DJENNE PATRIMOINE

BP 07 DJENNE Mali

 

DJENNE PATRIMOINE Informations

numéro 3, juillet 1997

 

NOUVELLES DE DJENNE

Djenné est encore loin de tout ! Nos amis qui vivent à l'extérieur du Mali, et même certains qui habitent ce pays, ne doivent pas oublier que Djenné ne dispose encore que d'une seule ligne téléphonique, et que le courrier n'y arrive et n'en sort qu'une fois par semaine, le lundi. Et que le bac est usé, tout rapiécé par dessous, avec un moteur à nouveau à bout de souffle après environ trois ans de service. Si donc il se trouve que vous arrivez vers Djenné en fin de journée, le dernier mercredi de l'année lunaire (tombant cette année le 2 juillet), vous risquez d'être retenu à Sanonna, à la nuit tombée, par la conjonction d'une réparation urgente immobilisant le bac et d'une soudaine tornade sêche ! Mais pourquoi voyager ce jour-là ? Ignoriez-vous la tradition de Djenné qui conseille de ne pas se laver, de ne pas laver ses habits, de ne pas se tresser, de ne pas voyager ce dernier mercredi de l'année lunaire !

Djenné change vite ! Depuis le mois d'avril, on y trouve deux antennes paraboliques, l'une chez un particulier et l'autre au Campement. C'est ainsi qu'à la fin du mois d'avril un groupe assidu de jeunes djennenkés supporters des diverses équipes assistaient chaque soir aux retransmissions des matches de la Ligues des clubs champions. Bien entendu, il y a de plus en plus de téléviseurs installés dans les domiciles privés ; les programmes sont ceux que l'ORTM diffuse à partir de Bamako à l'aide d'une station relais installée à Djenné même. L'important est que, désormais, ce puissant moyen de diffusion planétaire arrive jusqu'à Djenné, c'est-à-dire commence à occuper une partie du temps dont disposent les Djennenkés, et à leur fournir ces nouvelles qui sont sélectionnées et préparées pour la plus large diffusion planétaire (par exemple, et tout récemment, par trois fois en une heure, l'incident entre deux boxeurs dont l'un a arraché un morceau de l'oreille de l'autre ! Passionnant, n'est-ce pas !). Décidément Djenné change vite !

Djenné change lentement ! Un groupement d'intérêt économique (GIE au sens du droit malien, petite entreprise créée par des jeunes qu'on dit "diplômés sans emploi", et qui peuvent être non diplômés mais employés !), dénommé Djenné Henney (Djenné propreté, en songhoï) a été créé pour assurer le ramassage des ordures dans la ville. C'est une nouvelle initiative, après les efforts de Dental, association de jeunes de Djenné, qui a organisé dès 1994 des journées de salubrité en ne recourant qu'au bénévolat, et après les efforts de Faïda, une association de femmes qui balayait la ville une fois par mois et n'a jamais reçu pour cela qu'un petit cadeau. Il arrivait même que ces deux associations travaillent ensemble. Cette fois-ci, le GIE a commencé à se manifester en nettoyant, chaque mardi, la grande place située devant la mosquée (cette place sur laquelle se tient le marché, le lundi), ainsi que la rue principale qui va de cette place à l'entrée de la ville, du côté du Cercle. Ce nouveau groupe a bénéficié, de la part de l'administration, d'un don de matériel offert il y a un an environ par la GTZ "pour encourager toutes les associations de jeunes qui travaillent" (quelques incinérateurs, une dizaine de brouettes, des pelles et des râteaux, et même des gants) et il a pu se mettre au travail tout juste trois semaines avant l'arrivée de la mission AGETIPE-Getty Conservation Institute (voir plus loin), ce qui tombait évidemment on ne peut mieux ! La Coopération des Pays-Bas se serait montrée disposée à aider qui entreprendrait ce genre d'activité, il fallait donc faire ses preuves. Pour l'instant, le GIE Djenné Henney loue une ou deux charrettes, et les ânes pour les tirer, chaque mardi ; les animateurs du projet disent qu'ils se contentent de contributions volontaires des habitants du centre-ville, ce qui, à vrai dire, n'inspire pas une grande confiance dans la solidité de l'affaire ! Il faut savoir que Dental n'a pas voulu reprendre en charge cette activité faute d'avoir pu convaincre l'administration d'adopter quelques mesures simples, notamment l'instauration d'une taxe modique sur les marchands.

