DJENNE PATRIMOINE
Informations
n° 19, automne 2005
NOUVELLES
DE DJENNE
Depuis
une dizaine d’années, une Association des Usagers de l’Eau Potable, dirigée par
un enseignant en retraite, feu Dioro Sidibé (décédé en 2005) s’acquittait de
ses tâches à la satisfaction de tous : sa compétence technique était
reconnue, sa gestion était –exception qui confirme la règle– rigoureuse et
honnête (un audit diligenté pour prouver le contraire n’y est pas
parvenu). Cette association avait fait face à tous les problèmes posés par
l’expansion des fontaines publiques et privées et par la distribution de l’eau.
Elle avait si bien fait la preuve de ses capacités que ce même comité de
gestion avait été choisi pour gérer l’assainissement de la ville de Djenné.
Cependant,
les partisans de la nouvelle majorité municipale ont taxé ce comité
d’ « adémiste » pour justifier leur stratégie, qui visait à
chasser cette équipe pour prendre sa place. Utilisant le retard dans le
renouvellement du bureau, ces partisans ont improvisé entre eux un bureau de
rechange qui prétendait purement et simplement prendre en mains la gestion. La
querelle entre les deux bureaux a abouti à une parodie d’apaisement : tous
deux ont été destitués par la mairie, qui a nommé un comité provisoire chargé
d’organiser le renouvellement. Le point de vue de l’ancien comité a tout de
même prévalu : ce renouvellement devait se faire non pas par
l’installation d’un bureau sans mandat de la base, mais au contraire à partir
des élections des comités de quartiers, les robinet-ton (associations gérant les
robinets). Mais la politique étant ce qu’elle est à Djenné, la campagne pour
les élections à ces comités de quartiers a été non seulement mouvementée, mais
même violente. Un seul exemple : dans le quartier de Kouyétendé, un père
de famille a menacé sa fille, qui avait l’intention de voter contre son camp à
lui, de la renier et de répudier sa mère ; on voit là comme la liberté de
vote est comprise ; on le voit aussi à la pratique du vote à main levée en
assemblée de quartier !
Après
les élections des 167 délégués qui gèreront les robinet-ton dans les 9
quartiers de la ville, il fallait constituer le bureau du comité de gestion.
Là, à nouveau, deux camps farouchement opposés, mus par on ne sait trop quels
intérêts, ont commencé à s’activer pour obtenir le contrôle du futur bureau.
Pour cela, rien ne fut négligé : négociations, menaces, corruption … On a
par exemple promis un taureau à un activiste lors des élections de base, cette
promesse a été exécutée après la victoire ! Les élections municipales
n’avaient pas coupé le souffle des observateurs comme l’ont fait ces élections
de l’Association des usagers de l’eau potable. Lors de la réunion, qui a duré
cinq heures à la Maison du peuple, des menaces d’humiliation planaient, au cas
où ils auraient été tenté de changer de camp à la dernière minute, sur la tête
de certains délégués qui avaient, sans éprouver la moindre honte, accepté des
cadeaux pour prix de leur vote.
C’est
ainsi que le 14 septembre à 14 h, un bureau entièrement composé de partisans de
l’actuelle majorité municipale fut constitué, par 92 voix contre 74. Ce bureau
est dirigé par Monsieur El Hadj Djeité, tailleur ; il doit désormais gérer
l’eau et l’assainissement pendant trois ans.
Alors
que la presse spécialisée présente à l’extérieur le programme d’assainissement
de la ville de Djenné comme un « pari gagné », les méchantes fées qui
travaillent à semer la zizanie dans la ville pour la ruiner se sont montrées
très actives ces derniers mois. A l’occasion de la saison des pluies, alors que
le système d’infiltration des eaux devait être protégé de l’inondation par les
eaux de pluies, les consignes simples qui devaient être suivies n’ont guère été
appliquées. Deux sur trois des systèmes individuels ont été endommagés du fait
de ce manque d’entretien pendant la saison des pluies : ils demandent donc
une remise en état bien plus longue et bien plus coûteuse que ce qui était
prévu. Plus grave, à cette occasion, on a découvert que ces systèmes ont été,
ici et là, purement et simplement sabotés par leurs propriétaires, qui ont
bourré dans les conduits des sacs plastique ou des semelles de sandales. Les
autorités politiques, lorsqu’elles sont saisies, localement ou à Bamako,
démissionnent, comme le plus souvent, se montrant toujours plus promptes à
écouter le premier plaignant venu qu’à concevoir et réaliser de grands projets
susceptibles de sortir la ville de la fange et de la misère.
Mais
elles ne sont pas seules à lutter contre le développement. Tel haut fonctionnaire, logé à deux pas de la
mosquée, donne ostensiblement le meilleur exemple en se montrant totalement
indifférent aux nuisances qu’entraînent pour les voisins les eaux usées qui
s’échappent de son domicile, et explique à qui veut l’entendre qu’il ne mettra
pas un centime dans un équipement d’utilité publique : il est logé dans un
bâtiment public, son droit est d’en jouir sans se soucier d’autre chose. Belle
leçon de civisme ! Telle personnalité religieuse éminente fait détruire,
sur le conseil de son maçon, l’installation réalisée grâce au financement extérieur
dans sa concession. Tel chef de quartier impute les fissures apparues dans son
bâtiment à cette installation, avant de découvrir que le tuyau d’alimentation
en eau de sa concession est rompu dans le sol qui est inondé en profondeur
depuis un temps indéterminé ; et avant qu’on ne lui rappelle qu’il a étendu sa
maison en remblayant un dépôt d’ordures, de sorte que le sol ne présentait
peut-être pas la solidité qu’on en attendait. Tous les propriétaires ont
demandé par écrit que l’installation soit réalisée dans leur maison, mais
aujourd’hui il s’agit d’essayer de se faire payer des travaux que l’état de la
maison pouvait justifier depuis longtemps !
La jalousie
aidant, une campagne se développe aussi chez les maçons, pour dire qu’aucun
maçon de Djenné connaissant son métier ne devrait prêter son concours à
l’installation des systèmes individuels d’infiltration. Alors que le projet a
été présenté, dès avant son lancement, à tous les maçons assemblés dans la cour
du chef de leur association traditionnelle (le barey ton), certains
n’ont pas été satisfaits d’apprendre que la formation qui serait organisée dans
le cadre de ce projet ne serait pas rémunérée : pour certains, tout projet
financé par l’aide n’est qu’une bonne aubaine, il faut en tirer le maximum
d’avantages individuels, rien d’autre ne compte. On comprend que le Président
de la République ait pu déclarer tout récemment que ceux qui
travaillent contre le développement du Mali le trouveront sur leur chemin (cf. L’Indépendant, 27 décembre 2005), mais
il y a loin du discours aux actes, tant que personne n’a le courage, ni au
niveau national ni au niveau local, d’exercer l’autorité et de sanctionner.
Voici
un exemple local concret. Alors que la contribution attendue des familles
bénéficiaires pour équilibrer le coût de l'entretien courant des systèmes
individuels d'infiltration devrait être de l'ordre de 500 FCFA par système
individuel et par mois, la Mairie a d'abord fixé ce tarif comme font toutes les
administrations maliennes : sans faire le moindre effort de consultation ou
d'information, puisque les "braves populations" n'ont qu'à obéir. Ce
qui devait arriver s'est donc produit : les chefs de famille, profitant du
climat de défiance installé par la zizanie et la jalousie à l'égard de ce
projet, ont refusé de payer. Le bailleur a insisté, en rappelant que son
objectif à lui est d'obtenir un assainissement durable de la ville, et que cela
suppose que l'investissement initial soit entretenu. Tous ceux qui observent ce
qui se passe à Djenné pour savoir s'il est judicieux de s'engager à aider cette
ville ont eu la même réaction : les gens de Djenné sont-ils sérieux ou non ?
La
réponse est venue. La mairie est revenue sur sa décision, mais après avoir
obtenu d'une personnalité qui n'a de compte à rendre à personne, et à qui les
textes sur la décentralisation ne donnent aucun rôle dans ces affaires, le chef
de village, l'avis parfaitement démagogique selon lequel cette contribution ne
devrait pas dépasser 200 FCFA. La mairie s'est appuyée sur cet avis pour
modifier sa première délibération et ramener la contribution à ce niveau. On
sait donc par avance que l’assainissement n'aura les moyens de réaliser correctement
les opérations d'entretien qui lui sont nécessaires. On apprend aussi à cette
occasion quel rôle peuvent jouer les chefs de village : entraver tout effort de
responsabilisation des citoyens et des collectivités territoriales.
La
gestion de l'assainissement de Djenné est une triste illustration des
difficultés de la décentralisation.
Accueil
des touristes à Djenné
Le
bureau de l’Office malien du tourisme et de l’hôtellerie (OMATHO), ouvert à
Djenné il y a quelques mois développe ses activités dans divers domaines, dont
les suivants :
- en
application de la loi de 2003 sur la profession de guide, un test a été
organisé au niveau national en juillet 2005 pour sélectoinner les guides
officiels ; à Djenné, 28 guides ont été désignés, dont 7 guides nationaux
et 21 guides locaux (qui ne peuvent exercer que dans la région de Mopti) ;
les guides nationaux sont Kola Bah, Boubou Bocoum, Sory Bocoum, Moctar Cissé,
Amadou Cissé, Elhadj Sory Sidibe et Mamadou Thiocary ; les guides locaux
sont Ibrahim Cissé, Alasseyni Cissé, Abdrahmane Cissé, Mamoudou Cissé, Ladji
Diakité, Nouhoum Dio, Sékou Gano, Alassane Guitteye, Mahamane Kayantao, Mamadou
Keita, Garba Koïta, Cheickna Koïta, Arsiké Landouré, Oumar Thiocary, Oumarou
Thiocary, Seydou Traore, Alhousseny Sinitao, Soumaïla Traore, Hamane Lamine
Traore, Allaye Boubou Waïgalo, Ibrahim Waïgalo ;
- les
guides agréés ont reçu une carte professionnelle et un macaron (jaune
pour les guides locaux, bleu pour les guides nationaux) et se sont organisés en
bureau des guides ; ce bureau est installé à Kamansébéra, tout près de la
place de la mosquée ; le Président du bureau des guides est Harber Cissé
et son trésorier Boubacar Koïta dit Tapo ; le bureau des guides organise
un tour de rôle entre ses membres, de sorte que chaque client est sûr de
trouver un guide et que chaque guide ne travaille qu’un jour sur deux ; le
tarif de la visite a été fixé à 3500 FCFA pour une personne seule et à 2500
FCFA par personne pour les groupes ; le bureau des guides garde 500 FCFA
par visiteur pour constituer sa caisse de solidarité ; une tarification
spéciale s’applique aux visites organisées par les guides qui travaillent avec
des agences ;
- une
formation d’une semaine a été organisée en avril 2005 pour les hôteliers
sur les diverses fonctions (accueil, bar, service des chambres, etc…) et une
autre de quatre jours en septembre 2005, en coopération avec l’Agence nationale
pour l’emploi (ANPE) sur la gestion hôtelière ;
- le
bureau de Djenné de l’OMATHO s’est en diverses occasions substitué à la mairie
défaillante pour payer les sommes dues aux associations de femmes qui balayent
la place du marché, dès que celui-ci est terminé, de façon à assurer un minimum
de propreté de la ville ; l’adjointe chargée de l’assainissement a montré
à cette occasion la haute idée qu’elle se fait de sa tâche.
Le
bureau de l’OMATHO à Djenné bénéficie depuis quelques temps et pour deux ans du
concours d’un volontaire de la paix, Christopher Chambers, déjà baptisé Moussa
Cissé.
