DJENNE PATRIMOINE

Informations

 

n° 21, automne 2006

 

 

 

NOUVELLES DE DJENNE

 

Graves incidents à Djenné le 20 septembre 2006

 

Les informations que nous avons données à nos adhérents dès le 23 septembre sur les incidents survenus à Djenné le 20 septembre peuvent être aujourd’hui sensiblement complétées.

 

L’intervention de la Fondation Aga Khan pour la Culture (AKTC) avait pour objectif de lutter contre la présence de chauves-souris dans la mosquée, de reprendre l’installation électrique très défaillante, de daller la salle de prière (et peut-être la terrasse, a-t-on dit dans la ville).

 

Pour l’administration, et notamment le Ministère de la Culture, cette intervention était prévue de longue date et ne devait pas poser de problème.

 

Pour le lancement des travaux, la mission d’AKTC séjournait à Djenné depuis le dimanche. Le lundi, elle avait rencontré les autorités, notamment le chef de village et le préfet ; le mardi vers 16 h avait été organisée une réunion à la mosquée. Cette mission était composée notamment de Francesco Siravo, responsable du "Programme d'appui aux cités historiques" de cette Fondation, basé à Rome, et de Gisèle Taxil, qui devait séjourner sept mois à Djenné, d’un maître maçon italien et de deux collaborateurs burkinabé.

 

Les incidents qui ont marqué le début du travail de cette équipe ont été le fait d’un petit groupe de jeunes, mais la curiosité aidant et l’irréflexion de certaines personnes attisant le feu, ce groupe limité a rapidement entrainé une foule relativement importante. Il était environ 8 h du matin, l’équipe de l’AKTC commençait un sondage sur le toit de la mosquée. Elle a presque immédiatement été rejointe par quelques jeunes, menés par Harber Cisse, président de l’association des guides : ce dernier mettait en demeure l’équipe de cesser ses travaux. Bientôt la terrasse de la mosquée était envahie par une foule de jeunes, curieux de voir la cause de l’incident, le fameux trou creusé dans le toit de la mosquée.

 

La mosquée de Djenné, chef d’œuvre des maçons de Djenné, peut-elle être réparée ou restaurée sans qu’ils soient les premiers consultés, les premiers associés à la conception même et ensuite à la réalisation du travail ?

 

L’équipe d’AKTC a eu beau parlementer, elle n’était pas entendue. Lorsqu’elle a évoquée l’accord du chef de village, les jeunes ont répondu : « chef de village corrompu ! » ; lorsqu’elle a évoqué l’accord de l’imam, les jeunes ont répondu « imam corrompu ! ». L’équipe n’a pas voulu continuer à discuter avec des jeunes qui mettaient en cause toutes les autorités. Et bientôt les outils des experts étaient saccagés, de même qu’un magasin installé dans l’enceinte de la mosquée et contenant du matériel destiné au chantier.

 

La foule est alors descendue dans la mosquée, arrachant les ventilateurs et l’installation électrique, rassemblant le tout avec le matériel des experts sur la place pour y mettre le feu, ce dont les gardes et gendarmes stationnés à Djenné les ont empêchés. Dans ce climat de grande excitation, le fils de l’Imam, a proféré des propos maladroits qui ont excité la foule. Alors, poursuivi par la foule, il est allé se réfugier dans la bibliothèque islamique construite par son père, et les gendarmes ont réussi à empêcher la foule de se saisir de lui, mais le sergent Broulaye Diallo a été blessé à la tête.

 

La foule s’est ensuite dirigée vers la mairie, en criant « mer zon » (=maire voleur) et en jetant des cailloux. Ne trouvant pas le maire à la mairie, les manifestants ont continué vers la maison du chef de village, pensant que l’équipe de la Fondation Aga Khan se trouvait là-bas ; ils n’ont pas fait de dégât dans cette maison, sauf jeter des pierres. Ils ont ensuite continué vers le domicile du maire, celui de sa mère et ceux de ses deux femmes, où ils ont tout saccagé : compteur et installation électriques, téléviseur, portes, fenêtres ; il y a même eu vol.

 

De là, la foule s’est rendue à la préfecture, et l’ont lapidée de telle sorte que le bureau du préfet était plein de cailloux et que l’un de ses enfants a été blessé ; elle a également détruit la voiture de Khalil Korobara, le petit frère de l’imam (qui assurait l’intérim de ce dernier, absent pour ses affaires à Bamako) et qui était venu se concerter avec le préfet. Un jeune entraina la foule hésitante à casser cette voiture en donnant l’exemple : il s’est blessé volontairement au bras pour répandre un peu de son sang sur la voiture.

 

La foule a poursuivi jusqu’à la Mission Culturelle, dont les locaux ont été saccagés (bâtiment, portes, véhicule…), et où les objets archéologiques disposés dans le jardin ont été brisés (notamment un ensemble de jarres funéraires). De retour au centre ville, les manifestants se sont rendus chez l’imam et ont endommagé les trois véhicules de ce dernier. Les échanges entre les manifestants et la famille de l’imam, qui tentait de les calmer, sont rapportés par le frère de l’imam. A la foule qui disait : "l'imam n'a pas droit à avoir trois voitures, son père n'était pas riche", on a cru pouvoir répondre "mais son père avait bien un cheval à l'époque où il n'y avait pas de voiture", d’où la réplique « un cheval, pas trois ! ». 

 

La matinée était terminée, l’atmosphère lourde, des renforts de gendarmes et soldats avaient été demandés à Sévaré, les manifestants avaient installés des pneus enflammés sur le pont… Ce jour-là, ni l’imam ni le muezzin –qui avaient été menacés par la foule– n’ont fait la prière de 14 h, c’est le fils d’un grand marabout de la ville qui a officié comme imam, et un commerçant qui tenu le rôle du muezzin. Jamais cela ne s’était produit à Djenné.

 

Les renforts de forces de l'ordre, venant de Mopti, sont arrivés dans l'après-midi et, pour ramener le calme, ont arrêté tous ceux qu'ils ont trouvés dans les rues. En fin de journée, comme ils poursuivaient un groupe de jeunes, certains se sont engagés dans le marigot, et l'un d'eux, incapable de nager, s'est noyé ! Le couvre-feu a été décrété mercredi et il était encore en vigueur jeudi, à partir de 21 h. Les trois maisons du maire, comme celle de l’imam, ont été gardées par les forces de l’ordre pendant trois jours.

 

Jeudi 21 septembre ont eu lieu des arrestations en grand nombre (une quarantaine ont été emprisonnés à Djenné même), grâce à une vidéo qui a été tournée pendant les événements par un photographe de Djenné ; beaucoup d'autres personnes ont été convoquées à la gendarmerie pour être entendues. Pendant la prière du soir à la mosquée, quelqu'un (un cousin de Sékou Touré)  s'est levé pour proposer qu'on sorte et qu'on aille demander la libération de ceux qui avaient été arrêtés. Il semble que cette intervention ait suscité une réprobation unanime de l'assistance.

 

Il s’est rapidement avéré que l’essentiel des arrestations frappaient des jeunes des quartiers Sud de Djenné (Djoboro, Yoboucaïna, Konofia, Kanafa, Seymani). Dès le 22 septembre, les femmes de ces quartiers, voulant intervenir en faveur de leurs enfants ou maris arrêtés, se sont regroupées pour une marche vers la préfecture ; elles en ont été empêchées par les forces de l’ordre, mais tout le monde a apprécié que le Préfet soit venu à leur rencontre et leur demande de désigner une délégation de 5 personnes, qu’il recevrait et qu’il a effectivement reçue. Néanmoins les arrestations n’ont pas cessé au moins jusqu’au 29 septembre. Certaines arrestations ont été provoquées par le fait que certains des premiers arrêtés ont essayé de se disculper par de fausses dénonciations de prétendus coupables de tel ou tel acte de vandalisme ou de tel rôle dans l’organisation des événements.

 

Vendredi soir 22 septembre s'est tenue à Djenné même une réunion des autorités : y participaient en particulier le Ministre de la culture, le Gouverneur de la région de Mopti, un représentant du ministère de l'administration territoriale, le député, l'AMUPI, un représentant du ministre de la sécurité, une représentant du Haut conseil islamique de Mopti, le frère de l'imam, un représentant du chef de village, un représentant de l'AMDH (Association Malienne des Droits de l’Homme) venu de Bamako, etc, etc. 

 

Les décisions annoncées lors de cette réunion sont : 1) le vandalisme est inacceptable, et donc la justice doit suivre son cours ; 2) la Fondation Aga Khan ira travailler à Tombouctou pendant les trois ans qui viennent, et on verra ensuite si elle s'occupe de la mosquée de Djenné.

 

Dans la journée du lundi 25 septembre, les personnes qui avaient subi des dommages ont été entendues par la justice. Du 27 au 30 septembre, les premiers prévenus ont été présentés à la justice de paix de Djenné, et certains ont été mis en liberté provisoire, d’autres sous mandat de dépôt. Plus tard, le 2 octobre, le fils de l’imam, était entendu à son tour. Le 4 octobre, 3 mineurs ont été entendus en présence de leurs parents, 4 prévenus ont comparu et 2 ont été libérés, mais deux autres personnes ont été arrêtées. Le 5 octobre, 4 prévenus ont comparu et dont l’un a été libéré. Le 6 octobre, 4 prévenus ont comparu dont trois ont été remis en liberté provisoire. Au total, il semble qu’il y ait eu plus de 40 inculpés, dont 28 laissés en liberté provisoire.

 

Les arrestations se sont poursuivies pendant tout le mois qui a suivi les événements : certaines personnes qui avaient fui Djenné sont revenues et ont alors été arrêtées. On est même allé rechercher jusqu’à Bamako le jeune qui s’était blessé volontairement devant la voiture du frère de l’imam, et l’avait aspergée de son sang pour exciter la foule.

 

Courant octobre, une commission de conciliation, composée de notables de Djenné a été constituée à l’initiative de l’un d’eux et elle est intervenue auprès des autorités et des victimes afin d’apaiser la situation. Malgré les efforts de cette commission, la situation n’a pas tellement évolué, parce que certaines des victimes exigent réparation.

 

Notons encore que, le 8 novembre 2006, les femmes des détenus se sont regroupées et sont allées voir le juge pour demander la libération de leurs maris et de leurs fils. Le juge a répondu qu’il ne peut pas prendre une telle décision, et que la demande des femmes devrait être adressée au Ministre de la Justice lui-même. Les femmes sont rentrées chez elles découragées.

*

*   *

Il est évident que Djenné n’avait jamais connu ce genre de situation, et donc que ces événements doivent susciter la réflexion de tous les responsables politiques, administratifs, religieux et associatifs.

 

L’interprétation politique est la première à être apparue. Le maire de Djenné a accusé  l’ADEMA d’avoir poussé les jeunes à aller tout casser chez lui ; c’est d’ailleurs, dit-on, le frère du député Santara qui aurait indiqué à ces jeunes où se trouvaient les maisons de la famille du maire. Cependant, on doit bien observer que les hommes soupçonnés d’avoir organisé les événements appartiennent tous à la coalition qui a battu l’ADEMA pour porter l’actuel maire au pouvoir lors des dernières élections municipales. On cite Harber Cisse, président des guides et en même temps commerçant en pièces détachées, militant du PARENA, Diédani Touré dit Tchombé, et Babourou Koïta, militants de l’URD, Tamagnon Maïga et Baba Kontao, tous deux militants du RDA. Il faudrait donc croire que l’ADEMA a la capacité de manipuler ses opposants notoires à Djenné, ce qui serait tout de même extraordinaire. Si l’on veut trouver une interprétation politique, elle doit donc plutôt être recherchée ailleurs que du côté de l’ADEMA.