Djenné ne change guère ! Un hippopotame a été abattu devant Djenné le 24 avril. Un de ces mammifères porcins avait fait des dégâts vers Soa (village situé à une vingtaine de kilomètres à l'ouest de Djenné) dans les semaines précédentes : un pêcheur l'aurait dérangé par inadvertance en le piquant avec sa perche, l'hippopotame serait parti, puis revenu, brisant la pirogue et déchiquetant le pêcheur ; le village avait décidé de l'abattre, mais cette mauvaise bête avait profité de la chasse pour tuer encore un villageois et s'échapper. Voilà ce qu'on nous raconte: animal vicieux, pauvres humains.

Il est sûr qu'il faut abattre les animaux qui ont attaqué et tué. Un chasseur confiant dans les messages de ses puissances occultes a donc été requis dès qu'un hippopotame a été signalé devant Djenné. On dit aussi que l'animal sortait à Fokoloré, petit village à 2 km de Djenné, qu'on avait vu ses traces ici et là, qu'il allait chercher sa nourriture auprès des habitations, que les habitants avaient donc peur, et que l'administration, elle, "ne pouvait pas prendre la responsabilité d'aller au devant de nouvelles morts d'hommes".

Le 23 au soir, le chasseur était posté sur la berge, à Tiéméla, à un endroit où une dune surplombe l'eau d'un mètre environ. Le 24 au matin, il y avait foule pour voir l'hippopotame mort, qui avait été halé sur la berge, et les rimaïbe (dépendants des Peuls) étaient nombreux pour se partager sa chair (on parle de rimaïbé parce que d'autres habitants de Djenné et de sa région ne peuvent pas toucher à cet animal). Le 25, le chasseur était devant la Maison des Hôtes, paradant, un griot chantant son exploit. Mais voilà ce qu'il a bien fallu admettre : l'animal qu'on a abattu n'était pas celui qui avait commis les dégâts, c'était un jeune, et on sait que les femelles cachent leurs jeunes mâles pour les mettre à l'abri de l'agressivité des vieux mâles.

Voilà ! Est-il opportun de se demander quel patrimoine mérite d'être protégé à Djenné, et quel rôle l'administration pourrait éventuellement jouer dans la protection du patrimoine naturel ? On verra bientôt à la télévision que dans tel ou tel pays, l'administration réintroduit des loups ou des ours, même si certains se plaignent des risques, bien réels assurément, de ces opérations. Quelles explications l'administration des eaux et forêts est-elle capable de donner et quelles responsabilités est-elle capable de prendre ? Quant à la population, est-elle abandonnée à ses peurs ancestrales ? A-t-elle oublié la légende de mali Sadio, l'hippopotame Sadio, que connaissent tous les Mandingues ? A-t-elle oublié le pacte entre les hippopotames et la population des villages de Senossa, Kandia et Gomitogo ? Nous rapportons la première de ces légendes plus loin dans ce bulletin (et nous reviendrons sur le pacte dans un prochain numéro).

 

Ravages de l'érosion sur le site de Djenné Djèno (décembre 1996) :à gauche, un "canari" dégagé par l'érosion, à droite le sol jonché de tessons.

 

 

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NOUVELLES DU PATRIMOINE DE DJENNE

Les travaux de restauration de certaines maisons de Djenné ont commencé au début de l'année 1997. Sont concernés par la première tranche le gartao (la maison de la chefferie du village), la maison mitoyenne (celle du marabout Traoré), et la maison située en face sur la placette, maison du frère du chef de village : toutes ces maisons sont donc situées dans le quartier Algassouba.