Par ailleurs, le Campement
de Djenné a reçu en décembre 2005, lors des manifestations qui ont marqué
l’ouverture de la saison touristique au Mali, le diplôme d’honneur
décerné par le Ministère de l’artisanat et du tourisme à l’établissement le
plus propre de la saison 2004-2005. Lors de la même cérémonie, la ville de
Sangha a été distinguée comme la ville la plus propre, et trois guides ont été
honorés pour leur passion pour le métier qu’ils exercent.
La
presse nationale nous apprend que le comité des bons offices du bassin du Bani
est « reparti à l’assaut des résistances contre la construction du barrage
de Talo et de celui de Djenné. » Il était donc, du 3 au 8 octobre dernier,
en tournée dans les cercles de San et de Bla. Certes, c’est pour dire qu’il s’agit
de « vaincre l’empire de la rumeur, les résistances psychologiques mais
également les campagnes de désinformation contre le barrage de Djenné et le
seuil de Talo » ; c’est pour ajouter que cette résistance insidieuse
prenait pour cible « une population
analphabète mal informée sur les barrages », une « masse
taillable et corvéable à merci au profit d’un cercle d’agitateurs tapis dans
l’ombre et parfois agissant à visage découvert ». (Le Républicain, 19 octobre 2005)
Il
faut craindre ici qu’il n’y ait pas de fumée sans feu et que ce langage masque
une réelle inquiétude des commanditaires de l’article. Y aurait-il aujourd’hui
des problèmes dans les deux cercles qui seront les seuls bénéficiaires du
barrage de Talo ?
DJENNE
PATRIMOINE a publié des articles de scientifiques reconnus, qui, après avoir
vécu et travaillé au Mali, se montraient extrêmement réservés quant aux
conséquences du barrage de Talo sur l’inondation de la zone de Djenné. Par ces
publications DJENNE PATRIMOINE estime avoir servi la cause de Djenné. Car le
journaliste semble ignorer –et en tout cas il cache à ses lecteurs– que le
barrage actuellement en cours de construction sur le seuil de Talo est très profondément différent de ce que
l’administration se proposait de construire il y a trois ans. Et cela à la
suite des critiques qui ont été soulevées par DJENNE PATRIMOINE et par bien
d’autres, dont l’ONG américaine Cultural Survival, et à la suite des études
complémentaires que ces critiques ont réussi à faire réaliser. Pour ne prendre
qu’un exemple, la capacité de la vanne de fond du barrage est passée de 15 à
150 m3/seconde, et la crête du barrage a été abaissée.
Dans
certains pays on se félicite de la généralisation du débat démocratique, et de
la diminution de l’autoritarisme de la bureaucratie administrative :
apparemment on n’en est pas encore là au ministère de l’agriculture du
Mali ! Le comité des bons offices plaide pour la « transparence dans
une gestion démocratique et concertée » : il serait temps qu’il
montre ce que cela signifie, par exemple par des campagnes de presse qui ne
prennent pas les lecteurs pour des ignorants, mais qui répondent avec franchise
aux questions que les citoyens se posent légitimement. Ces derniers ne sont pas
dupes des manœuvres qui consistent à faire passe le Projet Moyen Bani en
multipliant les aides à la santé, aux activités génératrices de revenu, au
micro-crédit, etc. ou même par des aides alimentaires d’urgence !
Le programme de développement rural du cercle de Djenné
Le programme de développement rural du cercle de Djenné (PDR/Djenné) a
pour objectif de contribuer à la lutte contre la pauvreté par la sécurisation
de l’ensemble des productions agricoles dans la zone. Il est l’un des futurs
grands chantiers du Gouvernement dans le bassin du Bani. Il vise le
développement global de l’ensemble de la zone du cours inférieur du Bani.
L’épine dorsale du programme est l’édification d’un seuil mobile sur le
fleuve, à environ 8 km en amont de la ville de Djenné, près du village de
Soala, et l’aménagement hydro-agricole d’une série de plaines adjacentes sur
les deux rives. A ce volet principal du programme seront greffées toutes les
autres mesures visant un développement local harmonieux de la contrée, à
savoir : un programme de désenclavement intérieur et extérieur du
cercle ; un programme d’hydraulique villageoise ; un programme
d’alphabétisation ; un programme d’appui à la santé ; un programme
d’appui aux femmes rurales ; un plan d’action pour l’atténuation de
l’impact environnemental du programme.
A terme, le programme vise la mise en valeur agricole garantie d’environ
65.000 à 70.000 hectares de terres agricoles, la régénération d’environ 150.000
ha de bourgoutières, la relance des activités de pêche et de pisciculture
autour de l’ensemble des plans d’eau du cercle.
L’élaboration et la mise en œuvre du PDR/Djenné est une réponse forte du
Gouvernement de la République du Mali aux revendications des populations du
cercle de Djenné face à la réalisation du Programme d’aménagement des plaines
du Moyen Bani (PMB) dans les cercles de Bla et San en amont. La réalisation du
PDR/Djenné constitue aujourd’hui une préoccupation majeure et une priorité des
plus hautes autorités de notre pays, comme l’a montré l’installation officielle
de la Cellule du programme à Djenné le 13 février 2005.
Actuellement, les études du programme sont en cours et elles devraient
durer 16 mois répartis en deux phases comme suit :
- une première phase de 7 mois pour l’élaboration du schéma directeur de
développement rural du cercle de Djenné, avec comme élément essentiel la
réalisation du barrage-seuil et l’aménagement hydro-agricole des terres des
plaines inondables ;
- une seconde phase de 9 mois pour les études de l’avant-projet détaillé
(APD) et de dossier d’appel d’offres (DAO) des infrastructures prioritaires
retenues dans le schéma directeur.
Chacune de ces deux phases sera sanctionnée par un atelier de validation
par l’ensemble des acteurs du développement du cercle, et ces réunions sont
prévues dans la ville de Djenné. A la suite du dernier atelier, le document du
projet sera préparé et approuvé par le Gouvernement pour la recherche de
financement.
L’étude, dont la maîtrise d’ouvrage déléguée est assurée par l’Agence
d’exécution des travaux d’investissement et d’équipement rural (AGETIER), est
réalisée par un groupement de trois bureaux d’études (le BCOM, Coyne et
Bellier, et BETICO) pour un montant de 577 millions FCFA. Les investigations de
terrain sont actuellement en cours.
La cellule de coordination et de suivi de l’étude est constituée de
trois cadres nationaux : un ingénieur du génie rural, qui en est le
coordinateur, un expert environnementaliste et un expert sociologue. Elle est
en place à Djenné depuis février 2005. En plus de ses tâches de coordination et
de suivi des actions du consultant, elle est chargée de la sensibilisation des
acteurs en faveur du programme dans le cercle, et surtout de la préparation de
la phase de mise en œuvre effective du programme, pour laquelle des engagements
ont déjà été obtenus des partenaires du Gouvernement.
Les perspectives du programme sont les suivantes :
- préparation du schéma directeur en avril 2006 ;
- tenue de l’atelier de validation en mai 2006 ;
- lancement de la phase 2 de l’étude et présentation du
dossier de faisabilité du programme en juin 2006 ;
- tenue du second atelier de validation en décembre
2006 ;
- finalisation du dossier du projet (1ère phase)
en janvier 2007 ;
- recherche de financement en 2007
- début probable du projet (1ère phase) en 2008
ou 2009.
Abdoulaye Dembele,
Docteur-ingénieur en génie rural,
Coordinateur de la cellule
Avec
l’appui du bureau de Djenné de l’Office Malien du Tourisme et de l’Hôtellerie,
une association de tous les acteurs de la filière touristique a été créée à
Djenné, sous le nom d’Association pour le développement de l’activité
touristique, culturelle et artisanale (ADATCA). Le Président de l’association
est Bamoye Guitteye, commerçant, le vice-président est Mamoudou Thiocary, guide
national, le secrétaire administratif est Kola Bah, guide national, le
trésorier est Morifing Traore, directeur du bureau de Djenné de l’OMATHO. Les
guides, les hôteliers, les commerçants, les services officiels, etc. sont
regroupés dans cette association, dont la première manifestation a été
l’organisation, en novembre, d’un spectacle de lutteurs dogons du village de
Timissa (cercle de Tominian).
Le
Festival du Djennery aura lieu du 25 au 28 février 2006 ; à la suite des
contestations qu’a soulevé la gestion des fonds collectés pour l’organisation
du festival 2005 par l’association constituée spécialement à cet effet l’an
dernier, et présidée par Amadou Cissé, c’est la mairie de Djenné qui assurera
la gestion cette année. Le crépissage de la mosquée aura lieu pendant ce
festival, le samedi 26 février 2006. Pour plus de précisions voir le
site : http://www.officetourisme-mali.com
NOUVELLES
DU PATRIMOINE DE DJENNE
Le
Docteur Téréba Togola, archéologue et homme de grande culture, est décédé le 8
novembre 2005 à l’âge de 57 ans. Après des années de travail de terrain dans le
cadre des activités de l’Institut des Sciences Humaines, il était directeur
national du patrimoine culturel au Ministère de la culture depuis 1998 :
il nous avait dit alors que c’était un défi ! Dans ces fonctions, il avait
notamment achevé la réalisation de la Carte culturelle du Mali, publiée en 2005
par le Ministère de la culture, et monté le dossier de classement du tombeau
des Askia de Gao, où il avait personnellement participé aux dernières fouilles,
sur la liste du patrimoine mondial ; il avait aussi réussi à faire en
sorte que Tombouctou, classée pendant quelques années parmi les sites du
patrimoine mondial en péril, sorte de cette catégorie ; il avait complété
le classement national, en y faisant inclure notamment la mosquée de Komoguel
et le Kamablon de Kangaba ; il avait aussi obtenu le classement du Jaaral-degal
(le retour des animaux des zones de transhumance vers les bourgoutières du
delta du Niger) comme chef d’œuvre du patrimoine immatériel de l’humanité. Il
se tenait parfaitement au courant de tout ce qui se faisait dans le domaine de
l’archéologie au Mali et mettait en place chaque élément dans une synthèse
qu’il n’aura malheureusement pas eu le temps de rédiger.
Né en
1948 dans l’arrondissement de Domba (cercle de Bougouni), Téréba Togola
enseigna d’abord dans le cycle fondamental, puis entra en 1976 à l’ENSUP, où il
obtiendra une maîtrise d’histoire et géographie en 1980. Immédiatement il
collaborera à l’inventaire des sites archéologiques du cercle de Bougouni, puis
à la protection des sites archéologiques contre le pillage. Reprenant ses
études en 1986 à l’Université Rice de Houston au Texas, grâce à une bourse
Fulbright, il obtiendra un master en 1988 et un doctorat (Ph.D.) en archéologie
en 1993.
En
outre, et comme l’a dit le coordinateur des programmes de l’UNESCO, Monsieur
Vincent Seck, lors de l’hommage solennel qui était rendu au défunt le 15
novembre, « l’homme était simple, humble, et doté d’un sens élevé du
respect de l’autre », ce qui n’est pas si fréquent dans notre monde, et ce
sont ces qualités humaines, alliées à des compétences professionnelles
éminentes et à une grande capacité de travail que nous avons appréciées chez
lui. « Téréba,
nous suivrons ta voie pour la protection du patrimoine culturel du Mali !»
M.