 

Tout au plus peut-on relever que le député de Djenné a pris, dès le début des évènements, une position très ferme. Rappelant comment le ministre Pascal Baba Coulibaly avait été reçu il ya quelques années à propos de l’affaire des portes de la mosquée, rappelant les manifestations contre la délégation de la BAD à propos du seuil de Talo, et observant que les manifestants n’ont jamais été sanctionnés, il s’est dit inquiet de voir Djenné devenir ingouvernable.

 

Une autre interprétation est fréquente : la population aurait manqué d’information. L’administration se défend contre cette critique. Comme l’a expliqué le ministre Cheick Oumar Sissoko devant les députés le 9 novembre, suite à une question posée par le député de Djenné, Mahamane Santara, l’information était ancienne et générale : le Ministre a lui-même informé les autorités civiles et religieuses de Djenné lors du crépissage de la mosquée fin février (voir plus loin le « Droit de réponse » que nous a adressé la Mission Culturelle de Djenné).

 

Mais cette information n’a pas été diffusée par les autorités civiles et religieuses dans la population. Sait-on qu’à Mopti, les informations relatives à la restauration de la mosquée ont été présentées dans chaque quartier –et dans les villages environnants– à l’initiative du Haut Conseil Islamique de Mopti ? Rien de tel à Djenné !

 

Et, au moment où les choses devenaient concrètes, le calendrier de la mission a été extrêmement serré. Arrivée le dimanche 17 à Djenné, elle a rencontré les autorités le lundi 18, notamment le chef de village, qui à cette occasion a convoqué le chef des maçons chez lui pour lui demander d’informer ses pairs d’ici le lendemain, date de début des travaux ! Une réunion a été organisée le mardi à 16 h à la mosquée, après la prière. Et les travaux ont effectivement commencé le mercredi matin !

 

Ici, il faut comprendre que, si on a parlé de manque d’information, c’est pour ne pas avoir à dire trop brutalement ce que Djenné demande désormais : que les projets concernant Djenné soient conçus et élaborés à Djenné même avec les notables et les professionnels concernés de Djenné.

 

En effet, en matière de protection du patrimoine,  l’information ne suffit pas, c’est l’adhésion pleine et entière qui doit être recherchée, et cela exige des procédures et des comportements bien différents de ceux qui sont en vigueur. Certains, à Djenné, disent donc que la réaction des jeunes montre qu’ils s’approprient la défense du patrimoine architectural de leur ville, et, tout en condamnant la violence contre les biens et les personnes, certains voient un aspect positif dans cette volonté d’exiger des explications avant toute intervention sur un élément notoire du patrimoine de la ville, et d’exiger une participation à la conception de tout projet concernant la ville.

 

Une interprétation liée au comportement des autorités politiques, administratives et religieuses a aussi été évoquée. Relevant que presque tous les détenus sont originaires des quartiers de Konofia, Djoboro et Yoboucaïna, certains évoquent la mauvaise réputation de l’imam, à qui on reproche, dans ces quartiers notoirement pauvres, de profiter de la mosquée pour s’enrichir. Il est de notoriété publique que les relations entre les marabouts d’une part, entre eux et l’imam d’autre part, se sont considérablement détériorées au fil des ans, et en particulier ces derniers mois. En effet :

 

- les ventilateurs ont été donnés par l'Ambassade américaine, à la suite de la visite que l'Ambassadeur avait faite à l'Imam de Djenné il y a quatre ans, pour lui expliquer que la guerre contre Sadam Hussein n'était pas une guerre contre l'islam ; l'Imam avait profité de l’occasion pour demander "un petit cadeau", mais beaucoup de notables présents avaient été ulcérés par la vénalité trop apparente du responsable religieux ; le comportement des autorités religieuses, dans leurs fonctions officielles comme dans leurs activités privées, est mis en question par ces événements ;

 

- l'affaire de la bibliothèque islamique a été récemment source de graves divergences au sein de la communauté religieuse de Djenné : après avoir présenté aux membres du comité musulman de Djenné ce projet comme le leur, après avoir chargé le président de l'AMUPI de convaincre les marabouts de l'intérêt de ce projet, l'Imam aurait fait tous les papiers à son nom, et se trouverait donc propriétaire du bâtiment financé sur les fonds de l'Union Européenne (PAVIA-PSIC) ; c'est pour cette raison que, le bâtiment étant maintenant achevé, les marabouts ont refusé depuis plusieurs mois d'y déposer leurs manuscrits (ou tarikhs) ;

 

- enfin, les informations qui circulent au sein du comité de gestion de la mosquée et chez les artisans laisseraient entendre que le coût de la construction et de l’équipement de cette bibliothèque n’a pas dépassé, en réalité, la moitié de la subvention obtenue, et par conséquent chacun se demande qui a bien pu empocher la moitié du financement accordé par l’Union Européenne !

 

Il semble que l’Imam ne mesure pas les conséquences de son comportement. Certes, quelques jours après les événements, alors qu’il était encore à Bamako, il avait fait transmettre par sa famille à la population de Djenné un message d’apaisement, disant que « tout est la volonté de Dieu, il faut se soumettre », et que par conséquent sa famille ne demanderait pas réparation des dommages qu’elle a subis pendant les événements. Cependant, à peine rentré de Bamako pour la fête, il n’hésite pas, dans son homélie ce jour-là, à fustiger « l’égoïsme » de ceux qui ont créé des dégâts dans la ville, à rappeler que « Allah punira les égoïstes », ce qui a provoqué un sourd grondement dans la foule des croyants, dont certains se sont alors levés sans attendre la fatiha !

 

Et quelques jours après, il fait apposer au-dessus de la porte de la bibliothèque islamique une grande plaque donnant au bâtiment le nom de son père Sarmoye et rappelant son propre rôle dans l’édification de ce bâtiment. Ses ambitions dynastiques sont désormais claires, mais elles semblent fortement contestées dans la population elle-même. Il a fallu une intervention pressante de l’AMUPI pour que la plaque jugée inacceptable soit enlevée avant une visite attendue de Ministre de la Culture.

 

Il n’est pas exclu enfin que l’on doive rechercher l’explication de ces événements dans un conflit entre spécialistes de l’architecture de terre. Beaucoup de gens ont remarqué que les principaux organisateurs des manifestations violentes sont, à Djenné, connus comme des proches de Jean-Louis Bourgeois, auteur de publications importantes sur l’architecture de terre et notamment sur la mosquée de Djenné. Y a-t-il un conflit ou même simplement un désaccord entre cet expert et la Fondation Aga Khan sur la façon de restaurer le bâtiment ? C’est possible, car Jean-Louis Bourgeois a souvent expliqué qu’aucun étranger ne devait toucher à la mosquée de Djenné, même pour une simple réparation. Cet éventuel conflit a-t-il pu être utilisé pour faire manœuvrer la jeunesse au profit de telle ou telle cause politique ? Il faudrait le vérifier.

*

*    *

Quoi qu’il en soit des explications qu’on peut leur donner, ces événements d'une violence inconnue à Djenné ont causé mort d'homme, et ont en outre entraîné un préjudice évident pour la réputation et le patrimoine de la ville.

 

Ce que ces explications ont en commun est le fait que, hélas, à Djenné, les "autorités" sont en train de perdre leur  autorité intellectuelle et morale. Elles hésitent à consulter la population, et même à l’informer. Dans un pays où on parle de démocratie, et depuis quinze ans maintenant, est-ce que tout cela n'aurait pas dû évoluer ? Il ne suffira donc pas de condamner quelques jeunes, donc beaucoup proviennent des quartiers populaires de Djenné (Djoboro, Konofia, Yoboucaïna) pour régler le problème : l'explosion de violence signale une crise sociale profonde, et ce sont des comportements individuels et collectifs des personnes qui les ont adoptés pendant des décennies qu'il faut changer si l'on veut ramener la paix durablement à Djenné.

 

DJENNE PATRIMOINE a souvent affirmé que la défense du patrimoine de Djenné ne peut être confiée qu'à la population de Djenné, faute de quoi cette protection ne sera jamais bien assurée. DJENNE PATRIMOINE conserve cette conviction ! Et cette position est naturellement encore plus vraie pour la mosquée, lieu de prière unique pour tous les croyants de Djenné, que pour les bâtiments civils !

 

Il est sûr, cependant, qu'on ne peut pas attendre grand'chose ni du chef de village, ni des notables de l'AMUPI, qui tous dans leur grand âge préfèrent être cajolés par le pouvoir et par les étrangers de passage que de travailler avec les forces vives de la ville au développement harmonieux de cette dernière. Ce sont les organisations de la société civile (associations, corporations, etc...) et les collectivités locales (au premier chef la mairie) qui doivent prendre le relais, et faire taire les jalousies, les querelles politiques, pour que soit préservé, avec le patrimoine commun, l’intérêt de tous et de chacun.

 

Car nous n’avons qu’une Djenné !

 

 

 

 

 

 

 

A la suite de la circulaire envoyée le 23 septembre par DJENNE PATRIMOINE à ses adhérents et correspondants réguliers, la Mission Culturelle de Djenné nous a fait parvenir le texte ci-dessous, que nous publions pour l’édification  de nos lecteurs.

 

Droit de réponse

 

Mises au point

 

La Mission Culturelle de Djenné dément les allégations selon lesquelles les populations n’étaient pas informées du projet de restauration de leur mosquée. Cette campagne d’intoxication et de désinformation de l’opinion nationale et internationale n’est uniquement destinée qu’à nuire à cette structure, qui n’est autre qu’une création de l’Etat malien.

 

Déjà par rapport au nombre des membres de l’équipe de Aga Khan trust pour la culture présent au moment des événements, leur programme et la durée des activités, les lignes sus mentionnées donnent les précisions. Pour les avoir il suffisait simplement de consulter  le rapport préliminaire sur la restauration de la grande mosquée de Djenné, rapport que l’équipe d’Aga Khan a donné à la  mission culturelle et au comité de gestion de la mosquée. Même si les membres de l’Association de Djenné Patrimoine n’étaient pas informés de l’existence dudit document, par précaution, il pouvait prendre contact avec le service technique en charge de la sauvegarde et de la promotion du patrimoine culturel de Djenné.

 

Dire que  ni le comité de gestion de la mosquée, qui en assure la gestion et en finance l’entretien, ni les maçons qui font le travail, ni les pratiquants qui prient n’ont été informés des projets et encore moins consultés sur leur contenu et leur pertinence, ni même simplement avertis du début des travaux, n’est qu’une allégation grotesque, produit de la seule fantaisie de son auteur.

 

Je tiens par la présente, vous rappeler les raisons de la présence du Réseau Aga Khan à Djenné. La présence du Réseau Aga Khan pour la culture est liée à la restauration de la mosquée de Djenné. Elle est contenue dans l’accord de Coopération pour le Développement signé le 12 octobre 2003 entre la République du Mali, représenté par son Excellence Monsieur Amadou Toumani Touré, Président de la République d’une part et l’Imamat Ismaïli, représenté par son Altesse le Prince l’Aga Khan, 49ème Imam héréditaire des musulmans Chiites Imâmites Ismailis, d’autre part.

 

Les zones d’interventions identifiées par le  réseau A.K.D.N ont été déterminées. Celles–ci ont été principalement centrées autour de Bamako, Mopti, Djenné et Tombouctou.

 

 

Approche de la Mission culturelle

 

L’approche adoptée par la Mission Culturelle a toujours été participative, ce qui est indispensable pour mener à bien tout projet sur un site vivant comme Djenné ou la subtilité  méthodologique  doit être de rigueur pour ne pas offusquer certaines sensibilités.