La restauration implique dans certaines parties de ces immeubles une reconstruction pure et simple des murs à partir du niveau du sol. Dans un cas sur trois (celui de la maison du frère du chef de village), elle s'est accompagnée d'une complète réorganisation de l'espace intérieur. Dans un cas (celui de l'école coranique du marabout Traore), on a adapté l'immeuble, qui était pratiquement en ruine, à la nouvelle destination qu'on lui assigne (bureaux du projet de restauration lui-même). La reconstruction est faite en utilisant de grosses briques de terre sèche, en forme de moellon, dites toubabou ferey, et pas les djenne ferey, qui dans la tradition étaient moulées à la main et avaient une forme à peu près cylindrique et la taille d'un gros poing : cette dernière technique aurait pris trop de temps, nous a-t-on expliqué, notamment parce que la construction en djenne ferey ne permet de monter que 60 cm de mur chaque jour, ce qui peut allonger considérablement le temps d'exécution du travail. Ce temps est déjà long parce que, au moins dans certains cas, les familles souhaitent qu'on n'utilise pour la reconstruction que la terre provenant de la maison à restaurer elle-même (il faut donc détruire ce qui doit l'être avant de commencer la fabrication des briques). Un autre avantage des briques modernes en terre sèche, c'est qu'on peut remplacer par des murs de 60 cm d'épaisseur les anciens murs qui atteignaient généralement 80 à 100 cm. On gagne donc en surface intérieure, et les propriétaires des bâtiments s'en félicitent.

Ces travaux sont dirigés par l'architecte Sébastien Diallo, et le maître-maçon est Boubacar Kouroumansé (dit Bayéré). Les maçons des familles sont évidemment associés au travail : Sékou Traoré, le maçon de la famille du marabout, Brahima Toumagnon, maçon de la famille du chef de village, et Komoussa Tenepo, maçon de la famille du frère du chef.

La prochaine tranche de travaux devrait concerner la maison de Sirandou Bocoum, directrice du second cycle à Djenné, celle de Kadidia Mamoudou Cissé, veuve, vendeuse d'arachides (maison détruite depuis dix ans), et peut-être celle du marabout Sory Ba Yaya Bocoum (école coranique de Sankoré).

Recherche et sauvegarde à Djenné-Djeno, la campagne 1996-1997

"La recherche archéologique a repris à Djenné-Djeno et sur plusieurs buttes satellites pour le vingtième anniversaire des premières fouilles scientifiques organisées en 1977 par les Professeurs Roderick et Susan McIntosh. La campagne 1996-1997 a été dirigée par R. et S. McIntosh, Boubacar Diaby (chef de la Mission culturelle de Djenné), et Tereba Togola (archéologue, Institut des Sciences Humaines). Cette campagne avait deux objectifs : 1) continuer à étendre notre compréhension de la fondation, il y a plus de deux millénaires, et de la croissance de l'ancienne cité ; 2) trouver des solutions pratiques à la terrible situation d'érosion dans laquelle se trouve le site.

"Plusieurs griffes d'érosion, certaines profondes de près de six mètres, sont apparues à Djenné-Djeno. Ces ravines ont été creusées par les pluies abondantes de ces dernières années. Cependant, Djenné-Djeno a été exposée à ce risque pendant six siècles, depuis que ses derniers habitants l'ont quittée, sans qu'il y ait de traces d'une érosion si massive. C'est que le site -et l'histoire la plus ancienne de Djenné que les archéologues y découvrent- sont victimes du pillage des années 1980 et du début des années 1990 : les pilleurs ont laissé de nombreuses excavations à la surface du site, et maintenant, presque chaque ravine prend son origine dans un trou laissé par eux. Le pillage s'est arrêté à Djenné-Djeno, du fait des efforts de la Mission Culturelle et des habitants de Djenné. Cependant, les ravages causés par les pilleurs persistent. Les archéologues sont venus à Djenné-Djeno pour fouiller certaines parties du site qui menaçaient d'être emportées par les prochaines pluies importantes, et pour trouver des moyens pratiques de stopper la croissance des ravines.

