi aux habitants de Djenné qui doivent en vivre si l’on veut que ce patrimoine soit durablement conservé ! La taxe touristique n’est certes pas le meilleur moyen de faire contribuer les visiteurs à l’entretien et à la promotion du site, mais les habitants de Djenné, et leurs édiles, sont mieux placés que quiconque pour s’en rendre compte et pour imaginer une alternative. Le comité scientifique a bien remarqué que la mairie pourrait contribuer d’une façon significative au coût de l’entretien, dans le futur, des maisons réhabilitées ces dernières années, encore faut-il que l’administration bamakoise ne vienne pas, sous quelque prétexte que ce soit, priver la commune de toute ressource propre.

D’ailleurs, il faut bien admettre que, si l’on ose parler aujourd’hui de revoir le classement de Djenné, c’est que la critique du classement en bloc des « villes anciennes de Djenné » est venue de Djenné même, alors que les services centraux invitaient avec commisération les habitants de Djenné à ne pas sortir du domaine de leurs compétences. Le représentant de DJENNE PATRIMOINE a tenu à le souligner, et à rappeler que cette association a publié des propositions précises à ce sujet.

Amadou Tahirou Bah, Joseph Brunet-Jailly

Djenné au Folklife Festival

Trois maçons de Djenné sont d’ores et déjà invités à participer au Folklife Festival qui est organisé à Washington, aux Etats-Unis, du 25 juin au 4 juillet 2003 : Boubacar Kouroumansé, dit Bayéré, Béré Yonou et Kombaba Tanapo. Ils doivent y construire une maison en employant les techniques en usage à Djenné ! Asmane Traore sera aussi présent, avec ses broderies ! Le Mali est l’hôte d’honneur de ce festival, qui a été préparé par un mini-festival à Bamako du 3 au 5 février.

A Washington, le public américain pourra entendre une conférence du Professeur Roderick J. McIntosh sur le thème « Là ou l’Afrique urbaine a commencé : le patrimoine historique du Mali », ce qui sera l’occasion de présenter les fouilles réalisées à Djenné depuis vingt ans. Ensuite, M. Robert Maxwell, ancien ambassadeur des Etats-Unis au Mali, parlera du sujet  « le Mali d’aujourd’hui ». Puis Mary Jo Arnoldi et Pat McNaughton, deux anthropologues bien connus, la première pour ses travaux sur le théâtre de marionnettes de la région de Ségou, le second pour ses études du komo et ensuite des forgerons, traiteront de « Deux aspects de l’art bamanan ». Les sites touristiques du Mali seront ensuite présentés par l’ambassadeur Pringle, l’ancienne directrice du Peace Corp à Bamako. Des pages publicitaires devraient d’ailleurs paraître dans des magazines américains, tels que le Conde Nast Traveler ou le National Geographic.

Madame Zakiatou Wallet Halatine, ancien ministre de l’artisanat et du tourisme, est chargée de piloter la préparation de la participation du Mali à cette manifestation.

NOUVELLES DE DJENNE PATRIMOINE

Réunion de bureau le 28 janvier 2003

Cette réunion a été l’occasion pour le bureau de présenter ses excuses à toutes les personnes qui avaient envisagé de venir à Djenné pour participer aux festivités que l’association voulait organiser en leur honneur selon le programme publié en juillet 2002. La sécheresse qui a sévi dans toutes les localités qu’on se proposait de visiter a été telle qu’il était impossible d’organiser des réjouissances cette année. Le bureau espère que la prochaine récolte sera meilleure et donc il se prépare d’ores et déjà à proposer un nouveau programme pour le début janvier 2004.

Le bureau a également pris quelques décisions, notamment les suivantes :

-          fixer une périodicité à ses réunions ordinaires ;

-          convoquer prochainement une assemblée générale ;

-          préparer le prochain numéro du bulletin de l’association ;

-          programmer les émissions en langues locales (notamment fulfuldé, bambara, sonraï, bozo) sur Radio-Jamana, afin de mieux faire connaître, par une émission hebdomadaire, les informations et positions de l’association

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DOCUMENT 1

La pirogue, monture du bozo, hier et aujourd’hui

Quel que soit son type, la pirogue est au cœur de la civilisation de cette vaste plaine d’inondation qu’est le delta intérieur du Niger. Elle est un moyen de transport, de communication ainsi qu’un facteur de production pour les activités de pêche et d’agriculture. A ce rôle économique s’ajoute une dimension culturelle : en tant que support de manifestations symboliques au travers des courses de pirogues, elle occupe une place centrale dans les sociétés de pécheurs.

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Dans le delta du Niger, selon la légende, la première pirogue aurait été construite au moment du déluge par les 300 djinns qui travaillaient pour le prophète de Misira (Egypte) dénommé Anabî Nouhoum (Ligers, 1969:12-13) : ce dernier aurait été averti en rêve de l’imminence du déluge et aurait convaincu le chef des djinns de lui construire une immense arche, pour laquelle il ne fallut pas moins de 1707 arbres. Ce déluge n’est pas très précisément situé dans le temps, on s’en doute ! Par contre, le mystère qui entoure l’apparition de la pirogue prend des formes multiples : ici, c’est le chasseur légendaire Mama Pamanta, originaire de Bangu sur le Lac Débo, qui, un beau jour, ayant réussi à se défaire de deux serpents très dangereux, hérite de leur pirogue, qui n’était autre qu’un python, et un python obéissant à la voie humaine ! (Ligers, 1969:53). Là, on nous parle d’une pirogue en or, appartenant à une divinité d’eau nommé Maïma (djîdjo Maïma), habitant précisément en face de Savna (Sahouna), et volée par les djinns, qui l’ont cachée longtemps dans un trou d’eau de la mare située à Saba (Pora) ; pour la retrouver, Maïma n’a pu que recourir au célèbre danseur et devin Kamani, de Godâ, dont le père Godâ Dua  (le vautour égyptien de Godâ, c’est donc un surnom) était lui-même très célèbre ! Kamani parviendra à vaincre tous les dangers de l’entreprise, notamment cette terrible antilope aux 1200 cornes, au milieu desquelles se trouve un four portatif en terre cuite, où brûle un feu ardent surmonté d’un canari, en terre cuite lui aussi, fermé par un couvercle ! Et, lorsqu’il aura retrouvé la pirogue en or, la divinité d’eau la lui donnera ! (Ligers, 1969:67-70)

Ce qui est très probable, c’est que les premiers habitants du delta –ou bien ceux des abords de cette ancienne cuvette terminale du Niger, au nord de Tombouctou et du lac Faguibine, dénommée Tûfâna, que les Sorko considèrent comme une ancienne mer où vivait leur ancêtre Auvadja Bunnâhi (Ligers, 1969:15)– ont su très tôt construire et utiliser des nacelles en jonc, en roseau, en herbe, en paille. On peut penser que ces moyens de transport, si primitifs qu’ils puissent paraître, se sont imposés dès que les premiers habitants ont quitté les abris souterrains qu’ils occupaient (la légende veut d’ailleurs que les bozos proviennent tous de deux importantes demeures souterraines, le trou de Dia Kolo et celui de Wotaka, cf. Malzy, 1956:102) pour vivre en plein air dans des campements ou des villages : avec ces embarcations, on peut fuir sur l’eau et dominer l’adversaire (Ligers, 1969:95). Ce qui est sûr aussi, c’est que le territoire occupé par les Sorko est jonché d’outils préhistoriques (grandes haches, haches à tranchant recourbé, petites haches et coins, étroits ciseaux en pierre permettant de creuser les trous pour coudre les planches les unes aux autres, rabots…) qui pouvaient servir à la construction de pirogues (Ligers, 1969:1) ; et que les bozos se disent autochtones, premiers occupants de ces immenses zones marécageuses. Enfin, l’existence des pirogues est attestée dans le Soudan occidental depuis le haut Moyen-Age, sans qu’il soit possible d’affirmer avec certitude si elles sont issues d’un emprunt extérieur ou le fruit d’une invention locale.

Par la suite, pour obtenir une plus grande solidité, les techniques de construction évolueront vers la pirogue monoxyle, puis vers la pirogue cousue, pour aboutir à l’actuelle pirogue clouée. Mais les techniques nouvelles n’ont pas immédiatement chassé les anciennes : la pirogue tressée en roseaux était encore utilisée il y a quelques générations seulement pour la chasse à l’hippopotame (Ligers, 1969:46). A Mopti, un jour de marché, au milieu des années 1950, on trouve à la fois des pirogues en planches clouées pour le transport, avec ou sans couture médiane, des pirogues monoxyles pour la pêche, des pirogues en fer, et même quelques ancienne pirogues cousues (Ligers, 1969:130), qu’on dit désormais « de Niafunké » (Malzy, 1946:119).

De construction simple (un tronc d’arbre évidé et grossièrement ouvragé), la pirogue monoxyle pourrait être contemporaine de la période d’installation des bozos dans le delta, et elle aurait été répandue dans toute l’Afrique de l’Ouest. Au XIXème siècle, elle était encore utilisée pour la pêche et la traversée des cours d’eau : René Caillié raconte les péripéties d’une telle traversée (Caillié, 1979, I :338). L’appellation retenue par les anciens, dans les années 1980, pour la désigner, fofo-kin, pirogue des fofo, pirogues des pêcheurs du Nigéria, rappelle que ces derniers, dans les années 1960, les utilisaient encore lorsqu’ils venaient pour des campagnes de pêche dans le delta. Cette pirogue est taillée dans un bois tendre (fromager, baobab, kapokier), elle est donc fragile et sa durée de vie est limitée.

L’avènement de la pirogue cousue permet et signale l’intensification des échanges marchands au Soudan sous l’impulsion des Etats médiévaux. Là, il est possible d’assembler des planches de bois dur, et l’on y emploie donc par exemple le caïlcédrat Khaya senegalensis, le vaine Pterocarpus erinaceus, et, dans les aires post-lacustres, le palmier doum Hyphaene thebaica. Grâce à ce perfectionnement, les empires du Ghana, du Mali et du Songhay firent du fleuve Niger et de ses affluents le principal axe du commerce de longue distance, grâce à la constitution d’une flotte de gros tonnage (debe kin) et à la spécialisation dans le métier de batelier d’anciens groupes dominés sous le statut de Somono. La pirogue est ainsi à la base de l’essor des places commerciales de Djenné et Tombouctou, situées au carrefour du sel, de la kola, de l’or, des vivres et des esclaves. Les grands armateurs, ainsi que les souverains, pour leurs besoins d’intendance, ont été les promoteurs de ce développement de la navigation. Le nombre élevé des pirogues et leur capacité de jauge leur permirent de jouer un rôle économique de premier plan jusqu’à l’apparition de la marine marchande coloniale (Monteil 1932, Caillié 1830, Caron 1881).