 

La gestion du projet de restauration et de conservation de l’architecture de Djenné, financé par les Pays-Bas, sous la direction de la mission culturelle a été riche d’enseignements sur la nature des difficultés inhérentes à de telles réalisations, aussi sur celle des solutions idoines à adopter.

 

La Mission Culturelle pour avoir été partie prenante dans la réalisation de plusieurs projets (restauration et conservation de l’architecture, le système d’infiltration, les projets de grande envergure de sensibilisation et de fouilles archéologiques dans le delta intérieur du Niger, d’informatisation des données culturelles), est créditée d’une bonne expertise.

 

Aujourd’hui avec le contexte de décentralisation au Mali, qui fait que les collectivités sont les maîtres d’ouvrage du développement local, la Mission Culturelle n’a rien entrepris sans l’implication de l’autorité de tutelle (le cercle), la mairie maître d’œuvre du développement local, la société civile et le milieu associatif. A Djenné, la population a été associée à tous les projets dirigés par la Mission Culturelle. Pour ce faire, tous les canaux d’information et de sensibilisation sont utilisés (la coutume, la radio de proximité, les journaux).

 

Par rapport à la gestion des travaux de restauration de AGA KHAN TRUST pour la CULTURE (AKTC) prévus sur la grande mosquée de Djenné, encore une  fois,  rien n’a été négligé dans la diffusion de l’information.

 

Programme de restauration de la Grande mosquée de Djenné par le Réseau Aga  Khan pour la Culture.

 

Avant les  évènements du 20 septembre 2006, l’équipe du Réseau  Aga Khan pour la culture a effectué plusieurs missions de terrain afin d’expliquer les enjeux de leur intervention à  Djenné.

 

 

a. Mission du 7 décembre 2005.  

 

Une délégation du Réseau Aga Khan pour le Développement pour le Mali, conduite par Monsieur Férid Nandjee son représentant résident et comprenant les personnes ci-après : Luis Monréal, Directeur Général du Trust Aga Khan pour la Culture ; Francesco Siravo, Trust Aga Khan pour la Culture ; Eduardo Puerta ; Benoît Junot ; a visité la ville de Djenné.

 

L’objectif de la mission :

 

- visite de  la mosquée, objet de la prochaine intervention du Réseau Aga Khan

- visite de courtoisie aux notabilités de la ville.

 

La délégation a dès son arrivée, visité la mosquée en compagnie des agents de la Mission culturelle et des membres du comité de gestion de la mosquée dont le muezzin. L’équipe a évalué les travaux à réaliser. Ils se résument à la réhabilitation de l’intérieur de la mosquée et de la lutte  contre les chauves souris.

 

Apres la visite des chantiers, les membres de la délégation ont rendu successivement une visite de courtoisie à l’imam et au chef de village. A ces différentes personnalités, il a été question de la restauration de la mosquée de Djenné.

 

b. Diagnostic pathologique de la mosquée :   

 

Suite à la visite effectuée par une délégation du Réseau Aga Khan de développement pour le Mali, conduite par Monsieur Férid Nandjee son Représentant résident, une équipe de la Mission culturelle en relation avec le comité de gestion de la mosquée composée de l’imam, du chef de village et  du muezzin a diagnostiqué les pathologies de la mosquée de Djenné.

 

Au regard de son importance universelle, historique et architecturale, ce joyau monumental a été retenu par The Aga Khan Trust for Culture dans le cadre de la réalisation de son projet de restauration des  mosquées après celle de la mosquée de Komoguel à Mopti.

 

La visite de la mosquée  visait les objectifs suivants:

-constater les dégâts causés sur le bâtiment ;

-évaluer les travaux à réaliser ;

-rencontre avec les membres du Comité de gestion

 

Le chef de la Mission culturelle a rencontré successivement l’imam, le chef de village, le Président de l’AMUPI (Association Malienne pour l’Unité et le Progrès de l’Islam) et le muezzin, tous membres du comité de gestion de la mosquée. Toutes ces personnalités ont salué cette initiative du Réseau Aga Khan pour la culture. Ils ont tour à tour évoqué les problèmes auxquels leur mosquée est aujourd’hui confrontée ainsi que les mesures envisageables pour sa restauration.

Ces problèmes se  résument en deux points essentiels :

- L’infestation de la mosquée par les chauves souris ;

- La dégradation des toilettes.

  

3. Mission des 4 et 5 avril 2006.

Une équipe du Trust Aga Khan pour la Culture, a effectué du 4 au 5 avril 2006 une mission à Djenné dont l’objet était de définir un programme de restauration de la Grande mosquée de Djenné.  Cette mission technique répondait au travail réalisé par la Mission culturelle de Djenné et le Comité de gestion de la mosquée dans le dossier technique « Diagnostic pathologique de la mosquée de Djenné » adressée à AKTC.

Les problèmes signalés dans ledit dossier représentent les principales inquiétudes exprimées par les représentants locaux que sont l’imam, le chef de village et le Président de l’AMUPI.

L’ensemble de ces préoccupations ont motivé cette mission technique qui a permis de rencontrer les personnes ci-après (voir liste en annexe).  La  partie pilote  à restaurer a été de commun accord déterminée par le comité de gestion de la mosquée. Le démarrage du chantier a été fixé à  septembre 2006.

 

III. Les campagnes d’information

 

Suite à la restauration de la mosquée de Djenné, la mission culturelle a utilisé différents canaux de communication pour informer la population de Djenné. A cela, il faut ajouter l’interview accordée le 25 février 2006 par le Ministre de la Culture, Monsieur Cheick Oumar Sissoko à l’ORTM et la Radio Jamana de Djenné, lors des festivités annuelles du crépissage de la mosquée de Djenné.

 

1. interview du Ministre de la Culture à l’ORTM et à Radio Jamana.

Dans cette interview accordée le 25 février 2006 lors des festivités du crépissage annuel de la mosquée de Djenné, au journaliste de l’ORTM, Monsieur Amadou Baba Konaté et à l’animateur de la Radio Jamana de Djenné, Monsieur Boubacar  Dembélé, le Ministre de la Culture Monsieur Cheick Oumar Sissoko, a parlé des grands chantiers de son département pour l’année 2006. 

Parmi ces grands travaux de l’année, il a rappelé  la restauration de la mosquée de Djenné par le Réseau Aga Khan pour la Culture dont une équipe comprenant Francesco Siravo, Gixèle Taxil, Salima Chitalia, Lucia Blanco et Laurino Saccusi, et conduite par Monsieur Férid Nandjee son représentant Résident était présente aux festivités.           

 

2. Réunion pour la célébration du centenaire de la mosquée de Djenné.

La restauration de la mosquée par le Réseau Aga Khan pour  la Culture, il en a été question lors des  réunions relatives à la célébration du centenaire de la mosquée de Djenné tenues successivement les 25 et 29 mars 2006  à la Maison du Peuple de Djenné et au BETEC sous la présidence respective du Préfet du Cercle de Djenné, Monsieur Mamoutou Balla Dembélé et du Sous-Préfet Central, Monsieur Mamadou Konaté.

3. Les réunions avec les parties prenantes lors de l’élaboration du plan de gestion et de conservation des villes anciennes de Djenné                                              

La Mission culturelle de Djenné a dans le cadre de l’élaboration du plan de gestion et de conservation des villes anciennes de Djenné, rencontré toutes les parties prenantes.

La première réunion des parties prenantes  tenue le jeudi  13 juillet 2006, et qui a réuni environ 40 personnes toutes sensibilités confondues, a servi de cadre à la Mission culturelle pour aborder le sujet de la visite de la mosquée et de sa restauration par le Réseau Aga Khan pour la Culturelle.

 4. L’article paru dans le journal « les Echos »

La mise en état de la mosquée de Djenné, il en a été question aussi dans un article du chef de la Mission culturelle de Djenné paru dans le journal « Les Echos » n° 920 du vendredi 26 mai 2006. Dans les propos recueillis par Monsieur Lévy Dougnon, Directeur de la Radio Jamana de Djenné,  le chef de la Mission culturelle a parlé des grands projets dont bénéficie la ville de Djenné grâce à son statut de patrimoine mondial. Parmi ces projets, il a rappelé le projet de restauration de la mosquée de Djenné par le Réseau Aga Khan pour la Culture.

 

5. L’émission Radio « regard sur le passé »

En prélude à la première réunion  des parties prenantes pour l’élaboration du plan de gestion et de conservation des villes anciennes de Djenné tenue le 13 juillet 2006, le chef de la Mission culturelle a été l’invité de l’émission radiophonique « Regard sur le passé » de la Radio Jamana de Djenné, le 20 juin 2006 animée par Messieurs Sory Waïgalo et Boubacar Cissé. Au cours de cette émission, il a été également question du projet de restauration de la mosquée par le Réseau Aga Khan.

IV. La mission du 16 septembre 2006. 

Le samedi 16 septembre 2006 vers 17h, une équipe technique du Réseau Aga Khan pour la Culture conduite par Monsieur Francesco Siravo, architecte, responsable du projet, et  composée de Gixèle Taxil, architecte spécialisée en architecture en terre, Francesco zoologue, Laurino Saccucci, maître maçon et deux ouvriers Burkinabés, est arrivée à Djenné.

 

Le lendemain dimanche 17 septembre 2006 à 9 heures,  l’équipe accompagnée des agents de la Mission Culturelle a rencontré successivement le Préfet, Monsieur Mamoutou Balla Dembélé,  le Maire, Monsieur Gouro Dioro Cissé et les membres du comité de gestion de la mosquée. A ces différentes personnalités, elle leur a expliqué l’objet de leur présence à Djenné,  les interventions sur et dans la mosquée, les principes de travail de l’équipe et le choix des maçons et des ouvriers. 

 

L’équipe a sollicité un magasin pour les matériels, un gardien et un interlocuteur entre l’équipe et les populations. Avant de terminer, elle a remis au comité de gestion un rapport technique sur les différentes interventions sur et dans la mosquée. Les parties ont convenu que la première semaine des travaux serait consacrée à l’étude et à la compréhension des interventions. Les travaux devraient s’étaler sur huit mois.

 

Le même  dimanche 17 septembre, à l’issue de la réunion tenue dans la mosquée (voir liste de présence en annexe), autorisation a été donnée au zoologue, Monsieur  Francesco de commencer ses observations. Ainsi, à 19 heures, ce dernier a commencé à étudier les chauves-souris, leurs mouvements, leurs comportements par rapport à la lumière et  l’obscurité, leurs périodes de reproduction.

 

Une large diffusion de l’information a été faite à la mosquée le dimanche 17 septembre 2006 lors des prières de Maghreb (19 h) et d’ichaï  (20h).

 

Le lundi, l’équipe avant de procéder à l’analyse des  portes et des fenêtres, les installations électriques et de la sonorisation, a rendu une visite de courtoisie au chef de village en présence du Président du barey ton et de certains conseillers du chef de village et de ses enfants. Ce travail s’est poursuivi le mardi par l’étude du plafond et de la terrasse afin de pouvoir réaliser une pente vers le nord, le sud et l’ouest. Pour cela, les techniciens ont prévu de faire un sondage sur le toit afin d’évaluer  l’épaisseur du crépi de la toiture de la mosquée qui aura cent ans en 2007, les lanterneaux ou trous d’aération en vue de délimiter leur longueur. Une réunion tenue toujours le mardi 19 septembre 2006 a réuni l’équipe technique et les maçons représentés par Messieurs Sékou Traoré et Nouhoum Touré dit Bocoum, respectivement Président et Secrétaire général du barey ton. L’objet de la rencontre : les informer sur le projet de restauration et les modalités de recrutement des maçons. Une restitution des assisses devrait réunir le mercredi 20 septembre tous les maçons.