"En raison du grand danger que cela représente pour l'histoire de Djenné et pour tout le Mali, ce travail a été financé par un don du World Monument Fund (New York) à la Mission Culturelle de Djenné. En 1996-97, l'équipe d'archéologues maliens et américains a pu fouiller six points menacés. Le financement a aussi concerné plusieurs projets d'ingénierie archéologique : un système expérimental de diguettes pour stopper le ravinement, la réalisation d'une ceinture verte autour du site, et la construction d'un musée de site à la Mission culturelle pour aider à la sensibilisation des touristes et des habitants de Djenné. Pendant que le chantier de fouilles était ouvert, il y a eu beaucoup de visites du site, organisées pour montrer à la population de Djenné et des villages environnants, et aux visiteurs étrangers, pourquoi il est important de protéger le patrimoine archéologique du Mali. Des visites de journalistes venant de Bamako ont permis la parution de plusieurs articles dans le journal "L'Essor". La campagne 1996-97 à Djenné-Djeno est un bon exemple de la façon dont des organisations locales, telles que "Djenné Patrimoine" et la Mission Culturelle, peuvent se joindre à des agences internationales de protection du patrimoine pour éviter aux sites maliens du patrimoine mondial des dommages irréparables, voire la destruction."

Roderick J. McIntosh, 27 juillet 1997

 

On a aussi vu se réaliser à Djenné un chantier international de restauration de sites, du 27 février au 9 mars, chantier organisé par la Commission nationale pour l'UNESCO et l'administration malienne. Ce chantier faisait suite à un chantier national de restauration, qui avait eu lieu en décembre 1995, entièrement organisé par l'administration malienne avec la participation de toutes les associations de jeunes de Djenné. Le chantier national avait commencé à réhabiliter la Maison des Jeunes, et à en recouvrir le mur Nord-Ouest de briques cuites, pour le protéger de la pluie ; il avait aussi commencé à rehausser le mur du cimetière de Konofia. Ces travaux ont été repris et menés à bien par le chantier international (il faut dire que le revêtement de briques cuites avait été purement et simplement mis à bas par les infiltrations pendant la dernière saison des pluies !).

Il conviendrait manifestement de faire le bilan de ce genre d'opération. Certes, le chantier international a permis d'accueillir à Djenné une cinquantaine de jeunes, dont 5 seulement provenant de pays voisins (Burkina, Côte d'Ivoire, Guinée-Conakry, Sénégal, Togo) à côté de 3 à 5 originaires de différentes régions du Mali, et 15 de la région de Mopti. On ne sait pas exactement ce qu'ils en auront retiré, surtout lorsqu'on constate que, si le cimetière de Konofia a bien été clôturé, et doté d'une belle porte de style tombouctien, il n'a pas été débarrassé des vieilles casseroles et autres détritus que les voisins avaient l'habitude d'y jeter ! Quant à la Maison des Jeunes de Djenné, on se demande comment elle a pu être choisie comme "site" méritant de bénéficier d'une opération de " restauration ".

 

Une mission Ministère de la Culture-AGETIPE-Getty Conservation Institute a séjourné à Djenné les 3 et 4 juillet, pour préciser le contenu du programme à insérer dans le III-ème Projet urbain du Mali. Ce programme devrait permettre de réaliser certains travaux concernant l'assainissement de la ville de Djenné, l'aménagement de la rue principale, des berges, des anciens ports, de la mosquée, etc., ainsi que, ce qui nous intéresse au premier chef, la construction d'un musée.

Une réunion avec les associations a permis à l'administration de confirmer sa position : les associations sont bienvenues tant qu'elles savent se contenter de tâches de "sensibilisation de la population", mais elles doivent savoir que toutes les compétences, le pouvoir de décision et les capacités de gestion sont dans l'administration, et là seulement. Cette conception caporaliste de la société civile est évidemment aujourd'hui l'obstacle principal au développement local, mais DJENNE PATRIMOINE fera tout ce qui est en son pouvoir pour modifier cette situation (nous reviendrons sur ce sujet dans un prochain bulletin).

