Photo J. Brunet-Jailly


DJENNE PATRIMOINE

Informations

 

n° 18, printemps 2005

 

NOUVELLES DE DJENNE

 

Inauguration de la piste Djenné-Mougna-Saye

 

La réception provisoire de cette route a eu lieu le 28 décembre 2004. L’inauguration, quant à elle, s’est déroulée le 13 avril 2005, à l’occasion de la visite à Djenné du Président de la République. Cette route en latérite désenclave l’interfluve entre le Bani et le Niger ; elle est d’une longueur de 60 km ; à Saye elle débouche sur une piste qui gagne Ségou par Sarro. Elle permettra aussi aux touristes qui l’emprunteront de traverser une zone typiquement sahélienne, avec notamment une forêt de rôniers, cet arbre dont le bois est utilisé pour édifier les toitures des maisons de Djenné.

 

Visite du Directeur du Centre du patrimoine Mondial

 

Au mois de février 2005, Djenné a reçu la visite de l’honorable Directeur du Centre Mondial du Patrimoine, M. Bandarin, accompagné par un de ses adjoints, M. Lazzare Elondou. L’objectif visé était de s’enquérir de l’état de Djenné, ville du Patrimoine mondial de l’UNESCO, après les  « agressions » sur certains sites  notamment la mosquée (ventilateurs et portes), les poteaux métalliques etc. Cette  visite s’intéressait aussi au projet de restauration des sites et monuments, au système d’infiltration des eaux usées, dont les visiteurs avaient eu un écho favorable.

 

Après constat, la mission culturelle a reçu les félicitations de la délégation pour l’excellent travail qui a été fait pour la conservation et la préservation du riche patrimoine que représente Djenné. Dans ses déclarations, M. Bandarin a dit que Djenné reste la seule ville originelle au monde. Il nous demande à nous, professionnels en charge du patrimoine, de travailler la main dans la main avec les associations pour réussir ce qu’on peut appeler la gestion participative du patrimoine culturel de Djenné ; de redoubler encore davantage nos actions de promotion, de sensibilisation et d’information, pour amener le plus grand nombre à adhérer à nos idéaux de conservation et de préservation de Djenné qui reste un modèle de bonne conservation.

Amadou Camara, Mission culturelle de Djenné

 

 

Capacité hôtelière de Djenné

 

L’administration a mis la Maison des hôtes à la disposition de la famille Niaré, qui gère le campement, ce qui augmente sensiblement la capacité de ce dernier. La plupart des pièces ont été divisées en deux, restaurées, des toilettes intérieures ont été construites, les nouvelles chambres sont ventilées, et deux suites ont été aménagées, y compris l’ancienne loge présidentielle. Le nouvel équipement compte donc 20 chambres et 2 suites.

 

Visite du Président de la République, S.E. Amadou Toumani Touré à Djenné le 13 février 2005

 

La délégation présidentielle comptait, autour du chef de l’Etat, le Général Kafougana Kone, ministre de l’administration territoriale, M. Seydou Traore, ministre de l’agriculture, M. Bréhima Coulibaly, chef d’état-major particulier du Président de la République, M. Daouda Tangara, chef du cabinet du Président de la République, M. le Représentant de la BAD, M. Modibo Diarra, ambassadeur, directeur du protocole de la République, M. Ousmane Tandia, ambassadeur, chef du protocole du Président de la République, M. Seydou Doucouré, représentant personnel du chef de l’Etat à la francophonie, M. Amadou Sora conseiller technique à la Présidence de la République, M. Nouhoum… chargé de mission à la Présidence de la République sur la filière agro-pastorale, et beaucoup d’autres personnalités, dont le Gouverneur de la région de Ségou, le Gouverneur de la région de Mopti.

 

Intervention de M. Gouro Cisse, Maire de la commune de Djenné

 

« Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat du Mali, Excellences Messieurs les Ministres, Madame et Messieurs les membres des délégations régionales, Honorables députés à l’Assemblée Nationale, Messieurs les Présidents des organes des collectivités territoriales, Messieurs les chefs des services déconcentrés de l’Etat, Madame et Messieurs les responsables des partis politiques, Madame et Messieurs les représentants de la société civile, Messieurs les notables, Mesdames et Messieurs,

 

« S’il y a une date qui s’est inscrite en lettres d’or dans l’histoire de ce cercle, c’est bien ce 13 février 2005 ! Excellence Monsieur le Président de la République vous êtes parmi nous pour procéder à l’installation officielle de la cellule du projet de développement rural du cercle de Djenné. A l’occasion de cet heureux évènement, qui s’inscrit dans les conclusions du forum qui s’est tenu le 15 février 2003, dans cette même salle, l’honneur m’échoit, au nom des populations de Djenné, et au mien propre, de vous souhaiter, à votre illustre personne, et à tous les membres de la délégation qui vous accompagne, la bienvenue à Djenné la merveilleuse.

 

« Excellence, Monsieur le Président de la République, votre présence parmi nous traduit à la perfection votre attachement à la réalisation des objectifs de développement des populations maliennes. Ce déplacement est une marque d’estime pour nos populations, et va dans le sens de votre engagement ferme à réaliser le décollage économique de notre pays par le développement agricole, créant ainsi les conditions de la sécurité alimentaire, de l’accroissement des revenus des populations, voire de la réduction de la pauvreté.

 

« Excellence Monsieur le Président de la République, vos prises de position sur l’agriculture en général et le coton en particulier, tant à l’intérieur du Mali qu’à l’extérieur, traduisent à n’en pas douter votre ferme volonté de relever le défi du développement agricole. Le programme de développement élaboré par le gouvernement de la République du Mali accorde une place prépondérante à l’appui au monde rural institué dans votre lettre de cadrage et le lancement d’une étude de la loi agricole pour promouvoir entre les acteurs une parfaite coopération en vue de la maîtrise de l’ensemble des paramètres.

 

« Excellence Monsieur le Président de la République, Djenné que vous aimez tant vous est reconnaissante de tous les efforts que vous entreprenez, parmi lesquels la dotation d’un véhicule pour la brigade territoriale de gendarmerie ; en effet la difficulté du terrain et la position géographique du cercle de Djenné rendent la vie très difficile malgré la détermination et la volonté de bien faire. A cela s’ajoute ce message de vos amis les enfants : ils m’ont chargé d’être leur intermédiaire auprès de votre Excellence pour qu’enfin Djenné puisse voir ses enfants emprunter le chemin du lycée, qu’ils attendent impatiemment. C’est le plus beau cadeau qu’ils attendent de votre Excellence. »

 

NOUVELLES DU PATRIMOINE DE DJENNE

 

Des baraques en tôle sur la place de la mosquée !

 

Au cours de l'assemblée générale de DJENNE PATRIMOINE (voir plus loin), les adhérents se sont émus d'avoir constaté qu'on a commencé à édifier des baraques en tôle sur la place devant la mosquée, à proximité du marché quotidien, pour remplacer des abris en seko.[1] Plusieurs adhérents sont intervenus pour dire que cette situation présente les plus graves inconvénients. Car –indépendamment même de toute considération esthétique– ce n'est évidemment pas en transformant Djenné en bidonville qu'on préservera la source de revenus que son patrimoine représente pour la cité, et notamment pour ses commerçants. Plusieurs adhérents ont signalé que, à leur connaissance, l'administration n'a jamais autorisé les constructions en tôle. Malheureusement, nous savons tous qu'elle a commencé à tolérer qu'on installe un container près du bâtiment de l'OPAM, et puis des garages clos de grillage et recouverts de tôles, puis une cabine téléphonique en tôle près du campement. Et maintenant, va-t-elle se montrer impuissante à ramener à la raison ceux qui prennent des initiatives condamnables sur la place de la mosquée elle-même ?


La gestion du patrimoine de Djenné souffre de la zizanie qui règne entre l'administration, représentée par le préfet, et la mairie. Ainsi le premier a autorisé l'installation de la cabine téléphonique en tôle près du campement, alors que le maire l'avait refusée.

 
Mais la gestion du patrimoine de Djenné souffre aussi de l'incapacité de la mairie à imposer le sens de l'intérêt commun à tous les habitants de Djenné : il ne suffit plus de dire "nous sommes tous parents, ici, nous ne pouvons pas imposer une décision impopulaire à nos parents", il faut faire comprendre que l'intérêt commun doit primer sur les intérêts particuliers. Les élus municipaux, et en premier lieu le maire, ne doivent pas se contenter de profiter des petits avantages de leur situation et ne prendre aucune décision dans l'intérêt commun si elle risque d'être impopulaire.

 
Pour se développer, Djenné, comme le Mali dans son ensemble, a besoin de plus de démocratie, et donc d'abord d'une meilleure compréhension par les populations de leur intérêt commun : cela passe par une pédagogie de tous les instants, dont la tâche revient naturellement aux élus. Mais s'il se confirme que les élus n'exercent pas leurs responsabilités, faudra-t-il  que l'on en revienne à une « administration de commandement » pour défendre le patrimoine de Djenné ?

 
Une association comme DJENNE PATRIMOINE sera-t-elle contrainte, malgré la honte qu'elle en éprouverait, d'alerter le ministère de la culture, l'UNESCO, toutes les institutions étrangères et internationales qui se donnent pour mission de protéger le patrimoine de l'humanité ? Nous voulons espérer que le sursaut se produira à Djenné même !

 

 

Projet de formation des maçons

 

La mission culturelle avait sollicité, sur ce projet, le laboratoire CRAterre-EAG, spécialisé dans la construction en terre à l’Ecole d’architecture de Grenoble, à travers son Président, choisi comme consultant. Les dossiers avaient été montés, et Thierry Joffroy, chercheur à CRAterre-EAG, a fait une mission à Djenné à ce propos au mois d’avril dernier. Mais au moment du décaissement, on a demandé à la Mission Culturelle le versement de sa contribution. Face à la difficulté de réunir la somme demandée dans le délai prévu, CRAterre-EAG s’est tout simplement désisté.

Amadou Camara, Mission culturelle de Djenné

 

 

Reprise des travaux de réhabilitation de l’habitat ancien typique

 

L’ambassade de la Hollande a octroyé un nouveau fonds à la ville de Djenné pour une seconde phase de la réhabilitation des maisons présentant un intérêt architectural. Cette seconde phase prévoit essentiellement le crépissage des maisons réhabilitées au cours de la première phase (pour un coût moyen d’environ 250.000 FCFA par maison), ainsi que la réhabilitation chaque année d’une ou deux maisons supplémentaires.