 

En perspective, une équipe composée de la Mission culturelle, des maçons, du comité de gestion, du représentant du chef de village, de l’équipe technique et la mairie, a été désignée pour informer des populations le vendredi 22 septembre à 9 h des enjeux du projet de restauration de la mosquée  à la Radio Jamana et cela dans toutes les langues. 

 

Ce sondage prévu pour le mercredi matin, fut empêché par certains jeunes mal intentionnés.

 

La Mission culturelle de Djenné.

 

Réception de Madame la Gouverneure Générale du Canada, S. E. Michaëlle Jean

 

Le samedi  25 novembre, Djenné était aux couleurs combinées du Canada et du Mali, puisque la ville recevait ce jour-là S.E. Michaëlle Jean, Gouverneure Générale du Canada. Depuis huit heures du matin, partout dans la ville, les jeunes arboraient fièrement des drapeaux en papier aux couleurs des deux pays. C’est seulement vers 14 h cependant que la délégation arriva à Djenné, où elle fut accueillie par les autorités locales devant la maison du Chef de village, Ba Hasseye Maïga. Ce dernier, au nom de l’hospitalité, a offert un gros taureau à S.E. Michaëlle Jean, comme cadeau de bienvenue. Après ce préliminaire, la délégation conduite par Madame la Gouverneure Générale du Canada, accompagnée par le Ministre de la Culture et d’autres hauts responsables nationaux, ainsi que par le député de Djenné, a visité la mosquée, devant laquelle elle n’a pas caché combien elle était fascinée par ce témoignage de foi et de génie de l’homme. Ensuite, la délégation est allée à la Bibliothèque des manuscrits de Djenné, édifiée récemment juste à côté de la mosquée, puis elle a rendu une visite de courtoisie à l’Imam, avant de poursuivre sa visite touristique. Elle est allée visiter le Palais marocain dans le quartier de Sankoré, et son puits sacré de Nana Wangara, puis le mausolée de Tapama, cette jeune fille qui fut sacrifiée pour la prospérité de Djenné. Tout au long de cette visite, S.E. Michaëlle Jean s’est dite émerveillée par cette architecture somptueuse conservée jusqu’à nos jours, par l’esprit de créativité, de labeur et de sacrifice des hommes qui l’ont édifiée et de ceux qui ont su la protéger au fil des siècles et malgré les vicissitudes de l’histoire, de telle sorte qu’elle est aujourd’hui encore le patrimoine que Djenné transmettra aux générations futures. Pour marquer son attachement à ce chef d’œuvre qu’elle venait de découvrir, S.E. Michaëlle Jean a promis de revenir pour participer personnellement au crépissage de la mosquée ! Pouvait-on espérer un geste plus chargé de symbole ?

 

Le 12 novembre, Madame la Ministre de la Coopération du Royaume du Danemark avait, elle aussi, visité Djenné.

 

L’assainissement de la ville de Djenné : où en est-on ?

 

La création d’un Service d’assainissement à Djenné en 2002 a changé la physionomie de la ville. Si comparaison n’est pas raison, dans ce contexte précis il suffit de revoir les images de Djenné avant 2002 : le spectacle était désolant, alors qu’aujourd’hui, si la salubrité n’est pas parfaite, elle s’est beaucoup améliorée. Combien de Djennenké et de touristes étrangers ont apprécié l’œuvre gigantesque de la KfW à travers son projet de systèmes d’infiltration ! Combien de fidèles ont pu arriver à la mosquée sans s’être salis et sans retard ! Combien de chefs de famille ont vu les effets d’une meilleure hygiène de l’environnement sur la santé de leur famille !

 

C’est dire l’impact positif du projet : il est incontestable ! Djenné dispose désormais de 1136 systèmes d’infiltration, de 8416 mètres linéaires de caniveaux dans les rues, de 300 mètres linéaires de mini-égouts... 

 

Mais des difficultés subsistent : l’incivisme des populations, et le manque de moyens financiers et de matériels et même d’infrastructures (décharges finales, dépôts de transit non construits). Nous l’avons déjà dit, le problème de l’assainissement à Djenné est plus un problème d’hommes qu’un problème de moyens. Si l’on n’y prend pas garde, tous les efforts sont voués à l’échec. Ainsi, malgré la sensibilisation, les bénéficiaires des systèmes refusent de payer les remboursements des investissements faits pour eux dans les systèmes d’infiltration des eaux usées : cela ne représente que 1000 FCFA /mois pendant 27 mois, à quoi s’ajoute la taxe d’assainissement (200 FCFA/mois). Or, sans ces recettes, la ville ne peut pas être assainie. De plus les gens utilisent les caniveaux comme dépotoirs d’ordures et déversoirs d’eaux usées, alors que ces caniveaux ont été conçus pour évacuer les eaux pluviales. La protection de l’environnement, le cadre de vie sain est un droit et un devoir pour tout citoyen. Il faut placer l’honneur au centre de toutes les activités d’assainissement. Les services techniques devraient pouvoir compter sur une forte implication de la population, ainsi que des autorités communales et administratives…

 

N’eût été l’incident malheureux de la Mosquée, les Hollandais devaient intervenir dans la gestion des déchets solides dès novembre 2006. Personne ne peut dire aujourd’hui si le projet a été retardé ou s’il est annulé.

 

Le SACPN est à la recherche du financement de deux projets (5 millions FCFA chacun)  qu’il a montés pour renforcer la capacité d’intervention du GIE « Koraidi » (crée en 2005 et qui a pour objectifs l’assainissement de Djenné et la protection de son environnement) et des comités de salubrité de Djenné en matière d’assainissement.

Bakary COULIBALY, Chef  SACPN

 

Le Programme de développement rural intégré de Djenné

 

Les 26 et 27 Septembre 2006 s’est tenu à Djenné l’atelier de validation du schéma directeur du projet de développement rural intégrée du cercle de Djenné sous la présidence de M Lassana TOURE, Conseiller technique du Ministre de l’Agriculture. Les participants venaient de Bamako, des régions de Mopti et de Ségou, mais on notait aussi la présence des députés de Djenné, MM. Mahamane SANTARA et Habib SOFARA, ainsi que des membres du Comité du Bassin du Bani.

 

Au cours de cet atelier, un ensemble d’exposés ont été présentés :

- M. Abdoulaye Dembele, coordinateur du PDRI de Djenné, a traité de l’état d’avancement de l’étude et des activités de la cellule ;

- M. Bernard LEBLOND a présenté les études antérieures (depuis 1976), la situation actuelle, et le schéma d’aménagement proposé ; ce dernier a pour objectifs de sécuriser l’alimentation en eau de 68 000 ha en crue décennale sèche, d’améliorer le rendement, de limiter les impacts négatifs à l’aval, d’améliorer les conditions hydrauliques en dehors des casiers aménagés, et de garantir un équilibre entre parcelles rizicoles et parcelles destinées à l’élevage ;

- Mme Crystelle BOUSQUET a présenté différents scénarios sur les options des seuils et pompages ; parmi ces scénarios, celui qui a été choisi est celui du seuil mobile (qui prend en compte certains aspects financiers, économiques et techniques, cf. le cas du pont barrage de Markala).

- M. Frédéric GERARD a présenté l’esquisse du programme prioritaire quinquennal qui contient la construction du seuil, l’aménagement des zones rizicoles (1 000 ha avec maîtrise totale en rive droite et 14 000 ha avec submersion contrôlée en rive gauche), la réhabilitation des ouvrages, digues et des canaux des anciens casiers, les pistes rurales, et les mesures d’accompagnement

- Les experts internationaux ont été complétés dans leurs interventions par les experts nationaux (Souleymane OUATTARA, Drissa DIARRA et Moussa KIENTA)

 

Chaque exposé a été suivi de débats (questions/réponses) en français et en bamanan autour des points essentiels tels que la répartition des terres entre l’agriculture, l’élevage et la pêche ; le désenclavement des localités ; l’impact des deux seuils en aval sur le cours d’eau ; le problème d’érosion des berges ; le reboisement ; l’artisanat ; l’assainissement ; la gestion future des ouvrages ; la pisciculture ; le financement.

 

A toutes ces questions, des réponses  satisfaisantes ont été apportées. Malgré l’inquiétude de certains participants sur la disponibilité des ressources financières et la répartition optimale des terres entres les différentes activités (agriculture, élevage et pêche), l’atelier s’est déroulé dans un climat serein et de satisfaction générale d’où l’accord unanime pour la réalisation du seuil. Il est à noter qu’une forte demande a été faite pour la réalisation du seuil dans un bref délai.

 

Enfin l’atelier a approuvé le schéma directeur et le programme prioritaire du projet en prenant en compte les observations faites par les participants, notamment leurs demandes :

1. Affecter  judicieusement l’espace entre l’agriculture, l’élevage et la pêche, l’agroforesterie ;

2. Prendre en compte de façon accrue les pistes rurales ;

3. Augmenter les superficies des plaines à aménager ;

4. Porter une attention particulière à l’activité piscicole, la protection de l’environnement, le reboisement ;

5. Prendre en compte l’électrification des villes et villages à partir de la centrale  hydro-électrique ;

6. Poursuivre les concertations entre élus, producteurs, techniciens en vue d’une gestion consensuelle de l’espace Agricole.

7. Diligenter la recherche de financement  et la mise en œuvre du projet.

 

Nous reviendrons sur ce sujet lorsque nous aurons obtenu de plus amples informations sur le contenu du PDRI de Djenné.

 

 

NOUVELLES DU PATRIMOINE DE DJENNE

 

 

Musée de Djenné : DANGER !!!

 

Dans le numéro de l'automne 2005, DJENNE PATRIMOINE rappelait ses positions concernant le projet de Musée de Djenné, toutes inspirées par une conception participative et décentralisée du développement:

       

- le projet de musée de Djenné doit être conçu avec la population de Djenné, faute de quoi il ne sera qu'un bâtiment administratif comme les autres, sans le moindre soutien de la population et sans effet sur le développement local ;

        

- le musée de Djenné ne doit pas être conçu comme une simple annexe du Musée National du Mali, car la culture de Djenné appartient d'abord à Djenné et doit être protégée et valorisée à Djenné même et à l'initiative de la population de Djenné;

        

- le musée de Djenné devra mettre à la disposition des habitants de Djenné, et des visiteurs de Djenné, le patrimoine archéologique tiré du sol de Djenné et de ses environs;

 

- le musée de Djenné ne doit pas être conçu comme un centre artisanal, au risque de vider les quartiers de leurs ateliers d'artisans; il peut être un lieu d'exposition de produits artisanaux de qualité incitant les visiteurs à se rendre chez les artisans, dans les divers quartiers de la ville;

        

- le projet de musée de Djenné doit faire l'objet d'un concours international d'architectes, organisé dans les règles, à la fois pour faire connaître Djenné dans ce milieu professionnel, et pour obtenir une création architecturale exceptionnelle, que mérite Djenné et qu'exige absolument le site choisi pour l'implantation de ce musée, tout près de la célèbre mosquée.

 

Aujourd’hui, au regard de la façon dont ce dossier est traité par le Ministère de la Culture et par l’Union Européenne, il faut crier : DANGER !!!

 

En effet, un concours a été lancé début novembre par le Ministère de la Culture auprès d’un petit groupe d’architectes maliens sélectionnés on ne sait comment, et sur la base d’une étude de programmation datant de 2002 (mais fondée sur la mission effectuée en mars 1996, dont nous avons déjà rendu compte dans ce bulletin !) accompagnée d’une enveloppe budgétaire de 70 millions pour le bâtiment.