Cette réunion a aussi permis à DJENNE PATRIMOINE de réaffirmer sa position en faveur :

- d'un musée installé sur le terrain de l'ancien dispensaire ;

- d'un musée vivant ou dynamique, c'est-à-dire incitant les visiteurs, par les activités organisées en ce lieu pour eux (contacts avec les vieux, consultation d'archives, visite intelligente, animations musicales, conférences...) à aller découvrir partout dans la ville les richesses culturelles qui y sont présentes ; ceci n'implique pas que le musée soit une sorte de maison des artisans, mais que leurs produits actuels y soient mis en valeur ;

- d'un musée dont la gestion repose essentiellement sur des activités associatives.

Elle a aussi permis à DJENNE PATRIMOINE de proposer quelques autres idées : en particulier celle d'une station radio FM permettant d'informer et de former la population de toute l'aire d'intérêt archéologique.

 

 

NOUVELLES DE DJENNE PATRIMOINE

L'appel à propositions pour une campagne de fouilles scientifiques sur le site de Djenné ou dans les environs a été infructueux, et cet échec mérite des explications détaillées. Bien entendu quelques mauvaises raisons ont été avancées : certains ont fait mine de craindre qu'une association de notables n'ait été illusionnée par quelque étranger mal inspiré quant à l'intérêt de fouiller dans l'espoir de trouver des pièces d'intérêt muséal ; ou fait mine de craindre les prétentions de cette association en matière de conduite du chantier, ou de conservation des pièces; ou fait mine de protéger la liberté des archéologues dans leur recherche. En réalité, DJENNE PATRIMOINE n'a jamais rien proposé qui soit incompatible avec la réglementation malienne des fouilles, de la propriété des biens culturels ou de l'organisation des musées, ou qui soit au-delà de ses propres compétences, ou qui attente à la liberté de la recherche archéologique.

Mais l'administration a adopté, dès le mois d'avril 1996, l'attitude la plus intransigeante qui soit, et c'est donc cette attitude qui doit être expliquée, si possible : elle a refusé de participer au comité qui devait lancer l'appel à propositions, refusé de participer au comité qui aurait pré-sélectionné les propositions, et elle a interdit à tous ses agents d'y participer, ou de présenter des propositions (toutes précisions peuvent être données à ce sujet à tout lecteur intéressé).

Plusieurs raisons permettent éventuellement de comprendre cette attitude. L'administration a, visiblement, été surprise par la nouveauté de la procédure, qui impliquait effectivement une grande visibilité des objectifs visés et des moyens mobilisés, ainsi qu'une ouverture aux idées et éventuellement aux méthodes venant de tous les horizons et de toutes les équipes compétentes. Certains ont jugé inamicale l'idée même que les archéologues maliens puissent être mis en compétition avec d'autres pour l'organisation de fouilles sur le territoire malien. Mais les conditions d'une parfaite transparence ne sont pas nécessairement remplies par les pratiques habituelles, selon lesquelles une équipe étrangère liée de longue date à tel ou tel archéologue malien, qui a généralement acquis toute sa qualification en son sein, donne à ce dernier les moyens de travailler, et la couverture scientifique adéquate.

L'administration s'est par ailleurs alarmée de la provenance des fonds, puisque pour les milieux des musées publics et de l'archéologie, les collectionneurs sont l'ennemi juré. Nous savions que nous nous étions adressés à un collectionneur, nous savions l'intérêt de ses collections, puisque les musées publics les lui achètent depuis qu'il cherche à se dessaisir de certains de ses ensembles, nous savions l'intérêt que cette action de mécénat pouvait représenter pour lui, et nous avions jugé les avantages pour le Mali et pour Djenné plus grands que les inconvénients. L'administration en a jugé différemment, c'est son droit. Mais il convient d'ajouter que nous n'avons jamais pu recueillir, malgré des demandes répétées à certains de nos interlocuteurs, de preuve précise des reproches qui sont adressés par la rumeur à celui qui voulait être le premier mécène du futur musée de Djenné.