Ainsi, Djibril Tamsir Ndiaye écrit à propos du règne des Askia : « les plus grosses fortunes de Djenné et de Tombouctou étaient fondées sur le trafic fluvial du Niger et sur le commerce avec le Bitou, pays aurifère. Les propriétaires des barques étaient établis à Djenné, ils étaient malinkés ou sarakollés pour la plupart. D’importants marchés s’étaient développés le long du fleuve, dont Dia, Sinsani et Saraféré, et grâce à la commodité des transports par voie d’eau, était apparue une certaine spécialisation régionale de la production : viande et produits laitiers du Macina, coton et cotonnades de Dia, poisson sec et fumé d’Issa-ka et de Djenné. » (Niane, 1975:177)  L’auteur affirme que tout armateur de Djenné qui possédait plus de cinq barques sur le fleuve entrait dans le groupe des dji-tigui, ou « grand maître de l’eau », et que ces mêmes armateurs envoyaient aussi  des caravanes sur les pistes du sud.

Malgré leurs inconvénients (lenteur, lourdeur, étanchéïté toute relative, conduite difficile en l’absence de gouvernail…) des embarcations de grande taille étaient utilisées pour relier Djenné à Tombouctou, et elles étaient démontées pendant la saison sèche. Là encore, le témoignage de Caillié est intéressant : lors de son second voyage, il a emprunté une pirogue de 90 à 100 pieds de long, 12 à 14 de large en son milieu, 6 à 7 de cale, qui pouvait jauger 60 à 80 tonneaux, et il s’étonne de sa résistance en décomptant son chargement ; il fallait 16 à 18 hommes, dont des écopeurs se relayant sans cesse, pour manœuvrer de telles embarcations. En 1891, le lieutenant de vaisseau Caron voyageant à Tombouctou remarque des pirogues atteignant parfois 20 m de long sur 5 m de large, avec environ 1 m de cale, pouvant transporter plus de 200 personnes en sus des marchandises (Caron, 1891:228). Au début du XXème siècle, toutefois, le tonnage diminue nettement : Monteil ne trouve que des barques d’un tonnage d’environ 6 tonnes, et Dupuis-Yacouba en 1921 des embarcations de 4 tonnes.

Les équipages étaient composés de somono. Il s’agit là d’un groupe socio-professionnel qui n’a pas de langue propre, et qui a été composé au fil du temps par l’adjonction d’individus d’origines diverses par les souverains médiévaux du Soudan. Les premiers bateliers comprenaient aussi des bozos et des sorkos (ces derniers sont des pêcheurs parlant la langue songhay), asservis et devenus somono par la force des choses. Pour René Caillié « les hommes libres croiraient se dégrader en se livrant à ce métier » (Caillié, 1979 :174). Le statut social des somono est donc différent de celui des bozo de statut libre (horon), même si certains parmi ces derniers ont été réduits en esclavage et affectés à la batellerie.

La date d’apparition de la pirogue clouée (kango) n’est pas connue avec précision, mais elle pourrait se situer au milieu du XIXème siècle. C’est très tard, puisque Djenné importait du fer depuis des siècles : mais nul ne peut dire aujourd’hui pourquoi le fer n’a pas été employé dans la construction des pirogues jusqu’à cette époque très récente. Mage a remarqué des pirogues clouées à Niamina en 1864 (Mage, 1980:80-81), mais Caillié n’en voit aucune à Djenné en 1828. Monteil attribue la construction de la première pirogue clouée à un bozo de Pora-bozo, au sud du delta, et d’après nos propres informations, ce serait dans les années 40 à 50 du XIXème siècle. De là, elle se propage dans toute la région à partir de Djenné (d’où l’appellation Djenne kurun ou kangué, pirogue de Djenné, en bamanan) ; Mopti, Nouh, Dioro, Konadaga, assureront plus tard le relais. Sa diffusion affecte tous les secteurs de la vie économique, non seulement dans le delta, mais aussi partout au Mali et même dans les pays voisins. Les clous en fer, aujourd’hui encore forgés à l’unité à partir de métal de récupération, se sont substitués aux cordes en fibres végétales qui servaient à assembler les planches, même si les flancs sont encore souvent ornés en leur milieu d’un assemblage de cordes qui renforce la souplesse de l’embarcation. Plus récemment, l’emploi de planches sciées et de cordes en fibres synthétiques ont permis d’aboutir à des formes plus aquadynamiques et à une plus grande sécurité.  La pirogue s’est aussi adaptée à la motorisation en adoptant les cornières métalliques, et en s’équipant d’un gouvernail. Ainsi, elle a pu accroître considérablement ses dimensions et devenir la longue et large pinasse omniprésente dans les ports. Aujourd’hui, les pinasses (pirogues motorisées) sont complètement clouées, ce qui les rend plus étanches et plus rigides, mais malheureusement plus vulnérables en cas de choc.

Au milieu du XXème siècle, le choix du bois a encore toute son importance. A la fois parce qu’on sait qu’une pirogue faite en planches de caïlcédrat Khaya senegalensis pourrait atteindre une durée de vie de vingt ans, et celle en planches de tamarinier trois ou quatre ans seulement (mais encore deux fois plus qu’une pirogue en  bois de qualité inférieure) ; et parce qu’on sait en outre que le bois d’ébène Diospyros mespiliformis ou encore le Mystragyna inermis fournissent aussi de bonnes planches, bien meilleures que celles qui proviendraient d’un baobab Adansonia digitata, d’un rônier Borassus flabellifer ou d’un Acacia albida, ces dernières étant encore supérieures à celles qui proviendraient d’un fromager, ou d’un ficus, d’après Ligers (1969:99-100). Mais encore et surtout parce que, dans l’esprit des constructeurs de pirogues, à Nouh par exemple (il s’agit bien du Nouhoun-bozo des cartes IGN), qui en est un centre renommé, le principal, –d’après ce qu’en rapporte le même Ligers–, c’est de choisir un bon bois. Si l’arbre coupé a appartenu à un méchant djinn, la pirogue construite avec ses planches ne sera pas excellente et le propriétaire de cette embarcation sera toujours poursuivi par la guigne : il faudrait alors la vendre pour en acheter une autre ; au contraire, si l’on tombe sur un arbre qui a un bon djinn, le bateau rapportera beaucoup d’argent à son propriétaire.

Et pourtant l’innovation continue sous nos yeux. Du fait de l’évolution du marché du bois, on expérimente avec de nouvelles essences. En effet, pendant longtemps, le bois utilisé était de provenance locale, Dioro étant la zône d’approvisionnement privilégiée. Puis on a eu recours à l’importation, depuis la Côte d’Ivoire et le Ghana notamment. Maintenant les constructeurs traitent le plus souvent avec les scieries de Bamako (qui s’approvisionnent elles-mêmes à Kangaba, Kolokani, Dioïla, Bougouni, Sikasso) ou avec des grossistes qui achètent à Bamako ou importent pour revendre dans la région de Mopti. Les scieries n’ayant aucun stock, il faut venir passer sa commande et attendre qu’elle soit prête. Comme les scieries offrent des planches d’épaisseur et de taille variées, on a pu obtenir un accroissement  (jusqu’à un doublement) de la charge utile des pirogues, tout en réduisant leur tirant d’eau, ce qui leur permet d’accéder à des eaux moins profondes.

On expérimente aussi en ce qui concerne les produits assurant l’étanchéïté : traditionnellement, on utilisait le beurre de karité, mélangé à du charbon ou à d’autres matières calcinées (pour obtenir la couleur noire) ou le fruit de baobab ou de kapokier ; désormais on utilise très couramment l’huile de vidange, beaucoup moins chère, bien que le résultat obtenu soit médiocre, et que l’opération doive donc être renouvelée deux fois l’an.

Cependant, l’outillage des constructeurs reste extrêmement sommaire : l’outil essentiel est l’herminette (deselan) qui sert à toutes les tailles et découpes, mais on trouve aussi des marteaux, scies, rabots, soufflets, tenailles, poinçons, limes, très rarement des chignoles ou des étaux.

La taille des pirogues est évaluée, selon les endroits, en pieds, en mètres, en tonnes de bois nécessaires à la construction ou en charge utile. Mais la mesure la plus utilisée est la largeur en pieds de l’embarcation en son milieu, car la longueur et le tonnage en dépendent. Les pirogues les plus petites, utilisées pour la pêche ou l’agriculture mesurent entre deux pieds et deux pieds et demi de large, ce qui permet une longueur de 5 à 8 mètres et une charge utile de 1 à 1,5 tonne. Les pirogues de course et celles qui servent au commerce ont entre trois et six pieds de large, ce qui correspond à des longueurs allant de 10 à 25 m. Les pinasses peuvent atteindre 13 pieds de large, 50 m de longueur et une charge utile de 150 à 180 tonnes.

Le nombre de ces embarcations utilisées dans le delta est considérable : probablement 20.000 à 25.000 pirogues seraient employées par les pêcheurs, 1.000 à 1.500 serviraient au commerce (une centaine de pirogues de commerce est construite chaque année sur l’ensemble du delta, et la durée de vie est estimée à une dizaine d’années), et 75 pinasses de grande taille ont été recensées entre Tombouctou et Ké-Macina. Les plus grosses naviguent entre Mopti et Ké-Macina, les autres entre Mopti et Tombouctou ; le plus souvent, elles sont la propriété du pinassier. Les marchandises ont priorité sur les passagers : au départ de Mopti, elles emportent des produits de consommation courante, au retour elles apportent du poisson, des nattes, du sel (si elles viennent de Tombouctou), du bois (si elles viennent de Youwarou, Saréyamou, Attara). Le voyage aller-retour dure quatre à huit jours, à quoi s’ajoutent un à quatre jours à quai.