 

Pour cette nouvelle phase, la Mission culturelle devient maître d’ouvrage, mais n’exécute pas les travaux comme elle le faisait dans la première phase. Un contrat a été signé entre l’Etat (ministère de la culture) et un GIE dénommé Barey Ton de Djenné, présidé par M. Kouroumansé dit Bayéré. Le comité de pilotage du projet de réhabilitation des maisons de Djenné a été informé de la nouvelle procédure, et de la mise des fonds à la disposition du Ministère de la culture.

 

Pour l’année 2005, 17 maisons ont déjà été identifiées, où les travaux de crépissage ont commencé dès février.

 

Assainissement de la ville de Djenné

 

Le Ministère de la culture, à travers sa structure déconcentrée, la mission culturelle, à entrepris de réaliser des caniveaux pour l’évacuation des eaux de pluies dans la ville de Djenné. Cet important chantier a été rendu possible grâce à un financement de la banque mondiale IDA (PDUD, composante sites et monuments des cités historiques). Le fond alloué l’exécution de ces travaux est de l’ordre de quatre cent millions FCFA. Les travaux ont débuté le 24 avril 2005 et devaient durer six semaines.

 

Ainsi, après la restauration des maisons et monuments, la Mission culturelle, qui était interpellée par rapport  à l’assainissement de la ville, est intervenue d’abord, avec l’appui financier et technique du partenaire hollandais, en proposant des systèmes d’infiltration individuelle ; maintenant elle s’attaque au problème des eaux pluviales.

 

Les alentours immédiats de la mosquée ne seront pas concernés par ces travaux, car dans ce secteur la mission souhaite une intervention globale, et non isolée, pour des raisons de préservation et de conservation.

Amadou Camara, Mission culturelle de Djenné

 

[Ajoutons que l’installation des systèmes d’infiltration d’eau, financée par la KfW, a été arrêtée à cause du conflit entre la mairie et l’association qui gère l’adduction d’eau.]

 

Festival du Djenneri

 

Ce festival et son exposition-vente ont été organisés, du 19 au 25 février 2005, par l’Association des jeunes pour le développement de Djenné, dont la présidente est Mme Kadiatou Baye. Ce projet a reçu l’appui de DJENNE PATRIMOINE sous forme d’une subvention de 50.000 FCFA et d’un prêt de photographies. Malheureusement, ces dernières n’ont pas été correctement exposées.

 

Pèlerinage

 

Cette année, alors que 5000 pèlerins sont partis du Mali, une vingtaine étaient originaires de Djenné, parmi lesquels :

 

-          les deux muezzin, Modi Sidibe et Alphamoye Nientao ;

-          Amadou Soumaila Diallo avec sa femme ;

-          deux vieilles femmes, Na Kayentao et Coumba Koïta ;

-          Koa Gano, avocat à Bamako, parti en pèlerinage avec un de ses vieux parents ;

-          Mamadou Kokeina, de Yoboucaïna, parti avec sa maman ;

-          Badji Nientao, la femme marabout, partie avec son fils ;

-          Assoumane Touré, qui est le père du gérant de la station service récemment ouverte à Djenné

 

Voir plus loin deux témoignages recueillis à ce sujet.

 

 

 

 

Crépissage de la mosquée

 

Cette année, le crépissage de la mosquée a eu lieu le jeudi 24 février et le jeudi 13 mars. La première date avait été fixée largement à l’avance pour coïncider avec l’organisation du festival du Djenneri. Il est donc possible, si on le veut bien, de faire de cette fête une manifestation qui attire du monde à Djenné et contribue ainsi au développement économique de la ville ; en même temps, les étrangers qui viendraient à Djenné à cette occasion pourraient apprécier l’organisation collective qui permet le financement et la réalisation de cette importante entreprise, organisation qui est décentralisée jusque dans les quartiers.

 

On aura remarqué par ailleurs que, cette année, la totalité de la surface a été crépie deux fois : les maçons avaient jugé qu’une seule application ne suffirait pas. Le 24 février, les maçons des quartiers sud ont donc couvert la totalité de la surface des façades extérieures, et le 13 mars les maçons engagés par les quartiers nord ont repassé presque partout. Le 24 février, chacun a pu voir le Ministre de la Culture, Cheick Oumar Sissoko, participer personnellement au travail de transport du banco.

 

 

Photo J. Brunet-Jailly

 

 

 

 

 

       

 

NOUVELLES DE DJENNE PATRIMOINE

 

Publication du DVD

 

Le montage des images prises par Mori Soumano et son équipe lors du séjour culturel organisé par DJENNE PATRIMOINE pour ses membres bienfaiteurs résidant hors du Mali, en 2000, avait été confié dès 2001 à Moussa Ouane. Ce travail a connu des retards considérables, mais il est achevé : une cassette de 16 minutes destinée à la vente a été remise au Président Papa Cissé en avril 2005. Elle est en cours de multiplication sur DVD pour être vendue au profit de l’association.

 

Contacts avec Acroterre et préparation d’un projet

 

A la suite de son voyage à Djenné en décembre 2004, au cours duquel elle a notamment rencontré les maçons de cette ville, Evelyne Bertrand a pris contact avec l’association Acroterre, spécialiste de construction en terre et soucieuse de réalisations participatives.

 

ACROTERRE est une association sans but lucratif, créée en 1985, à l'initiative d'architectes et de techniciens, regroupant différents partenaires spécialisés dans l'étude de projets et la mise en oeuvre des matériaux locaux, associant leurs compétences professionnelles et leurs motivations pour l'aide au développement.

 

Au départ, ACROTERRE intervenait comme une ONG d'appui technique, spécialisée dans l'utilisation des matériaux locaux et plus particulièrement le matériau terre.  Depuis 1993 l'association, qui s'est dotée de compétences dans le domaine des sciences sociales, de l'économie et du développement, a diversifié ses activités (en conservant le thème central de l'habitat et de la construction) et met en œuvre directement les projets avec ses partenaires du Sud.

 

L’objectif d’ACROTERRE est de promouvoir et d’améliorer des techniques traditionnelles de construction, pour réaliser des programmes d’équipements publics (dispensaires, écoles, ….), ou d’habitat social, à travers une démarche participative, ou de conservation du patrimoine architectural, en répondant aux besoins des populations et des organismes de développement.

 

Au Mali, ACROTERRE est déjà intervenue il y a près de vingt ans en créant notamment le village SOS d’enfants de Sanankoroba, et plus récemment, en 2003, en  évaluant le programme de construction de bâtiments publics en briques de terre comprimées réalisé par l’AFVP (Association française des volontaires du progrès).

 

C’est à la suite de ces contacts que s’est précisé le projet de construire une Maison du Patrimoine de Djenné, première étape d’un projet complet de développement fondé sur l’artisanat d’art, et de redécouvrir à cette occasion la technique de construction en djenne ferey qui n’existe dans aucun autre pays au monde. Ce projet a été présenté au co-financement du Ministère français des Affaires Etrangères.

 

Compte-rendu de l’assemblée générale du 22 mai 2005

 

Une assemblée générale de l’association s’est tenue le 22 mai 2005 en présence des membres et sympathisants suivants : Bamoye Maïga, Alpha Sidiki Toure, Assouman Traore, Badara Dembele, Alphady Cisse, Hamma Cisse, Bamoye Guitteye, Boubacar Koïta dit Tapo, Koniba Konate, Foourou Alpha Cisse, Amadou Tahirou Bah, Amadou Sidibe, Boubacar Kouroumanse dit Bayere, Ladji Kouroumanse. Elle a souhaité prompt rétablissement au Président Papa Moussa Cissé, victime d’un malaise dans la soirée et empêché d’assister à l’assemblée générale. Elle a examiné les comptes portant sur la période du 31 décembre 2001 au 21 mai 2005, présentés par le trésorier Amadou Tahirou Bah.

 

Sur l’ensemble de la période, les recettes se sont élevées à 2.300.000 FCFA, entièrement couvertes par des cotisations de membres bienfaiteurs (et de minimes appuis venant d’autres associations lorsque nous accueillons leurs membres à Djenné). Les dépenses se sont élevées à 1.893.300 FCFA qui se répartissent ainsi :

 

*dépenses de fonctionnement

-location du local :                                                                             198.000

-frais de déplacement du Président :                                           114.500

-frais de réception :                                                                           100.000

-photocopie, fax, papeterie :                                                              68.010

-téléphone :                                                                                        106.730

-location de la boite postale :                                                            29.250

-réception de personnalités (MM. Muller, Dethier, Morel)       30.000

*appui à des activités culturelles

-frais d’expédition du bulletin :                                                       655.560

-exposition des photographies de mosquées rurales :           307.250

-appui à un chercheur sur la décentralisation :                            25.000

-appui à un artisan (bogolan) :                                                         50.000

-appui au crépissage de la mosquée :                                        113.000

-appui au festival du Djenneri :                                                         50.000

-appui à la préparation du projet de Maison du Patrimoine       46.000

 

La discussion de ces comptes a montré en particulier :

 

- que les recettes de l’association, comme son nombre de membres bienfaiteurs, restent stables, ce qui traduit la faiblesse des efforts de recrutement, alors que le nombre de visiteurs de Djenné ne cesse de croître ; les activités de l’association ont donc besoin d’être redynamisées ;

 

- que le bulletin « DJENNE PATRIMOINE Informations » représente un poste très important, mais essentiel si l’association veut garder le soutien de ses membres bienfaiteurs ;

 

- que le recours à la diffusion électronique de ce bulletin, à partir de 2004, pour tous les membres bienfaiteurs, a permis de réduire considérablement les dépenses d’affranchissement ;

 

- que le site internet de notre association www.djenne-patrimoine.asso.fr est toujours supporté par un ressortissant de Djenné, M. Boubou Cissé, qui était étudiant en France ces dernières années et qui, récemment embauché par l’Institut de la Banque Mondiale, réside désormais à Washington ; l’assemblée le félicite de ses succès professionnels et le remercie de son soutien à ses activités ;

 

- que les membres de l’association n’étaient pas informés de la contribution de l’association au financement du crépissage de la mosquée en 2002.

 

L’assemblée générale a également évoqué le projet de réforme des statuts de l’association. Cette réforme vise à créer un poste de secrétaire général qui sera spécifiquement chargé de l’animation de l’association. Ce projet, étant entre les mains du Président, n’a pas pu être soumis au vote, il le sera à la prochaine occasion.