 

L’étude de programmation définit un musée attrape-tout : le Musée de Djenné devrait avoir des fonctions d’étude, de collecte et de conservation, des fonctions d’éducation, d’animation et de revitalisation des métiers et savoirs-faire, ce qui l’amènerait à organiser des visites de la ville (présentées comme une alternative plus crédible à la démarche actuelle des guides) et des excursions dans la région, à aider financièrement l’amélioration de l’installation des artisans, à approuver la qualité des objets fabriqués par ces derniers, sans omettre l’organisation de spectacles divers et variés, ni même la recherche ethnologique. Cette conception trop large et floue ne sert qu’à donner au bailleur l’impression qu’il est en face d’un projet présentant de multiples aspects : elle ne correspond pas à un projet national réaliste pensé par les responsables locaux.

 

En effet, et c’est là le second danger, ce projet n’a pas été élaboré, malgré le fait que dix ans se sont écoulés depuis qu’on a commencé à parler d’un musée à Djenné, en faisant participer la population et les autorités locales à la définition des fonctions du Musée et à la discussion du parti architectural.

 

Les consultations entre services administratifs, ou entre eux et le chef de village ou l’Imam ne suffisent absolu-ment pas à assurer cette participation, les événements du 20 septembre l’ont clairement rappelé. Si l’on veut obtenir une adhésion de la population, il faut donc créer les conditions d’un dialogue approfondi entre les promoteurs des projets et les notables de la ville. Rien de tel n’a été fait en ce qui concerne le projet de Musée, qui est donc imposé par le Ministère de la Culture.

 

En outre, alors que la ville est classée Patrimoine Mondial, ce qui impose à tous des contraintes spécifiques de préservation des techniques de construction et de conservation du paysage urbain, l’étude de programmation n’aborde pratiquement pas cet aspect délicat. A propos du style architectural, l’étude de programmation retient comme caractéristiques de l’architecture de Djenné : l’utilisation du banco comme matériau de construction, l’emploi d’éléments architecturaux décoratifs des façades, et la structure de l’espace d’habitation autour d’une cour centrale. Et elle poursuit : « Le Musée de Djenné, sans être une copie aveugle de cette architecture dont les fonctions sont différentes, doit s’en inspirer en respectant les contraintes liées à la conservation des objets et à l’accueil du public », pour préciser encore : « il va falloir faire les structures porteuses en béton et faire le remplissage en banco cru pour soutenir les barres métalliques. La couverture du toit doit être en béton pour mettre les pièces à l’abri des prédateurs. L’intérieur doit être en carrelage de terre ».

 

Nous savons déjà à quoi ces phrases vont nous conduire inéluctablement : au temps de la colonisation, des générations d’architectes et d’ingénieurs se sont déjà inspirées de l’architecture de Djenné, elles ont bâti Ségou et Bamako en style soudanais ! Ce n’est pas ce qu’on peut souhaiter en plein cœur de  Djenné. Personne ne pourra se satisfaire d’un pastiche de l'architecture civile typique de Djenné, c'est-à-dire des maisons de commerçants aisés des siècles passés. Le musée de Djenné devait être l’occasion d’exploiter à fond la créativité des maîtres bâtisseurs de Djenné, éventuellement avec le concours d’architectes spécialistes de la construction en terre.

 

Il y a un siècle, avec un appui de l'administration coloniale dont on a montré qu'il avait été très limité, tant sur le plan technique que financier, les maçons de Djenné ont su construire un bâtiment religieux magnifique, qui s'intègre dans le paysage urbain, mais qui est très différent des maisons. Le musée de Djenné sera le second bâtiment, par sa taille, dans la ville, il sera comme la mosquée au cœur de la vieille ville, il sera un monument civil inédit à Djenné, il doit être lui aussi une construction originale, marquant sa différence par rapport aux autres types de bâtiments et s'intégrant néanmoins dans le paysage urbain.

 

En bref, ce que nous souhaitons, c’est que le musée de Djenné ne soit pas une mauvaise copie d'architectures déjà vues : il doit être un geste architectural de génie magnifiant la construction en terre et ajoutant aux monuments de Djenné un ouvrage qui accroîtra la réputation de cette ville et donnera à la cité un parfum de modernité qui lui manque aujourd'hui.

 

A ces objections très fortes à la procédure adoptée par le Ministère de la Culture, il faut ajouter une constatation : alors que le Mali ne dispose pas d’architectes ayant l’expérience de la construction en terre crue, organiser pour Djenné un concours d’architectes sans donner aux maîtres maçons du lieu l’occasion de réaliser le chef d’œuvre que seuls ils pourraient édifier, c’est faire fi de la capacité des hommes qui ont su bâtir la ville et l’entretenir pendant des siècles, c’est oublier que leur savoir-faire est un patrimoine immatériel !

 

Il était possible de résoudre les difficultés que présente la construction d’un musée à Djenné, en faisant appel, par un concours international, aux compétences des architectes des pays du sud qui ont conservé l’habitude de construire des bâtiments modernes, privés ou publics, en terre. Il existe en effet nombre d'architectes connaissant la construction en terre, au Maroc ou en Egypte, par exemple. On leur aurait naturellement demandé de s’associer à des architectes maliens, pour que la construction du Musée de Djenné soit l’occasion d’un transfert sud-sud de compétences. On leur aurait naturellement demandé de s’associer aussi aux maîtres-maçons de Djenné, qui, dans cette affaire, ne peuvent pas être considérés comme de simples exécutants, par des architectes qui ne connaissent rien de la construction en terre... Au contraire, la corporation des maçons aurait dû être associée, depuis la conception jusqu'aux dernières finitions, à la réalisation de ce musée.

 

DJENNE PATRIMOINE est intervenue, depuis des années, et tout récemment encore, aux plus hauts niveaux de l’administration, pour présenter et défendre cette conception. Il n’en a pas été tenu compte ! Voila pourquoi nous crions aujourd’hui :

 

Musée de Djenné, DANGER !!!

 

 

 

 

 

Qu’avons-nous appris de la restauration de la mosquée de Mopti ?

 

C’est le 19 juin 2006 que les travaux de restauration de la mosquée de Mopti ont été achevés. Ce jour-là, le Réseau Aga Khan de Développement, représenté par M. Férid Nandjee accompagné par M. Francesco Siravo, architecte responsable du projet, a procédé à la remise symbolique des clés de cette mosquée au Ministre de la Culture, Cheick Oumar Sissoko, qui les a lui-même immédiatement confiées à M. Kissima Touré, chef du village de Mopti, devant les notabilités de la ville.

 

Cette mosquée a été construite dans le style soudanais entre 1936 et 1943 sur le site d’une précédente mosquée édifiée en 1908. Les travaux, qui ont duré deux ans, ont consisté en plusieurs étapes :

-          la réfection complète de la toiture,

-          la consolidation de la partie supérieure de l’édifice, qui avait été gravement endommagée à partir de 1978 par la pose d’un revêtement en ciment ;

-          la reprise de la maçonnerie en terre, les parties endommagées par l’infiltration des eaux sous le revêtement en ciment étant reconstruites avec des briques de terre ;

-          l’application en surface sur les murs extérieurs de l’enduit traditionnel, fait de terre et de balle de riz, mélange qu’on laisse pourrir (banco) ;

-          le renouvellement des briques de terre le long des façades de l’édifice au ras du sol ;

-          la reconstruction du parapet et des pinacles de la terrasse qui couvre le bâtiment ;

-          le remplacement des enduits extérieurs en terre, partout où ils étaient délabrés ;

-          l’amélioration de la cour extérieure

-          l’installation de sanitaires et d’une fontaine ;

-          la réfection complète du sol de la mosquée et de l’escalier conduisant à la terrasse ;

-          la réfection complète de l’installation électrique (et le remplacement de tous les luminaires et ventilateurs) ;

-          le remplacement des portes en bois par de nouvelles réalisées en bois anciens de haute qualité.

Cette restauration constitue donc une expérience d’un très grand intérêt pour tous les défenseurs du patrimoine architectural en terre, qu’il soit religieux ou civil, notamment dans la région du delta intérieur du Niger où ce patrimoine est exceptionnellement varié et attachant. Les enseignements les plus évidents de cette restauration de la mosquée de Mopti sont les suivants ;

 

1)      le remplacement de l’enduit en banco par un revêtement en ciment est une grave erreur 

 

On espérait par ce moyen réduire la fréquence des recrépissages nécessaires au maintien du bâtiment en bon état de conservation. Cette solution qui a conduit à couvrir le bâtiment en partie haute d’une carapace protectrice en ciment s’est avérée au fil du temps une grave erreur qui a mis le bâtiment en danger de ruine. En réalité, sur la mosquée de Mopti comme sur d’autres bâtiments, on a constaté après quelques années que l’eau s’était infiltrée sous le ciment, en profitant des moindres fissures, et qu’elle avait causé de graves dommages qui étaient restés inapparents pendant

 

Photographie J. Brunet-Jailly

Cette photographie prise en 2004 montre l’épaisseur du revêtement en ciment qui a été posé sur la mosquée de Mopti en 2003

 

longtemps, et allaient jusqu’à menacer la solidité de l’édifice. Le ciment avait grevé l’édifice d’un poids supplémentaire considérable, surtout le revêtement de 2003 qui était beaucoup plus épais et plus étendu que celui de 1978. Ce revêtement n’avait pas adhéré durablement aux matériaux qui le supportaient : comme le banco et le ciment ne réagissent pas de la même manière aux variations ambiantes de la température et de l’humidité, l’adhérence initiale apparente de l’un sur l’autre est rapidement remplacée par des fissures et des vides. Les infiltrations d’eau profitent de la moindre fissure, et elles rongent les murs de l’intérieur, jusqu’à compromettre leur stabilité et leur solidité.

 

 

 

Photographie J. Brunet-Jailly

Cette photographie prise en 2003 montre la mise à nu des briques en banco pour donner prise au revêtement en ciment.

 

En outre, chacun le sait, les revêtements en ciment n’ont pas l’aspect inimitable de la patine des enduits en banco, et donc ils altèrent la qualité esthétique des bâtiments ; or ces bâtiments sont toujours construits pour être admirés, qu’ils manifestent la prospérité d’une famille ou la dévotion des croyants à leur Dieu. Cet aspect esthétique ne concerne pas d’abord les touristes, il doit être préservé par fierté car c’est localement que cette architecture a été inventée, c’est localement qu’elle doit être protégée, pour être transmise aux jeunes générations comme un témoignage du savoir-faire des générations passées.

 

2)      la qualité des techniques traditionnelles de construction tend à baisser

 

Les maçons ont tellement l’habitude d’entendre les promoteurs, sur les chantiers de construction, se plaindre du coût des matériaux qu’ils en sont venus eux-mêmes à travailler avec des matériaux que leurs pères n’auraient pas voulu toucher, et à perdre l’habitude d’employer ceux que la tradition leur avait prescrits. Ceci vaut aussi bien pour la mosquée que pour les maisons familiales.

 

Ainsi, à la mosquée de Mopti, des sondages ont été faits pour apprécier la qualité des enduits, en examinant les diverses couches accumulées au cours des recrépissages successifs. Une analyse chimique permet de retrouver la composition des enduits utilisés, et un examen physique permet de comparer leurs propriétés. La qualité des couches anciennes (celles qui font les trois à cinq premiers centimètres) s’est révélée bien supérieure à celle des couches récentes : les couches anciennes sont plus fines et plus compactes, elles adhérent mieux les unes aux autres. A l’inverse, les couches récentes, épaisses, friables, adhéraient mal aux couches sous-jacentes, et s’épluchaient très facilement. Ces propriétés physiques sont liées à la fois à la sélection des matériaux entrant dans la composition de l’enduit et à la qualité du travail de mise en place de l’enduit.