La pirogue est donc le symbole du transport fluvial, comme le chameau est le vaisseau du désert. Sa construction représente un grand savoir-faire technique, dont une partie reste secrète, mais elle n’est pas l’apanage d’une ethnie. Ainsi, au début du XXème siècle, la construction des kango à Djenné employait des clous fabriqués par les forgerons, des charpentiers (kullé, caste d’artisans) pour la fabrication de la proue, alors que les Bozos s’occupaient de tout le reste de l’ouvrage. Aujourd’hui, l’apprentissage est libre, mais les Bozo exercent une suprématie de fait sur le métier.

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Cependant, les croyances jouent un rôle encore plus essentiel dans la construction des pirogues de course. Naturellement, ces pirogues ont une forme particulière, leur proue est au raz de l’eau, leur longueur est double de la normale, entre 20 et  parfois 30 mètres, mais leur largeur bien plus réduite, et elles ont un faible tirant d’eau, les flancs ne peuvent donc pas avoir la forme généreusement galbée qu’ils prennent d’ordinaire, et ils doivent être joints par des baux –barres d’espacement transversales– très nombreux, de vingt à trente (ils ne sont distants l’un de l’autre que d’une coudée et un empan, soit environ 70 cm). Elles peuvent emporter jusqu’à 40 rameurs, mais le plus souvent une trentaine. Selon Boucadary Kwanta, doyen d’une des plus anciennes familles de constructeurs de Nouh, ces pirogues sont faites de matériaux spéciaux : on y emploie volontiers le caïlcédrat, considéré comme très résistant, mais difficile à travailler, et on évite absolument le konomou (bozo) ou sounsoun (bambara), c’est-à-dire Diospyros mespiliformis, le bois d’ébène, qui porterait malchance.

La course de pirogues engage certes les capacités des rameurs, mais plus encore les qualités occultes de l’embarcation elle-même. C’est une compétition, dans laquelle l’effort des rameurs n’est rien sans la science occulte qui est mise à contribution pendant la construction de la pirogue, les préparatifs de la course et son déroulement. La victoire démontre la puissance occulte (dalilu) impulsée dans l’embarcation, la compétition n’étant quant à elle perçue que comme la manifestation de cette puissance. En ce sens, la course apparaît comme l’affrontement de puissances occultes dont la plus forte commande à la victoire, les rameurs ne faisant qu’office de figurants. Pour cette raison, la construction de la pirogue est entourée du plus grand secret, le territoire où elle est entreposée est soigneusement protégé, les eaux où la compétition se déroulera sont surveillées, l’entraînement des rameurs est l’objet de la plus grande attention et reste en grande partie secret, leur purification avant la compétition est considérée comme essentielle et réalisée avec les soins les plus vigilants, toutes les protections sollicitées en ces occasions exigeant d’ailleurs un grand nombre de sacrifices (béliers blancs, kolas, lait, etc.).

Bien sûr, un véritable maître artisan sait d’un simple coup d’œil détecter les défauts d’une pirogue et évaluer son volume exact. Aujourd’hui, les artisans sont conscients de la valeur de leur savoir-faire, de leur donniya. Mais les plus superstitieux, s’ils aperçoivent un maître constructeur, auront le souci de désarmer sa puissance maléfique, et pour cela l’aborderont en lui disant : « cher maître, voici ton travail, Dieu fasse qu’il aboutisse !». S’ils ne procédaient pas de la sorte, ils craindraient que ce maître ne « travaille » leur propre ouvrage, qui sombrerait à la première mise à l’eau : quelle honte ! D’autant plus que, pour surmonter ce mauvais sort, c’est à ce même collègue qu’il faudrait alors obligatoirement s’adresser pour qu’il indique la voie de la réussite.

Pour ces raisons, la fabrication des pirogues de course est réservée à un nombre restreint d’artisans, à qui la victoire confère la célébrité : on chante les louanges du constructeur après la course victorieuse. L’on croit qu’il a été capable de déjouer le mauvais sort, de le retourner contre son auteur, de rendre sa pirogue invulnérable à toutes sortes d’attaques, mais aussi de lui impulser, à elle seule au milieu des autres, la force occulte du vent, et de faire chavirer ses rivales en voie de la dépasser.

La course, quelle qu’elle soit, a des fonctions complexes, dont la première serait d’ordre cathartique : la course est  perçue comme un phénomène purificatoire, qui vise la remise en ordre du monde, lorsque l’équilibre en a été –ou va en être– perturbé par un acte répréhensible, une rupture d’interdit pas exemple. La course de pirogues n’est pas la seule activité qui remplit ce genre de fonction : avant toute pêche collective, il convient de se concilier les bonnes grâces des divinités tutélaires des eaux, et ce sera le rôle du ji-durama, le maître des eaux, que de leur présenter une offrande, qui permettra d’établir la paix, d’éviter tout accident et d’assurer une pêche fructueuse. Le même rôle incombe au chef des chasseurs avant les chasses collectives, ou au maître de la pluie en cas de sécheresse. La course serait donc un point commun à toutes ces célébrations : le cérémonial propitiatoire de la pêche collective comportera la course des jeunes gens qui traverseront de part en part la mare à pêcher. De même le cérémonial de la course marque l’entrée des chasseurs occasionnels dans les bois lors du fèlè ou petite battue, dirigée par le maître de chasse, qui servira d’exutoire à la communauté pour faire tomber la pluie.

Le cas de la course de pirogue est toutefois un peu différent. Bien sûr, du fait de son aspect spectaculaire et de son succès populaire, la course de pirogue a été largement remise à l’honneur du temps de la colonisation française, lors la fête le 14 juillet et à l’occasion des visites de délégations officielles. L’administration malienne en a fait de même en organisant des courses de pirogues à l’occasion des grandes manifestations (fête nationale du 22 septembre, fête de l’armée du 20 janvier etc., et même pour les visiteurs de marque). La course est dotée d’une récompense en numéraire, mais le plus important pour les vainqueurs c’est de  recevoir le fanion de la victoire appelé jonjon, ou darapo (drapeau), qui leur confère honneur et fierté.

La course de pirogues reste essentiellement l’affaire des familles bozo et somono. Elle oppose soit les quartiers d’une ville, soit des villages voisins, entre lesquels généralement les échanges matrimoniaux sont importants. Elle doit être organisée au mieux alors même que les tiraillements entre ethnies d’un même quartier ou village, et/ou à l’intérieur de l’ethnie, sont constants. Pour sauver l’honneur du quartier ou du village, il faut rassembler toutes les énergies. Naturellement les jeunes auront un rôle essentiel, puisque c’est leur force et leur adresse qui seront d’abord sollicitées. Il faut donc éventuellement les rappeler de l’extérieur, s’ils sont partis en exode. Il faut ensuite les sélectionner, ce que feront les aînés, en observant l’entraînement des équipages sur des pirogues normales. Cette étape leur permettra aussi de déterminer la place de chaque rameur, en fonction de sa vigueur physique de sa fougue, de son expérience, de son âge, mais aussi de sa déférence envers eux et de son esprit de groupe… C’est un déshonneur que de ne pas être sélectionné, parce que ceux qui le seront subiront un entraînement intensif, entendront leurs louanges chantées par les jeunes filles et jouiront durablement de la considération générale.

Dans une pirogue de course, la disposition des rameurs se fait selon des critères précis. La proue est toujours occupée par le représentant d’une famille autochtone, et qui s’est distinguée de longue date dans les compétitions. La même famille choisit toujours son candidat, c’est un honneur qui lui est fait. Le rôle de ce rameur est très délicat, c’est lui qui guide la pirogue, ce qui est difficile : le virage à prendre pour contourner la bouée avant la dernière ligne droite est fatal à beaucoup d’embarcations qui sombrent ! L’homme de proue doit être jeune et très agile, il doit se montrer capable de danser sur la proue, mais aussi de galvaniser les énergies de ses coéquipiers, et enfin d’exécuter les préceptes qu’on lui confie pour protéger la pirogue. Comme la cadence des pagayeurs est plus rapide à la proue qu’à la poupe, on mettra à l’avant des rameurs jeunes et fougueux qui imprimeront à la pirogue une allure rapide ; à l’arrière on placera des rameurs plus expérimentés et plus âgés, dont le rythme sera plus lent mais très précis. Le plus souvent, on trouvera donc une quinzaine de pagayeurs assis à l’avant et une douzaine de pagayeurs debout à l’arrière, plus le barreur muni de sa large pagaie : en marche, à un coup de pagaie des hommes debout correspondent deux coups de pagaie des hommes assis, le rythme étant donné par l’homme de tête. (Malzy, 1946, p. 116)

Aux approches de la compétition, les villages ou quartiers sont mis en état de siège : la présence des « étrangers » n’est pas souhaitée. Toutes les eaux riveraines sont surveillées, et on avertit les voyageurs des dangers qu’elles présentent pour eux. Les abords terrestres sont, eux aussi, soigneusement gardés par des brigades de jeunes. Tout étranger, surtout s’il est ressortissant d’un village ou quartier voisin, est considéré comme un espion potentiel. La suspicion s’étend même aux femmes mariées originaires des localités concurrentes ! On leur interdit les abords des lieux de réunion, les confidences, etc. Et en cas de victoire de leur village (ou quartier) d’origine sur celui de leurs époux, qu’elles n’aillent pas manifester leur joie, elles seraient sanctionnées ! Des patrouilles inspectent les endroits dangereux du territoire pour repérer et déterrer les sében (talisman) ennemis, enfouis sous terre ou dans les eaux ! Les pirogues de course sont gardées à l’abri du mauvais œil et des sortilèges, dangers et ennemis de tout acabit ; les gardiens ne peuvent être que d’authentiques fils du village, dont les deux parents (père et mère) en sont originaires, tous les autres sont exclus de cette fonction !

Aux approches de la compétition, il faut aussi rassembler des cotisations, car la course va entraîner des dépenses considérables dont l’enjeu est la victoire à tout prix ! On va en effet faire appel à de nombreux intervenants pour le « travail » dont ils vont se charger en vue d’assurer le triomphe ! Ceux qui possèdent les connaissances nécessaires à ce « travail », le dalilu, la puissance occulte, sont les marabouts, batuta-mori, qui se livrent à des pratiques occultes, et les soma ou bida, maîtres du savoir traditionnel. Leur intervention fera l’objet de marchandages difficiles, car le pouvoir qu’ils procurent aux objets et aux personnes est à la fois redouté et recherché par les concurrents, tous avides d’une victoire éclatante : ils sont capables de conférer l’invulnérabilité face aux attaques ennemies, d’accroître de façon inouïe la rapidité de la pirogue, de provoquer le chavirement de celles des concurrents !