Yamoussa Fane, nouveau chef de la mission culturelle
Le
nouveau chef de la Mission Culturelle de Djenné est originaire de San où il a
fait ses études primaires, avant d’aller à Ségou où il a passé le baccalauréat
en 1988. Il a poursuivi par des études supérieures en histoire puis en
archéologie à Saint-Pétersbourg (Russie) jusqu’en 1994. Il est entré dans la
fonction publique en 2000, il a rapidement été nommé chef de la division du
patrimoine ethnographique (2002). Il a participé à plusieurs chantiers de
fouille au Mali, notamment sur les sites de Kolima (dans le Méma) et du Karéri
en 2000, puis sur les sites d’Akumbu et de Bérétuma (dans le Méma) en
2002-2003, puis sur le site de la mosquée de Kankou Moussa en 2004 et 2005.
Dans
le cadre du nouveau programme d’appui et de valorisation des initiatives
artistiques et culturelles (PAVIA) que finance l’Union Européenne et
qu’administre Monsieur Boubacar Diaby, précédemment chef de la Mission Culturelle de Djenné, l’Alamamy Korobara, a
obtenu, au nom de l’Association pour la sauvegarde du patrimoine écrit de Djenné
(sise au domicile de l’Imam, BP 01, Djenné, Mali, tél. 2420401 ou 6455037), un
financement de 18.790.950 FCFA pour un projet d’une durée de six mois intitulé
« sauvegarde et valorisation du patrimoine écrit de Djenné ».
Ce
financement fait suite à un premier inventaire des manuscrits de Djenné,
réalisé par Abdoul Kader Haïdara, de la bibliothèque Mama Haïdara de
Tombouctou, et Madame Stéphanie Diakité, très active dans ce domaine au Mali,
et par ailleurs commerçante en reliures, beaux livres et manuscrits aux
Etats-Unis. 8000 manuscrits auraient été recensés dans quelques familles de
Djenné. Dans l’espoir qu’elles confieront ces manuscrits à la garde d’une
structure équipée pour les conserver dans les meilleures conditions, le projet
financé par le PSIC/PAVIA consiste à achever la construction d’une bibliothèque
islamique, sur la place de la moquée, tout près de son entrée Nord, et à
l’équiper d’électricité et de rayonnages.
Dans
le cadre de ce même programme d’appui et de valorisation des initiatives
artistiques et culturelles (PAVIA), il est à nouveau question du Musée de
Djenné. Comme on a pu le lire dans la presse : « d’une durée de
quatre ans, le programme PAVIA prévoit de nombreuses activités, notamment le
renforcement des capacités du Palais de la culture, du Conservatoire des arts,
de l’Institut National des Arts (INA) et du Musée National. L’aide permettra
également la construction de trois musées régionaux à Bandiagara, Djenné et
Sikasso. » (L’Indépendant, 24
juin 2005)
A
cette occasion, DJENNE PATRIMOINE rappelle ses positions, toutes inspirées par
une conception participative et décentralisée du développement :
- le projet de musée de Djenné doit être conçu avec la
population de Djenné, faute de quoi il ne sera qu’un bâtiment administratif
comme les autres, sans le moindre soutien de la population et sans effet sur le
développement local ;
- le musée de Djenné ne doit pas être conçu comme une
simple annexe du Musée National du Mali, car la culture de Djenné appartient
d’abord à Djenné et doit être protégée et valorisée à Djenné même et à
l’initiative de la population de Djenné ;
- le musée de Djenné devra mettre à la disposition des
habitants de Djenné, et des visiteurs de Djenné, le patrimoine archéologique
tiré du sol de Djenné et de ses environs ;
- le musée de Djenné ne doit pas être conçu comme un
centre artisanal, au risque de vider les quartiers de leurs ateliers
d’artisans ; il peut être un lieu d’exposition de produits artisanaux de
qualité incitant les visiteurs à se rendre chez les artisans, dans les divers
quartiers de la ville ;
- le projet de musée de Djenné doit faire l’objet d’un
concours international d’architectes, organisé dans les règles, à la fois pour
faire connaître Djenné dans ce milieu professionnel, et pour obtenir une
création architecturale exceptionnelle, que mérite Djenné et qu’exige absolument
le site choisi pour l’implantation de ce musée, tout près de la célèbre
mosquée.
Certains
croient pouvoir annoncer que les travaux du Musée de Djenné commenceront en
2006. Comment cela est-il possible puisqu’aucune information n’a été donnée à
la population de Djenné sur l’évolution de ce projet depuis les documents
inacceptables qui avaient été présentés il y a cinq ans ?
Réunion
de prise de contact entre le nouveau chef de la mission culturelle et les
notables de Djenné
Le
nouveau chef de la Mission Culturelle, Monsieur Yamoussa Fane, a rendu des
visites de courtoisie aux autorités coutumières (le chef de village, la
patriarche de la famille Touré, descendant des Marocains), aux autorités administratives
(le Préfet du cercle de Djenné), communales et religieuses (notamment l’Imam et
le Président de l’AMUPI). Il a par ailleurs rencontré les membres des
différentes associations œuvrant à la
protection et à la promotion du patrimoine culturel de Djenné, dont DJENNE
PATRIMOINE, la corporation des maçons (barey
ton), et l’Association des guides. Il a de même pris contact avec les
services techniques, notamment le Centre d’animation pédagogique, l’OMATHO, le
service de la conservation de la nature, le service de la pêche, la
gendarmerie, la justice, le peloton de la garde nationale, etc.
Les
échanges ont surtout porté sur le classement de la ville sur la liste du
patrimoine mondial : avantages et défis en découlant, lutte contre le
pillage et le trafic des biens culturels, conservation et protection de
l’architecture contre les altérations intempestives, assainissement de la
ville, etc. M. Yamoussa Fane a sollicité l’appui de tous et a assuré chacun de
sa disponibilité.
Conférence à l’école Vitré-Djenné sur « l’école face au
patrimoine culturel »
Le 24
novembre 2005, Messieurs Sory Ibrahima Waïgalo et Boubacar Cissé se sont rendus
au second cycle de l’école Vitré-Djenné avec les animateurs de l’émission
« Regards sur le passé » de la radio Jamana de Djenné, pour y animer
une conférence organisée par la Mission culturelle de Djenné. Près de 800
élèves de Vitré I et Vitré II ont assisté dans la cour de l’école à cette
conférence, ainsi que les professeurs, des parents d’élèves et des personnes
ressources.
Monsieur
Tahirou Amadou Bah, étudiant à la Faculté des Lettres, Arts et Sciences
Humaines, a introduit le sujet de la
conférence et en a donné les grandes lignes. Le nouveau Chef de la Mission
Culturelle de Djenné, Monsieur Yamoussa Fané, a expliqué la notion de
patrimoine culturel, et le classement de la ville de Djenné sur la liste du
patrimoine mondial de l’UNESCO en 1988, suivi du classement national en 1992.
Il a aussi rappelé les objectifs de la Mission culturelle de Djenné :
préserver et faire connaître le patrimoine culturel, aider les visiteurs à
découvrir les sites archéologiques et les monuments du patrimoine.
Messieurs
Boubacar Cisse et Sory Ibrahima Waïgalo ont alors expliqué l’importance de
l’introduction de l’enseignement du patrimoine culturel dans le système
éducatif du fondamental au supérieur, en raison des avantages que cet
enseignement peut apporter au Mali en voie de développement.
Pendant
deux heures d’horloge, des questions ont été posées par les participants, et
les conférenciers y ont répondu de façon détaillée.
Un
compte-rendu de cette conférence a été fait par la Radio Jamana.
Documents vidéo sur le patrimoine de Djenné
Le
directeur du Musée National, Monsieur Samuel Sidibe, a participé en qualité de
producteur, à la réalisation d’un document vidéo intitulé Living memories : six
sketches of Mali today (Mémoires vivantes : six aperçus du
Mali d’aujourd’hui). L’un de ces aperçus concerne Djenné et plus précisément
son architecture, apparemment illustrée par le crépissage annuel de la mosquée.
On ne peut que se réjouir de voir paraître un document présentant
l’architecture de Djenné à un public étranger cultivé. Malheureusement, cette
vidéo éditée en 2003 par Icarus Films, firme spécialisée de New York, est
vendue 390 dollars (environ 200.000 FCFA) ou louée 75 dollars (près de 40.000
FCFA) ! Qu’en verront les gens de Djenné ?
De
son côté un réalisateur allemand, M. Wartman, qui a séjourné longuement à
Djenné en 2002, a réalisé en 2003 une série de reportages sur l’architecture de
terre dans le monde. Une séquence concerne Djenné, un autre Yazd (Iran) et une
troisième Shibam (Yémen). Cette série a été diffusée sur la chaîne
franco-allemande Arte et l’on espère qu’elle pourra l’être au Mali. Le maître
maçon Boubacar Kouroumanse, dit Bayere, est longuement interviewé. Une copie de
cette émission est désormais disponible auprès de DJENNE PATRIMOINE.
Enfin
le cinéaste, vidéaste et écrivain hollandais Ton van der Lee a lui aussi
réalisé une émission télévisée inspirée par la construction de sa maison sur
les rives du Bani à Sanouna, à quelques cinq kilomètres de Djenné. Il a montré
ce travail aux officiels et notables de Djenné, à Djenné même, en présence du
Ministre de la Culture, avant de le diffuser en Hollande. Une copie de cette
émission est disponible auprès de DJENNE PATRIMOINE.
Djenné et le Mali à l’honneur à Stockholm
Le 30 octobre 2005, une journée
consacrée au Mali a été organisée au Musée ethnographique de Stockholm par
l’Association malienne-suédoise Soundjata. Outre une exposition de masques, de
tissus , de vêtements et de photos (notamment photos de Kristian Lund) , dans
une ambiance de musique du Mali, la journée comportait une série d’exposés sur
l’histoire du Mali (par Erik Cornell), sur l’architecture de Djenné (par
Bénédicte Wahlin), sur le fleuve Niger, son delta intérieur et sa crue (par
Gunnar Jacks), enfin sur la nutrition infanto-juvénile (par Birgitta Jacks et
un représentant de l’agence suédoise de développement international).
Environ 150 personnes ont participé à
cette journée, la moitié assistant aux exposés.
D’autres manifestations
suivront dans une galerie installé au cœur de la vieille ville (Burkina
Faso Galleri, Trangsund 2B, Gamla Stan, 11129-Stockholm) :
- le 22 février 2006, un séminaire
sur l’architecture de Djenné ; les activités de DJENNE PATRIMOINE seront
présentées ;
- du 18 mars au 19 avril, une
exposition de photos sur Djenné (près de 700 personnalités et journalistes sont
invités au vernissage) avec vente de photos et de cartes postales.
NOUVELLES
DE DJENNE PATRIMOINE
Conférence
de Messieurs Sory Ibrahima Waïgalo et Boubacar Cissé (10 septembre 2005)
Cette
conférence a été organisée à la Maison du peuple de Djenné par les élèves et
étudiants ressortissants de Djenné à Bamako. Elle avait pour thème « les
critères du classement de Djenné sur la liste du patrimoine mondial de
l’UNESCO ». Elle a été animée par deux étudiants originaires de
Djenné : Monsieur Bocari Cisse, terminaliste à la Faculté des lettres,
arts et sciences humaines (FLASH), qui prépare un mémoire sur la protection du
patrimoine, et qui a présenté l’historique de la ville de Djenné ; et
Monsieur Sory Ibrahima Waïgalo, lui aussi ancien étudiant de la FLASH, auteur
d’un mémoire sur l’architecture de Djenné, et qui a présenté les critères de
classement de Djenné. Monsieur Amadou Tahirou Bah, représentant de DJENNE
PATRIMOINE, était le modérateur.