 

La mauvaise qualité des couches récentes est liée à plusieurs facteurs : on utilise la balle de riz trop fine qui sort des décortiqueuses, on utilise des argiles de mauvaise qualité (mélangée à beaucoup de sable et de limons), parfois prises dans le lit du fleuve le jour même du crépissage. Cet enduit n’est pas imperméabilisant, il est fragile, il se dégrade à la première pluie, surtout s’il a été appliqué en couches épaisses qui se fissurent en séchant.

 

Ajoutons que personne à Mopti n’a mentionné l’emploi du beurre de karité dans l’enduit de façade. Là où on y a recours, on se plaint de ce que le beurre de karité coûte cher. Mais de la sorte, en quelques décennies, plus personne ne sait ce qu’est le travail bien fait, plus personne ne sait quelle terre choisir, quelles matières y ajouter, en quelles proportions, quelles recettes de préparation observer.

 

3)      la qualité des techniques traditionnelles doit être retrouvée

 

Il est donc apparu immédiatement sur le chantier de la mosquée de Mopti que la première tâche consistait à retrouver la qualité des techniques anciennes, qui n’ont pas toujours été employées au cours des dernières décennies.

 

Evidemment, ces techniques anciennes emploient beaucoup de main d’œuvre, et cette dernière est plus coûteuse qu’au temps où il était facile de mobiliser des centaines d’élèves des écoles coraniques et de faire travailler les maçons eux-mêmes « pour l’amour de Dieu ». Mais les chantiers des mosquées ont toujours été financés par de grandes fortunes sollicitées d’aider le pouvoir en place. Ces pratiques de mobilisation générale des ressources humaines et financières de la collectivité peuvent être retrouvées, à la seule condition que ces ressources soient gérées de façon transparente.

 

De même, les matériaux de qualité doivent être retrouvés. Sur le chantier de la mosquée de Mopti, on a procédé à une sélection rigoureuse des matériaux (argile noire de la carrière de Gawel Gany, et balle de riz pilé à la main, avec des fibres longues et résistantes), on a respecté le temps de pourrissement (3 à 4 semaines), et effectué avec attention le travail de malaxage (au moins une fois par semaine). Les gestes des maçons spécialistes du crépissage ont aussi été analysés avec précision, retrouvés, remis en valeur, transmis aux jeunes générations.

 

D’autres aspects de la technique traditionnelle doivent encore être respectés. Les mois de mars ou avril ne sont pas les plus indiqués pour réaliser le crépissage : comme il fait très chaud, l’enduit en séchant trop vite fait inévitablement des fissures abondantes et larges, et parfois se dé tache par plaques. Aussi les mois de janvier ou de février semblent plus indiqués. Mais alors, comme le

 

Source : http://www.akdn.org/news/2006June19_FR.htm

Etat de la façade Est de la mosquée de Mopti après la restauration réalisée en 2004-2006 par Aga Khan Development Network

 

 

moment le plus pratique pour l’approvisionnement en banco est le mois de mars, il faut s’approvisionner une année à l’avance et stocker le banco.

 

*

*    *

En fait, si les maçons n’ont plus confiance dans leur métier, n’ont plus ni la connaissance ni le respect du savoir qui leur a été transmis par les anciens au cours de leur apprentissage, la technique traditionnelle se perdra inéluctablement, et avec elle non seulement la fierté des maçons, mais aussi à coup sûr la fierté des Mopticiens. Un effort considérable a été fait à Mopti pour amener les maçons à mobiliser, sur le chantier de restauration de la mosquée, le savoir de leurs anciens. Les échanges entre les architectes et les maçons ont été l’un des aspects passionnants du chantier ; ces échanges montrent que la conservation du patrimoine architectural implique la conservation du savoir professionnel traditionnel.

 

Mais il pourrait aussi se faire que la conservation du savoir traditionnel et la réalisation d’un entretien annuel de qualité sur la mosquée exigent une révision de l’organisation du travail. Il semble en effet aujourd’hui bien difficile de maîtriser la qualité de la préparation des matériaux et leur mise en œuvre si l’on a affaire à une foule de volontaires, qui y voient plus une occasion de réjouissance qu’une tâche professionnelle. A une époque où l’on se spécialise de plus en plus, les gestes du métier de maçon ne peuvent pas être connus de beaucoup de jeunes. Il sera donc peut-être indiqué de réserver l’essentiel du travail de crépissage annuel aux maçons, qui en assumeraient alors l’entière responsabilité.

 

(Informations fournies par Aga Khan Development Network-Mali, que nous remercions de son obligeance, et par le site internet d’AKDN)

 

 

NOUVELLES DE DJENNE PATRIMOINE

 

Le 28 juillet 2006 une réunion des artisans a été organisée par DJENNE PATRIMOINE, pour leur présenter la première version d’un diaporama sur « L’artisanat d’art de Djenné ». Ce diaporama est désormais accessible sur le site internet de DJENNE PATRIMOINE : www.djenne-patrimoine.asso.fr  

 

Le 31 août dernier, Monsieur Abdoulaye Touré, architecte établi en France, membre de DJENNE PATRIMOINE et fin connaisseur de l’architecture de Djenné, sur laquelle il prépare un livre, a proposé d’organiser une réunion sur son travail en cours concernant un projet de musée pour Djenné. M. Touré était donc au travail bien avant que l’appel d’offres restreint soit lancé par le Ministère de la Culture. A cette réunion participaient plusieurs maçons, des artisans, des notables, des enseignants, des fonctionnaires, quelques élèves et étudiants, mais aussi le Préfet et son adjoint, le Vice-Président du conseil de cercle, le Chef de la Mission Culturelle, des représentants de l’OMATHO, du service de la jeunesse, etc… . M. Touré a exposé et expliqué son projet ; selon lui, ce projet est conçu pour que les maçons de Djenné, des architectes et de nombreux artisans de Djenné y soient associés. L’exposé était soutenu par la présentation de douze planches de grand format, qui ont été commentées par M. Touré en réponse aux questions des notables, des autorités politiques et administratives, des maçons : façades, espaces intérieurs, salles d’exposition, bureaux, etc. Après une heure trente d’échanges, le public était édifié et il est sorti satisfait et plein d’espoir de voir un jour réalisé un musée à Djenné.

 

Le 21 novembre 2006, premier vendredi du mois lunaire, le barey ton (la corporation des maçons) de   Djenné s'est réuni comme à l’accoutumée au domicile de son chef, Sekou Traoré dit Sekou barey, pour discuter des problèmes de la profession. Mais ce jour-là d'autres points inhabituels figuraient à l'ordre du jour. Il s'agissait d'une part de prendre connaissance d’une lettre provenant de Mme Evelyne  Bertrand, annonçant l’arrivée d’un important don de matériel offert aux maçons de Djenné par de bonnes volontés par le canal de l'ONG française "Réflexe Partage" ; il s’agissait d’autre part de commenter les événements du 20 septembre 2006 à la mosquée de Djenné. Nombreux sont les maçons qui se sont plaints de la précipitation du démarrage des travaux. Le chef des maçons lui-même affirme n'avoir reçu l'information qu'à la veille de ce démarrage ; et le lendemain au moment où celui parmi eux qui avait été chargé de diffuser une circulaire annonçant une rencontre extraordinaire d'information se rendait chez les uns et les autres, il n'a pu que constater,  la mort dans l'âme, que l'équipe de la Fondation Aga Khan était déjà sur le toit de la mosquée et que déjà les manifestants envahissaient l'esplanade de la mosquée. Ce messager n'a pu que rendre compte au chef du barey ton. Nous savons la suite.

 

Cette réunion du barey ton s'est déroulée en présence du Président DJENNE PATRIMOINE, qui y avait été invité.

_______________________________________________________

DOCUMENT 1

 

Que coûte le recrépissage annuel des maisons de Djenné ?

 

Au cours de son récent séjour au Mali, Olivier Scherrer, constructeur spécialisé en terre, et l’un des responsables de l’association ACROTERRE, a pu recueillir des informations de première main sur le coût du recrépissage des maisons de Djenné. Il propose ainsi une comparaison des deux techniques qui sont actuellement en compétition, le recrépissage utilisant les matériaux traditionnels et le revêtement des façades en briques cuites.

 

 

Côut du recrépissage selon la technique traditionnelle

 

Le recrépissage d’une maison du quartier de Djoboro, auquel j’ai pu participer personnellement le 14 mars 2006, m’a donné une première occasion de rassembler des informations sur les techniques d’enduit locales et leur coût.

 

Composition de l’enduit :

20 charrettes (tractées par un âne) de banco

10 sacs de balle de riz (volume 100 litres/sac)

45 kg de beurre de karité

 

Procédé de production de l’enduit :

La terre est stockée à proximité du chantier, additionnée d’eau et malaxée à la daba de manière à constituer une pâte épaisse. La balle de riz est ajoutée au mélange en remuant au fur et à mesure de façon à bien la répartir.

 

Le mélange ainsi constitué est laissé à pourrir, en l’arrosant chaque jour, pendant une semaine minimum et deux semaines idéalement. Il ne faut pas laisser pourrir le mélange plus longtemps, car la balle de riz aurait alors tendance à se désagréger.

 

Le beurre de karité est ajouté au dernier moment après l’avoir fait fondre sur un fourneau, en malaxant le mélange autant que de besoin.

 

Procédé de mise en œuvre : au fur et à mesure de la fabrication du mélange additionné de beurre de karité, les manœuvres transportent l’enduit dans des paniers plats de forme ronde jusqu’au maçon. Le maçon se saisit d’une poignée de pâte et l’étale sur le mur en un mouvement de va et vient. La main droite applique la terre, elle est nettoyée en la passant entre le pouce et les doigts de la main gauche

 

Coûts :

 

Prix d’achat des matériaux :

1 charrette de banco (entre 300 et 500 litres:  300 FCFA

1 sac de balle de riz (volume 100 litres) :      1 250 FCFA

1 kilo de beurre de karité :                                     550 FCFA

 

A noter que le maître maçon Boubacar Kouroumanse recommande d’utiliser un sac de balle de riz par charrette de banco (bien remplie). Par contre, il n’est plus question aujourd’hui d’ajouter de la poudre de pain de singe comme on le faisait autrefois.

 

Sur le chantier considéré, comme il a été estimé que certains murs n’avaient pas besoin d’être recrépis cette année, le besoin en enduit a été estimé à  20 charrettes de banco. Un recrépissage complet aurait nécessité l’utilisation de 40 charrettes.

 

Coût de la main d’œuvre :    

- maçons x 2500 FCFA/j x 7 jours =             35 000 FCFA

- 6 manœuvres x 750 FCFA x 7 jours =        31 500 FCFA

Soit au total 66 500 FCFA

 

Coût des matériaux :

- 20 charrettes de banco x 300 FCFA =           6 000 FCFA

- 10 sacs de balle de riz x 1 250 FCFA =      12 500 FCFA

- 45 kg de beurre de karité x 550 FCFA =    24 750 FCFA

Soit au total  43 250 FCFA

 

Coût total :                                         109 750 FCFA

Coût de l’enduit traditionnel :

109 750 FCFA/559 m2 (surface enduite) = 196 FCFA/ m2

 

Coût de l’enduit par m2 sans beurre de karité : 152 FCFA/m2

Coût de la main d’œuvre par m2 : 119 FCFA/m2

Coût des matériaux par m2 : 33FCFA/m2   

Coût de l’enduit par m2 avec beurre de karité : 196 FCFA/m2

Coût de la main d’œuvre par m2 : 119 FCFA/m2

Coût des matériaux par m2 : 77 FCFA/m2  

 

Coût de l’habillage des façades en briques de terre cuite

 

Sur cette technique, les informations ont été recueillies à la même occasion, au cours d’un entretien avec le maître maçon El Hadji (traduction de Pérou Cisse)

 

Description de la technique :

 

- le mur est gratté et débarrassé de l’enduit jusqu’à atteindre la brique en banco

- on étale une couche d’un mélange terre et balle de riz (mélangé et préparé 3 ou 4 jours auparavant) en épaisseur de 2 cm

- les briques sont collées sur cet enduit pendant qu’il est encore frais

- tous les 1,20 m de hauteur, on procède à un « coupement » (c'est-à-dire une saignée horizontale dans le mur, saignée que l’on remplit de mortier de terre et dans laquelle on enfonce les briques horizontalement) de manière à créer une liaison avec le mur et donner de la stabilité au parement. D’après le maçon cela contribue aussi à limiter les infiltrations d’eau (?).