Chaque village, et dans une ville chaque quartier, participant à la compétition, a son marabout et son bida attitrés. A une semaine de la compétition, le batuta mori entre en retraite permanente : pendant ce temps, il « travaille » nuit et jour pour ses clients, prie, accomplit des sacrifices, et finalement prépare un talisman protecteur ou agressif qu’il leur remettra : un liquide, ou un papier couvert de signes cabalistiques ou de versets du Coran, car bien sûr c’est Allah le tout puissant qui est sollicité ! Dans le même temps, le bida s’est retiré en brousse, et, sans se laver pour conserver son invulnérabilité, il prépare lui aussi, au terme de sacrifices dans lesquels il emploie plantes et pratiques magiques, avec force incantations adressées aux forces occultes, un talisman qui sera remis au client. Le matin de la course, tous ces talismans (et aussi ceux qui auraient été confectionnés à la demande individuelle et aux frais de membres de la communauté, pour renforcer la commande collective) sont remis à une seule personne, qui en attache une partie à la proue de la pirogue, en confie une autre partie à l’homme de proue, et utilise le reste conformément aux prescriptions qui lui auront été faites : il en enfouira un peu au lieu du départ, un peu à tel virage, etc., et l’homme de proue le saura, et saura en tenir compte par des actions précises lorsqu’il passera près de ces endroits. Il arrive ainsi qu’on puisse voir un homme de proue tenir un talisman serré entre ses dents pendant la course, et le mordre énergiquement si une pirogue rivale est en passe de le doubler, ce qui aura pour effet de la faire sombrer inexplicablement ou bien de ralentir soudainement sa marche !

La réputation de ces marabouts et bida est immense : en cas de victoire, c’est leur nom qui sera le premier cité, et ils recevront, en sus de la rémunération initialement convenue, d’autres récompenses de la part des vainqueurs. Quelles que soient la vigueur et l’adresse des rameurs, tout le monde est en effet convaincu que seul le dalilu, la puissance occulte, peut provoquer la victoire. Et les dalilu musulman et païen cohabitent le plus naturellement du monde, car ils visent la même finalité : pendant que le marabout invoque Allah, le bida ou soma n’hésite pas à affirmer « Que Dieu le veuille ou pas, mon travail réussira ! ».

Mais ce n’est pas tout ! Une semaine avant la course, les athlètes, eux aussi, sont internés, en dehors du village, en vue de les soustraire à la souillure : tout coït avec une femme compromettrait l’efficacité des dalilu. En même temps, ils doivent s’abstenir des prescriptions musulmanes ordinaires et en particulier de la prière musulmane. Néanmoins, le jour de la course, ils feront les ablutions selon le plus pur rite islamique, pour se purifier avant de monter dans la pirogue, et là on récitera la fatiya (action de grâce musulmane).

Pendant toute la phase des préparatifs, et jusqu’à la fin de la compétition, les concurrents et leurs partisans sont animés d’une passion aveugle sous-tendue par la rage de vaincre : c’est, entre les villages et quartiers, l’ambiance de kalamana qui s’installe, une ambiance de compétition et d’opposition, de rivalité, de jalousie  comparable à celle qui prévaut entre des fils de même père et de mères différentes ; elle frise l’hostilité…

A l’issue de la course, ceux qui auront gagné, savoureront leur victoire tant à la remise du darapo que pendant le tour d’honneur, et ensuite pendant les jours de fête qui suivront, et au cours desquels on dansera chaque soir, sans oublier de distribuer beaucoup de nourriture aux participants et aux invités. Cette émulation persistera sous une forme enjouée jusqu’à la prochaine course et les prouesses seront évoquées devant les perdants qui n’auront qu’à supporter les quolibets! Car les commentaires et les allusions perfides iront bon train sous le mode de la plaisanterie…

Ces évènements sont révélateurs de la mentalité des participants et des pratiques mises en œuvre ! Voici par exemple ce qu’on pouvait apprendre de la compétition entre les villages de l’arrondissement de Konna lors des courses de 1989. L’un des marabouts engagé dans les préparatifs au service du village K étant décédé avant la course de l’année précédente, les marabouts et soma du village concurrent Y, vainqueur depuis des années, revendiquèrent la responsabilité de cette disparition, en même temps qu’ils se vantaient d’avoir immobilisé la pirogue du village K pour lequel il avait travaillé. Mais il se fit que le marabout du village Y qui avait gagné l’année précédente vint à disparaître juste après la course de 1988, et que son fils, qui le remplaça immédiatement, se trouva aussitôt atteint de folie. Les marabouts de K, spécialistes du traitement de cette maladie, soignèrent donc ce jeune homme, et parvinrent à le guérir, mais non sans avoir percé le secret qu’il cachait, c’est à dire la véritable l’identité du fabricant de la pirogue de course de Y. Il ne leur restait plus qu’à organiser une quête auprès de tous les habitants de K pour pouvoir commander au même constructeur une pirogue dotée d’un dalilu supérieur à celui dont il avait doté la pirogue de Y. Sur le montant de la collecte, plus de 300.000 FCFA devaient revenir aux marabout et soma au cours de cette seule année !

On raconte aussi que cinq ans plus tôt, la suprématie de Y s’était avérée possible parce que le soma du village alors vainqueur, M, avait été outragé et, pour se venger, avait jeté une malédiction sur son propre village, qui ne devrait plus jamais gagner une course : de fait une de ses pirogues sombra dans le dernier virage ! Et il était évident pour tous que ce naufrage était une punition infligée par un rival. Cependant, une autre explication circulait : le jury avait cautionné un faux départ, et c’est à la suite de ce dernier que la victoire de K s’installa ; or l’une des épouses d’un membre influent du jury venait de K !


Deux grosses pinasses à couple remontant le cours du Niger à l’aval de Mopti en mars 2003

 

 

 

D’après P.Malvy : Les bozos du Niger et leurs modes de pêche (région de Diafarabé), Bull. IFAN, 1946, tome VIII, p. 119

 


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Comme on le voit, la pirogue n’est pas seulement un outil de travail ou un simple moyen de transport, même s’il est évident qu’elle a joué un rôle considérable dans les trafics commerciaux qui, pendant des siècles, ont assuré la prospérité des habitants du delta central du Niger Elle leur est encore indispensable de nos jours, malgré la disparition des échanges à longue distance et la concurrence de la route.

La pirogue reste aussi le support de liens sociaux très forts. Elle est capable de rappeler au bercail les « aventuriers » (jeunes partis « à l’aventure », à l’émigration, pour gagner leur vie), et de les replacer, pour un temps au moins, sous l’autorité des anciens et sous les rigueurs de la tradition. Elle renforce l’autorité des aînés sur les cadets à travers le processus de sélection, et semble aussi perpétuer l’ancienne forme de mariage préférentiel par sa méthode de choix des gardiens de la pirogue de course. Elle exacerbe jusqu’au paroxysme les tensions inter-villageoises, en instaurant un état de guerre temporaire qui défie les règles sacrées de l’hospitalité qui prévaut chez les bozo en période normale. Cependant  elle joue un rôle social important en jouant le rôle d’exutoire, tout en renforçant la cohésion au sein des groupes, de sorte que les bonnes relations peuvent ensuite retrouver leur cours au sein de la société.

 

Bréhima Kassibo, ISH, Bamako
et Joseph Brunet-Jailly

Références :

Caillié, René : Voyage à Tombouctou, Maspéro, Paris, réédition 1982, tome 2

Carron (Lieutenant de vaisseau) : De Saint-Louis au port de Tombouctou, Challamel, Paris, 1981

Dupuis-Yacouba : Industries et principales professions des habitants de la région de Tombouctou, Larose, Paris, 1921

Kassibo Brehima : Les pirogues du delta central du Niger, aspects économique et social, p. 63-110 in Kawada J. (ed.) « Boucle du Niger, approches multidisciplinaires », Tokyo, University for Foreign Studies, Institut de recherches sur les langues et cultures d’Asie et d’Afrique, vol. 2, 1990

Kassibo Brehima : L’organisation sociale de la pêche dans le delta central du Niger, genèse et évolution des systèmes de production halieutique, in ORSTOM-IER « Etudes halieutiques du delta central du Niger », Actes de l’atelier de Bamako, 20-23 novembre 1990, 38 p.

Ligers Ziedonis : Les Sorko (Bozo), maîtres du Niger, Librairie des Cinq Continents, tome I, 1964, 180 p. ; tome II, 1966, 203 p. ; tome III, 1967, 174 p. ; tome IV, 1969, 250 p. ;  tome V, 1977, 160 p.

Mage Emile : Voyage au Soudan Occidental (1863-1866), réédition Karthala, Paris, 1980

Monteil  Charles : Une cité soudanaise, Djenné, métropole du delta central du Niger, réédition Anthropos, Paris, 1971

Malzy Pierre : Les Bozos du Niger et leurs modes de pêche (région de Diafarabé), Bulletin de l’IFAN, tome VIII, 1946, p. 100-132

Niane, Djibril Tamsir : Le Soudan occidental au temps des grands empires, XIème-XVIème siècles, Présence Africaine, Paris, 1975

Rey, Hélène ; Kassibo Bréhima, et Mama Salamanta : Pirogues et constructeurs, p. 311-321 in J. Quensière (sous la direction de) « La pêche dans le delta central du Niger », ORSTOM-Karthala, Paris, 1994

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DOCUMENT 2

Les bases juridiques de la protection du paysage urbain et de l’architecture traditionnelle à Djenné

Tous les habitants de Djenné n’en sont peut-être pas convaincus, mais le paysage urbain et l’architecture de Djenné sont uniques au monde : ce paysage urbain et cette architecture sont un patrimoine pour cette ville et pour le Mali tout entier ! C’est même un patrimoine pour l’humanité entière, comme l’a reconnu l’UNESCO en 1988. Ce patrimoine peut être exploité, c’est-à-dire être utilisé pour produire des revenus : il l’est, et les revenus tirés du tourisme ne sont pas négligeables,[19] alors même qu’on pourrait faire beaucoup mieux pour attirer plus de touristes à Djenné et pour leur organiser des séjours beaucoup plus longs qui leur feraient beaucoup mieux apprécier les richesses de la culture du lieu. Et, comme tout patrimoine, celui-ci doit être protégé et entretenu, il doit être transmis à nos descendants, faute de quoi ces derniers nous maudiront. De quels moyens les collectivités publiques, et notamment l’Etat et la commune, sont-elles dotées pour assurer la protection du paysage urbain et de l’architecture traditionnelle de Djenné ?