Après
les exposés, les participants, en majorité des élèves et étudiants, ont posé
une foule de questions relatives à l’histoire de Djenné et au classement de la
ville comme patrimoine de l’humanité.
Les conférenciers et le modérateur ont répondu longuement, de sorte que
les débats ont duré deux heures. Cette conférence a donc permis de sensibiliser
une quarantaine de jeunes djennenkés, notamment les élèves et étudiants, à la
notion de patrimoine classé.
Résumé de la conférence de Monsieur Boubacar Cissé
Le
Mali, situé au cœur de l’Afrique occidentale et au point de rencontre de deux
mondes, l’Afrique Noire subsaharienne et le monde méditerranéen, est un pays
chargé d’histoire et de culture. Il le doit à une longue présence humaine
depuis le paléolithique supérieur, ainsi qu’à l’existence d’entités politiques
aussi diverses que les grands empires soudanais, tels que l’empire du Ghana, du
Mali, du Songhay, et de nombreux autres Etats, dont les royaumes bamanan de
Ségou et du Kaarta, ou les Etats théocratiques des Peuls du Macina et des
Toucouleurs, les royaumes du Wassoulou et du Kénédougou, et bien sûr l’Etat colonial
à partir de la fin du XIXème siècle.
Cette
présence continue de l’homme depuis l’aube de l’humanité, et ce passé riche en
évènements ne sont pas allés sans laisser de nombreux témoins matériels et
humains : les traditions orales, les sites archéologiques, les tombes de
personnages célèbres, les lieux de culte, le patrimoine architectural
remarquable par la variété de style et de fonction, etc.
Djenné
est l’un de ces témoins, miraculeusement conservé. Fleuron renommé dès la
période médiévale, c’est une ville édifiée au sud-ouest du vaste delta
intérieur du Niger, vaste zone de 300 km sur 100 km caractérisée par des
inondations annuelles créées par la crue du fleuve Niger, considérablement
gonflé par les précipitations reçues en amont par ses affluents.
Au
moment de la crue, le delta intérieur du Niger apparaît comme une véritable mer
intérieure. Cette immense nappe d’eau –presque inimaginable pour ceux qui ont
visité la région en saison sèche– sans bouleverser fondamentalement les rythmes
climatiques de la zone, ceux du climat sahélo-soudanien, agit cependant sur la
température, la vitesse et la direction des vents dominants, et crée une
ambiance atmosphérique originale. Le site de Djenné, entouré d’eaux pendant
toute la période de la crue, et sa situation dans la bande sahélienne, zone de
transition entre la savane et le désert, la prédestinaient à jouer un rôle
économique de première importance.
Le
peuplement du delta intérieur du Niger est très ancien, comme l’attestent de
très anciennes traces d’occupation humaine. Aussi la fondation de Djenné
remonte-t-elle à une lointaine antiquité. Une tradition musulmane fixe la
naissance de Djenné à l’époque du Prophète Mohamed (cf. Charles Monteil,
1971) : celui-ci, lors d’une bataille fameuse, aurait remarqué un combattant
particulièrement courageux qui, en réponse à une question, aurait signalé qu’il
était originaire de la vallée du Niger. « Retourne dans ton pays, lui
aurait dit le Prophète, et fonde une grande ville qui sera au-dessous du
paradis ! ». C’est ce que fit le soldat, et la ville dénommée « al
djenna » (le paradis) en vint plus tard à s’appeler Djenné.
Selon
une autre tradition, Djenné aurait été fondée vers la fin du IXème siècle et le
milieu du Xème par des Markas du clan Nono, originaires de Dia, ville de
l’actuel cercle du Ténenkou. Alors Djenné signifierait « Diani »,
c’est-à-dire la petite Dia.
La
tradition la plus populaire qui s’attache à la fondation de Djenné raconte que,
à l’origine, les maisons ne tenaient pas sur leurs fondations et s’écroulaient
les unes après les autres. Seul le sacrifice d’une jeune fille bozo, enterrée
vivante dans le mur d’enceinte, parvint à conjurer le sort et à se concilier
les génies du lieu.
Une
fois de plus l’archéologie est venue au secours des traditions orales. En effet
les découvertes faites entre Djenné et Mopti, dans le delta intérieur du Niger,
ont montré l’existence dans cette région d’une brillante civilisation bien
avant le IXème siècle. On y a trouvé en très grande abondance des débris de
poteries, des urnes funéraires (où les défunts étaient inhumés accroupis, la
face tournée vers l’ouest), des restes d’habitations en terre sèche, des jarres
percées à la base et d’étranges statuettes rapidement devenues mondialement
célèbres, etc. Les fouilles scientifiques ont surtout permis de mettre à jour,
à trois kilomètres de l’actuelle Djenné, les vestiges d’une très ancienne
ville, créée plus de deux siècles avant l’ère chrétienne : Djenné-djeno,
la vieille Djenné.
L’histoire
de Djenné est ensuite racontée par les sources écrites, notamment des
manuscrits (ou « tarikhs ») très importants rédigés dans la région
même aux XVIème et XVIIème siècles. Mais dès 1447, un marchand du nom de
Antonio Malafante avait écrit qu’il avait entendu parler d’une « civitate
de Geni », très certainement la ville-Etat de Djenné. Deux générations
plus tard, le fameux « Tarikh el Fettach » de Mahmoud Kati, qui
l’écrit en 1520, et au siècle suivant le « Tarikh es Sudan » rédigé
en 1655 par Abderhamane Es Saadi, un Soninke de Tombouctou, donnent des
renseignements très intéressants sur l’histoire des pays d’Afrique de l’Ouest.
Es Saadi, notamment, a beaucoup parlé de Djenné, surtout de son ancien site et
de son rôle économique dans cette zone.
Vers
1400, plus personne ne semble habiter Djenné-djeno. Certains pensent que la
ville est morte du trop grand développement de son commerce, qui, à l’évidence,
a favorisé une immigration massive, et par là notamment l’introduction de
l’islam par les commerçants arabo-berbères. Il est possible que ces derniers
aient préféré s’installer à l’écart du site de la ville ancienne, et créer une
cité musulmane, celle que nous connaissons aujourd’hui. Parmi les nouveaux
venus, puis parmi les commerçants enrichis, il y eut de plus en plus de gens
pour s’adonner à l’étude et à l’enseignement des sciences islamiques. La cité
musulmane se développant, la nouvelle ville prospéra aux dépens de l’ancienne.
Elle devint à son tour une brillante métropole, un important centre commercial,
un haut lieu de culture.
A une
époque, la ville fut protégée par un mur d’enceinte, percé de douze portes.
Elle atteint son plus grand rayonnement entre les XVème et XVIème siècles, en
même temps que Tombouctou, sa sœur jumelle aux portes du désert. Par sa
prospérité économique, par ses célèbres écoles coraniques, elle exerça une
influence considérable sur le monde sahélo-soudanien. Convoitée par toutes les
entités géo-politiques de la sous-région, Djenné connut successivement la
domination de l’empire du Mali, celle de l’empire Songhay, celle des Marocains,
puis au XIXème siècle celle de l’empire peul du Macina et celle de l’empire
toucouleur d’El Hadj Oumar, avant de passer en 1893 sous la domination
française.
Djenné
a été inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 1988 sous deux
critères (parmi les six qui peuvent justifier une pareille inscription) :
le critère III relatif au site archéologique de Djenné-djeno, et le critère IV
qui concerne la ville actuelle entière (environ 80 ha, couvant toute la ville
depuis le quartier de Seymani, vers le pont par lequel on entre dans la ville,
jusqu’à Tubabu sarey, le cimetière des Blancs).
Pour
terminer ma communication je voudrais citer à l’assistance cette phrase de
Monsieur Joseph Brunet-Jailly : « Conservons Djenné riante, accueillante,
tolérante, battante ! Puissent Djenné et sa culture rester bien en
évidence, comme elles l’ont été dans le passé, éléments du patrimoine de
l’humanité tant pour nos contemporains que pour les générations qui vont nous
succéder ! »
Résumé
de la conférence de Monsieur Sory Ibrahima Waïgalo
Située
au cœur du delta intérieur du Niger, Djenné apparaît comme une véritable île
émergeant des hautes eaux du fleuve pendant la crue ; en outre, pendant
des siècles, elle a été protégée par un épais mur d’enceinte, qui existait
encore en 1893, et qui a été abattu par les colonisateurs français. A cette
différence et à peu de choses près, l’aspect de Djenné aujourd’hui encore est
celui qu’a contemplé René Caillié en 1828, alors qu’il avait sous les yeux un spectacle
qui n’avait sans doute guère changé depuis le Moyen Age.
Djenné
est à la charnière entre le monde nomade et le monde sédentaire, à faible
distance de Mopti, dont elle jouait le rôle économique avant que l’empire peul
du Macina et les colonisateurs français ne développent cette dernière ville.
Par la voie fluviale, elle est à environ 500 km de Tombouctou, cité caravanière
à laquelle elle a été liée commercialement et culturellement
Djenné
est bâtie sur une légère élévation, en partie anthropique, et son environnement
immédiat est marécageux. Au-delà s’étendent de vastes plaines : celle du
Pondori (à l’ouest), celle du Derary (au nord), celle du Djennery (au centre),
celle du Fakala (à l’est) et celle du Nyansanary (au sud). Ces plaines sont toutes
labourées bien avant l’hivernage, et toutes ensemencées de riz. Le cercle de
Djenné bénéficie de l’inondation du Niger et de son affluent le Bani. Pendant
la période de crue (de juillet à septembre) la plupart des pistes sont
impraticables. Pendant la saison sèche, l’aridité gagne même les bras du
fleuve.
Le
climat de Djenné est sahélien, avec deux saisons : une saison des pluies (kaïdiya
en sonraï) et une saison sèche (kôron
en sonraï). Pendant la saison des pluies, les précipitations atteignent 400 à
600 mm et la température oscille entre 20 et 30°. La saison sèche, de mars à
mai, est beaucoup plus chaude (jusqu’à 45°) et l’humidité est nulle.
La
végétation se compose surtout d’arbustes épineux, mais on trouve aussi des
jujubiers, des baobabs, des acacias (balanzan) et quelques autres
variétés de grands arbres. Les marais voient pousser une espèce de fourrage, le
bourgou, qu’on fait sécher avant d’en nourrir les animaux. La faune est
constituée de reptiles, lièvres et oiseaux déprédateurs notamment les sarcelles
(dougou dougou) très recherchés et vendus à Djenné comme à Mopti.
Bien
que le caractère fortement cosmopolite de la population de Djenné à l’époque de
sa prospérité ait en partie disparu, la ville reste marquée par une certaine
diversité ethnique. Dans les années 1970, on pouvait noter une prééminence de
l’ethnie marka (plus du tiers de la population), un fort groupe de peuls
sédentarisés (environ 20 % de la population), un autre de bozo (16 %), plus de
petites communautés de bamanan, malinké, toucouleur, dogon et bobo. Ces groupes
ethniques sont mélangés dans les divers quartiers, bien que par exemple les
bozo soient sur-représentés dans des quartiers tels que Djoboro et Seymani.
Cette
population est très jeune, la moitié des habitants n’a pas quinze ans, les plus
de 65 ans ne représentent que 6 % de la population totale.
Les
activités économiques essentielles sont la pêche, l’agriculture, l’élevage,
l’artisanat et le commerce. La pêche
est le domaine des bozo et des somono, qui avaient pour tradition de suivre les
bancs de poisson le long des fleuves Niger et Bani. En certaines occasions, ils
organisent des pêches collectives qui font un spectacle grandiose. Le poisson
est fumé ou séché avant d’être exporté du port fluvial de Djenné vers Mopti ou
les pays voisins.