 

L’assemblée générale a aussi été informée du projet monté par Evelyne Bertrand, à la suite de ses nombreuses visites à Djenné : avec l’association Acroterre (ONG regroupant des spécialistes de la construction en terre) et l’association des maçons de Djenné, un projet de construction d’une Maison du patrimoine de Djenné a été soumis à un co-financement du Ministère français des affaires étrangères. Cette construction serait organisée comme un chantier-école permettant de transmettre à la jeune génération les connaissances des anciens en matière de construction en djenne ferey, et de redécouvrir les aspects oubliés de cette technique unique au monde. L’assemblée générale a demandé que le Ministère de la culture et le Ministère du tourisme soient impliqués dans ce projet ; elle a tenu à remercier les maçons, et spécialement M. Boubacar Touré et Boubacar Kouroumansé dit Bayéré, pour leur concours largement bénévole à ce projet.

 

Courrier des lecteurs

 

« Pour rien vous cacher, je suis étonné de la manière dont vous traitez le problème de l'excision dans l’article "Une saison de circoncisions et d'excisions" paru dans votre numéro 17. Je connais les raisons d'ordre religieux, sociologique, le rôle de la pression sociale qui poussent à l'excision, mais c'est avant tout une atteinte à l'intégrité physique des fillettes.

 

« Si le Mali n'a pas interdit l'excision, il a signé des textes qui la condamnent : la "convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes" qui est entrée en vigueur le 13 janvier 1984 ; la "charte africaine des droits de l'homme et des peuples" qui est entrée en vigueur le 21 octobre 1986 ; la "Charte Africaine sur les droits de l'enfant" qui a été adoptée par la 26-ème Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Organisation de l'Unité Africaine.

 

« S'il faut conserver le patrimoine de Djenné, je crois que quand on parle de l'excision, il faut l'adapter en supprimant tout le côté atteinte à l'intégrité physique des fillettes. Je ne connais pas la position de DJENNE PATRIMOINE Patrimoine par rapport à l'excision, mais il est important que le débat soit ouvert en son sein et que DJENNE PATRIMOINE Informations puisse en donner les résultats. » écrit Jean-François Roux de l’Association Vision du Monde. Cette lettre a été suivie d’une visite à Djenné pour rencontrer des représentants de DJENNE PATRIMOINE.

 

Voici la teneur de la réponse qui a été faite oralement :

 

Cher Monsieur, votre réaction ne nous surprend guère. Elle est d’autant plus normale qu’elle  s’appuie sur  les diverses conventions internationales protégeant les femmes et les enfants. Notre objectif est de montrer au monde que, malgré tout ce qu’on dit, cette pratique, qui est un phénomène culturel profondément enraciné et qui s’appuie sur une longue histoire, rappelée aujourd’hui par une prédication unanime, demeure encore vivace dans notre milieu. Un tel phénomène n’est pas comme un programme d’activité qu’on peut réviser à loisir et au moment voulu. Il s’agit alors de conjuguer les efforts et de s’armer de patience afin de venir à bout de cette pratique.

Amadou Tahirou Bah

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DOCUMENT 1

 

Deux témoignages sur le pèlerinage

 

 

Le pèlerinage raconté par Amadou Soumaïla Diallo

 

A. S. Diallo : Si vous avez la volonté d’accepter ce sacrifice, car c’est un sacrifice, vous pouvez aller. C’est un sacrifice, car vous pouvez aller et ne pas revenir. Il faut accepter le sacrifice, avoir l’intention et les moyens, alors on peut partir en pèlerinage. C’est une recommandation à tout musulman.

 

Donc certains n’ont pas les moyens. Pour moi, ce sont eux, mes neveux, qui ont contribué à mon départ, qui ont rassemblé les fonds, les moyens de nous rendre à la Mecque, moi et mon épouse. Chacun d’eux a apporté sa petite pierre, c’est comme ça que nous sommes partis. Personnellement, moi, je n’avais même pas un franc.

 

A.T. Bah : Il dit qu’il n’avait même pas un franc là-dedans, mais en réalité nous sommes ses neveux et pratiquement c’est lui qui nous a élevés, c’est lui qui nous a mis à l’école tous, nos papas ne nous ont pas du tout aidés en cela, c’est lui qui nous a aidés, et de cette façon c’est lui qui a contribué à son propre départ, c’est lui qui a fait de l’épargne, c’est une sorte d’épargne

 

A.S. Diallo : Oui, c’est une épargne, mais sur le plan pratique, en résumé succinct, ce sont mes neveux qui m’ont envoyés en pèlerinage. On peut dire que cette dernière étape a été préparée depuis trente ans.

 

Donc au mois de novembre, je suis allé à Bamako, il y a des formulaires à remplir, il y a d’abord des examens médicaux (urines, selles, examen médical général, des analyses, des prises de sang, tout ça, qui sont à la charge du futur pèlerin, et dont on attend les résultats). Après on va à la Maison du Hadj (maison du pèlerin) avec tous ces documents et résultats, on trouve là-bas une équipe sanitaire, ils posent des questions, ils réexaminent tout le dossier, et après cela ils vous autorisent à faire le pèlerinage. Il y a aussi des vaccinations à faire, des vaccinations contre des maladies endémiques, choléra etc. etc. Votre état de santé doit être bon, car en Arabie Saoudite on ne veut pas recevoir des malades. C’est seulement lorsque tout cela est fait que vous êtes inscrit. On établit votre passeport, vous avez déjà payé les frais pour cela.

 

C’est alors que vous suivez la formation qui est organisée au niveau de la Maison du Hadj à Bamako. Le matin, c’est l’enseignement théorique, le soir c’est la pratique : on suppose qu’on est à la Mecque, et on apprend ce qu’on doit faire.

 

Quand tout cela est fait, on est prêt à partir. Nous, nous avons choisi la filière gouvernementale, donc pour notre voyage on a pris l’avion vers le soir, et en passant par le Tchad directement on a atterri à Médine, vers les deux heures du matin, c’était la première fois que le vol était organisé de cette façon. Là-bas, il y a la douane, les services sanitaires, qui nous ont examinés. Après ces formalités, on nous a mis directement dans un bus qui nous a conduits à notre hôtel.

 

Le premier devoir du pèlerin, c’est de dire quarante prières. Quarante, et il ne faut pas en manquer une ! On passe donc huit jours à implorer le Tout Puissant, à demander Son pardon, à Lui demander de nous protéger, aujourd’hui et demain… Ce sont les cinq prières quotidiennes régulières, pendant huit jours. Tant qu’on n’a pas fini les quarante prières, on ne peut pas bouger de Médine.

 

A Médine, la mosquée est très grande, et très propre ! Il parait qu’elle a une surface de vingt hectares, et qu’elle est entretenue par le Maroc. Tout est propre, tout est nettoyé après la prière. Même les toilettes de cette mosquée sont très vastes et très propres. La mosquée est divisée en deux parties, une pour les hommes et une pour les femmes : vous ne les voyez pas, il y a un mur haut à peu près comme celui-là (trois mètres environ) qui sépare les hommes et les femmes. Et il y a du monde !

 

Dans la mosquée actuelle de Médine, il y a la maison du Prophète et son jardin. Pour la prière, chacun veut être non loin de la tombe du Prophète. Donc ce sont des bousculades. On va là-bas à la mosquée à cinq heures du matin, on prie à dix heures et quelques, on revient, on prend notre café, on passe tout notre temps à dire des prières, à midi on va encore à la mosquée, on va prier le salifana (la prière de 14 h), après on revient, on mange, on se prépare pour seize heures, dix-huit heures et vingt heures, les trois. Donc on reste sur place pour les trois prières, et ensuite on rentre.

 

On est en groupes dans un local où nous sommes logés, nourris et entretenus. Quand il y a trop de monde, les mets ne sont pas  toujours très appétissants, donc on va acheter ailleurs ; mais tout est bien préparé, il y a de l’ordre. Il n’y a pas de mets extraordinaires, ce sont à peu près nos mets, le poulet, le bœuf, le mouton, le poisson, seuls peut-être les condiments diffèrent. Quand on a de l’argent, on vit bien : il ne faut pas se contenter du repas gouvernemental, il faut acheter quelques suppléments. On est logés dans des chambres de cinq ou six ; dans ces chambres, il y a tout, même des toilettes bien faites, à Médine comme à la Mecque. Nous nous étions six fonctionnaires, dont j’étais le doyen, donc tout le monde me respectait, je n’achetais rien, je n’ai pas acheté un morceau de viande, ce sont les amis, les Bana, les Debas, les autres qui ont payé tout ! Et même le haram, je ne l’ai pas payé, c’est Debas qui en a acheté deux, un pour moi et un pour lui.

 

On part ensemble à la mosquée, mais dans la mosquée on est éparpillés. Il y a tellement de monde ! Certains jours, vous ne pouvez même pas arriver à la grande mosquée, on ne peut pas, il y a trop de monde, vous priez à côté !

 

Donc, quand on a fini le séjour à Médine –je vais vous montrer la mosquée de Médine (il sort un petit tapis sur lequel elle est représentée)– où on est resté huit jours, on va à la Mecque.

 

Vous êtes maintenant en haram, la tenue de pèlerinage (faite de deux pagnes blancs sans couture). A la Mecque, il y a des hôtels un peu partout, on mange bien, ce n’est pas très cher. Quand on arrive à le Mecque, après avoir déposé les bagages, il faut aller à la mosquée, immédiatement, pour faire les sept tours de la Kaaba. A la Mecque aussi, tout est propre, les portes sont dorées, on peut prier même à l’étage, accessible par ascenseur.

 

Là-bas, la race la plus importante, c’est la race blanche, nous les Africains, les Noirs, on peut nous compter, par rapport au nombre de la race blanche, des asiatiques. Et chacun arrive là-bas à l’heure, personne ne veut venir en retard.

 

Il faut donc d’abord faire les sept tours. Il y a un endroit où on court. Moi je n’ai pas pu passer en bas. En bas, si tu tombes, c’est fini, tu seras piétiné, il y a trop de monde ! Je suis monté à l’étage, il y a un ascenseur, il y avait une chaise roulante, il faut payer, appuyer sur un bouton, en une minute tu es à l’étage, et là aussi on peut faire le tour de la Kaaba.

 

Il y a un endroit là-bas où il faut courir, il s’appelle marwa. On court pour imiter le Prophète. Tout ce qu’on fait là-bas, c’est l’imitation du Prophète. Il y a assez de mosquées à la Mecque, assez de petites mosquées !