L'effort nouveau qui pouvait être entrepris, modeste (mais pas négligeable : exactement de la taille de celui qui a permis à R. et S. McIntosh de fouiller à nouveau, avec MM. Diaby et Togola, en décembre et janvier, voir ci-dessus), et qui pouvait s'avérer éventuellement incitatif, a donc été refusé : l'affaire est entendue. Chacun sait toutefois qu'il ne suffit pas d'une législation parfaite sur les fouilles et sur les exportations de biens culturels pour protéger le patrimoine archéologique : si c'était vrai, ce patrimoine serait, au Mali, en parfaite sécurité ! Non, il ne suffit même pas d'installer à Djenné un surveillant des sites, équipé d'une mobylette, pour faire diminuer de 95 % le pillage dans un rayon de 10 km, comme on l'a écrit avec naïveté ou rouerie dans African Arts (vol. 28, n° 4, p. 66). Certes, des efforts ont été faits et ont sans doute produit quelques résultats. Mais il en irait bien autrement si la population était réellement associée à la protection du patrimoine, c'est-à-dire chargée de responsabilités précises dans ce domaine. En outre, protéger le patrimoine archéologique exige aussi une politique déterminée et active en matière de fouilles (inventaire, conservation, mise en valeur, exploitation en matière éducative et touristique notamment), et cet aspect du dispositif fait, jusqu'à présent, totalement défaut au Mali.

DJENNE PATRIMOINE cherchera donc à nouveau à proposer à l'administration des moyens de mener des actions de fouille scientifique.

Parmi les autres activités menées par DJENNE PATRIMOINE au cours du premier semestre 1997, signalons rapidement que :

- l'effort de collecte de documents photographiques anciens se poursuit : un ensemble de 144 photographies a été reçu du Musée de l'Homme, des notices seront rédigées dans les prochains mois sur toutes celles qui présentent un intérêt particulier ; par contre, les tirages des photographies détenues par le Centre des Archives d'Outre-mer à Aix-en-Provence ou par le Musée de Vienne, ou encore par les Archives des Deux-Sèvres, n'ont pas encore été obtenus ;

- les discussions préliminaires avec les notables de Kouakourou et de Kolenzé ont été continuées : une mission de DJENNE PATRIMOINE (Ibrahim KONE, Françoise KONE, Papa CISSE, Amadou BAH, Baliki KONTAO) s'est rendue dans ces deux villages le 27 avril ;

- de premiers contacts ont été pris avec la Mission française de Coopération à Bamako (4 au 7 mai, puis 16 mai) afin de voir quelle contribution la Coopération Française pourrait envisager d'apporter aux activités de protection et de promotion du patrimoine en cours à Djenné, et comment ce bailleur se situe aujourd'hui par rapport aux activités que développent les autres dans cette ville ; on rappelle que c'est la Mission Française de Coopération qui a financé la mission chargée de définir le "concept" du futur musée de Djenné (cf. DJENNE PATRIMOINE Informations n° 1, juin 1996, p.2);

- des discussions ont eu lieu avec une mission de l'Office Malien du Tourisme et de l'Hôtellerie (le 9 juin), avec les ressortissants de Djenné en Côte d'Ivoire (le 18 juin), avec la Mission culturelle et les autres associations pour préparer la mission AGETIPE-Getty Conservation Institute (le 26 juin) ;

- une réunion de bureau élargie a eu lieu le 1er juillet pour préparer la mission AGETIPE-Getty Conservation Institute ; y assistaient notamment, autour des membres du bureau, Ba-Hasseye Maïga, chef de village, Amadou Soumaïla Diallo, enseignant en retraite, ancien député, Foourou Cissé, directeur d'école, Bé-Mamy Maïga, notable, Bareïma Gouro Bocoum, conseiller de village, Koniba Konaté, notable, Asmane Traoré, tailleur-brodeur, Hasseye-Mamy Touré, bijoutier, et Bara Cissé, commis d'administration en retraite, notable ;

- la préparation en collaboration d'un ouvrage destin‚ aux visiteurs cultivés de Djenné continue activement : plusieurs chapitres originaux, notamment ceux qui sont préparés à Djenné même, ont considérablement avancé.