Le
cercle de Djenné est riche de ses plaines presque toutes aménagées en rizières,
mais qui souffrent certaines années de l’insuffisance de la crue. Certaines
zones exondées peu propices à la riziculture sont utilisées pour la culture des mils, sorghos, du coton
et du melon, etc. A proximité des villages, on trouve des jardins où sont
cultivés le manioc, les patates douces, les pastèques, les oignons, etc. On
trouve tous ces produits, amenés en ville à dos d’âne ou par des charrettes, au
marché très important de Djenné, chaque lundi.
L’élevage
reste l’activité de prédilection des peuls. C’est un élevage transhumant sur
longue distance : pendant l’hivernage, les animaux doivent être déplacée
de la zone inondée vers la zone exondée, au nord ; le retour des animaux
donne lieu à la traversée du fleuve en eau, d’où son nom, degel en peul,
la traversée, qui est un spectacle saisissant et l’occasion de grandes fêtes.
Un petit élevage sédentaire subsiste, pour les animaux attelés et le lait, qui
fournit un revenu appréciable.
Parmi
les artisans, les forgerons ont une place à part : généralement bozo à
Djenné, ils fabriquent aujourd’hui encore toutes sortes d’objets d’usage
courant : charrues, daba (houe),
haches, lits métalliques, portes, couteaux, clous, caisses ou cantines, truelles,
etc… La fabrication des couvertures en
laine ou en coton est une activité des femmes, à partir des bandes tissées par
les tisserands souvent d’origine arma (les mallé) ou peul (les mabo).
Les cordonniers, qu’on appelle saké, sont souvent d’origine songhoi ou
peul : ils confectionnent des babouches qui rivalisent avec celles de
Tombouctou ou Gao. Certaines étaient décorées de broderies faites de fils d’or
ou d’argent, aujourd’hui les motifs sont brodés en fils de coton de couleurs
vives.
Conférence
de Monsieur Abdoulaye Toure « Djenné, art et architecture
millénaires » au centre Djoliba, à Bamako (15 décembre 2005)
Monsieur
Aboulaye Touré, architecte DPLG, docteur en géographie et aménagement de
l’Université de Paris-I (Panthéon-Sorbonne), est l’auteur d’une thèse
monumentale sur la ville de Bamako et d’un ouvrage en cours de rédaction sur
l’architecture de Djenné. Membre de DJENNE PATRIMOINE, Monsieur Abdoulaye Touré
avait déjà présenté son travail à Djenné même, il y a deux ans. Cette année, il
s’est adressé au public de Bamako, le 15 décembre, dans la salle du Centre
Djoliba.
Djenné,
ville millénaire, présente ce caractère spécial d’être l’un des témoins les
plus remarquables du passé, parvenu sans grand changement jusqu’à nos jours. Le
style architectural qui le caractérise est le cachet d’une civilisation qui a
longtemps brillé dans le delta intérieur du Niger, une civilisation qui a donné
aux valeurs de l’esprit et du corps une place importante dans la société. Cette
architecture exerce une double fascination : outre qu’elle contribue d’une
manière générale à donner aux paysages leur caractère distinctif, elle
constitue aussi une expression concrète et totalement originale de
l’interaction entre la culture, le temps et le lieu.
Le
style architectural de Djenné est le résultat d’une évolution de forme,
d’espace et d’un savoir-faire mûrement réfléchis, inscrite dans la conscience
collective et transmise de génération en génération. Monsieur Abdoulaye Touré
s’est attaché à rechercher les paramètres qui permettent d’identifier les
formes architecturales qui sont le fondement du style de Djenné, au-delà des
modifications qui tendent à s’imposer au fil des temps. Cette connaissance des
paramètres essentiels permettra de concevoir des programmes de conservation, de
restauration et de valorisation de l’architecture de Djenné pour les
générations futures.
La
presse nationale a rendu compte de cette conférence, notamment par un article
« Djenné cherche désespérément protection » paru dans le Soir de Bamako
le 23 décembre 2005 sous la signature de Adama S. Diallo et un autre article
« L’architecture de Djenné, une richesse qui se meurt » paru sous la
signature d’Oumar Diamoye dans Le
Républicain du 19 décembre 2005.
Réunion
de prise de contact entre le nouveau Chef de la Mission Culturelle de Djenné et
l’association DJENNE PATRIMOINE
Monsieur
Yamoussa Fane, nouveau chef de la Mission Culturelle de Djenné, accompagné de
ses collaborateurs Messieurs Amadou Camara, Mamadou Bagayoko et Mamadou Samaké,
a tenu à prendre contact personnellement avec l’association DJENNE PATRIMOINE,
représentée en la circonstance par son Président, Papa Moussa Cissé, son
trésorier Amadou Tahirou Bah, son commissaire aux conflits Bamoye S. Traore, ainsi
que par deux membres, Messieurs Foourou Cissé et Abdoulaye Touré. La réunion a
eu lieu le 2 décembre 2005.
Dès
le début de la rencontre, Monsieur Fané a exprimé sa joie de rencontrer
l’association DJENNE PATRIMOINE et son souhait de voir dans quelle mesure il
sera possible de travailler en synergie pour le plus grand bonheur de Djenné.
Il a annoncé qu’il resterait à l’écoute, souhaitant faire participer toutes les
associations oeuvrant dans le sens de la sauvegarde de la culture de Djenné.
Le
Président Papa Cissé a répondu que
DJENNE PATRIMOINE a toujours souhaité collaborer avec tous ceux qui concourent
à la protection du patrimoine de Djenné. Monsieur Bamoye Traore a souhaité au
nom de l’association la bienvenue au nouveau chef de la Mission Culturelle, et
l’a assuré que DJENNE PATRIMOINE serait à ses côtés pour relever le défi de la
protection du patrimoine de Djenné. Monsieur Foourou Cissé s’est réjoui de ce
premier pas fait ensemble, signe de volonté de coopérer, et a souhaité que
s’instaure une franche coopération entre DJENNE PATRIMOINE et la Mission
culturelle de Djenné.
Le
Président Papa Cissé a alors présenté rapidement les principales activités de
DJENNE PATRIMOINE. à la suite de cette présentation, Monsieur Abdoulaye Touré,
qui réside encore en France, a fait remarquer combien l’action des membres
de DJENNE PATRIMOINE résidant à
l’étranger dépend, pour être efficace, d’une franche coopération entre ceux qui
résident à Djenné.
Quant
à lui, Monsieur Camara a fait remarquer que l’incapacité à s’entendre avec
DJENNE PATRIMOINE serait un échec pour la Mission Culturelle.
Il
revenait à Monsieur Yamoussa Fane de conclure en souhaitant que le partenariat
qui venait d’être scellé fasse tache d’huile en se montrant durable et franc.
Assemblée
générale de DJENNE PATRIMOINE à Djenné, le 28 décembre 2005
Malgré
le froid –tout relatif cependant, mais auquel les vieux sont sensibles– qui
règne en ce moment à Djenné, une trentaine de notables de Djenné se sont
retrouvées à l’occasion d’une assemblée générale, à laquelle participaient
aussi M. Gouro Dioro Cissé, maire de Djenné, et M. Fane, nouveau chef de la
Mission culturelle de Djenné. Le Président Papa Cissé et le trésorier Amadou
Tahirou Bah ont présenté les deux chantiers actuels de l’association :
- son
projet de construire une Maison du Patrimoine, projet monté grâce à
l’enthousiasme et à la persévérance d’Evelyne Bertrand, et qui est un projet
commun à quatre associations, deux de Djenné (DJENNE PATRIMOINE et le barey ton, l’association traditionnelle
des maçons) et deux françaises (ACROTERRE, ONG spécialiste de la construction
en terre, et Réflexe-Partage, ONG qui vise à développer au Nord, comme son nom
l’indique, des réflexes de partage) ;
- son
projet de participer aussi activement que possible à la célébration du
centenaire de la reconstruction de la mosquée de Djenné, au début 2007,
l’actuelle mosquée ayant été inaugurée le 13 avril 1907.
Les
interventions ont été très nombreuses pour se féliciter de l’idée, contenue
dans le projet de construction de la Maison du Patrimoine, de profiter de ce
chantier pour redécouvrir, avec l’aide des quelques vieux maçons qui en ont eu
l’expérience dans leur jeunesse, la technique de construction en djenne-ferey
(brique cylindrique moulée à la main). Chacun y allait de sa connaissance de
cette technique, au point que le débat a dû être renvoyé à une prochaine
réunion de maçons.
L’idée
de constituer dans les prochaines années les éléments d’une collection de
chefs-d’œuvre de l’artisanat d’art de Djenné a été fortement soutenue, elle
aussi, comme prélude à des actions d’envergure pour la promotion de cet
artisanat sur les marchés du luxe international où il a sa place et où il
trouverait les rémunérations qui lui permettraient de survivre.
A
propos de la célébration du centenaire de la mosquée, les contacts sont pris
avec la Mairie de Djenné, avec la Mission culturelle, avec l’OMATHO, avec les
autorités religieuses, avec le Ministère de la culture, pour parvenir à une
parfaite coordination des initiatives de chacun.
N.B. Deux jours plus tard, le 30
décembre 2005, les maçons se sont réunis au domicile de Sékou barey Traore, le chef de leur
association traditionnelle, au quartier de Farmantala ; une soixantaine de
maçons étaient présents ; Amadou Tahirou Bah, trésorier de DJENNE
PATRIMOINE, était invité ; l’assistance s’est montré enthousiaste à l’idée
de relever le défi qui consistera à construire en djenne ferey la Maison du Patrimoine de Djenné ; elle attend
avec le plus grand intérêt la prochaine visite d’Olivier Scherrer, architecte,
responsable du projet au sein de l’ONG ACROTERRE
_______________________________________________________
DOCUMENT
Démêler le mystère de l’expertise
des maçons[1]
Trevor H.J. Marchand
Chercheur associé au Conseil de la
recherche économique et sociale (ESRC), et chargé de cours en anthropologie sociale
à l’Ecole des Etudes Orientales et
Africaines de Londres (SOAS)
En 2001 et 2002, pendant la saison froide et sèche, celle où
l’on construit, j’ai travaillé avec deux équipes de maçons à Djenné.
L’objectif, pour l’anthropologue, de mon travail de terrain était de mieux
comprendre la gestation de l’apprentissage technique et la socialisation qui se
produit pendant la formation du maçon, et qui finalement forge son identité professionnelle,
ses pratiques et son sens de sa responsabilité d’artisan qualifié. Mon travail
à Djenné fait partie d’une étude comparative plus large, transculturelle, sur
l’apprentissage et la connaissance fondée sur l’aptitude dans les métiers de la
construction, et qui inclut mes terrains avec les maçons du Yémen (Marchand,
2001) et avec des ébénistes talentueux (Marchand, à paraître, c). En bref,
mes études sur les maçons de Djenné démontrent que leur pédagogie, pour
l’essentiel, n’est pas fondée sur la parole, ni n’est régulée ou prescrite dans
des termes concrets par leur association professionnelle (le barey ton)
ou aucune autre institution jouant ce rôle. Au contraire, les performances
qualifiées et les pratiques qu’elles incorporent sont enseignées et apprises au
sein d’interactions quotidiennes fluides sur le chantier, de sorte que le
curriculum de cette formation par apprentissage et ses standards sont négociés
et sanctionnés à l’intérieur même des échanges professionnels entre maçons
(Marchand, 2001 ; 2003a ; à paraître a).