Comme chacun le sait, les « villes anciennes de Djenné » ont été classées par l’UNESCO sur la liste du Patrimoine Mondial, mais Djenné a également été classée au titre de la législation malienne [20]  : telles sont donc les deux principales sources à considérer. Ces deux classements sont d’ailleurs liés : en effet, le Mali avait déposé une première demande de classement auprès de l’UNESCO en 1977, l’avait renouvelée en 1979, puis retirée en 1982 après que les experts [21] aient fait valoir que l’absence de législation malienne de protection du patrimoine était un grave défaut du premier dossier. [22] La seconde demande a été introduite en 1987, et elle concerne non seulement la ville actuelle, mais aussi les sites archéologiques, ce que la première ne faisait pas.

Le classement sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO

La procédure de classement a duré plusieurs années, et a finalement abouti en 1988. Par « villes anciennes de Djenné », il faut comprendre, d’après la fiche n° 116 de la Liste du Patrimoine Mondial, [23] qui date de janvier 1978 « deux sous-sites géographiquement distants de 3 km et historiquement successifs :

« i) Djenné-djeno (= ancienne Djenné), plateau naturel (toguéré) surmonté d’un tell de plus de 10 hectares non habité et entièrement entouré d’eau à l’hivernage ;

« ii) Djenné, qui succéda à Djenné-djéno, s’édifia sur un ou plusieurs toguéré, soudés alors entre eux depuis longtemps ; vers 1940 et à l’ouest, la ville s’agrandit d’un toguéré voisin relié par un double tombolo[24] artificiel ; […] cette île était entourée d’un rempart renforçant la défense naturelle qu’offraient les marigots ; cette enceinte, percée de onze portes, circonscrivait environ 45 hectares »

Ultérieurement, en mai 1988, l’ICOMOS donne un avis [25] qui propose de classer, au titre du critère (iii) de la convention du patrimoine mondial, « Djenné-djéno, ainsi que Hambarketolo, Tonomba et Kaniana, qui portent un témoignage exceptionnel des civilisations pré-islamiques du delta intérieur du Niger » et au titre du critère (iv) Djenné elle-même « qui est un exemple extraordinaire d’ensembles architecturaux illustrant une période historique significative ». [26] On peut relever que la traduction française du même document, datée de juillet 1988, écrit « Djenné-djeno et accessoirement Hambarketolo, Tonomba et Kaniana », rendant « along with » par « accessoirement », ce qui est manifestement un contre-sens ! Il faut donc considérer que ces trois toguere sont classés au même titre que Djenné-djèno.

Nous ne connaissons pas de carte représentant la zone ainsi délimitée. En voici une, tracée par référence aux relevés réalisés par Roderick et Susan McIntosh[27] (carte 1). On remarque que le quartier de Kanafa n’est jamais cité ni dans les documents de l’UNESCO ni dans ceux de l’ICOMOS. On peut donc conclure que ce quartier n’est pas classé au titre de l’UNESCO.

Sur cette carte qui rappelle ce que fut l’extension de Djenné, on note encore, en passant, qu’un autre toguere en particulier aurait pu retenir l’attention : Wangaradaga, où à la haute époque du commerce transsaharien, au début du second millénaire de notre siècle, étaient parqués les marchands dioulas qui n’avaient pas le droit d’entrer dans la ville, et qui devaient attendre là que les agents du chef de Djenné viennent négocier avec eux le meilleur prix pour leurs marchandises ; [28] et ne parlons pas de Djennemasatolo (orthographe adoptée par les archéologues), mot-à-mot la ruine du roi de Djenné, nom composite puisque ses racines sont à la fois bambara (masa = le roi) et songhay (tolo = la ruine), et nom certainement récent précisément à cause de cette influence bambara, ou plutôt Djinémasatolo (d’après la tradition orale), la ruine du roi des djinns, où vivait le fameux Chamaarouch, qui a bien dû y laisser quelque trace !

Au terme de toutes ces étapes, la douzième session du comité du patrimoine mondial, réunie à Brasilia du 5 au 9 décembre 1988, a donc classé les « villes anciennes de Djenné », en citant expressément l’avis de l’ICOMOS. En outre, « le comité recommande aux autorités du Mali d’assurer la protection durable de Djenné, en veillant tout particulièrement à respecter l’équilibre qui existe entre les espaces bâtis et les espaces libres de la ville et en respectant les réserves archéologiques des togueré ». [29] De tout cela il résulte que le classement au titre de la convention du patrimoine mondial concerne Djenné-djèno, Hambarketolo, Tonomba et Kaniana, plus la ville ancienne de Djenné elle-même.

Ainsi, tous les sites archéologiques des environs de Djenné ne sont pas classés sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, même si le comité recommande au Mali de respecter les réserves archéologiques des toguere. Ainsi par exemple, le site de Dotométolo, récemment loti par le préfet du cercle de Djenné, n’est pas explicitement compris dans la zone classée. D’ailleurs, alors même que le sol est jonché de tessons et que des canaris affleurent le niveau du sol actuel, on ne trouve trace de Dotomètolo sur aucune des cartes publiées par les archéologues des sites sondés dans les abords immédiats de Djenné. [30] Et, par ailleurs, le schéma directeur d’aménagement urbain de la ville de Djenné, élaboré à partir de 1986 et adopté en 1992 identifie clairement cette zone comme « future zone d’habitat » [31] et y prévoie des voies [32] . Une révision de ce plan a été demandée par la nouvelle mairie de Djenné, elle a été prévue dans le budget 2002, elle serait en cours.

Par ailleurs, la convention de 1972 qui institue la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO porte sur des monuments, des sites, des ensembles (groupes de constructions isolées ou réunies, y compris les ensembles urbains)  et des paysages culturels [33]  : elle ne concerne pas des biens isolés, mais des monuments ainsi définis « œuvres architecturales, de sculpture ou de peinture monumentales, éléments ou structures de caractère archéologique, inscriptions, grottes et groupes d’éléments, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l’histoire, de l’art ou de la science ». Il est même précisé que ne peuvent pas être prises en considération « les propositions d’inscription concernant des biens immobiliers susceptibles de devenir mobiliers » [34] , ce qui s’applique bien entendu aux objets de fouille.

A propos des bâtiments qui seront ainsi classés, on note au passage que le critère d’authenticité est très strict, qu’il couvre explicitement la conception, les matériaux et l’exécution, et que « le Comité a souligné que la reconstruction n’est acceptable que si elle s’appuie sur une documentation complète et détaillée de l’original et si elle n’est aucunement conjecturale ». [35] L’esprit et la lettre de ce texte interdisaient clairement, à Djenné, de reconstruire en toubabou ferey des maisons initialement édifiées en djenné ferey. C’est la raison pour laquelle il est abusif de parler de restauration à propos du projet financé ces dernières années par les Pays-Bas.

Cela dit, les obligations qui s’imposent aux Etats signataires de la convention de 1972 sont très lourdes. Chaque Etat, en signant cette convention, reconnaît en effet que « l’obligation d’assurer l’identification, la protection, la conservation, la mise en valeur et la transmission aux générations futures du patrimoine culturel et naturel […] situé sur son territoire lui incombe au premier chef ». [36] A cet égard, le Mali a manifestement violé ses engagements en faisant construire une école en béton sur le site de l’ancienne mosquée de Chékou Amadou, au cœur de la ville ancienne de Djenné ; et les Etats qui ont financé cette réalisation ont violé l’article 6, qui stipule que « chacun des Etats parties à la présente convention s’engage à ne prendre délibérément aucune mesure susceptible d’endommager directement ou indirectement le patrimoine culturel et naturel […] situé sur le territoire d’autres Etats parties à cette convention ». [37] Comment le Mali a-t-il pu laisser faire ?

La question de savoir si l’inscription sur la liste du patrimoine mondial est une chape de plomb compromettant l’avenir de la ville de Djenné doit être examinée à la lumière des « Observations » qui explicitent la convention et qui ont déjà été citées ci-dessus. Ce document prévoit bel et bien, en ce qui concerne le classement des « villes historiques vivantes » que l’on peut distinguer quatre cas de figure :

« 1) celui de villes typiques d’une époque ou d’une culture, conservées dans une quasi-intégrité et que n’a affecté pratiquement aucun développement ; en ce cas, le bien à inscrire s’identifie à l’ensemble de la ville et de son environnement qui doit être impérativement protégé » ; c’est la solution qui a été adoptée pour Djenné, en admettant que cette ville n’a été affectée pratiquement par aucun développement, et peut-être qu’il en sera ainsi à l’avenir ; mais alors, s’il faut protéger l’environnement, il devrait être impossible de lotir les abords immédiats de la ville ancienne et surtout d’y autoriser des constructions en béton, comme il semble que l’administration soit disposée à le faire à Dotomètolo;

« 2) celui de ville à caractère évolutif exemplaire ayant conservé, parfois dans le cadre d’un site naturel exceptionnel, une organisation de l’espace et des structures caractéristiques des phases successives de leur histoire ; en ce cas, la partie historique, nettement délimitée, prévaut sur l’environnement contemporain » ; manifestement ce cas ne s’applique pas à Djenné, mais on pourrait justement souhaiter que la partie ancienne de la ville actuelle, qui dispose d’un site naturel remarquable, cette île délimitée par les bras des eaux temporaires, soit conservée dans un environnement respectueux, et donc que toutes les extensions de la ville au delà de ces bras soient conçues pour mettre en valeur le joyau ancien, au lieu de transformer les abords par une urbanisation désordonnée et sans caractère ; il faut certainement y veiller, si l’on ne veut pas que Djenné soit bientôt ceinturée par des quartiers sans goût ni grâce, ornés de stations-service et autres bâtiments hideux ;

« 3) celui des « centres historiques » recouvrant exactement le périmètre de la ville ancienne, aujourd’hui englobée dans une cité moderne. En ce cas, il est nécessaire de délimiter avec précision le bien à inscrire dans ses dimensions historiques les plus larges, en prévoyant un traitement approprié de son environnement immédiat » ; cette situation pourrait être celle de la ville ancienne de Djenné, dont on connaît les limites, matérialisées par le tracé du mur d’enceinte qui existait encore il y a un siècle ; c’est en ce plaçant dans ce cas qu’il a été possible de tolérer la construction de deux châteaux d’eau dans le quartier périphérique de Kanafa, et plus récemment la reconstruction en dur d’un hôpital dont on avait dit que son architecture serait inspirée des façades de Djenné, alors qu’elles n’en sont qu’un mauvais pastiche ;

« 4) celui des secteurs, quartiers ou îlots fournissant, même à l’état résiduel, un échantillon cohérent d’une ville historique. En ce cas, la zone et les bâtiments concernés doivent témoigner suffisamment de l’ensemble disparu » [38]  : c’est probablement vers un cas de ce genre que devrait évoluer le classement de Djenné, si l’on veut desserrer les contraintes que le classement actuel fait peser sur l’évolution de la ville et des conditions de vie de ses habitants, contraintes qui sont si fortes que ni l’administration ni les particuliers ne les respectent.