 

Le petit pèlerinage, ouma, finit là. Maintenant, à l’approche de la fête, il y a le grand pèlerinage. Mais avant la fête on a loué un véhicule pour aller voir là où le Prophète est passé, pour rejoindre Médine. Et après on est allé à Arafat, on a même prié à la mosquée d’Arafat, et puis on est allé très loin de Arafat, là où le Coran est descendu. Ensuite, on est venus à Moudelfa, là où on lance les cailloux, ensuite on est venus à Mina… Tout ça avant le pèlerinage, pour voir les lieux touristiques.

 

Donc pour le pèlerinage, on est repartis à Mina pour commencer le pèlerinage là-bas. Après Mina, où on a fait deux jours, on est partis à Arafat, revenus à Mina, pour lancer les cailloux. Là bas il y a sept cailloux, vingt et un cailloux, et beaucoup de gens ; beaucoup sont décédés là-bas ; et même notre ami, heureusement il a échappé de peu, Bana ! il y a eu une bousculade ! à moi l’enseignant m’avait recommandé « il ne faut pas aller là-bas ! ». 

 

Avant qu’on aille à Mina, le gouvernement nous donne un pécule de 700.000, 700 réals, vous avez payé le transport, donc maintenant on vous donne quelque chose pour acheter le mouton, nous notre mouton nous a coûté 270 réals, un mouton assez gros. 10 réals valent à peu près 1500 FCFA.

 

Après on revient encore à la Mecque, on va faire le tour de la Kaaba, le trajet de Safaa et Marwa, sept fois, Arafat aussi, … sept fois, et on continue les prières. Il y a assez d’oiseaux de Fatimata, là aussi il faut payer quelque chose pour les oiseaux, des pigeons.

 

Maintenant, à l’approche du départ, si vous partez demain matin pour rejoindre votre pays, vous allez encore « donner au revoir » à la grande mosquée : à ce moment on ne fait pas Safaa et Marwa, on fait seulement sept fois le tour de la Kaaba, on prie, on fait des bénédictions.

 

Ah, pendant le pèlerinage, on est à l’aise, on a l’intention même de revenir, parce qu’on ne finit jamais là-bas de prier, et tout le monde est occupé à la prière, et tout le monde est musulman. Tu ne penses à rien qu’à Dieu et au Prophète, tu es à côté du Prophète, et tout est propre, et tout est simple, alors que quand tu es là il y a assez de problèmes, donc tu oublies tout ça ! Donc on a toujours l’intention de revenir là-bas.

 

Et puis quand on revient ici, c’est la fête, c’est la joie ! Chacun à ce moment-là a encore apporté quelque chose, hein ! Moutons, bœufs, tout ça ! C’était la joie ! Et toute la ville était là : l’imam était là, les grandes personnalités musulmanes de Djenné, tout le monde était là ! C’est un jour exceptionnel, quand on revient de la Mecque ! Tout le monde veut vous serrer la main, et on a bonne mine.

 

Amadou Soumaila Diallo

 

[Amadou Soumaïla Diallo a fréquenté l’école régionale de Djenné entre 1939 et 1945, puis il est allé préparer le brevet élémentaire au cours normal de Sévaré. Il a eu son premier poste d’enseignant dans la fonction publique à Gao en 1952, d’où il a été muté à Djenné en 1957. Vers la fin du régime de Modibo, il a été exilé à Néakou, dans le cercle de Niafounké, avant de revenir à Niakongo dans le cercle de Mopti en 1969, puis à Djenné dès 1970 ; directeur de l’école B et créateur de l’école franco-arabe, il restera à Djenné jusqu’à sa retraite en 1987 ; mais, sans abandonner l’enseignement, il sera aussi élu député à l’Assemblée Nationale de 1982 à 1988. Il a créé le jumelage Vitré-Djenné en 1987]

 

 

 

Le pèlerinage raconté par Madame Sirandou Bocoum

 

Le pèlerinage est l’un des cinq piliers de l’islam. Il incombe à tous les musulmans qui en ont les moyens financiers et dont la capacité physique leur permet d’accomplir le rite.

 

Tout musulman aimerait le faire car il lui offre l’opportunité d’implorer le pardon de Dieu « le Très Haut, le Miséricordieux » pour le mérite de Mohamed « Paix et salut sur Lui » et de ses compagnons « Bénédiction de Dieu sur eux et Paix à leur âme ». Mais seuls arrivent à l’accomplir ceux dont le pèlerinage est inscrit dans le destin. Des musulmans très riches et bien portants ont toujours remis à demain son accomplissement et ne sont jamais parvenus à le faire jusqu’à la fin de leur vie. Par contre des musulmans vivant moyennement l’accomplissent, bien qu’avec toutes les peines du monde. D’autres procèdent par étapes : ils voyagent de ville en ville et de pays en pays, ils s’arrêtent chaque fois qu’ils sont en difficulté financière, travaillent un ou deux ans pour avancer, et ainsi jusqu’à ce qu’ils arrivent à destination.

 

D’autres n’y arrivent jamais parce qu’ils meurent avant destination. On apprend ainsi que certains pèlerins, sitôt arrivés à la Mecque, tombent malades et restent au lit pendant toute la période du rite, et c’est de l’hôpital qu’on les ramène à l’aéroport pour le retour au pays d’origine. Ils n’ont même pas eu la chance de voir la Kaaba, à plus forte raison de visiter la Mosquée Raouda et le Mausolée où repose Mohamed « Paix et salut sur Lui » et ses compagnons « Bénédictions de Dieu et Paix à leurs âmes ». On nous dit que ces accidents arrivent à celui dont le pèlerinage n’est pas inscrit dans le destin, ou parce qu’il a commis des péchés très graves.

 

Puisque nul ne sait son destin, ni n’est sûr de n’avoir pas commis une grosse erreur dans sa vie –qui l’amènerait à être privé de la chance d’être sur les lieux saints, de mériter le pardon et d’être sauvegardé du calvaire de l’enfer « que Dieu nous en garde ! » –, le futur pèlerin est sujet à une grande appréhension.

 

La décision d’accomplir le pèlerinage vient spontanément, car on ne peut y penser avant d’en avoir réuni les conditions. Les journées et les nuits deviennent alors très longues, sitôt la décision prise, à cause de l’empressement qu’on a de se trouver sur les lieux saints, et de la crainte de ne pouvoir accomplir correctement le rite, et même de perdre la vie dans les bousculades autour de la Kaaba, ou sur le mont Arafat, ou encore au moment de lapider Satan.

 

Tous les malaises et même les maux qu’on ressentait auparavant disparaissent le jour du voyage sans qu’on se rende compte comment cela a pu arriver.

 

Les parents, les amis et les voisins assistent tous au départ de pèlerin, lorsqu’il quitte son domicile pour l’aéroport de Hamdallaye. Tous formulent leurs vœux de bon accomplissement du pèlerinage et, les larmes aux yeux, souhaitent bon retour au pèlerin. Certains d’entre eux vous apportent leur soutien  financier. Les proches parents et les enfants du futur pèlerin  tiennent tous à l’accompagner pour assister à son embarquement dans le car pour l’aéroport international de Bamako-Sénou où il prendra l’avion.

 

Le pèlerin et ses accompagnants attendent parfois toute la nuit, assis sur des chaises, son tour d’embarquement. A l’appel de son nom au haut-parleur, la séparation entre le pèlerin et ses accompagnants occasionne encore beaucoup de larmes, car chacun de son côté se demande s’il reverra celui qu’il quitte. Mais certains pèlerins restent très sereins, car pour eux l’essentiel est de bien accomplir le pèlerinage, et rien d’autre n’a plus d’importance.

 

Les invocations et les implorations de Dieu « le Très Haut exalté » commencent aussitôt que les pèlerins sont embarqués dans le car jusqu’à l’aéroport de Bamako-Sénou, et continuent dans l’avion jusqu’à Djedda et de là jusqu’à Médine.

 

Les pèlerins du premier convoi commencent par la visite des lieux saints de Médine, et les derniers commencent par la Mecque, après avoir fait leur bain de purification dès Djedda et s’être habillés là-bas de leur tenue rituelle, s’être parfumés, avoir émis le vœu de la Oumra (le petit pèlerinage), avoir imploré Dieu pour qu’il accepte leurs bonnes actions et leur pardonne leurs erreurs. Les hommes peuvent formuler leur vœu à haute voix, les femmes doivent le faire à voix basse. La tenue de l’homme consiste en un pagne, si possible une houppelande ; la femme s’habille décemment comme elle veut, elle ne porte aucune parure. Tous s’habillent de blanc de préférence.

 

La joie d’avoir l’occasion de visiter les lieux saints et la crainte d’être victime des accidents mentionnés ci-dessus s’entremêlent dans le for intérieur du pèlerin pendant tout le voyage. Mais la crainte disparaît aussitôt qu’il se trouve sur les lieux, et laisse la place à une grande émotion qui s’accompagne chez le pèlerin d’un total dévouement pour atteindre l’objectif principal : la bonne exécution de tous les rites pour acquérir le pardon des péchés commis.

 

A Djedda et à l’entrée de La Mecque et de Médine, la vérification des pièces administratives prend beaucoup de temps.

 

A la grande mosquée de la Mecque, on commence par la procession de circumambulation, sept fois, autour de la Kaaba, en commençant par le niveau de la pierre noire sacrée, en glorifiant Dieu, « Alahou Akbar », en l’invoquant et en implorant son pardon et sa protection contre le châtiment de l’enfer, et en lui demandant le bien de ce monde et le bien dans l’au-delà. Celui qui aura fait le plus de circumambulations autour de la Kaaba aura le plus de mérite.

 

Au moment d’effectuer tous les rites du pèlerinage, il est recommandé au pèlerin de ne pas heurter les autres, de ne causer aucun tort à personne, de ne pas courir au moment de la circumambulation de la Kaaba.

 

Le pèlerin se dirige ensuite vers le monticule de Al Safa tout en glorifiant, en invoquant Dieu « le Très Haut exalté » et en implorant son pardon. Puis il descend du monticule et commence la procession de la Oumra. A la fin du premier trajet, on arrive au monticule de Al Marwa, toujours en invoquant, en glorifiant et en implorant Dieu. Le trajet d’Al Safa à Al Marwa est celui qu’a effectué l’épouse d’Ibrahim dans un moment d’embarras.