La tradition architecturale distinctive de Djenné, comme
celle des autres villes et cités où les métiers du bâtiment ont été florissants
pendant de longues périodes de temps, est perpétuée non pas par une
conservation rigide des maisons et monuments qui survivent, mais au contraire
par la transmission dynamique et réactive, d’une génération de constructeurs à
la suivante, d’une connaissance fondée sur des aptitudes (Marchand, 2003b). Un
artisan accompli apprend à négocier les frontières de la ‘tradition’ dans son
métier, et il acquiert aussi un répertoire de connaissances culturelles et de
secrets concernant son activité. La maîtrise de ces diverses formes de
connaissance se manifeste dans sa compétence à produire et à reproduire un
environnement bâti qui est compréhensible pour ses habitants. Un tel
environnement comprend une architecture et des espaces urbains qui répondent
dynamiquement aux besoins et aspirations changeants des habitants, et les
conditionnent, tout en restant enracinés dans un dialogue avec l’histoire et le
lieu.
Ma monographie en voie de publication sur Les maçons de
Djenné donne une présentation détaillée des pratiques contemporaines de
l’apprentissage et de la construction, en se centrant sur des vies individuelles
et des expériences de chantier. Utilisant un extrait de ce livre, le présent
article examinera la fabrication de l’expertise du maçon, et la façon dont
cette expertise est communiquée par les maîtres à leurs apprentis, et
reproduite par les générations successives de constructeurs.
Pendant le travail de terrain, j’ai identifié quatre
domaines principaux de connaissance qui modèlent les pratiques quotidiennes de
construction. Dans l’exécution effective des activités d’un maçon, ces
différentes formes de connaissance ne sont pas isolées l’une de l’autre, mais
elles peuvent être mises en œuvre simultanément et en conjonction avec de
multiples autres formes de connaissance. En effet, elles se modèlent et se
forment l’une l’autre, et ensemble font du maçon une catégorie cohérente de
personne, avec un statut défini, des privilèges, des tâches et des
responsabilités, tout ceci étant reconnaissable par lui-même ainsi que par la
communauté de ses compagnons de métier et par le public que constituent les
clients et les mécènes. Dans ce qui suit, je vais esquisser ces quatre types de
connaissance qui font un maçon de Djenné, en allant au-delà de la très évidente
acquisition de compétences techniques en matière de construction pour prétendre
que l’expertise du maçon est constituée par une interaction plus complexe de
pratiques techniques avec d’autres qui sont conceptuelles, sociales et
culturelles.
Compétences
techniques
L’expression la plus apparente des connaissances du maçon
est manifestée par son exercice de ses compétences techniques. Ces dernières
peuvent être décrites comme une forme de connaissance fondée sur la pratique et
supposant une intégration coordonnée de techniques du corps et de procédures
utilisant les outils et le matériau (ou les matériaux) à travailler. Dans le
cas des maçons de Djenné, elles incluent le maniement de l’herminette avec le
rythme et l’intensité qui conviennent pour sculpter et modifier la géométrie
des briques de terre sèche ; aligner l’assise de briques à la main avec efficacité
et rapidité ; vérifier la verticalité du mur avec un fil à plomb ;
étaler le mortier de terre de façon égale et sculpter de fines décorations avec
une truelle ; et construire les plafonds avec divers arrangements de
poutres faites de troncs de rônier fendus en quatre. L’apprentissage de ces
compétences techniques repose largement sur des formes de communication non
verbale entre les acteurs, mais peut occasionner des questions orales, des
directives, des commentaires et des corrections. D’ordinaire la transmission
des compétences du maçon est obtenue par la démonstration physique des tâches,
en accentuant éventuellement certains de leurs aspects spécifiques et en
attirant l’attention, au bénéfice de l’apprenti, sur certaines façons de faire.
Ce dernier parvient graduellement à la juste ‘sensation’ de sa propre
performance qualifiée par une combinaison soigneusement coordonnée
d’observation engagée, d’imitation et de pratique répétitive (Ingold,
2000:353). A la fin, l’activité physique se trouve incluse dans son répertoire
de mouvements incorporés par accoutumance, et elle peut être exécutée en
séquence avec d’autres actions et en accord avec d’autres acteurs.
On peut soutenir que les compétences acquises telles que
celles énumérées plus haut décrivent les rudiments de la pratique
professionnelle du maçon, mais, comme je vais le préciser plus bas, ces
compétences techniques sont par elles-mêmes un critère insuffisant pour
désigner les maçons comme une catégorie sociale distincte. Un certain degré de
compétence technique en matière de construction et de maniement des outils peut
en réalité être partagé, à Djenné, par d’autres acteurs, qui ne sont pas
publiquement qualifiés de maçons, y compris des manœuvres expérimentés qui
travaillent sur les chantiers de
construction pendant la saison sèche, entre deux cycles agricoles, et les
hommes qui procèdent aux réparations et petites extensions de leurs propres
maisons. Au moment du recrépissage annuel de l’énorme mosquée de la ville, il y
a un nombre de participants notablement plus grand que celui des maçons, y
compris des jeunes garçons, qui sont habiles à cette tâche, étalant la boue en
bandes horizontales régulières par de larges et rapides mouvements de leur
paume. En bref, même si le maçon moyen est meilleur, de quelque façon,
quantifiable ou non, que ce soit, en matière de construction que son camarade
non maçon, la formation d’une expertise spécifique bien agencée suppose
nécessairement quelque chose qui aille au-delà de l’acquisition de techniques
de construction et de la possession d’un ensemble d’outils.
Capacité
de conception
Ce ‘quelque chose de plus’ sera clarifié si l’on considère
les autres formes de connaissance que pratiquent les maçons de Djenné. Le
second type de connaissance que j’examine brièvement ici est la capacité des
maçons à conceptualiser des configurations spatiales et des formes de bâtiment
avant de s’engager dans les pratiques constructives effectives, et pendant
qu’ils y sont immergés. Cette connaissance peut être nommée capacité de
conception. A Djenné, le dessin architectural est rarement réalisé avec un
crayon sur du papier, il est plutôt visualisé dans ce qu’on entend appeler
« l’œil de l’esprit », et senti dans le corps en action. A
l’occasion, les maçons tracent dans la
boue un plan grossier ou une élévation, du bout du doigt ou avec un instrument
pointu, de façon à communiquer une intention à leurs collègues et apprentis,
mais pour l’essentiel les idées de conception sont découvertes au fil du
processus effectif de la réalisation. Sauf s’il s’agit de restaurer (ou de
reconstruire) des maisons historiques désignées par l’administration, et pour
lesquelles des dessins à l’échelle ont été préparés par des architectes ou des
dessinateurs, les maçons de Djenné sont effectivement des ‘maîtres bâtisseurs’
responsables à la fois de la conception et de la construction des édifices.
Leurs tâches n’impliquent pas qu’ils insèrent dans le paysage urbain, avec
briques et mortiers, des idées préconçues de dessin ou de modèle ; elles
impliquent plutôt que –et telle est la caractéristique essentielle définissant
leur processus de travail– l’imagination en matière de conception et la
réalisation pratique se déplient ensemble et se modifient l’une l’autre
dialectiquement.
Dans le curriculum de l’artisan, la conception n’est pas
enseignée comme une matière séparée comprenant des conventions et des procédures
formalisées qui produisent un plan comme résultat final. L’apprentissage de la
conception, au contraire, est partie intégrante de l’engagement sensori-moteur
de l’apprenti avec les outils, les matériaux et le processus de construction
dans le contexte social et physique du chantier de construction. Comme pour
l’apprentissage des connaissances techniques, une capacité à combiner les
espaces et les composantes architecturales dans des configurations et des
proportions socialement acceptées est atteinte par une pratique coordonnée de
l’observation et de l’imitation. En suivant l’exemple de leur maître, les
apprentis et les jeunes maçons développent, étape par étape, une compréhension
fondée sur la pratique des potentialités et des limites des divers matériaux de
construction ou des méthodes qu’ils emploient. Ceci inclut par exemple une
connaissance expérimentale de la résilience et de la résistance à la
compression des briques de terre crue dans les murs, dans les escaliers, dans
les sculptures décoratives ; de l’élasticité du bois de rônier dans les
arrangements en triangle des traverses qui font les plafonds, ou bien dans les
linteaux posés sur les ouvertures, ou bien dans les toron qui
sortent des murs ; de la durabilité des enduits faits à partir de sols divers
et fermentés pendant des durées variables ; de la compatibilité de
matériaux ayant des degrés d’expansion et de contraction différents, tels que
la terre crue, le ciment ou les carreaux de terre cuite ; etc. Cette sorte
de compréhension par essai et preuve concernant les matériaux et les méthodes
parvient à une conviction bien établie sur ce qui marche et ce qui ne marche
pas, et délimite un étroit domaine de possibilité pour des expérimentations ou
des innovations dans la conception au sein de ce qui est couramment reconnu
comme le ‘style de Djenné’ en architecture.
Le dessin d’une maison, y compris des célèbres modèles
Toucouleur ou Marocain, n’est pas entièrement dicté à Djenné par le maçon ou
par les contraintes structurelles imposées par les matériaux de construction.
Le client, comme presque partout ailleurs, intervient avec ses propres
aspirations et ses contraintes budgétaires dans la négociation d’un contrat de
construction. L’offre est également un facteur déterminant. La longueur des
troncs de rônier disponibles sur le marché, par exemple, est, d’après ce qu’on
dit, de plus en plus courte au fur et à mesure que les stocks de bois sur pied
diminuent, ce qui a un impact direct sur la dimension des pièces et la
configuration des plafonds. La qualité des briques est très dépendante des
capacités professionnelles du fabricant, de l’endroit d’où l’argile a été
extraite, des proportions de paille, de sable et d’eau qui ont été ajoutées au
mélange. Les conventions en matière de style et les goûts populaires ont été
influencées par des sources extérieures, y compris les agents du gouvernement,
la doctrine du patrimoine mondial de l’UNESCO, et les groupes de pression qui
font campagne pour la protection de Djenné, aussi bien que par des tendances
émanant de la capitale et d’autres centres urbains. Ces dernières sont souvent
présentées comme antagonistes des efforts de protection du patrimoine. Dans les
dernières décennies, elles se sont propagées dans tout le pays, popularisant
l’usage du béton armé, du crépi en ciment, des peintures industrielles, des
carreaux en céramique décorés et vernis, et de décorations de style européen
telles que des balustrades en ciment et des équipements d’éclairage électrique
flamboyants. A Djenné la disponibilité récente de tels choix interagit avec la
palette historique de matériaux et d’expressions décoratives, plutôt qu’elle ne
la déplace, et elle aboutit à une gamme de synthèses. Les altérations
stylistiques sont souvent limitées à certaines composantes du bâtiment (par
exemple l’aspect extérieur, ou la peinture de l’encadrement des portes), mais
il y a aussi eu des cas de modifications abruptes et étendues qui remettent en
question les limites négociées de l’acceptabilité. C’est en agissant en qualité
de médiateur sur les frontières mouvantes qui définissent le discours sur le
‘style soudanais’ de Djenné que le maçon, comme concepteur-constructeur, peut
jouer un rôle social et culturel spécialement éminent, ce qu’il peut faire en
qualité de porte-parole professionnel et, plus important encore, en qualité de
praticien.