On le voit, le classement n’a pas été accompagné d’une réflexion, de la part des habitants de Djenné, ni de la part de l’administration bamakoise, sur ce qu’on veut protéger à Djenné. Selon les cas, on s’inspire de l’une ou de l’autre des situations décrites par l’UNESCO, sans choisir. Or tout serait beaucoup plus simple si la population et ses représentants élus avait clairement choisi, localement, le type d’avenir qu’ils veulent pour Djenné : préserver quelques rues ou quartiers, préserver la ville entière, préserver la ville ancienne et son environnement ? Chacune de ces solutions présente des avantages et des contraintes. Le classement n’a rien réglé parce qu’il n’a pas été précédé par cette réflexion à la base.

Assurément, il n’est pas trop tard pour s’y mettre puisque beaucoup de bons esprits commencent à admettre que le classement tel qu’il a été fait dans la hâte il y a quinze ans devrait être redéfini aujourd’hui.

Le classement national

Mais il existe un classement national. Il est défini sans ambiguïté par la loi : « le classement est l’acte par lequel l’Etat, par la voie de l’inscription des biens culturels dans un registre créé à cet effet, impose au propriétaire, détenteur ou occupant desdits biens, des servitudes en grevant l’utilisation ou la disposition ». [39] Et ses conséquences sont parfaitement claires : « un bien classé ne peut être ni détruit, ni faire l’objet de travaux de restauration ou de modification sans le consentement de l’autorité compétente, qui assure le contrôle de l’exécution desdits travaux » [40] , et « aucune construction ne peut être édifiée sur un terrain classé ou adossée à un immeuble classé […] ». [41] La violation des dispositions de ce dernier article est passible « d’une peine d’emprisonnement allant de 3 mois à 3 ans, et d’une amende de 25.000 à 2.000.000 FCFA sans préjudice de tous dommages et intérêt ».[42]

Mais il y a plus ! « Le classement entraîne pour le propriétaire, le détenteur et l’occupant du bien classé l’obligation d’assurer la protection et la conservation. Le classement entraîne, en outre, l’obligation pour les collectivités locales et l’Etat de participer aux travaux de restauration, de réparation ou d’entretien du bien. L’Etat peut, pour cause d’intérêt public, exproprier à titre temporaire ou définitif tout bien classé pour en assurer la protection en cas d’incapacité d’entretien normal du propriétaire ». [43]

Quant au patrimoine visé par le classement national, il est défini de la façon suivante : « aux termes de la présente loi, on entend par patrimoine culturel l’ensemble des biens culturels meubles et immeubles qui, à titre religieux ou profane, revêtent une importance pour l’histoire, l’art, la pensée, la science et la technique » [44]  ;  « par bien meubles, on entend des biens qui pourront être déplacés sans dommage pour eux-mêmes et pour leur environnement ». [45] A ce titre, les biens archéologiques mais aussi les biens historiques et ethnographiques et les œuvres d’art sont explicitement cités. La loi indique alors immédiatement que « l’Etat jouit d’un droit de préemption sur tout bien susceptible d’enrichir le patrimoine culturel de la Nation ». [46]

Quel est exactement le périmètre classé à Djenné ? La réponse se trouve dans un décret [47] qui, après avoir sobrement annoncé que « les villes anciennes de Tombouctou et de Djenné sont classées », [48] précise ensuite :

« Au sens du présent décret, on entend par ville ancienne de Djenné le tissu ancien de la ville actuelle de Djenné, couvrant une superficie de 48,5 ha, renfermant les quartiers suivants : Algassouba, Bambara [49] , Kanafa, Sankoré, Dambugalsorria, Konofia, Samsey et Djoboro et limité par les togguéré ou buttes suivantes :

-          à l’est, Tonomba et Alga[50]

-          à l’ouest, Kaniana

-          au sud-ouest, Sitolo

-          au sud-est Djenné-Djenno

ainsi que les sites archéologiques de :

- Djenné-Djenno, situé à 3 km au sud-est de Djenné couvrant une superficie de 33 hectares et limité par les mares Sakombo à l’ouest, Farankombo au Nord, la rivière Sanuba au sud ;

- Kaniana situé à 2 km à l’ouest de Djenné, couvrant une superficie de 28,26 hectares et limité par la plaine inondable du cimetière musulman à l’est, le marigot de Gomitogo et le pont de Fokolore au nord, et le marigot de Dobolo au sud ;

- Tonomba, situé à 200 m de Djenné à l’est couvrant une superficie de 2 hectares et limité par une plaine inondable à l’est, le marigot Algassouba à l’ouest, les locaux des services des eaux et forêts et les locaux des services du cercle au Nord »[51]

Nous ne connaissons pas de carte délimitant cette zone classée. En voici une, obtenue en traçant sur la carte des relevés des archéologues les limites données ci-dessus (carte 2). En suivant le texte, on trace le trait 1 à l’ouest de Tonomba et de Algassouba ; le trait 2 à l’est de Kaniana ; le trait 3 de direction nord-ouest/sud-est au nord-est de Sitolo ; et le trait 4, de direction sud-ouest/nord-est au nord-ouest de l’ensemble des sites qui entourent Djenné-Djeno. On remarque que la limite Nord n’est pas définie : la zone classée comprend-elle toute la plaine jusqu’au marigot de Gomitogo ? ou bien est-elle délimitée au Nord par la bordure de l’actuelle agglomération ? De même la limite sud est très approximative, car les traits 3 et 4 peuvent être tracés de différentes façons. Décidément, ce texte a été fait à la va-vite par des cadres négligents qui ne comprenaient pas l’importance de ce qu’ils écrivaient et n’ont pas jugé bon d’aller voir sur le terrain !

Par ailleurs, les limites des sites archéologiques doivent, elles aussi être examinées de près. Le trait 5 entoure Kaniana et le trait 6 entoure Djenné-Djèno (mais pas Hambarketolo), et enfin un trait 7 entoure Tonomba (mais pas Algasba). A propos de Tonomba, si ce site a le marigot pour limite est, on ne voit pas de quel droit des jardins ont pu être installés récemment sur la berge ! De même, on ne voit pas comment une zone hôtelière et une zone de bureau, toutes deux prévues par le schéma directeur de 1991, peuvent couvrir la moitié du toguere lui-même (voir la figure 3) ! Si l’on respecte le classement national, la superficie de deux hectares dont traite le décret doit être délimitée avec soin, et ses abords doivent en outre protéger l’environnement du site !

Dans les périmètres ainsi définis s’appliquent toutes les dispositions de la loi relative à la protection et à la promotion du patrimoine culturel national. [52] Ainsi, dans ces périmètres, et donc autant dans les sites archéologiques que dans la ville actuelle de Djenné (jusqu’à la rue nord-sud qui, passant devant l’hôpital, délimite l’extension récente de Kanafa), tous les biens meubles et immeubles sont classés parce qu’ils sont implicitement considérés comme présentant un intérêt ou plus exactement « une importance pour l’histoire, l’art, la pensée, la science et la technique ».

Il va de soi qu’on doit se demander si, en ce domaine comme en bien d’autres, le mieux n’a pas été l’ennemi du bien. Ce classement de tous les biens meubles et immeubles est-il vraiment justifié ? Tous les immeubles et tous les biens présentent-ils réellement « une importance pour l’histoire, l’art, la pensée, la science et la technique » ? Il semble bien que les juristes aient considéré la situation depuis leur bureau, sans se rendre sur le terrain : car les seaux en plastique, si nombreux dans les concessions des quartiers classés de Djenné, et les sachets en plastique qui rendent répugnantes les rues et les berges des quartiers classés de Djenné, sont des biens, et ces biens sont dans un périmètre classé, donc ils sont classés ! Absurde ! N’importe quel ustensile, n’importe quel outil, n’importe quel vêtement, n’importe quelle arme, tout est classé ! On a voulu trop bien faire, et en conséquence on ne fait pas ce qui serait l’essentiel !

Evidemment, on voudrait que Djenné protège diverses catégories de biens meubles : par exemple des boubous brodés anciens, témoignage des matériaux (qualité des fils …), du savoir-faire (celui du tisserand, celui du brodeur, etc…) et des motifs anciens ; [53] par exemple des herminettes décorées de motifs spécifiques à la culture bozo ; par exemple des pirogues anciennes, cousues, et décorées de bois sculptés sur le dossier du siège ou sur la plate-forme de la poupe ; par exemple des pagaies décorées ou encore des piquets de pirogue, également décorés ; [54] par exemple des babouches et bottes brodées ; par exemple des exemplaires de cet instrument de musique fait d’une sorte de calebasse allongée, équipée de cauris fixés sur de courte attaches, et dont les femmes se servaient pour marquer le rythme des chants pendant les fêtes ;  par exemple ces chants eux-mêmes, qu’ils soient profanes ou religieux ; par exemple des tarikhs et autres papiers familiaux ou documents d’intérêt juridique ou historique ; par exemple encore, évidemment, les statuettes en terre cuite et les récipients divers ou bijoux qu’on peut trouver dans le sol ; mais ce n’est pas en classant tout sans savoir exactement ce qu’elle classe que l’administration se donne les moyens de protéger les biens meubles qui méritent protection à Djenné.