- le banco excédentaire des joints est enlevé ;

- les vides des joints sont remplis au mortier de ciment (dosage : 1,5 brouette de sable + 25 kg de ciment)

 

Matériaux

35 briques/m2 (mais il faut ajouter les pertes)

1 brouette de banco/m2

¼ brouette de mortier de sable et ciment

 

Main d’œuvre

1 maçon + 3 manœuvres mettent en œuvre environ 12 m2 en 3 jours (y compris le travail d’échafaudage en hauteur et les « coupements », soit un rendement de 4 m2 par jour

 

Coût des matériaux

 

Les briques de terre cuite sont fabriquées dans le quartier de Yoboukaïna (à l’ouest de la mosquée) par Barou Toumagnon. Elles mesurent 19 cm de long par 11 cm de large et 2 cm d’épaisseur. Il existe 3 modèles différents : rectangulaires, angles coupés, angles arrondis. Elles coûtent 25 FCFA l’unité.

 

40 briques/m2 (y compris les pertes) x 25 FCFA = 1000 FCFA

 

Le transport d’une charrette de briques (300 unités) coûte 500 FCFA, soit 1,66 FCFA l’unité. Donc pour 40 briques :

40  x 1,66 FCFA = 66,66 FCFA

 

Le mortier de banco : 1 brouette/m2 soit 50 FCFA

 

Le mortier de ciment : ¼ de brouette /m2

Soit sable : 12,5 FCFA

Ciment : 4,16 kg de ciment x 114 FCFA /kg = 474,24 FCFA

Sous-total mortier : 486,5 FCFA

Sous total matériaux : 1 608 FCFA/m2

 

Coût de la main d’œuvre :

1 maçon coûte 2 500 FCFA/jour

3 manœuvres x 750 FCFA/jour = 2 250 FCFA

soit 4 750 FCFA pour 4 m2 (rendement journalier)

Sous total « main d’œuvre » : 1 200 FCFA/m2

 

Total matériaux et main d’œuvre :  2 808 FCFA/m2

 

Coût du parement en briques cuites : 2 808 FCFA/m2

 

Commentaires

 

Il convient d’abord de relever que tous nos interlocuteurs ne sont pas absolument convaincus que cette technique ne présente que des avantages. Le maître maçon El Hadji signale que, lorsqu’on démonte les briques cuites après plusieurs années, on constate que les briques en banco en bas des murs sont fragiles et friables (ce qui s’explique parfaitement par la présence de potasse). De même, dans un entretien du 16 mars 2006 avec MM. Amadou Tahirou Bah et Foourou Cissé, ces derniers mentionnent l’écroulement d’une maison habillée de briques de terre cuite, vraisemblablement du fait de l’infiltration d’eau de pluie.

 

En second lieu, si on compare le prix de revient au m2 de l’enduit traditionnel en banco (152 FCFA /m2 sans beurre de karité et 196 FCFA/m2 avec beurre de karité), à celui du parement en briques de terre cuite, on constate que le second revient 14 fois plus cher que l’enduit banco avec beurre de karité et 18 fois plus cher que l’enduit banco sans beurre de karité.

 

Autrement dit, pour être économiquement intéressante, la technique de parement en briques cuites devrait avoir une durée de vie sans entretien d’au moins 14 ans.

 

Cette durée de vie sans entretien, qui est l’argument généralement invoqué pour justifier le recours à cette technique, est loin d’être démontrée. Au contraire, les maçons ont signalé des interventions assez régulières de rebouchage de fissures apparues sur les façades. Ces fissures sont en réalité inévitables : techniquement, elles sont très probablement causées, en l’absence de joints souples, par des phénomènes de dilatation et de contraction des briques exposées au soleil, et par des tassements différentiels du mur et de son revêtement.

 

En outre, il faut observer que l’investissement nécessaire pour réaliser des travaux d’habillage en briques cuites est très important. Compte tenu du niveau des revenus, et de la faible capacité d’épargne locale, seuls les nantis peuvent se permettre ces travaux qui, paradoxalement, ne contribueront pas à améliorer la durabilité des bâtiments… Même si les usagers ne sont vraisemblablement pas tous bien conscients des déficiences de ce système constructif, et cherchent plutôt à montrer qu’ils ont les moyens, cette technique apparait essentiellement comme une mode dépensière, et pas comme une solution raisonnable pour l’entretien du patrimoine bâti de Djenné.

 

Ces observations amènent non seulement à questionner la validité de cette option, mais aussi à s’interroger sur les motivations des propriétaires qui ont recours à cette technique.

 

Un travail d’enquête pourrait probablement confirmer que trois facteurs concomitants sont à prendre en considération pour comprendre cette mode :

- la lassitude des chefs de famille qui voient dans le travail de recrépissage annuel une contrainte dont il convient de se libérer ;

- la volonté d’afficher qu’on est partisan d’adopter les dernières nouveautés, quelles qu’elles soient, pour montrer qu’on est moderne,

- le désir de se faire valoir et de montrer son statut social en ayant recours à une technique coûteuse.

 

Conclusion

 

Il parait sage d’enrayer cette tendance qui risque d’entraîner à moyen terme l’altération du patrimoine bâti et la perte de l’identité unique et exceptionnelle de Djenné comme ville construite en terre crue.

 

Pour y parvenir, il conviendrait de réaliser un important travail d’information et de sensibilisation, s’adressant à la fois aux maçons et aux chefs de famille, en s’appuyant notamment sur la comparaison des coûts et les autres données techniques énoncés ci-dessus.

 

Parallèlement, un travail de recherche et d’amélioration de la qualité et de la durabilité des enduits en terre crue, prévu dans le cadre du projet de construction de la Maison du Patrimoine, trouvera tout son sens puisqu’il devrait permettre de réduire la fréquence de l’entretien (une durabilité de trois ans semble être un objectif raisonnable à atteindre) sans présenter au niveau technique les inconvénients du parement en briques.

Olivier Scherrer, constructeur spécialisé en terre

_______________________________________________________

DOCUMENT 2

 

 

Le rôle des maçons et de l’apprentissage

dans la pérennité de l’architecture vernaculaire de Djenné

 

 

 

Pendant les saisons de construction 2001 et 2002, j’ai peiné en travaillant avec des équipes de maçons de Djenné. L’objectif de mon travail de terrain, comme anthropologue, était de mieux comprendre la gestation de la formation technique et de la socialisation qui se produisent pendant l’apprentissage d’un maçon, et qui en fin de compte forgent son identité professionnelle, ses pratiques, son sens de la responsabilité. En bref, mes recherches auprès des maçons ont démontré que leur pédagogie n’est pas basée sur le langage, ni prescrite en termes rigidifiés par un organisme officiel. Au contraire, les compétences qualifiées et les pratiques qu’inculque la formation sont enseignées et apprises sous une forme participative organisée « sur le site », et les standards de la formation par cet apprentissage sont négociés et sanctionnés dans le contexte hiérarchique des interactions professionnelles entre maîtres et maçons (Marchand 2001 ; 2003a ; à paraître).

 

La tradition architecturale distinctive de Djenné, comme celle d’autres villes et cités où fleurit l’art de la construction, a été perpétuée non par une conservation rigide des maisons et monuments survivants, mais plutôt par la transmission dynamique et attentive, d’une génération à la suivante, de la connaissance basée sur la qualification (Marchand 2003b). Un professionnel accompli apprend à négocier les frontières de la ‘tradition’ dans son métier, et il acquiert aussi un répertoire de connaissances culturelles spécialisées et de secrets du domaine occulte liés à son métier. La maîtrise de ces diverses formes de connaissance est manifeste dans sa compétence à produire et reproduire un environnement bâti qui ait du sens. Un tel environnement bâti comporte à la fois l’architecture et les espaces urbains qui, ensemble, répondent de façon dynamique aux besoins changeants et aux aspirations des habitants, tout en les conditionnant et en restant enracinés dans le dialogue avec l’histoire et avec le lieu.

 

Les maçons et leur apprentissage

 

La profession de maçons est probablement ancienne à Djenné. Les témoignages archéologiques du site voisin de Djenné-Djeno montrent que cette localisation stratégique sur la rivière Bani a connu une civilisation urbaine prospère, avec une division du travail bien développée dès une période ancienne. (S. Keech McIntosh, 1995 : 392)  Tous les maçons avec lesquels j’ai travaillé à Djenné proclamaient fièrement leur identité bozo. (Marchand, 2003c) Des membres d’autres groupes de la population diverse de la ville sont aussi entrés dans le métier de la construction depuis les sécheresses des années 1970 et 1980, et représentent une minorité croissante. En général les maçons, comme les autres professionnels, occupent un statut de classe moyenne dans la société de Djenné et, contrairement à ce que prétend Prussin (1970 :18), ils sont estimés pour leurs compétences techniques, leurs pouvoirs professionnels occultes, et leur sens de l’organisation coordonnée. La communauté des maçons est essentiellement une gérontocratie, incorporée dans l’institution de type corporatif qu’est le barey ton (l’association des maçons), et présidée par un chef élu.

 

A l’époque de mon étude, la durée de l’apprentissage d’un maçon était assez longue, quatre années ou plus selon l’âge du candidat. L’apprentissage formel pour le jeune apprenti se poursuit sous la tutelle de membres anciens de la profession jusqu’à ce qu’il ait établi sa première clientèle propre et soit parvenu à être considéré comme « maître » par ses collègues et par le public. La relation maître-apprenti et le processus de guidance durable sont fondamentaux non seulement pour l’apprentissage des compétences techniques mais aussi pour le développement social des deux hommes concernés. Le maçon apprend le rôle de mentor à la fois dans le contexte participatif du chantier de construction et dans ses interactions sociales avec l’apprenti en dehors du lieu officiel de travail. Il introduit graduellement son élève aux instruments, matériaux, bénédictions secrètes, aux processus et procédures de prise de décision, et, ce qui est important, à la nature négociée des relations avec les clients, les fournisseurs, les membres de l’équipe et les compagnons maçons. C’est l’immersion du maçon lui-même dans ce dialogue et son engagement actif dans ces relations variées, sociales et professionnelles, qui informe sa vision du monde et produit son sens de l’identité. Cette implication intense auprès de son apprenti provoque une reconnaissance et une réflexion critique sur son rôle, son pouvoir et ses responsabilités dans la reproduction de la profession et du cadre bâti de Djenné.

 

Les connaissances du maçon, comme toute autre, ne sont pas enfermées privativement dans son esprit, mais incorporées à ses activités qualifiées, à ses réalisations sociales et à tout ce qu’il fait. Connaissances, activités, réalisations sont manifestées publiquement et donc accessibles à la sagacité de l’apprenti et à l’appropriation par lui. La connaissance que manifeste le maçon et l’identité qu’il exprime –en conjonction avec les instruments, les matériaux et l’organisation physique du chantier de construction– structurent l’environnement de la formation de l’apprenti. L’investissement engagé par l’apprenti en travail physique non rémunéré, l’obéissance, l’attention exacerbée, la ruse sociale stratégique, et l’imitation soigneusement composée aboutissent progressivement chez lui à une réalisation techniquement et socialement compétente. L’apprenti espère que sa qualification, mise en œuvre, sera reconnue par son maître et récompensée par le don d’un outil de base, et, finalement, par la transformation de son statut en celui de maçon.