Connaissance
propositionnelle
La communication verbale et les négociations entre un maçon
et son équipe, et avec ses compagnons artisans, ses fournisseurs, ses clients
et le public, expriment une connaissance propositionnelle. En gros, cette
connaissance basée sur le langage traduit la capacité à formuler des
propositions concernant le monde, à évaluer logiquement la vérité et la
pertinence d’une information nouvelle, à synthétiser les idées et à confirmer,
modifier ou rejeter les croyances ou théories existantes. La connaissance
qu’ont les maçons de divers sujets relatifs à la construction est à ranger dans
cette vaste catégorie, qui est définie plus par le moyen commun de sa
formulation et de son expression (le langage) que par une aire spécifique
d’expertise. La diversité des sujets que comprend la connaissance
propositionnelle d’un maçon inclut sa capacité à promouvoir et à faire
connaître par la parole son expertise et ses services ; à négocier des
contrats, des conditions de travail et des prix avec les clients ; à
diriger un effectif de travailleurs ; à estimer les quantités des
matériaux ; à commander les fournitures ; à calculer et à marchander
les coûts ; à programmer les livraisons, les journées de travail et les
activités. Evidemment, la connaissance de pareils sujets (souvent
interconnectés) n’est pas glanée dans des formes abstraites de réflexion
sur le sujet ni dans la seule communication basée sur le langage ; elle est
très dépendante de l’histoire de l’engagement physique de l’individu et de ses
expériences dans la profession.
Les apprentis et les jeunes maçons commencent à acquérir des
connaissances propositionnelles dans le contexte du chantier et du marché, en
observant et en écoutant les transactions de leur maître. A la différence de ce
qui vaut pour les compétences techniques, ici les opportunités de participer activement,
imiter et s’exercer sont rares parce que ces tâches sont normalement réservées
au maître-maçon du chantier. Des occasions de pratiquer le métier de commerçant
se présentent cependant, lorsque les apprentis sont chargés de donner des
ordres aux travailleurs subordonnés, ou bien lorsqu’ils sont envoyés en course
pour chercher des matériaux de construction ou organiser des livraisons. Même
les plus jeunes de l’équipe peuvent être envoyés au marché pour acheter du
charbon ou bien les ingrédients d’une décoction, sucrée au point d’être
collante, d’un thé revigorant, ou pour ramener d’autres biens dont on a besoin.
Les stratégies de négociation et les conventions de politesse, comme quelques
capacités en matière de calcul et d’économie, sont apprises depuis le plus
jeune âge à la maison, à l’école, et dans les activités de tous les jours en
ville, et elles font partie d’un ensemble plus large de pratiques sociales et
de « façons d’être » culturelles propres à Djenné. Tout au long de la
formation du maçon, ces capacités sont aiguisées dans des directions plus
spécifiquement liées à sa pratique professionnelle.
Avant d’être nommés maçons et d’obtenir une accréditation
officielle donnant un statut permettant de participer directement aux affaires,
les apprentis sont, de la façon peut-être la plus significative, capables de
mettre en pratique la manière appropriée de donner des directives, de régler
une querelle, de négocier un contrat et de marchander les prix. Mais les
expressions parlées de cette connaissance propositionnelle communiquent plus
que ce qu’elles disent simplement. Dans la communication d’un maçon, ce n’est
pas nécessairement la signification précise de ses mots, mais la stylisation de
son discours, qui porte la capacité d’établir l’autorité, de créer la confiance
et le statut d’expert en négociation, au sein de la communauté professionnelle
et aux yeux du public. La communication est performative, c’est-à-dire qu’elle
utilise des dispositions et attitudes corporelles de celui qui parle pour
traduire son genre et sa position sociale, et pour construire simultanément son
identité face à son auditoire réel ou imaginé. Ainsi les mots sont dits avec tel volume et telle intonation, et ils
sont accompagnés de dispositions, de gestes et d’attitudes corporelles qui
parlent aussi à l’émotion. Effectivement, l’acquisition et la manifestation de
la connaissance propositionnelle ne peuvent pas être détachées des manières non
verbales de connaître et d’apprendre. Les jeunes qu’il a pris en tutelle,
attentifs, observent et imitent la façon de faire du maître maçon, si ce n’est
toujours dans les termes du contenu parlé, du moins dans ses attitudes
corporelles et psychologiques.
Connaissances
secrètes
En réalité, il y a une composante vitale de la connaissance
propositionnelle des maçons de Djenné qui reste non-dite sous la forme
d’affirmations énoncées devant un auditoire public, car la manifestation de
cette connaissance est communiquée presque entièrement par des performances
corporelles ritualisées. Je veux parler ici de ce quatrième type de
connaissance professionnelle des maçons : sa connaissance de secrets. Il
faut faire la distinction culturelle entre les secrets (siri en djenné-chini)[2]
et les formes publiques (bayanu) de connaissance propositionnelle. Plus
précisément, la catégorie des secrets inclut la connaissance des incantations,
des bénédictions et des invocations qui utilisent généralement des versets du
Coran et des connaissances islamiques (dénommées bai quaré,
littéralement la ‘connaissance blanche’), d’un côté, et les connaissances
animistes de tradition africaine (appelées bai bibi, littéralement
‘connaissance noire’) de l’autre. Ces secrets sont régulièrement utilisés, par
exemple pour fabriquer des amulettes qui sont dissimulées dans la structure des
bâtiments ou dans les cornes d’animaux saillant au-dessus des portes, et pour
bénir des grains et d’autres objets qui sont enfouis dans les fondations pour
apporter leur protection à la demeure et à ses habitants. Des bénédictions sont
prononcées au début de chaque journée pour garantir la sécurité à la totalité
de l’équipe, et elles sont faites pour un apprenti par son maître et par son
parent responsable lorsque le jeune homme est déclaré maçon. Lorsqu’on ouvre un
nouveau chantier, il peut être jugé nécessaire de réciter des incantations pour
chasser de la propriété les djinns ou esprits malfaisants, et on
prononce aussi des incantations pour se protéger contre la jalousie ou les
mauvaises intentions des autres, le plus souvent excitées chez les compagnons
artisans qui sont des concurrents en matière de contrats et de réputation. Des
paroles dites par de puissants adversaires peuvent faire que des murs récemment
construits s’écroulent, ou qu’un maçon tombe de son poste de travail, ou se
blesse la main à un objet pointu caché dans le crépi de boue limoneuse qu’il
étale à paume nue. En défense, des contre-invocations sont lancées et de
petites offrandes sont faites (‘le prix du thé’) pour neutraliser les
forces sinistres et restaurer la stabilité structurelle et l’harmonie du
travail. La connaissance des secrets n’est en aucune façon accessoire dans les
pratiques de la construction, elle est au contraire fondamentale dans
l’édification des bâtiments comme pour la constitution des maçons.
Mamadou Mayentao présente
au vieux maçon Naciré la baramini, l’outil par excellence du maçon (et qui
supporte ici le sac contenant d’autres instruments : herminette, fil
à plomb…) ; le vieux Naciré prononce
des paroles secrètes avant de cracher sur la partie aplatie de la barre à
mine
Au Mali, dans beaucoup de groupes culturels, il existe une
forte croyance en le pouvoir des mots pour modifier le destin et changer le
monde. Cette conviction est largement partagée à Djenné, ville renommée dans
toute l’Afrique de l’Ouest pour ses fabrications maraboutiques de bénédictions
et d’amulettes. Bien que les secrets des maçons se rattachent aux pouvoirs de
la connaissance islamique, leur connaissance secrète est considérée par
l’opinion populaire comme distincte de celle des marabouts. Beaucoup de maçons
parmi les plus âgés sont illettrés et incapables de lire le Coran ou les hadiths,
et toutes les générations mélangent librement les connaissances secrètes
non-islamiques avec des citations mémorisées des sourates. Certains posent
leurs index sur leurs tempes pour indiquer que la connaissance secrète est
gardée dans leur esprit, et d’autres attrapent leur ventre à deux mains pour
indiquer l’endroit.
Les secrets d’un maçon peuvent être enseignés à ceux de ses
apprentis en qui il fait le plus confiance, mais normalement, seul un enfant de
sa proche parenté qui démontre un engagement inébranlable dans le métier
héritera des plus puissants. Les mots et les actes secrets peuvent, en fait,
être connus d’un apprenti longtemps avant qu’il ne soit déclaré maçon, mais son
initiation en qualité de membre complètement qualifié de la corporation est
nécessaire pour que les autres personnes puissent se représenter un lien causal
entre l’emploi de la connaissance secrète comme évènement et la réalité à
laquelle elle se réfère dans le monde réel (Boyer, 1990:97). Les enfants qui
entrent dans le métier sans provenir de familles qui ont une tradition dans la
profession peuvent avoir besoin de recourir à leurs propres pères et
éventuellement à leurs maîtres coraniques pour leur enseigner des bénédictions,
des invocations et des incantations protectrices. Dans tous les cas, la
connaissance secrète est reconnue comme potentiellement dangereuse et son
emploi exige de la maturité et de l’expérience, et de ce fait les secrets sont
transmis petit à petit d’une génération à l’autre, et certains peuvent n’être
jamais révélés. Le contenu de la connaissance secrète varie donc d’un individu
à l’autre en fonction de la provenance de son héritage et de la source de son
apprentissage, et certains hommes sont révérés pour manier de grands pouvoirs.
Les motifs et les limites de son application ‘productive’ font généralement
l’objet d’un accord de tous les membres de la profession, et les abus de
connaissances secrètes, comme les faits graves d’inaptitude technique, sont
jugés et sanctionnés cas par cas soit entre les individus concernés soit par
l’association professionnelle des maçons de Djenné, le barey ton, à
laquelle tous les bâtisseurs qualifiés appartiennent.
La connaissance secrète est ouvertement performative d’une
façon qui la distingue des autres formes de connaissance propositionnelle que
j’ai introduites plus haut. Le prononcé de bénédictions, d’incantations ou
d’invocations est presque toujours accompagné par des séquences de mouvements
et de positions ritualisés, et dans certains cas des objets jouent un rôle
essentiel dans l’acte. Les paroles secrètes sont prononcées à un niveau à peine
audible, et les formules puissantes sont voilées par un bourdonnement de
murmures rythmiques. Un mouvement des lèvres et une faible trace audible de la
part de l’auditoire donnent la réplique à la performance, et favorisent la
reconnaissance publique de l’expertise du maçon. Comme des actions
personnalisées et le recours à des objets de la vie courante retiennent plus
facilement l’attention du public que le langage opaque des secrets, les maçons
sont souvent moins réticents à expliquer le ‘sens’ apparent ou la signification
des objets, mais généralement jusqu’à un certain point seulement, parce que,
mis en action, ces derniers sont partie intégrante de la connaissance secrète.
Les pouvoirs invoqués par les récitations sont transférés à des choses comme
des grains, des pierres, des os d’animaux, et des versets peuvent être inscrits
directement sur une feuille de papier qui est pliée sans fin pour devenir une
minuscule boulette. Des instruments sacrés, comme une barre en fer noir,
peuvent servir de conduit pour canaliser des forces de l’intérieur vers le
monde extérieur, ou pour représenter des constellations, les points cardinaux
ou la direction de la Mecque sur le sol de poussière.