A se contenter ainsi de reprendre des textes rédigés pour d’autres contextes, on obtient une réglementation inapplicable et donc inappliquée. C’est d’ailleurs dans une direction tout à fait différente, chacun le sait, que s’est orientée l’administration américaine, lorsqu’elle a voulu contribuer à la protection du patrimoine mobilier du Mali : elle a interdit l’importation aux Etats-Unis d’une liste très détaillée de biens provenant du delta du Niger et de la falaise de Bandiagara.[55]

Protection du cadre bâti

Il pourrait paraître plus simple de protéger les immeubles que de protéger les biens meubles. Les immeubles sont bien visibles, ceux de Djenné ont conservé jusqu’à ces dernières années une grande unité de style, grâce probablement depuis l’indépendance à un certain consensus national sur l’intérêt qu’il y avait, pour tous, à protéger cette unité architecturale. En outre, là encore, une réglementation détaillée donne en principe à l’administration les moyens de contrôler l’évolution du bâti. Ces conditions suffisent-elles à assure la protection du paysage architectural ?

L’outil essentiel du contrôle administratif est le permis de construire, « acte par lequel l’autorité compétente autorise à entreprendre les travaux de construction et d’aménagement des bâtiments et édifices publics ». [56] Le permis de construire est exigé notamment dans les agglomérations de 5000 habitants ou plus, dans les chefs-lieux de cercle, sur les sites classés [57]  : Djenné satisfait à ces trois critères à la fois, et donc toute construction et tout aménagement d’un bâtiment public ou privé devrait y être soumis à délivrance d’un permis de construire. Seuls peuvent échapper à cette exigence « les travaux courants d’entretien, de réaménagement, de réparation ou de ravalement […] lorsqu’ils n’apportent pas de modification à la structure, à l’architecture, à la distribution intérieure ou à la destination initiale de l’immeuble ».[58]

« Le permis de construire est délivré, au nom de l’Etat, après avis des services de l’urbanisme :

-          par le Ministre chargé de l’urbanisme et de la construction  pour les constructions dont l’Etat est le maître d’ouvrage ;

-          par le Gouverneur du District de Bamako et les Gouverneurs des régions pour les constructions à usage industriel, de commerce, de bureaux, d’entreprises et les édifices publics ;

-          par les maires des communes, les Commandants de cercle et les Chefs d’arrondissement pour les construction à usage d’habitation. »[59]

Ce texte est antérieur à la loi de décentralisation. Mais le code des collectivités territoriales[60] précise désormais que « le conseil communal règle par ses délibérations les affaires de la commune » (article 14) et délibère ainsi notamment sur les plans d’occupation et les opérations d’aménagement de l’espace communal. Sur ces derniers sujets, comme sur la gestion du domaine public et privé communal, et notamment sur l’occupation privative du domaine public, il est d’ailleurs explicitement tenu, au préalable, de prendre l’avis du ou des conseils de village et/ou de fractions ou des chefs de quartiers concernés (article 17). D’ailleurs, le même texte prévoit qu’un adjoint est chargé des « affaires domaniales et foncières » (article 59). Il faut savoir cependant qu’aucun chef d’arrondissement, aucun commandant de cercle, aucun maire de commune rurale ne dispose d’un agent compétent en matière de construction ou d’urbanisme. Et si les services compétents devaient examiner tous les dossiers de tout le pays, ils seraient débordés, [61] et en outre, étant trop éloignés du terrain, ils se trouveraient incapables de juger en connaissance de cause.

Mais comment constituer un dossier de permis de construire ? Tout simplement selon les règles, vous dira-t-on ! « Le dossier de permis de construire des constructions à usage d’habitation, élaboré par un architecte habilité à exercer, est constitué en sept exemplaires et comporte les pièces suivantes :

- un titre de propriété ou toute pièce justificative légale de droit de propriété ou d’usage du demandeur sur le terrain sur lequel il demande de construire ;

- un dossier technique : plans, façades, coupes, devis descriptif détaillé, devis estimatif ;

- un plan de situation de la parcelle objet de construction à l’échelle minimale de 1/2000ème pour le District de Bamako et les capitales régionales, et du 1/5000ème pour les autres agglomérations ;

- un plan-masse à l’échelle de 1/500ème au moins [etc., etc., etc.] »[62]

Naturellement le texte prévoit que le dossier est encore un peu plus complet s’il s’agit d’une construction à usage industriel, de commerce, de bureaux, d’entreprises et d’édifices publics.[63] Et en cas d’aménagement, le dossier n’est guère moins complexe.[64]

Bref, les textes prévoient que les choses se passeront comme elles ne peuvent à l’évidence pas se passer en pratique. Où trouverez-vous un architecte à Djenné ? Le ferez-vous venir à vos frais de Mopti, alors que vous avez sur place, attaché à votre famille et donc à votre maison, et depuis des générations, un maçon qui connaît son métier et qui est capable de réaliser toute construction traditionnelle ou moderne que vous lui demanderez ? Dans quel pays le législateur croit-il se trouver lorsqu’il précise par exemple que « le permis de construire doit être obligatoirement refusé lorsque la représentation graphique ne permet pas une bonne lecture des plans » ?[65]

La réalité est donc que la construction utilise les compétences locales. Mais qui osera s’en plaindre ouvertement ? Ce n’est donc évidemment pas là ce qu’il faut regretter. Ce qui est regrettable, c’est que, en fait, personne ne veille à l’intérêt de la collectivité. L’intérêt de la collectivité est certainement de protéger le paysage architectural dont les Djennenké sont fiers, qui est un témoignage de l’originalité de la culture de Djenné, et qui est une ressource du point de vue touristique ; l’intérêt de Djenné est certainement de le protéger en tenant compte des nécessités de la circulation dans la ville, ou encore de l’assainissement des quartiers, etc. (ces exemples d’intérêt collectif n’en sont pas la liste exhaustive). Pour protéger ce paysage architectural, il faut imposer le respect de certaines règles élémentaires.

Sur ce point, le texte sur le permis de construire est bien fait, puisqu’il donne aux autorités des indications sur ce qui est important : par exemple l’alignement, ou encore la salubrité et le respect des spécifications en matière d’assainissement, la qualité du terrain au regard des risques d’inondation, d’érosion, d’affaissement ou d’éboulement, mais aussi la qualité de la construction prévue au regard de l’esthétique. [66] Ce texte a clairement pour objectif de protéger ce qui est essentiel dans les bâtiments : la structure, l’architecture, la distribution intérieure et la destination sont expressément citées. De même que la structure et la distribution intérieure caractérisent le gros-œuvre, lui-même déterminé par la destination du bâtiment, l’architecture signifie notamment ici les dessins de façade et des ouvertures, portes et fenêtres, les dessins des ornements et détails, ainsi que les matériaux et revêtements utilisés.

Si donc il y avait à Djenné un large accord sur l’intérêt de conserver non seulement quelques témoignages parfaitement fidèles des constructions anciennes, restaurées au sens strict, mais aussi l’aspect extérieur des bâtiments qui font la célébrité de Djenné, et enfin l’organisation de la ville ancienne et une certaine qualité des abords de cette ville,[67] on trouverait les moyens de mettre en œuvre cette stratégie.[68]

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*     *

A vrai dire, nous en sommes loin ! Si l’UNESCO recommandait, en 1988, en classant Djenné, de veiller « tout particulièrement à respecter l’équilibre qui existe entre les espaces bâtis et les espaces libres de la ville », c’est que, au moment même du dépôt de la première demande de classement, et après que l’ancien député se soit attribué le terrain où se trouve aujourd’hui le restaurant « chez Baba », le commandant Daba Coulibaly distribuait des lots qui réduisaient considérablement la place située devant la mosquée : rien n’était alors construit entre la rue qui passe devant l’école (l’ancienne mosquée de Sékou Amadou) et la grande et célèbre mosquée ; rien n’était alors construit là où se trouvent aujourd’hui la boutique de Petit Sékou et le bâtiment de l’EDM ; rien n’était construit entre l’actuel palais de justice et la mosquée : bref, la place de la mosquée était beaucoup plus étendue ! (voir carte 4)

C’est ainsi que l’une des caractéristiques du paysage urbain de Djenné a progressivement disparu ! Car les cartes postales de Fortier, éditées à partir des photos qu’il prit à Djenné en 1906, montrent que les façades monumentales étaient alors généralement bien en vue parce que disposées sur de vastes espaces dégagés à l’intérieur même de la ville. [69] Le paysage urbain de Djenné revivra lorsque ses habitants comprendront qu’il faut construire non pas dans les rues, mais là où on voit aujourd’hui des ruines !

Or le phénomène persiste : au cours des années récentes, dans le quartier de Kouyetende, à deux pas de la gendarmerie, un vaste garage a manifestement été construit sur la voie publique ; à Djoboro, une grande maison a été reconstruite en empiétant de trois mètres au moins sur la rue, au vu et au su de tout un chacun ; ici et là, les empiétements sont tels qu’on ne peut plus passer dans les ruelles avec une charrette à âne, ce qui sera pourtant indispensable le jour où on devra recrépir les façades ! Le chef de village, le commandant, et maintenant la mairie se renvoient la responsabilité de ces atteintes au patrimoine ! De même les façades recouvertes de briques cuites, dont la première est due à l’initiative d’un grand commerçant de Djoboro dans les années 1970, se sont multipliées comme si elles n’étaient pas à l’évidence une modification de l’architecture (et devraient donc faire l’objet d’une autorisation). De même, les portes et fenêtres métalliques…

Et qui donc a autorisé toutes les constructions sur les berges, alors qu’il fut un temps pas si lointain ou l’on pouvait faire le tour de Djenné par les berges ? Pourquoi faut-il qu’aujourd’hui on en soit à accepter de faire passer la piste Djenne-Mougna-Saye au pied même de la terrasse de la mosquée, où défileront bientôt dans la poussière, le tintamarre et les embouteillages des cortèges de camions de 10 t, et peut-être un jour de plus gros porteurs encore ? Toujours l’incurie, le laxisme, les petits arrangements, le mépris de l’intérêt collectif…

Il est connu, il est admis que les autorités ferment les yeux devant les irrégularités commises par certains, il est connu, il est admis que l’incivisme est un signe de statut social : bref, les rapports de force, les compromissions, les démissions sont tels que l’urbanisme de Djenné est à l’abandon. Il est temps de penser à protéger le paysage urbain et l’architecture de Djenné ! Quel est le conseil communal, quel est le maire, quel est le préfet qui mettront leur point d’honneur à définir avec la population les objectifs et les moyens d’une protection du paysage urbain et de l’architecture de Djenné ?