 

Une partie du trajet de Al Safa à Al Marwa s’effectue en marche normale, et une autre en marche rapide, mais sans courir, dignement, sans causer aucun tort à quelque autre pèlerin. Cependant, des pèlerins très forts de constitution bousculent les autres, leur donnant des coups de coude pour s’approcher de la pierre noire sacrée ; mais même s’ils y parviennent, ils ont moins de mérite que celui qui a tout bonnement fait toutes ses invocations en face de la pierre. D’autres, moins forts, perdent la vie dans les bousculades, car ils tombent et sont piétinés. Si, en voulant obtenir le pardon, on fait perdre la vie à un autre pèlerin, ou si on provoque quelque chose qui entraîne perte de vie, on sort du cadre des recommandations du Prophète « Paix et salut sur Lui » : la récompense de ceux-là sera le supplice dans l’au-delà. Celui qui ne respecte pas les recommandations du Prophète est loin d’être un ami du bien, il est banni par Lui.

 

A la fin des sept tours, le pèlerin fait deux rakat de prière derrière la station d’Ibrahim si possible, sinon en n’importe quel endroit de la sainte mosquée. Dès que le pèlerin aura terminé les sept trajets de la procession entre Al Safa et Al Marwa, la Oumra est achevée, et le pèlerin peut retourner à sa vie normale licite (porter d’autres habits par exemple).

 

Après le trajet d’Al Safa à Al Marwa, le pèlerin va vers les puits de Zam-Zam, surmonté de bornes-fontaines pour se désaltérer, se laver et faire ses ablutions. Ce puits s’est creusé à l’endroit où Ismail a donné des coups de pied quand il est venu au monde : l’eau de ce puits a servi pour la toilette du nouveau-né.

 

A la Mecque, il y a plusieurs mosquées, et on y prie à la même heure, mais le pèlerin doit être le plus souvent, sinon à toutes les heures de prière (il y en a cinq dans la journée, comme on sait), à la Sainte Mosquée, celle dans laquelle se trouve la Kaaba. Or, pour accéder à cette mosquée, il faut venir bien avant les heures de prière, ou même n’en sortir que pour les besoins vitaux.

 

En pratique, le pèlerin doit se lever au plus tard à trois heures du matin, pour avoir accès aux toilettes et faire ses ablutions ; sinon, il sera obligé de faire la queue et ne pourra jamais accéder à la mosquée pour la prière de l’aube. A Médine, le problème ne se pose pas, car dans la mosquée elle-même il y a suffisamment de toilettes et de douches.

 

Evidemment, la ville ne dort pas pendant tout le temps du pèlerinage. Les enfants jouent dans les rues à deux heures du matin, les magasins sont ouverts à tout moment, le jour et la nuit, les commerçants et les clients vaquent paisiblement à leurs affaires et personne n’est inquiété : nuit et jour, les rues regorgent de monde.

 

La veille du huitième jour, après la prière du soir (Icha), les pèlerins s’embarquent pour Mina, ils y passent la journée du huitième jour ; c’est à Mina, avant de partir à Arafat, que le pèlerin fait son bain de purification tout en formulant le vœu du hadj (là encore, en silence pour les femmes). Le neuvième jour après la prière de l’aube (Fayr), ils partent pour Arafat où ils resteront toute la journée jusqu’au coucher du soleil. Ce jour là, exceptionnellement, les pèlerins ne prieront pas la prière du crépuscule (Maghrib) à l’heure indiquée, ils attendront d’être arrivés à Muzdalifah, comme l’a fait Mohammed « Paix et salut sur Lui ». Le trajet de la Mecque à Mina, de Mina à Arafat, de Arafat à Muzdalifah et de Muzdalifah à Mina est celui que le Prophète « Paix et salut sur Lui » a fait lors de son déménagement de la Mecque à Médine : c’est pourquoi il faut faire exactement comme il a fait.

La journée passée à Arafat est un jour de prières, d’invocations et d’implorations, qui seront plus intenses aux dernières heures avant le coucher du soleil. On raconte que c’est au sommet du mont Arafat que Adam et Eve se sont retrouvés après la punition céleste. Quand Eve, la première, a vu Adam, elle s’est assise et a fait semblant de ne l’avoir pas remarqué. Adam l’a vue, il est venu à elle et lui a demandé où elle était allée. Eve répondit qu’elle n’avait pas bougé depuis qu’ils s’étaient perdus. Adam constata pourtant que les semelles des chaussures d’Eve étaient toutes usées à force de marcher à la recherche d’Adam. De nos jours, on dit que les femmes imitent Eve : même quand elles sont folles d’amour pour un homme, elles n’ont pas le courage de l’avouer et attendent toujours que l’homme fasse le premier pas. J’ai ajouté cette petite anecdote pour détendre le lecteur !

 

Eve a été victime des malices de Satan et elle a obligé Adam à agir contre les recommandations de Dieu. Ils ont été renvoyés du jardin d’Eden et se sont perdus pendant beaucoup d’années.

 

A Muzdalifah, on fait la prière du crépuscule (Maghrib) et la dernière du soir (celle de Icha), puis on se couche sur sa natte à même le sol, sans oreiller, sans couverture, en s’imposant de ne pas se gratter de peur de créer des écorchures qui saigneraient, en s’abstenant de se laver les dents de peur de faire saigner les gencives : en somme, il s’agit d’éviter tout ce qui pourrait faire saigner. C’est aussi à Muzdalifah qu’on ramasse des petits cailloux avec lesquels on lapidera Satan pendant le séjour à Mina.

 

Après la prière de l’aube, les pèlerins quittent Muzdalifah pour Mina, où ils resteront trois jours. Au moment de lapider Satan, ils glorifient et implorent Dieu, et demandent refuge auprès de Lui pour être épargnés des malices du démon et être sauvegardés des tortures de l’enfer. Le pèlerin qui pense n’avoir pas assez de force pour la lapidation a le droit de déléguer une autre personne pour l’accomplissement de ce rite. C’est à Mina que les hommes se rasent la tête et que les femmes se coupent une mèche, longue d’une phalange de doigt, à la tresse de leurs cheveux. Ils peuvent alors porter leurs habits civils et vivre une vie normale pendant le séjour à Mina. D’ailleurs, le matin du dixième jour est celui d’un jour de fête, et on peut porter de beaux habits et se parfumer, ce qui n’était pas permis pendant le hadj. C’est le jour de l’immolation des moutons : les femmes ne vont pas à l’endroit où cela se fait, les hommes sont délégués pour le faire. Le pèlerin qui n’a pas les moyens de payer un mouton observera le jeûne pendant les trois jours du séjour à Mina, et pendant sept autres jours à son retour en famille.

 

De Mina, les pèlerins retournent à la Mecque, et, pour dire au revoir à la sainte mosquée, font à nouveaux les circumambulations autour de la Kaaba, ainsi que le parcours de Al Safa à Al Marwa, de la même manière qu’ils l’avaient fait au départ.

 

Ceux qui n’ont pas commencé leur circuit par Médine quittent la Mecque pour Médine ; ceux qui ont commencé par Médine ont terminé et seront conduits à l’aéroport de Djedda pour le retour au pays. Il est recommandé de séjourner huit jours à Médine, afin de pouvoir y faire quarante prières à Rawda, la sainte mosquée dans laquelle repose notre Prophète « Paix et salut sur Lui » et ses compagnons « Bénédiction de Dieu sur eux », soit les cinq prières obligatoires de chaque jour pendant huit jours. Celui qui aura satisfait à cette prescription peut espérer le pardon de ses péchés, car c’est là que repose le plus méritant des musulmans, et on ne peut accéder à la grâce de Dieu que par son canal, puisque c’est Lui qui sera le médiateur entre les musulmans et Dieu le jour du jugement dernier.

 

A Médine, il n’y a pas de bousculade, les hommes et les femmes sont dans des compartiments différents : au moment de visiter le mausolée, les femmes viennent quand les hommes sortent. Le pèlerin doit faire des bénédictions pour Mohammed « Paix et salut sur Lui » et ses compagnons. Seidima Boubacar et Seidima Oumarou « Bénédiction de Dieu sur eux » sont couchés à côté de Lui. Le pèlerin implore le pardon, sollicite le bien de ce monde et celui de l’au-delà pour lui, pour ses enfants, ses proches et pour toute la communauté musulmane. Un peu plus loin repose Seidima Ousmane, il faut donc y aller, et faire les mêmes bénédictions, implorations et invocations, visiter la première mosquée de Mohammed « Paix et salut sur Lui » à Médine, visiter le cimetière où repose Hamza « Bénédiction de Dieu sur Lui », le cousin du Prophète « Paix et salut sur Lui », et beaucoup d’autres lieux.

 

La visite du mausolée donne à réfléchir. Toutes ces foules, provenant de toutes les contrées de la terre, sont venues faire des bénédictions pour une personne qui n’est pourtant plus de ce monde. Cette personne, plus aimée de Dieu que tout au monde, cette personne pour l’amour de laquelle Dieu a fait toutes ses créations, cette personne la plus importante ici-bas et dans l’au-delà, cette personne n’a pas échappé à la mort : et donc personne n’y échappera. Cette visite vous donne ainsi la ferme conviction que tout disparaîtra un jour, et vous exhorte à la patience et à la persévérance dans la pratique des recommandations de l’Islam, dans l’espoir d’être au côté du plus aimé de Dieu qui nous a tracé la bonne voie pour accéder au paradis et avoir une vie meilleure dans l’au-delà. Il est dit dans le Coran que le musulman doit essayer d’imiter la conduite du Prophète « Paix et salut sur Lui ». Il est vrai qu’aucune personne ne peut faire exactement comme Lui, mais il est recommandé de le tenter, afin d’éviter les grosses erreurs. Dieu est clément et miséricordieux.

 

Tout au long du pèlerinage, on ne pense qu’à la bonne exécution de ses rites, afin d’être pardonné des erreurs commises. C’est pourquoi, à la sainte mosquée de la Mecque comme à celle de Médine, les pèlerins versent beaucoup de larmes de regret et de crainte, parce qu’ils se demandent si les erreurs qu’ils ont commises seront pardonnées, et si les tortures de l’enfer leur seront épargnées. Au moment de quitter la sainte mosquée de la Mecque et celle de Médine, on a l’impression qu’on laisse quelque chose derrière soi : on souhaiterait rester ici, sur les lieux saints, pour toute sa vie, pour faire encore plus d’invocations, d’implorations, de bénédictions, de prières.

 

Au retour en famille, les parents et amis sont très heureux de vous retrouver : c’est la fête, beaucoup de plats ont été préparés par eux et vous attendent, on mange, on rit, on cause, on vous pose mille questions. Pour le restant de sa vie, le pèlerin n’oubliera jamais ce voyage, et au moment de faire ses prières il reverra chaque fois, comme dans un film, la Kaaba et le Mausolée où reposent Mohammed « Paix et salut sur Lui » et ses compagnons « Bénédiction de Dieu sur eux ».