Bien que le langage de la connaissance secrète soit
largement assourdi, la performance des activités au grand jour est
personnalisée et calibrée pour produire un certain nombre d’effets. Outre qu’il
produit les changements, garanties ou protections que la connaissance secrète
est sensée signifier, sa performance installe aussi dans les esprits de
l’assistance un lien causal entre l’évènement et telle réalité dans le monde,
et par là il sert à réaffirmer publiquement le statut du maçon, et sa capacité
spécialisée de fournir un environnement protecteur à la vie. On peut prétendre
que les maçons sont conscients qu’une obscurité soigneusement orchestrée pique
la curiosité d’une façon notable et, aux yeux de leur public, les associe plus
solidement aux pouvoirs occultes qui peuvent garantir la sécurité et le
bien-être. En résumé les secrets du maçon exigent l’existence d’un auditoire
qui légitimera celui qui les met en œuvre, sa performance, et son lien causal
avec une réalité quelconque. Si les secrets sont mis en actes en privé (par
exemple des bénédictions prononcées tôt le matin avant d’arriver sur le
chantier), les maçons feront à coup sûr connaître au public leur engagement
dans de telles pratiques par des déclarations pleines de vantardise.
Conclusion :
connaissance et statut
Ces quatre types de connaissance –compétence technique, pratique
de la conception, connaissance propositionnelle et secrets– constituent à
la fois le maçon et la pratique de la construction à Djenné. Bien qu’elles
aient été traitées séparément dans cet article pour qu’on puisse mieux comprendre
leurs attributs individuels et la manière dont le travail du maçon est organisé,
il faut reconnaître que dans la réalité c’est l’intégration coordonnée en
souplesse de ces formes de connaissance les unes avec les autres dans l’action
qui produit une performance intelligible et une identité professionnelle reconnue.
Les quatre types de connaissances sont souvent appris simultanément au cours
de la formation, et ils s’informent et s’altèrent l’un l’autre au sein du
contexte physiquement et socialement interactif du chantier. Leur combinaison
dans la pratique produit la matérialité des bâtiments de Djenné, en même temps
qu’une réelle garantie de sécurité pour la population de la ville. Au-delà
de la performance professionnelle, de l’identité et de la matérialité de l’environnement
urbain, les pratiques collectives des maçons produisent et reproduisent aussi
des réseaux tangibles de relations économiques et sociales. Ces dernières
incluent les relations de patronage, qui dans certains cas remontent à plusieurs
générations, entre une ligne patrilinéaire et la famille de bâtisseurs qui
lui est dédiée ; une division du travail –entre forgerons fabriquant
les outils, leurs femmes potières qui cuisent les gargouilles et les carreaux,
les menuisiers qui fabriquent les portes et les volets de fenêtre, des légions
d’entrepreneurs qui font les briques et traînent des charrettes chargées d’argile
vers les chantiers– validée par l’activité des maçons qui assemblent tous
ces éléments en une maison ; et un réseau de relations commerciales entre
producteurs et fournisseurs avec ses extensions de plus en plus éloignées
au-delà des limites de Djenné et du delta intérieur du Niger. Enfin les pratiques
collectives des maçons créent aussi des hiérarchies évolutives, des dépendances,
des collaborations et des rivalités au sein même de leur communauté professionnelle.
Chez les maçons, le rang et le statut dépendent de facteurs
tels que l’âge, la naissance (spécialement pour ceux qui sont issus d’une
lignée historique de maçons), les affiliations passées ou présentes auprès
de maîtres estimés, le nombre d’apprentis pris en tutelle, l’expérience acquise
en dehors de Djenné, et, évidemment, les performances individuelles dans les
quatre domaines de la connaissance que j’ai introduits. Il n’y a pas de configuration
pré-établie de ces facteurs qui permettrait de mesurer le succès, et des facteurs
individuels peuvent perturber le jeu des autres facteurs pour inspirer les
déclarations d’expertise. La structure patriarcale qui semble omniprésente
est manipulée stratégiquement par de jeunes maçons qui, par exemple, tournent
à leur seul avantage d’avoir été formés par de vieux maîtres et de conserver
des relations avec eux, pour revendiquer pour eux-mêmes des positions en vue.
Ou au contraire le même ordre hiérarchique peut être subverti par de jeunes
maçons qui affirment leur forte capacité de travail personnelle, leur expérience
étendue ou leur connaissance supérieure (c’est-à-dire : des matériaux
et méthodes ‘modernes’) en comparaison aux maîtres âgés. Toutefois cette sorte
d’auto-agrandissement prend typiquement la forme d’une « copie cachée »
[3]
(Scott, 1990), qui n’est montrée que secrètement au sein
de la compagnie relativement sûre de pairs liés par la sympathie.
En réalité le statut de chef en fonction du barey ton
(l’association des maçons) réaffirme certaines conventions de rang et de
privilège tout en en subvertissant d’autres dans le même temps. Au début du
siècle passé, Monteil écrivait que : « les bari sont
convaincus que leur chef a un pouvoir occulte sur tous les travaux : s’il
est mécontent ou mal disposé à leur égard, il peut leur jeter un mauvais sort
tel que tout ce qu’ils édifieront s’écroulera » (1903 :196).
Bien que les maçons attribuent encore de tels pouvoirs aux
membres les plus âgés de la corporation, ils ne croient pas nécessairement que
leur chef en fonction possède une telle autorité absolue. Le soutien que les
membres apportent à leur chef élu, Sékou Traore, est prudemment fondé sur son
illustre origine : tant son père que son grand-père paternel ont occupé
cette fonction. Mais d’autres traits semblent miner son autorité et créent un
précédent pour contester le status quo. Au contraire de l’association
populaire qui est faite entre le métier de maçon et l’identité Bozo, la lignée
des chefs Traore n’est pas Bozo, mais affirme son statut de
« Djennenké »,[4]
ce qui revient à promouvoir l’ascendance prévisible des autres groupes
culturels dans cette profession. Le présent chef est supposé présider à des
maçons qui sont beaucoup plus âgés et expérimentés que lui, et même de plus
jeunes prétendent être des professionnels plus compétents, ce qui circonvient
l’autorité associée à la position hiérarchique de Sékou Traore. De telles
incohérences et contradictions dans la structure du pouvoir ouvrent de vastes
espaces pour les manœuvres. En somme, les divers attributs de rang et de statut
ne s’empilent pas nettement, et au contraire peuvent être négociés et
recombinés d’une myriade de façons innovantes par la communauté dans son
ensemble ou par des maçons individuels intriguant pour obtenir une position.
Pour conclure, cette discussion de la connaissance a montré
comment le métier de maçon à Djenné renferme beaucoup plus qu’une compétence
technique, et inclut une capacité de conception, une connaissance
propositionnelle des affaires du métier, et des secrets. C’est la maîtrise de
leur synthèse dans une pratique fluide qui définit l’expertise. Comme les
autres attributs de rang et de statut qui viennent d’être discutés, la synthèse
de ces différentes connaissances n’est pas structurée de façon rigide, pas plus
que ne le sont les quatre types qui sont acquis et pratiqués de façon égale par
tous les maçons en tous temps. Tout au contraire, leur combinaison est
configurée et reconfigurée de façon innovante dans la compétition pour
contrôler des discours évolutifs, des territoires à conquérir et des positions
à revendiquer.
Cette discussion a aussi montré qu’une définition élargie de
la connaissance est ici nécessaire, allant au-delà de la connaissance
propositionnelle exprimée par les énoncés formulés au moyen du langage parlé,
pour inclure les performances qualifiées des maçons dans le domaine technique
et social. Cette connaissance est acquise, au sein du contexte situé du
chantier, par des chemins qui l’insèrent dans le corps physique du maçon. Par
conséquent le rôle de cette formation par apprentissage –ainsi que sa
préservation– doivent figurer de façon prioritaire dans toute tentative
sérieuse pour conserver la tradition unique de Djenné en matière de
construction. Les professionnels qui se consacrent à la protection du
patrimoine architectural de Djenné –y compris les conservateurs, architectes,
planificateurs, experts en développement, universitaires et chercheurs–
devraient s’efforcer de redonner tout leur pouvoir aux maçons de Djenné (et aux
autres artisans). Il ne s’agit pas de les protéger de façon paternaliste contre
la fragilité de leurs ressources ou contre les évolutions du goût et des
demandes de leurs clients et du public, mais de leur donner une plus grande
autonomie et un rôle central dans les projets de conservation et dans les
études qui y ont trait. L’expertise des maçons doit être ramenée de la
périphérie des discussions concernant l’architecture de la ville et son futur
comme environnement urbain florissant vers leur centre. En tant
qu’universitaires et chercheurs, nous avons la responsabilité de faire
participer activement les maçons à un dialogue interdisciplinaire sur cette
question de la ‘connaissance’ en relation avec toutes les traditions de
construction.
Remerciements : Je voudrais remercier l’Académie Britannique et
l’Ecole des Etudes Orientales et Africaines (SOAS) pour leur soutien au travail
de terrain en 2001 et 2002, ainsi que le Professeur Rogier Bedaux pour son aide
inestimable et ses encouragements. Je voudrais aussi remercier les maçons de
Djenné qui ont rendu ma recherche tellement agréable et profitable, ainsi que
J. Brunet-Jailly pour sa remarquable traduction.
Boyer, P.
1990. Tradition as Truth and Communication: a cognitive description of
traditional discourse. Cambridge: Cambridge University Press.
Ingold, T.
2000. The Perception of the Environment: essays in livelihood, dwelling and
skill. London: Taylor Francis.
Marchand, T. 2001. Minaret
Building and Apprenticeship in Yemen. London: Curzon.
___ 2003a. ‘Rang Professionel Laborieusement Acquis; devenir
maître maçon à Djenné’, in R. Bedaux, P. Maas & B. Diaby (eds.) l’Architecture de Djenné. Gent:
Snoeck. Pages 29-43.
___ 2003b. ‘Process Over
Product: case studies of traditional building practices in Djenné, Mali, and
Sana, Yemen’, in F. Matero & J.M. Teutonico (eds.) Managing Change: sustainable approaches to
the conservation of the built environment. LA: Getty Conservation
Institute & Trust Publications.
___ 2003c. ‘Bozo-Dogon
Bantering: policing access to Djenné’s building trade with jests and spells’ in
Traditional Dwellings & Settlements
Review, Spring 2003, vol. 14 (2):47-63.
___ 2005. ‘Endorsing
Indigenous Knowledge: the role of masons & apprenticeship in sustaining
vernacular architecture’, in L. Asquith & M. Vellinga (eds.) Vernacular
Architecture in the 21st Century: essays in honour of Paul Oliver.
London: Taylor & Francis. Pages 46-62.
___ à paraître a. The Masons of Djenné.
___ à
paraître b. ‘Crafting Knowledge: the role of parsing & production in the
communication of skill-based knowledge among masons’, in M. Harris (ed) Ways
of Knowing. Oxford: Berghan.
___ à paraître c. Craft and
Apprenticeship in 21st-century Britain.
Monteil, C. 1903. Monographie de Djenné, cercle et ville.
Tulle: J. Mazeyrie.
Scott, J.C. 1990. Domination
and the Arts of Resistance: hidden transcripts. London: Yale University Press.
[1] Le contenu de cet article est emprunté à un chapitre,
plus long, de mon ouvrage en voie de publication sur Les maçons de Djenné
[2] Le songhay parlé à Djenné est appelé djenné-chini
[3] [Note du traducteur] Scott a montré que les
discussions qui ont lieu au sein des groupes minoritaires dans les grands
institutions –ces discussions qu’il nomme « copies cachées »– sont
importantes parce que même si elles sont inefficaces à court terme, elles
préparent les débats et décisions futurs.
[4] « Djennenké » désigne le résident de Djenné
lorsqu’il est reconnu comme parfaitement intégré quelle que soit son ethnie,
son origine ancestrale. Bien que les résidents Bozo soient aussi Djennenké –et
même considérés comme le peuple autochtone de la région– la plupart d’entre eux
se proclament ‘Bozo’ à titre de première identité, à la différence des autres
groupes culturels qui se sont assimilés à l’identité urbaine de la ville.