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DOCUMENT

La légende de mali Sadio

Les Archives culturelles du Sénégal disposent d'un enregistrement sonore (référence b.o.72.004.03) d'un couple de griots mandinga chantant le souvenir d'une étrange légende :

"Aux dires de la légende, cette chanson a été composée par une jeune fille qui vibrait d'un amour-passion pour un jeune homme à la beauté irrésistible. Tous les soirs, le garçon venait la voir au village et, à l'issue de sa visite, elle l'accompagnait jusque vers les berges du fleuve. Jamais elle ne demanda d'où il venait, qui il était. Jamais il n'eut à lui dire qui il était, d'où il venait. Leurs cœurs consumaient d'une flamme forte leurs heures de vie commune nourries d'élans à nuls autres pareils.

"Un jour cependant vinrent des Blancs armés de fusils. Ils descendirent sur les berges du fleuve et tirèrent sur un hippopotame qu'ils tuèrent. Evénement peut-être anodin pour les Blancs chasseurs. Evénement crucial dans la vie paisible d'un village bercé par les flots du fleuve. Depuis ce jour, l'amoureuse ne vit plus cet autre, désormais devenu une partie d'elle-même. Le jeune homme à la beauté irrésistible, c'était l'hippopotame qui au sortir du fleuve se métamorphosait pour venir s'entourer de la chaleur d'une femme dont le cœur vibrait d'un amour-passion. Quand, après sa visite le soir, elle le raccompagnait vers le fleuve, il rejoignait les eaux en redevenant l'hippopotame qu'il était, quand elle avait tourné le dos.

"Elle comprit donc que son bien-aimé qu'elle ne voyait plus depuis ce jour fatidique, c'était l'hippopotame et sa peine fut grande.

"Elle ne s'en prit point à lui ; elle s'accommoda après coup de sa nature double. Mais elle accabla la méchanceté humaine, car si mali Sadio était mort, c'est que les hommes au regard perçant qui pénètre les ténèbres profondes de la nature de l'homme, les hommes qui "ont la tête", entendez les nantis d'un savoir occulte qui peut les rendre justiciers et équilibreurs de tensions sociales, ou malfaiteurs et agents de ces tensions, c'est que ces hommes avaient livré son bel homme aux Blancs, étant seuls à pouvoir saisir la réalité intime de son être. Elle pleura amèrement et chanta sa peine, invoquant avec insistance le nom mélodieux de son bien-aimé disparu."

Voici la complainte :

"Ah ! mali Sadio !

mali Sadio des deux fleuves

Je te le jure, l'amour est ainsi !

Plus jamais je ne pourrai aimer.

Ah mali Sadio !

Où se situe la reconnaissance ?

Ey, mali Sadio !

Où donc est Sadio ?

mali Sadio, où donc est mali Sadio ?

Ah ! Il dort du sommeil éternel !

Quand tes deux fils se battent, il y a toujours un vaincu.

mali Sadio !

mali Sadio que le destin fit maître des deux fleuves,

mali est mort !

mali Sadio !

mali Sadio qui aimait les risques !

Ce sont les Blancs qui ont humilié mali Sadio.

mali Sadio,

Le Noir, ce petit fils d'Adam, n'est pas bon."

A. Raphaël Ndiaye : La place des femmes dans les rites du Sénégal, Les Nouvelles Editions Africaines, 1986, p. 50-52

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Erratum : dans le numéro 2 de DJENNE PATRIMOINE INFORMATIONS, il faut lire "Projet de réhabilitation/restauration de l'architecture de Djenné" à la place de "Programme de réhabilitation..." ; d'autre part, deux vieux maçons font partie du comité de pilotage local, mais ni le Président de la corporation des maçons, ni Monsieur Sébastien Diallo n'en sont membres.

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Ont participé à la rédaction de ce numéro : Amadou Tahirou Bah, Joseph Brunet-Jailly, Hamma Cisse, Papa Moussa Cisse, Bamoye Guitteye, Boubacar Koïta dit Tapo, et Roderick J. McIntosh.

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