 

Revenu du pèlerinage, le pèlerin est tenu en grande considération par la communauté musulmane : pour l’honorer, on l’appelle El Hadji (Hadja pour la femme). Il doit désormais veiller à tout ce qu’il fait, éviter tout ce qui pourrait ternir son image de Hadji, et respecter scrupuleusement tous les interdits de l’islam. Que Dieu nous guide dans la bonne voie ! Je souhaite qu’Il accorde à tous les musulmans l’occasion de visiter les lieux saints.

 

Madame Sirandou Boucoum

 

[Originaire de Djenné, je fus recrutée à  l'école en octobre 1954 à Djenné où j'ai poursuivi mes études primaires jusqu'en 1961. Après ma réussite au Certificat de fin d’études primaires élémentaires, je fus orientée vers le lycée de jeunes filles, actuel lycée Bâ Aminata. Apres avoir obtenu le DEF (diplôme d'études fondamentales), j’ai été admise à l’école normale secondaire de Badala, c'était d'ailleurs la première promotion de cette école. En septembre 1967, ayant réussi au diplôme de fin d'étude à l'école normale, je fus mise à la disposition de la région de Gao et affectée à Ansongo comme enseignante de second cycle chargée de l’enseignement de l’anglais et du français. L’année suivante 1968 -1969 j‘ai été nommée à Diré dans région de Tombouctou. En octobre 1969, mutée à Djenné, je m’y installai pour de bon et poursuivis mes activités d’enseignante. Depuis1973 j’ai entrepris des activités politiques pour prouver à la femme de Djenné que sa place n’est pas seulement à la cuisine, et qu’elle devait être présente lors des prises de décisions pour son développement. Cet objectif n’a été atteint qu’au prix de dures épreuves. En 1992 je fus nommée Directrice du second cycle de Djenné. En 1999 je fus élue conseillère communale et 2ème  adjointe au Maire. Depuis les élections de 2004, où j’ai été réélue conseillère communale mais plus membre du bureau communal, j’ai repris ma fonction de Directrice de second cycle, cette fois au quartier Kanafa à Djenné. Je suis mariée et mère de 5 enfants dont un commerçant, un étudiant, un jeune diplômé en mécanique auto, une ménagère mariée avec 4 enfants, et une fille maîtresse d’anglais comme sa mère.]

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DOCUMENT 2

 

 

Bénédictions et amulettes :

quelques remarques sur  la connaissance des marabouts à Djenné

 

Geert Mommersteeg

 

« Que Dieu lui donne une longue vie ! » « Que Dieu donne de la force au lait de sa mère ! » « Que Dieu le fasse solide de sorte qu’il rejoigne nos rangs ! » « Que Dieu lui fasse vivre la vie d’un musulman ! » « Que Dieu lui donne une bonne vie tant qu’il demeurera dans notre ville et qu’Il lui donne une bonne vie lorsqu’il s’établira ailleurs ! ».

 

Lorsqu’il a sept jours, l’enfant est béni. Dès qu’il a annoncé le nom du nouveau-né, le marabout demande à Dieu de lui assurer longue vie, bonne santé et force. La ville dans laquelle l’enfant est accueilli de cette façon est la ville de Djenné, cette ville dont la fameuse mosquée et les nombreuses écoles coraniques reflètent encore les jours glorieux du passé. A la fin des années 80 –la période où j’ai fait mes recherches ethnologiques à Djenné– la ville comptait quelques 35 écoles pour l’éducation coranique élémentaire et une douzaine d’école pour l’enseignement secondaire où le droit, la grammaire de l’arabe, la rhétorique et la littérature, la théologie, les traditions du Prophète et l’exégèse du Coran étaient enseignés.[2]

 

Les maîtres de ces écoles coranique traditionnelles sont appelés alfa (de l’arabe al-faqîh) en songhaï, ou môdibo (de l’arabe mu’addib) en fulfulde. En français, la langue du colonisateur, les maîtres sont appelés marabouts, terme qui est employés dans toute l’Afrique de l’Ouest musulmane. « Les marabouts, » comme mon assistant de recherche Boubakar Kouroumansé me l’a dit une fois, « enseignent comment suivre Dieu, et les marabouts savent comment demander à Dieu ». De cette façon concise, il faisait référence aux deux types de connaissances que les marabouts possèdent. Une distinction est faite entre la connaissance qu’on appelle « publique » et la connaissance « secrète ».[3] La connaissance publique est associée à la pratique de l’éducation dans les écoles coraniques. Les jeunes enfants sont confiés à un alfa qui leur apprendra à réciter le Coran, tandis que les élèves plus avancés poursuivent chez lui leur formation islamique. Guidés par leur alfa ils font connaissance avec les auteurs classiques du droit islamique, de la grammaire et de la littérature arabes, de la théologie, des traditions du Prophète et de l'exégèse du Coran. Les connaissances secrètes sont appliquées dans le « maraboutage », ce complexe de pratiques magico-religieuses où la production d’amulettes et la divination sont les plus significatives.

 

Les marabouts jouent un rôle important dans la vie de chaque individu à Djenné. Ceci apparaît particulièrement évident aux étapes critiques de la vie : la naissance, la circoncision, le mariage et la mort. A la cérémonie au cours de laquelle le nouveau-né est nommé, c’est un marabout qui annonce le nom de l’enfant et le bénit. Au moment de la circoncision, les jeunes garçons reçoivent des amulettes pour les protéger contre le Mal et contre les dangers. Lorsque les garçons retournent dans leurs familles, après une quinzaine de jours de réclusion, un marabout est là pour prononcer des bénédictions sur eux. Le mariage est contracté devant le marabout, et, finalement, c’est encore un marabout qui conduit la dernière prière sur le défunt et dirige la lecture du Coran ou du Dala’il al-Khairat –un panégyrique du Prophète Muhammad– pendant les condoléances, pour faciliter la vie ultérieure du défunt.

 

Le bien-être individuel, cependant, n’est pas pris en charge seulement aux étapes critiques de la vie. Dans la vie de tous les jours, les marabouts rendent aussi toute une variété de services pour assurer la santé à une personne, pour lui offrir la sécurité, pour lui garantir le bien-être spirituel et matériel. Par le moyen de la divination, de prières surérogatoires, et par la production d’amulettes, ils peuvent prendre contact avec les pouvoirs cachés du monde surnaturel et les utiliser pour le bénéfice de leurs clients.

 

‘Demander à Dieu’

 

Les bénédictions sont partout présentes dans la vie sociale à Djenné. Sans cesse, Dieu est appelé à prendre soin de Ses serviteurs. « Que Dieu nous sauve ! ». « Que Dieu nous protège pendant notre voyage ! ». « Que Dieu l’approuve !». « Que Dieu nous donne la force ! ». « Que Dieu protège notre ville ! », etc. Ces bénédictions, et bien d’autres, peuvent être entendues dans des occasions spéciales, mais aussi dans la vie de tous les jours : car chacun peut solliciter Dieu, et la requête de chacun peut être satisfaite par Lui.

 

Dieu, cependant, a quatre vingt dix neuf noms, ceux qu’on appelle « les Plus Beaux Noms de Dieu ». Certains de ces noms sont plus puissants que d’autres. Présenter une requête particulière à Dieu en employant un nom doté de puissance apportera une résultat rapide et certain. En outre, partout dans Son Saint Coran, Dieu à parlé en utilisant des mots puissants. S’ils sont employés à bon escient, les pouvoirs inhérents à ces mots peuvent être utilisés pour toutes sortes de fins. Ces mots sont aussi utilisés dans les amulettes.

 

Des versets coraniques, des sections, ou même un seul mot, une sourate courte entière, un nom de Dieu, tous peuvent être utilisés et en réalité le sont. L’usage des amulettes dérive de la croyance dans le pouvoir des inscriptions qu’elles contiennent. C’est le pouvoir inhérent à ces mots qui protégera ou aidera celui qui les porte.

 

Ainsi, ou inscrits sur un bout de papier, cousu dans du tissu ou du cuir (tira en songhaï) ou  dissous dans une potion d’« eau sainte » (nesi en songhaï), les pouvoirs portés par les mots du Livre Saint peuvent être appliqués à différentes intentions curatives, protectrices ou causatives. Cependant, ni les noms particuliers ou passages spécifiques du Coran, ni les techniques souvent compliquées pour les employer ne sont des connaissances communes. Ce sont au contraire des secrets, et c’est la connaissance de ces secrets qui fait la spécialité des marabouts. Cette connaissance leur permet de demander à Dieu de donner à un commerçant le succès dans ses affaires, d’accorder à une femme l’enfant qu’elle désire depuis longtemps, de guérir tel autre d’une maladie, ou de rendre une femme amoureuse de l’homme qui la désire.

 

Depuis toujours, l’usage d’amulettes a été l’objet d’un débat à l’intérieur de l’islam, et dans la littérature sur ce sujet plusieurs opinions se dessinent : d’un côté, les savants classiques déclarent que toute pratique magique corrompt la foi islamique et que, par conséquent, il est défendu aux fidèles de s’y aventurer ; de l’autre, ceux qui défendent l’utilisation du Coran dans la confection des amulettes, interprètent les textes écrits dans ces dernières comme autant d’invocations de Dieu, comme autant de prières de demande.

 

C’est surtout cette dernière opinion qui ressort de la terminologie utilisée à Djenné. Les amulettes sont définies comme « demandes à Dieu » (Yer Koy narey en songhaï). C’est en effet ce que font les marabouts qui écrivent ces amulettes : ils demandent à Dieu Sa protection pour leurs clients, ou la prospérité, ou la réalisation d’un but spécifique.

 

L’expérience suivante au cours de notre travail de terrain, il y a plus de quinze ans, a été un incident révélateur dans ce contexte.[4] Pendant l’une de nos visites hebdomadaires à un marabout, il m’a été demandé de lire une lettre qui lui était adressée. Il me donna la lettre, qu’il avait reçue le jour même, et je commençai à lire les quelques lignes en français. Chaque fois que j’avais lu quelques mots, je faisais une courte pause pour permettre à Boubakar de traduire en songhaï. La lettre était envoyée par un homme de Bamako et contenait une demande d’aide au marabout, car l’expéditeur désirait obtenir un emploi dans une entreprise donnée. Littéralement, l’homme demandait au marabout de « prier » pour qu’il obtienne le poste. Lorsque je lus sa demande, à haute voix, Boubakar, hésitant légèrement, traduisit le mot français « prier » par le songhaï « dyingar », le mot qu’on emploie pour dire le « salât » (la prière rituelle qui doit être pratiquée cinq fois par jour). A ce moment, le marabout éclata de rire et dit : « Dyingar ? Je suppose qu’il veut dire gara ! ».