Joseph Brunet-Jailly


 
Carte 3 : Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la ville de Djenné et environs, 1991 : extrait de la planche 9   Carte 4 : Atteintes à la protection du cadre bâti par attribution de lots privés sur des espaces antérieurement publics
 
 

[1] Voir, sur papier à en-tête « République du Mali, Région de Mopti, cercle de Djenné » le « Compte-rendu de la rencontre de l’association Benkadi du Pondori sur les aménagements dans le bassin du Bani, Soha, le 07/02/03 » Retour au texte

[2] Note technique sur la mission de large information et de sensibilisation des acteurs et usagers du bassin du Bani sur les programmes d’aménagement initiés par le gouvernement, note signée par le Directeur du PMB, janvier 2003 Retour au texte

[3] M.C.Alderlieste : Dispositif d’infiltration à Djenné, planning et réalisation d’un projet pilote pour les eaux ménagères, Université technique de Delft, mai 2002, 12 p. + annexes Retour au texte

[4] document cité, annexe V Retour au texte

[5] document cité, p. 11 Retour au texte

[6] Voir un résumé dans : République du Mali-Ministère de l’environnement –CIRA-Sarl Ingénieurs-Conseils : « Plan stratégique d’assainissement de la ville de Djenné, Atelier de validation, Document de travail », janvier 2003, 21 p. Retour au texte

[7] document cité p. 15 Retour au texte

[8] document cité p. 5 Retour au texte]

[9] idem p. 7 Retour au texte

[10] idem p. 17 Retour au texte

[11] idem p. 17 Retour au texte

[12] idem p. 17 Retour au texte

[13] idem p. 8 Retour au texte

[14] idem p. 8 Retour au texte

[15] voir pourtant Marie-Laure Villesuzanne, article cité Retour au texte

[16] Voir l’Essor du 20 novembre 2002 Retour au texte

[17] Interview du Chef de la Mission Culturelle de Djenné,  Boubacar Diaby, par Zhao A. Bamba, dans l’Indépendant du 2 janvier 2003, p. 6 Rerour au texte

[18] Le projet de réhabilitation et conservation de l’architecture de Djenné (Mali), ICOMOS Africa, Journal Scientifique, 1996, p. 45-75 donne sur un plan de Djenné la localisation de 134 maisons à façade monumentale recensées en 1983, la localisation de 50 maisons à façade monumentales en ruine ou disparues entre 1983 et 1995, et la localisation de 34 maisons à façade monumentale construites depuis 1983 Retour au texte

[19] Charline Cardon : L’impact du tourisme à Djenné, DJENNE PATRIMOINE Informations, n° 12, janvier 2002, pp. 4-6 Retour au texte

[20] décret n° 92-245/P-RM, du 18 décembre 1992, portant classement des villes anciennes de Tombouctou et de Djenné Retour au texte

[21] Rapport ICOMOS de Monsieur Maurice Pierard de Maujouy, disponible au Centre du patrimoine Mondial. Retour au texte

[22] Voir notamment R.C. Gatti : Problèmes de patrimonialisation dans le contexte islamique sub-saharien, perceptions et réceptions de « Djenné-Patrimoine Mondial de l’Humanité », mémoire de DEA, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris 2001, 142 p. + nombreuses annexes (notamment p. 28-33 et annexe IV)Retour au texte

[23] Ce document est disponible au Centre du Patrimoine Mondial, mais il n’est pas reproduit sur son site Retour au texte

[24] [note de la rédaction] double tombolo : deux langues de terre séparées par une mare relient l’une à l’autre les deux buttes Retour au texte

[25] Document disponible au Centre du Patrimoine Mondial, non reproduit ni sur son site ni sur celui de l’ICOMOS Retour au texte

[26] Les critères de classement sont explicités dans : UNESCO, Comité intergouvernemental pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel : Orientations devant guider la mise en œuvre de la convention du patrimoine mondial, WHC/2/Révisé, février 1996, 49 p. (spécialement paragraphes 23 à 42), disponible sur le site www.unesco.org/whc/nwhc/pages/doc/main.htm Retour au texte

[27] Roderick J. McIntosh, Susan K. McIntosh : Prehistoric Investigations at Jenne, Mali, Part i « Archaeological and Historical Background and the Excavations at Jenne-Jeno, Cambridge Monographs in African Archaeology, BAR International Series 89(i), 1980 ; Part ii : The Regional Survey and Conclusions, Cambridge Monographs in African Archaeology, BAR International Series 89(ii), 1980, 541 p.  Voir notamment la carte p. 352 et les listes pp. 470-71 et 481-491 Retour au texte

[28] Roderick and Susan McIntosh : The Inland Niger Delta before the Empire of Mali, Evidence from Jenne-Jeno, Journal of African History, 22, 1-22 (1981) Retour au texte

[29] voir le site  http://whc.unesco.org.nwhc.fr/pages/doc/mainsearch.htm Retour au texte

[30] Voir en particulier Roderick et Suzan McIntosh « Les prospections d’après les photos aériennes : régions de Djenné et Tombouctou », Vallées du Niger, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1993, p. 234-248 (spécialement p. 242) Retour au texte

[31] Ministère des transports et des travaux publics, Direction n ationale de l’urbanisme et de la construction : Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la ville de Djenné et environs, avril 1991, 92 p. + planches,  planche 8 Retour au texte

[32] idem,  planche 10 Retour au texte

[33] UNESCO, Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, article 1, www.unesco.org/whc/nwhc/pages/doc/main.htm  ; et UNESCO, Comité intergouvernemental pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel : Orientations devant guider la mise en œuvre de la convention du patrimoine mondial, WHC/2/Révisé, février 1996, 49 p. (spécialement paragraphes 23 à 42), également disponible sur le même site Retour au texte

[34] Orientations, paragraphe 25 Retour au texte

[35] Orientations, paragraphe 24, alinea b (i) Retour au texte

[36] Convention, article 4 Retour au texte

[37] Convention, article 6 Retour au texte

[38] Observations, paragraphe 29 Retour au texte

[39] article 10 de la loi 85-40/AN-RM du 26 juillet 1985 Retour au texte

[40] article 17 de la loi 85-40/AN-RM du 26 juillet 1985 Retour au texte

[41] article 23 de la loi 85-40/AN-RM du 26 juillet 1985 Retour au texte

[42] article 39 de la loi 85-40/AN-RM du 26 juillet 1985 Retour au texte

[43] article 25 de la loi 85-40/AN-RM du 26 juillet 1985 Retour au texte

[44] article 2 de la loi 85-40/AN-RM du 26 juillet 1985 Retour au texte

[45] article 3 de la loi 85-40/AN-RM du 26 juillet 1985 Retour au texte

[46] article 4 de la loi 85-40/AN-RM du 26 juillet 1985 Retour au texte

[47] décret n° 92-245/P-RM du 18 décembre 1992 Retour au texte

[48] décret n° 92-245/P-RM du 18 décembre 1992, article 1 Retour au texte

[49] sic ! Naturellement il faut lire Bambana Retour au texte

[50] sic ! Naturellement, il faut lire Algassouba ! Retour au texte

[51] décret n° 92-245/P-RM du 18 décembre 1992, article 3 Retour au texte

[52] loi 85-40/AN-RM du 26 juillet 1985 Retour au texte

[53] voir Amadou Tahirou Bah et Joseph Brunet-Jailly : Métiers d’art de Djenné, la broderie, pp. 97-120 in J. Brunet-Jailly (sous la direction de) : Djenné, d’hier à demain, éditions Donniya, Bamako, 1999 ; et B. Gardi : Le boubou, c’est chic ! Les boubous du Mali et d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest, Musée des Cultures de Bâle-Editions Christoph Merian, 207 p., 2000 Retour au texte

[54] voir Z. Ligers : Les Sorko (bozo), maîtres du Niger, Librairie des Cinq Continents, Paris, cinq tomes publiés entre 1964 et 1977

[55] Voir Federal Register Notice, September 23, 1997 ; 62 (184)49594-49597 « Import Restrictions Imposed on Archaeological Artifacts from Mali » sur le site http://exchanges.state.gov/education/culprop/ml97fr01.html  Retour au texte

[56] décret n° 90-033/P-RM du 19 février 1990, article 2 Retour au texte

[57] décret n° 90-033/P-RM du 19 février 1990, article 3 Retour au texte

[58] décret n° 90-033/P-RM du 19 février 1990, article 4 Retour au texte

[59] décret n° 90-033/P-RM du 19 février 1990, article 5 Retour au texte

[60] loi n° 95-034  modifiée par la loi n° 98-010 et la loi n° 98-066 Retour au texte

[61] mais comme il est prévu que l’administration est réputée avoir accédé à la demande de permis de construire si elle n’a pas répondu dans des délais fixés aux articles 14 à 16 du même décret, tout risque d’encombrement est éliminé ! Retour au texte

[62] décret n° 90-033/P-RM du 19 février 1990, article 7 Retour au texte

[63] décret n° 90-033/P-RM du 19 février 1990, article 8 Retour au texte

[64] décret n° 90-033/P-RM du 19 février 1990, article 11 Retour au texte

[65] décret n° 90-033/P-RM du 19 février 1990, article 38 Retour au texte

[66] idem, article 38 Retour au texte

[67] voir Joseph Brunet-Jailly « Protéger l’architecture de Djenné », DJENNE PATRIMOINE Informations, n° 7, juillet 1999, p. 12-24

[68] voir Marie-Laure Villesuzanne « Quel avenir pour l’architecture de Djenné ? », DJENNE PATRIMOINE Informations, n° 12, Janvier 2002, p. 15-22 Retour au texte

[69] Voir le site du Centre Edmond Fortier, www.fortier.nl, où l’on trouve reproduites quinze de ces cartes postales Retour au texte