 

Il faut insister cependant sur le fait que la reproduction de maçons qualifiés et des compétences du métier n’est en aucune façon statique, ou de conformité générique. Plutôt, la longue gestation de la connaissance pratique et sociale pendant l’apprentissage, et la période suivante de tutelle, créent une compréhension intime des possibilités matérielles, structurelles et esthétiques, compréhension qui, à son tour, autorise un degré d’innovation créative. Ces innovations, qui sont attribuées de façon caractéristique à des maçons réputés, étendent les frontières discursives de la tradition, et ont la capacité de ré-inscrire dans l’architecture de Djenné, pour ses habitants modernes, des significations et des valeurs modernes.

 

Pour une tradition constructive durable

 

Une recherche centrée sur les connaissances acquises par la pratique du métier de maçon permet d’aller au-delà des dichotomies classiques entre « esprit et corps », « théorie et pratique », et « tradition et modernité ». Du point de vue avantageux qui est celui de l’anthropologue, la tradition de construction à Djenné peut être comprise essentiellement comme un ensemble de pratiques qui font sens, plutôt que comme un paysage d’objets matériels à conserver pour leur forme unique ou pour quelque valeur historique inhérente. Pour les résidents, vivre dans ces maisons de style historique a été le fait saillant de la construction quotidienne, phénoménologique, d’un « lieu » (Casey, 1996), à laquelle ils se livrent. L’architecture de Djenné a été autant un moyen d’expression –social et culturel– qu’un instrument de formation de la compréhension de soi, sociale et culturelle, qu’ont les gens de Djenné.

 

L’architecture de style soudanais continue à être l’un des pivots de la construction de l’identité locale, malienne et même pan-sahélienne. L’intérêt international pour cette forme monumentale, urbanisée, d’expression culturelle –débutant  avec les administrateurs coloniaux et attirant plus récemment les officiels de l’UNESCO, les partisans de la conservation du patrimoine, les chercheurs étrangers et les touristes– a introduit quantité de positions nouvelles et évolutives qui entrent en compétition pour contrôler la signification du patrimoine architectural de Djenné. Cependant, je prétends que c’est la connaissance produite et reproduite par les maçons et leur association professionnelle, le barey ton, qui a la place centrale dans la pérennisation de ce discours. Toute intervention proposée de protection, tout projet de développement concernant la ville, doivent par conséquent reconnaître le statut d’expert, négocié au cours de l’histoire, de ces hommes de l’art, et le pouvoir de décision qui résulte de cette position. Les maçons ne Djenné ne font pas que fournir des habitations, ils élèvent des bâtiments qui dénotent (et édifient) le prestige socio-économique de leurs propriétaire ; ils garantissent la prospérité et le bien-être des habitants par leurs bénédictions secrètes, par des objets bénis, par des amulettes ; et, de façon cruciale, ils produisent les générations successives d’agents qualifiés dotés d’une combinaison complexe d’expertise technique, sociale et occulte.

 

Si l’on veut que la tradition constructive de Djenné, définie comme les pratiques des maçons et leur système d’éducation, perdure pendant le vingt-et-unième siècle et au-delà, alors un certain nombre de questions essentielles doivent être considérées et assumées par les acteurs qui ont un intérêt pour le patrimoine de la ville. Voici quelques-unes de ces questions, cette liste n’étant en aucune façon exhaustive :

 

1) D’abord, il convient de laisser fonctionner sans entrave le système d’apprentissage. Toute tentative d’assurer la reproduction des styles historiques par la mise en place d’écoles professionnelles formalisées ne pourrait que désamorcer la qualité évolutive de la tradition de construction en terre de Djenné. Le type d’apprentissage de formules qui est celui des écoles professionnelles ne peut pas remplacer la rigueur de la relation maître-apprenti qui instille une constitution morale du caractère tant chez l’élève que chez le maître au fil de la production de la compétence. La longue période d’engagement direct dans le contexte pratique imprègne progressivement le bâtisseur d’une large connaissance des paramètres techniques et sociaux de l’environnement. Une capacité de création contrôlée par la raison permet au maître-maçon de manipuler stratégiquement ces paramètres et de négocier et transformer les traditions tout en leur conservant un sens.

 

2) L’approche « muséale » de la conservation de la cité doit être évitée. En tant que site urbain vivant, Djenné, avec ses maisons en briques crues, a toujours été dans un état de flux et de reflux, de processus plutôt que de produit fini ou de création architecturale achevée. Des étages ont été ajoutés, la forme et la fonction des pièces ont été modifiées, les décorations ont été sculptées et refaites, tout cela en réponse aux changements, entre générations, dans la taille des familles, l’économie domestique, les besoins personnels et les goûts. Les matériaux de construction permettent une flexibilité sans pareille, et peuvent être réutilisés, recyclés, ou abandonnés à la décomposition sur le sol, et ils devraient donc être célébrés et promus en raison de ces qualités économiques et écologiques.

 

3) Les initiatives de développement devraient tendre à promouvoir et établir une offre durable de matériaux de construction disponibles sur place. Les projets de plantation et de reforestation sont nécessaires pour conserver une offre de rôniers mûrs et sains pour la construction des plafonds et des torons, et de divers types de bois durs pour la fabrication des portes et des fenêtres en grille de bois de ‘style marocain’. Les systèmes de gestion des eaux doivent s’efforcer de conserver la propreté de la rivière, et du système de marigots et de marécages autour de la ville, de façon à offrir un approvisionnement hygiénique en boue pour les briques et crépis. L’introduction de canalisations d’eau il y a deux décennies n’a pas été accompagnée par la création d’un système d’égouts pour la filtration et l’évacuation des eaux usées. Des caniveaux à ciel ouvert et des mares d’eaux stagnantes ont déjà créé de sérieuses menaces pour la santé et sont dangereuses pour la stabilité structurelle des constructions en terre. Les ordures et les déchets toxiques incorporés dans les sédimentations de la boue sont eux aussi dangereux pour ceux qui fabriquent les briques et pour les constructeurs. La menace peut-être la plus grande provenant d’une vaste opération d’aménagement hydraulique est celle que représente le projet de barrage de Talo, prévu sur la rivière Bani, et situé à l’amont de Djenné. Non seulement ce barrage pourrait altérer les pratiques de la pêche et de l’agriculture, l’économie locale, le climat, l’environnement dans le delta intérieur du Niger, mais il pourrait aussi diminuer de façon substantielle le dépôt annuel d’alluvions de vase, à l’aide duquel les maisons et mosquées de la région sont bâties (F. Gallier, 2002).

 

4) Il faut encourager le goût de ses habitants pour l’architecture et la tradition constructive de Djenné, et reconnaître sa valeur sociale, économique et écologique. De façon à revivifier et soutenir les associations qui se font dans l’esprit de la population entre le style soudanais et le statut ou le prestige, il faut contester la dichotomie post-coloniale entre tradition et modernité. Les associations entre tradition et conservatisme ou caractère rétrograde, et l’affiliation conceptuelle de la modernité avec le béton, la tôle ondulée et tout ce qui vient de l’Occident doivent être détruites. Une modification des attitudes ne peut être obtenue que par un processus éducatif qui promeuve les investigations scientifiques, les publications, les expositions destinées au public et les discussions ouvertes. Tant que les élites du Mali continueront à concevoir l’architecture de terre comme la propriété de leurs frères ruraux affligés par la pauvreté, la tradition constructive de Djenné, aussi bien que la diversité des autres traditions constructives partout dans le pays, sera progressivement dénigrée et pourra un jour cesser d’exister.

 

Conclusion

 

En  conclusion, les partisans de la conservation, les architectes, les planificateurs, les experts en développement et les scientifiques devraient s’efforcer de rendre du pouvoir aux maçons (et aux autres artisans) de Djenné, non pas en les protégeant de façon paternaliste contre la fragilité de leur économie ou l’évolution des goûts et des demandes de leur clientèle, mais en leur donnant au contraire une plus grande autonomie et un rôle central dans leurs projets et dans leurs études. Les maçons doivent être ré-introduits au centre des discussions concernant le patrimoine architectural de leur ville et son futur en tant qu’environnement urbain, alors qu’ils en sont tenus à la périphérie. Les chercheurs et les professionnels doivent les engager activement dans un dialogue interdisciplinaire portant sur la question de la « connaissance » en relation avec toutes les traditions constructives. Un regard élargi sur la « connaissance » devrait porter au-delà des connaissances conceptuelles exprimées par les propositions traduites par le langage parlé, et inclure le comportement qualifié, technique et social, des maçons. Cette connaissance incorporée est apprise dans le contexte situé du chantier de construction, et par conséquent le rôle et la pérennité de cette formation donnée par l’apprentissage, doivent avoir une place éminente dans la conservation de la tradition constructive de Djenné. Reconnaître l’importance de l’apprentissage dans l’appui à une architecture dynamique et porteuse de sens devrait, espérons-le, amener à une ré-évaluation de ce mode d’éducation « traditionnel », et suggérer de considérer sérieusement comment il pourrait être revitalisé dans les sociétés occidentales.

Trevor Marchand,

 School of Oriental & African Studies, Londres

 

Remerciements

Je voudrais remercier l’Académie Britannique et l’Ecole des Etudes Orientales et Africaines pour leur appui au travail de terrain en 2001 et 2002, ainsi que le Professeur Rogier Bedaux pour son assistance et ses encouragements sans prix. Je voudrais aussi remercier les maçons de Djenné qui ont rendu ma recherche si parfaitement agréable et profitable.

Le contenu de cet article est extrait d’un chapitre plus conséquent dans L. Asquith & M. Vellinga (eds) Vernacular Architecture in the 21st Century (Taylor and Francis, à paraître), et de ma monographie (à paraître) sur Les maçons de Djenné.

 

Références

 

Casey, E. 1996. ‘How to Get from Space to Place in a Fairly Short Stretch of Time’, in S. Feld and K. Basso (eds) Senses of Place. Santa Fe, N.M.: School of American Research Press. Pages 13-52.

Gallier, F. 2002. ‘Analyse du Projet de Barrage de Talo et ses consequences prévisibles sur les systèmes de production ruraux du Djenneri’, in Djenne Patrimoine Informations, number 13:15-27.

Marchand, T. 2001. Minaret Building and Apprenticeship in Yemen. London: Curzon.

___ 2003a. ‘Rang Professionel Laborieusement Acquis; devenir maître maçon à Djenné’, in R. Bedaux et al. (eds) l’Architecture de Djenné. Gent: Snoeck.

___ 2003b. ‘Process Over Product: case studies of traditional building practices in Djenne, Mali, and Sana, Yemen’, in F. Matero & J.M. Teutonico (eds) Managing Change: sustainable approaches to the conservation of the built environment. LA: Getty Conservation Institute & Trust Publications.

___ 2003c. ‘Bozo-Dogon Bantering: policing access to Djenne’s building trade with jests and spells’ in Traditional Dwellings & Settlements Review, Spring 2003, vol. 14 (2):47-63.

____ forthcoming. The Masons of Djenne.

McIntosh, S. Keech (ed.) 1995. Excavations at Jenné-Jeno, Hambarketolo, and Kaniana (Inland Niger Delta, Mali): the 1981 season. Berkeley: University of California Press.

Prussin, L. 1970. ‘Sudanese Architecture and the Manding’, in African Arts, volume 3, number 4:13-19 and 64-67.

Table des matières Bulletin

Précédent/ Suivant