 

Gara est le terme songhaï pour ce qu’on appelle en arabe ducâ’, une prière de requête, ou une invocation personnelle. La différence entre dyingar et gara est essentielle. Comme une suite à l’incident au cours duquel le marabout juxtaposa et distingua les deux termes, Boubakar et moi-même (d’abord ensemble, ensuite avec certains marabouts) avons discuté cette question en grand détail. Dans ces discussions, il a été fait plus d’une fois allusion à un verset du Coran : « Appelez Moi et Je vous répondrai » (40:62) ou au hadith « Les prières de demande sont les armes du croyant ». Ces paroles, dirent mes interlocuteurs, signifient qu’il est possible d’obtenir certaines choses en les demandant à Dieu.

 

Le processus de confection d’une amulette en détail[5]

 

Le processus de confection d’une amulette est souvent fort complexe. Les sciences ésotériques, qui concernent entre autres la connaissance du sens caché et des pouvoirs des mots et des lettres, de la numérologie et des carrés magiques, ont chacune son application spécifique. Une fois, pendant mes recherches à Djenné,  j’ai eu la chance de pouvoir suivre les diverses étapes de la confection d’une amulette. Un homme avait jeté son dévolu sur une femme, mais cette femme, en dépit de ses avances, continuait à le repousser ; il avait donc fait appel à un marabout pour obtenir de ce dernier une amulette qui le rendrait capable de posséder cette femme en particulier.

 

Afin d’accomplir le requête de son client le marabout a commencé par ouvrir son exemplaire du Coran. Les mots du Coran sont le fondement des amulettes islamiques. Pour l’amulette que nous examinons, le marabout a pris une section de la sourate 12, verset 30 : « il l’a rendue éperdument amoureuse de lui ».[6] Le passage de la sourate « Youssouf » d’où provient ce verset raconte comment Joseph, servi lui-même par son extrême beauté, rendit la femme de son maître égyptien éperdument amoureuse de lui. Les mots conviennent donc bien pour une amulette qui a pour but d’apporter à son propriétaire l’amour et l’affection d’une femme.

 

Une fois que le marabout a décidé quelle citation du Coran il veut utiliser, il calcule la valeur numérique de ces mots. Chaque lettre de l’alphabet arabe a sa propre valeur numérique. Ainsi donc, après quelques calculs, le marabout trouve que la valeur numérique du passage de la sourate « Youssouf » est 1957. Cette valeur lui permettra, comme nous allons le voir, de déterminer le contenu et la forme exacts que doivent prendre les diverses composantes dans le processus de fabrication de l’amulette. Cependant, avant tout, le marabout doit aussi fixer, par divers calculs, la date qui conviendra pour écrire effectivement l’amulette et pour invoquer les esprits.

 

C’est que, pour tout acte de  « maraboutage », il y a le moment voulu : plus exactement, il y a un temps pour le « bon travail » et un temps pour le « méchant travail ».[7] Chacune des douze heures du jour et chacune des douze heures de la nuit a un caractère différent. On les appelle les « heures des planètes ». Chacune des sept « planètes » (le soleil, la lune, et les planètes Mars, Mercure, Jupiter, Vénus et Saturne) exerce une influence spéciale à un moment particulier du jour, ou de la nuit. Pour s’assurer des influences astrologiques voulues, le marabout détermine, sur la base de la valeur numérique de la citation choisie, à quelle heure et sous le signe de quelle planète il devra écrire l’amulette.

 

La valeur numérique du texte coranique est ici 1957 ; divisée par 12, il reste 1 : ainsi l’écriture doit être faite pendant la première heure du jour. Or, le jour –un mercredi– où le marabout faisait le travail que je rapporte ici, cette heure était déjà dépassée. Le marabout consulte donc une table des heures des planètes. Il y trouve que la cinquième heure et la douzième heure du jeudi sont placées sous le même signe  que la première heure du mercredi : le signe de Mercure. Ainsi, il repousse l’écriture à la cinquième heure du lendemain, et prévoit de commencer les invocations à la douzième heure, puisque l’écriture et l’invocation doivent être placées dans des heures de la même planète.

 

Lorsque l’heure favorable est venue, le marabout trace et écrit sur un morceau de papier tout ce qui fera la force de l’amulette. Les inscriptions sont divisées en trois parties : des signes mystérieux, un ‘carré magique’, et un texte en arabe.

 

Au coin en haut à droite du papier (format environ 10 x 15 cm.) le marabout écrit d’abord sept signes mystérieux. Ces signes, ensemble, forment ‘le nom suprême’ de Dieu (al-ism al-a`zam).[8]  Sous ces sept signes, le marabout écrit « Au nom de Dieu, le Miséricordieux, le Compatissant : c’est Lui que nous appelons à l’aide », puis une bénédiction pour le Prophète : « Que Dieu bénisse notre Seigneur le Prophète et Sa famille ».

 

Au centre du papier de l’amulette, est alors dessiné un carré divisé en neuf sections. Huit d’entre elles contiennent des chiffres, celle du centre contient un texte. C’est là que le marabout écrit le passage de la sourate « Youssouf » : «  il l’a rendue éperdument amoureuse de lui », avec le nom de son client et le nom de la femme dont le cœur doit être gagné. Le nom de la femme est écrit en dessous de la citation du Coran, celui de l’homme au-dessus, et sens dessus dessous. De la sorte, nous dit-on, les deux noms « s’attirent » mutuellement. En dessus, ou plutôt « sous » le nom de l’homme, le marabout écrit le nom de Dieu, et sous le nom de la femme il écrit celui de l’ange Djibril.

 

Les nombres qui figurent dans le carré sont tous dans un certain rapport les uns par rapport aux autres. Ils sont tous déduits de la valeur numérique du texte coranique. Les huit cases sont remplies de la façon suivante :

 

489

1305

163

1142

 

815

326

652

979

 

Construit de cette façon, le carré dispose les nombres de telle sorte que les lignes et colonnes ont toujours le même total à savoir 1957, la valeur numérique de la citation choisie. Il y a donc une relation étroite entre les nombres et le texte. Le marabout explique qu’écrire un tel carré équivaut à écrire la citation du Coran 1957 fois. Mais utiliser un tel carré n’est pas seulement plus facile et plus rapide. Des carrés tels que celui-là sont également très faciles à lire pour les esprits qui vont être invoqués afin que soit réalisée la requête qui est formulée dans l’amulette. Les esprits peuvent lire les carrés d’un seul coup d’œil ! Et immédiatement, ils comprennent ce qui est demandé ! La construction d’un carré numérique peut donc être considérée comme une façon condensée d’écrire la demande.

 

Après avoir construit le carré numérique, le marabout écrit autour de ce carré le texte suivant : « Croyez [en Dieu], oh serviteurs de ce saint verset. Que Dieu vous bénisse. Vous devez obéir ! Vite ! Vite ! Par la vertu des droits de ce verset sur vous et par les pouvoirs qu’il a sur vous, garantissez l’amour de (le nom de la femme) pour (le nom de l’homme) sur l’heure ! De telle sorte qu’elle ne soit pas capable de rester loin de lui une seule heure et même moins que cela ! ». Le marabout demande, ou mieux ordonne, aux esprits attachés au texte coranique inscrit sur l’amulette-papier, d’accomplir ce qui est demandé. Plus tard, durant l’invocation, lorsqu’il s’adressera lui-même directement au monde des esprits, il prononcera cette phrase. Car, comme on le verra en détail plus loin, chaque verset, et même chaque mot du Coran a ses propres esprits pour l’accompagner.

 

Le marabout termine en écrivant au bas de l’amulette-papier une autre bénédiction pour le Prophète (« Que Dieu bénisse notre Seigneur Muhammad, Son Prophète, et sa famille et ses compagnons ! »). Voici l’amulette achevée : [9]

 

 

Immédiatement, le marabout fait deux copies de ce document : l’une sur une autre feuille de papier avec un stylo à bille, et l’autre, avec une plume de fabrication locale et avec de l’encre, sur une planchette de bois. Alors que l’une des feuilles est mise de côté pour être utilisée dans le rituel d’invocation  –et c’est celle qui servira d’amulette en fin de compte–  l’autre doit être placée en un certain endroit. Ici il y a quatre possibilités, chacune associée avec un des quatre éléments : l’eau (le papier est mis dans une boite, une bouteille ou récipient équivalent, et plongé dans l’eau), la terre (il sera donc enseveli dans un trou ou dans le sol), l’air (il sera suspendu à un arbre élevé) et le feu (on l’enterrera à un endroit où l’on fait souvent du feu, par exemple une cuisine, ou on l’écrira sur une feuille de métal qui sera placée près d’un feu ou d’un fourneau à charbon). Le lieu qui convient est déterminé à partir de la valeur numérique du texte coranique. Il est important de déposer la copie au bon endroit, car c’est là que les esprits vont envoyer leurs assistants pour la chercher. Dans le cas présent, c’est l’élément « eau » qui a été déduit de la valeur numérique. Ainsi, peu de temps avant qu’il ne commence l’invocation, le marabout a mis le papier dans un petit sachet en plastique et l’a plongé dans l’eau au bord du bras d’eau, juste à la limite de la ville.

 

Quant à la copie sur une planchette de bois, lorsqu’elle est terminée, le marabout la lave et recueille dans un récipient l’eau dans laquelle les écritures ont été dissoutes. Le liquide est donné au client, qui devra, régulièrement, en frictionner son visage et sa tête, ou en boire une petite quantité. L’utilisation de l’eau qui a servi à tout effacer dérive, comme le recours aux amulettes, de la croyance en le pouvoir des textes du Coran et des autres inscriptions qu’elles contiennent. En utilisant l’eau et l’amulette, on renforce l’une par l’autre : non seulement l’eau renforce le pouvoir de l’amulette, mais en même temps elle attache ce pouvoir à l’individu. Le client, qu’il veuille porter l’amulette ou simplement la garder à la maison, peut internaliser le pouvoir de ses inscriptions en buvant l’eau ou même en s’en frictionnant le corps.

 

Lorsque la douzième heure du jeudi est venue, celle qui est placée  –comme l’heure à laquelle le marabout a fait les écritures– sous le signe de Mercure, il commence les invocations. C’est le moment d’en appeler aux esprits pour qu’ils accomplissent ce qui a été demandé dans l’amulette.

 

Il y a deux sortes d’esprits, comme le marabout l’explique : les djinns et les anges. Les djinns se trouvent partout sur la terre et dans les eaux. Quant à leur caractère, il ressemble à celui de l’homme : certains se conduisent bien, d’autres se conduisent mal. Les anges, quant à eux, ne font jamais aucun mal, leur comportement est exemplaire. Ils sont les créatures les plus proches de Dieu. Ils vivent dispersés dans les sept ciels. Dans notre cas le marabout s’adresse lui-même à un groupe d’esprits : ceux qui sont associés au texte coranique inscrit sur de l’amulette-papier. 

 

Avant qu’il ne puisse les invoquer, il doit accomplir un certain nombre de rites. D’abord, le marabout allume un feu de charbon de bois dans un petit fourneau. Il prend ensuite l’amulette-papier, jette un petit morceau d’encens dans le charbon incandescent, et tient le papier dans la fumée pendant un certain temps. La fumée est la nourriture des esprits. Comme le marabout l’explique : « vous ne pouvez pas inviter quelqu’un sans lui donner un repas ». En rassasiant les esprits, le marabout s’assure de leur concours. Le type de parfum à utiliser dépend, lui aussi, de la valeur numérique du texte coranique de l’amulette. Pendant les préparatifs de l’invocation, le marabout a vérifié quelle odeur est celle qui convient. Lorsque l’amulette-papier a été encensée avec les fumées odorantes, le marabout la plie en trois, enroule un fil tout autour et l’attache de telle sorte que le papier plié pende à environ un demi mètre au-dessus du feu de charbon de bois. De temps à autre, il jettera de petits morceaux de résine dans le feu.

 

Avant l’invocation proprement dite, le marabout se tourne en direction de la Mecque, et prie deux ruku.[10] Après cette prière à Dieu, il s’assied sur sa natte en face du fourneau et s’adresse à « l’esprit de la place », celui qui occupe cet endroit : il est nécessaire de l’informer de l’arrivée d’autres esprits. Par trois fois, il demande au djinn ou bien de donner son accord, ou bien de quitter l’endroit pour un moment. Le marabout utilise ici une formule spéciale  formée de mots étranges. « Des mots magiques », dit-il, « des mots dont personne ne sait le sens ». Ensuite, il utilise des incantations similaires pour demander à celui qui, ce jour-là de la semaine, est le roi des djinns, la permission de procéder à l’invocation. A sept anges et à sept djinns, Dieu a en effet donné la responsabilité de tout ce qui se passe sur la terre : chaque couple exerce cette responsabilité un jour de la semaine. Rien ne peut être fait par un autre djinn, qu’il soit bon ou mauvais, sans le consentement de l’esprit qui règne ce jour-là. Ainsi, pour procéder exactement dans l’ordre qui convient, il est nécessaire de s’assurer que « l’esprit du jour » accepte que le travail soit fait. Le marabout l’appelle par sept fois.

 

Cela fait, le marabout prend son chapelet (tasbiha) et commence à invoquer les esprits qui sont considérés comme responsables de la réalisation de la requête inscrite sur l’amulette. Mille neuf cent cinquante sept fois, il récite « il l’a rendue éperdument amoureuse de lui ». Faisant glisser les boules de son chapelet sur ses doigts, il marmonne les mots du Livre Saint. Après le septième, le cinquantième, le neuf centième (et après, à chaque centième fois), soulignant ainsi les sept unités, cinq dizaines, et les centaines de neuf à dix neuf qui permettent de parvenir à la valeur numérique 1957, il prononce les mots qui sont écrits tout autour du carré numérique de l’amulette-papier. Il est demandé aux esprits qui « suivent » le texte coranique d’accomplir que Mademoiselle Unetelle ouvre son cœur au client du marabout.

 

Comme on l’a mentionné plus haut, chaque partie du Coran, et même chacun de ses mots, a ses propres esprits. Une fois, pendant l’invocation, le marabout appelle deux de ces esprits par leur nom propre. Après la millième récitation du texte coranique, il s’adresse directement à un djinn et à un ange. Leurs noms, trouvés et notés pendant les préparatifs, sont déduits de la valeur numérique des mots auxquels ils sont si étroitement associés. Les noms des djinns se signalent par le suffixe –taysu. La valeur numérique de –taysu est 319. En retranchant ce nombre de 1957, on obtient 1638. Les lettres qui correspondent à 1638 sont, respectivement, 1000=ghain, 600=kha’, 30=lam, 8=ha’. Et donc le djinn de la partie citée de la sourate 12, verset 30, répond au nom de Ghakhalahataysu. Utilisant la même méthode, mais partant du suffixe –halil, le marabout a trouvé que le nom de l’ange en question est Ghazawahalil. Ce djinn et cet ange sont les plus importants esprits associés à la partie choisie du texte coranique. Ils commandent les autres anges et djinns. Et, comme ils sont les chefs, le marabout prononce leurs noms après la millième récitation. Il demande au djinn Ghakhalahataysu de faire advenir le but désiré à cause de l’ange Ghazawahalil. De cette façon, le résultat escompté sera certainement obtenu. Car, comme le marabout l’explique, lorsque le nom de l’ange concerné est mentionné, il est impossible au djinn de laisser la requête de côté. Il ne peut pas rester oisif et il doit mettre ses assistants au travail.

 

Pendant l’invocation, l’amulette-papier se balance tranquillement dans la chaleur qui monte du charbon rougeoyant. Vers la fin de la récitation, elle a assez de vitesse pour tourner autour de son axe pendant un certain temps. C’est, pour le marabout, le signe que sa requête a été entendue. Un djinn est présent. Mais le marabout ne remarque pas seulement la présence de cet esprit dans l’amulette tournoyante, il la ressent aussi lui-même. Comme il le déclare : « C’est comme si j’étais soudain tout froid. Et ensuite, je me sens toujours très fatigué ».

 

Une heure environ après que le marabout eut commencé l’invocation, lorsqu’il eut compté un grain de son chapelet pour la 1957-ème fois et dit un nombre égal de fois « il l’a rendue éperdument amoureuse de lui », il s’adresse lui-même une fois de plus aux esprits auxquels il a présenté cette requête, et prononce une bénédiction pour eux. « Puisse Dieu les bénir ! ».

 

L’amulette-papier est détachée et, avec le fil attaché autour d’elle, elle est remise au client qui devra la faire coudre à l’intérieur d’une petite poche en cuir. Assuré du support d’une amulette et d’une eau contenant les mots sacrés, l’homme peut continuer son aventure amoureuse.

 

Comme on a pu le voir ci-dessus, l’ensemble du processus de fabrication d’une amulette est déterminé par le texte coranique. Le contenu de presque tous les éléments dépend des mots pris dans le Saint Livre. A part quelques formules standard, tant dans l’écriture (le plus haut nom, l’invocation et les bénédictions) que dans l’invocation (la prière, les invocations, les incantations, les bénédictions), toutes les variables sont déterminées par la citation du Coran. Ce n’est pas seulement, comme c’est évident, dans le contenu littéral de l’amulette et des récitations qu’on retrouve ces mots, mais ils sont à la racine d’une considérable variété d’éléments du processus de fabrication, comme par exemple : le moment qui convient, l’endroit où placer la copie, le type de parfum à brûler pendant l’invocation, le nombre de récitations, et même les noms des esprits. Par le biais de sa valeur numérique, le texte coranique détermine la manière exacte dont la fabrication doit être effectuée ; c’est que l’efficacité attribuée à l’amulette provient exclusivement du pouvoir inhérent aux mots du Coran eux-mêmes, aux paroles de Dieu.

 

Les domaines de la connaissance des marabouts couvrent toute la gamme des besoins des hommes et de leurs questions, aussi bien ceux qui concernent des problèmes existentiels que les simples incertitudes du quotidien ; depuis le bien-être spirituel et la perspective d’une vie future où toutes les bonnes actions seront récompensées, jusqu’au bien-être concret de la vie actuelle dans ses aspects de bonne santé, de longue vie et de prospérité. Outre que les marabouts « enseignent comment suivre Dieu », ils « savent comment demander à Dieu », et ainsi ils jouent un rôle essentiel dans la vie des habitants de Djenné.

 

 

Bibliographie

 

Geert Mommersteeg : « He has smitten her to the heart with love », The Fabrication of an Islamic Love-Amulet in West Africa, Anthropos 83, 1988:501-510

Geert Mommersteeg : Allah’s Words as Amulet, Etnofoor III (1), 1990:63-76

Geert Mommersteeg : Qur’anic Teachers and Magico-religious Specialists in Djenné

 http://isim.leidenubiv.nl/newsletter/3/regional/15.html



[1] Natte grossière en paille tressée Retour au texte

[2] Sur ce point, voir aussi R.-C. Gatti : Les écoles coraniques de Djenné, problèmes et perspectives, DJENNE PATRIMOINE Informations, n° 9, juillet 2000, p. 19-36 Retour au texte

[3] Sur ce point, voir G. Mommersteeg : « Le domaine du marabout : maîtres coraniques et spécialistes magico-religieux à Djenné (Mali) », DJENNE PATRIMOINE Informations, n° 8, janvier 2000, p. 13-18 Retour au texte

[4] Le travail sur le terrain à Djenné eut lieu de novembre 1985 jusqu'en octobre 1986 et de juin 1987 jusqu'en janvier 1988. Il a été subventionné par la Fondation néerlandaise pour le développement de la recherche tropicale (WOTRO) (W52-368). Je remercie les nombreux marabouts pour toute l'assistance qu'ils ont bien voulue m'accorder pendant mes recherches à Djenné; je remercie également et particulièrement mon assistant dans la recherche, M. Boubakar Kouroumansé. Retour au texte

[5] Les données sur lesquelles la description ci-dessous est fondée ont été recueillies à Djenné entre avril  et septembre 1986. Retour au texte

[6] Le Coran, traduction de D. Masson, Folio classique, Paris, 2001 Retour au texte

[7] Celui qui causera une perte. Retour au texte

[8] Sur ce point, voir G. Mommersteeg : « Djenné demande de la pluie : prières et rituels pour obtenir la pluie dans une ville sahélienne », DJENNE PATRIMOINE Informations, n° 16, printemps 2004, p. 11-14 Retour au texte

  [9] Naturellement, les noms des personnes concernées ont été remplacés respectivement par les mots « homme » et « femme » Retour au texte

[10] Chacune des cinq prières que le musulman doit faire dans la journée est composée d'un certain nombre de ruku, au minimum deux. Un rak'ah est donc l'ensemble des révérences, génuflexions, prosternations et des récitations qui y sont associées et qui constituent une unité de culte. Retour au texte


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