DJENNE PATRIMOINE
BP 07 DJENNE Mali
DJENNE PATRIMOINE Informations
numéro 4, janvier 1998
NOUVELLES DE DJENNE
Xème anniversaire du jumelage entre Djenné et Vitré
Le 27 avril 1987, Djenné scellait un jumelage avec Vitré dans le majestueux château de cette ville. En 1997, il convenait de célébrer dix ans d'amitié, de collaboration, d'échanges, d'entraide et de réalisations.
La fête a commencé à Vitré, où une délégation de 11 personnes a été reçue du 8 au 21 octobre. Cette délégation était ainsi composée : Monsieur Sidi Konaté, commandant de cercle, Président du comité de jumelage, Monsieur Mahamane Santara, député de Djenné, et Madame, Monsieur Foourou Cissé, directeur d'école et Premier vice-président du comité de jumelage, Monsieur Amadou Soumaïla Diallo, ancien député et secrétaire général du comité de jumelage, Madame Diallo Kadidia, Présidente de l'association des femmes maraîchères et artisanes, Monsieur Oumar Maïga, chef du secteur agriculture, Monsieur Samba Thiam, représentant la Mission culturelle de Djenné, Monsieur Ali Kouyaté, bijoutier-fondeur à Djenné, et Monsieur et Madame Tidiani Ben Wahab, amis du député et sympathisants du jumelage Vitré-Djenné !!! La délégation a eu le privilège de visiter tous les sites importants de Bretagne, et elle a assisté à l'inauguration d'une fontaine de Djenné à Vitré ; une conférence a été organisée sur l'histoire et l'architecture de Djenné, et une course a permis de recueillir des fonds qui seront versés au projet de coopérative des pêcheurs de Djenné.
Puis, le 29 octobre, c'était au tour de Djenné de recevoir les Vitréens. Leur délégation, conduite par Monsieur Pierre Méhaignerie, ancien ministre, Président du Conseil Régional de Bretagne, maire de Vitré, et Madame, était forte d'une trentaine de personnes, et elle a été accueillie par une population en liesse, chasseurs, flûtistes, nadadji, acrobates bambaras, lors d'une grande fête de réception qui se déroula, ce jour-là, de 16 h à 19 h 30. Le lendemain, la délégation et ses hôtes ont visité les réalisations menées à bien grâce à Vitré: trois classes à l'école franco-arabe, la bibliothèque de lecture publique, le bosquet, le reboisement de la place de la grande prière, et l'aménagement du parc à bétail, avant de procéder à l'inauguration du nouveau second cycle de 9 classes qui portera le nom de "Second cycle Vitré-Djenné". Puis a été posée la première pierre d'une fontaine de Vitré, sur la place de l'indépendance.
Djenné à l'heure du carême (ramadan)
Djenné est entrée le 31 décembre 1997, pour un mois lunaire, dans le temps du ramadan. C'est, pour tous les musulmans, une période de recueillement, de prière, de jeûne. La nuit se termine par un repas, qui doit être pris avant l'aube ; puis, de l'heure de la première prière, jusque vers 9 h du matin, la vie se meut au ralenti, et d'autant plus qu'il fait froid en cette saison. De 9 h du matin jusqu'à 14 h, tous les hommes adultes qui le peuvent sont à l'écoute du tafsir, où l'on traduit et commente le Coran. Les femmes peuvent, elles aussi, dans les vestibules, écouter la lecture et le commentaire de certains hadith.
Les ateliers n'ouvrent leurs portes qu'à ce moment, et pour le reste de la journée ; les femmes partageront leur temps entre des activités de production (par exemple la confection de colliers et bracelets de perles ou de plastique), avant de se consacrer, à partir de 16 h, à la préparation du repas qui suit la rupture du jeûne. La vingt-septième nuit du ramadan, dite Nuit du Kitimè ou Nuit du destin, chère au cœur des habitants de Djenné, est animée par une veillée de lecture ou de récitation du Coran, en entier, dans les grandes écoles coraniques, à travers toute la ville, jusqu'à la prière du matin.
Lors de cette prière, exceptionnellement, tout le monde, hommes et femmes, se rend à la mosquée, ce qui fait une foule immense ; à la fin de cette prière, c'est la fatiha, on se présente des félicitations et des souhaits de bonne et heureuse année.
NOUVELLES DU PATRIMOINE DE DJENNE
La question de la reconstruction de l'école en dur
L'école de Djenné a été créée en 1896, mais ses bâtiments actuels avaient été construits entre 1910 et 1915 sur les murs de l'ancienne mosquée de Sékou Amadou. Ces bâtiments en banco, très vétustes, exigeaient un entretien annuel difficile et coûteux. Le cercle de Djenné a obtenu un financement de la Banque Islamique de Développement pour la construction de 30 classes au total, avec, dans chaque école : direction, bibliothèque et latrines. Finalement, il a été décidé de construire 6 de ces classes (avec direction, bibliothèque, toilettes) à Djenné même, et les travaux, réalisés après appel d'offres par une entreprise sénégalaise (associée à une entreprise malienne), ont commencé, selon un plan-type imposé : construction en béton, à un étage, dans un style tout-à-fait étranger à l'architecture de Djenné !!!
Cette affaire est un regrettable exemple de l'incapacité de l'administration, et plus précisément des différents ministères et de leurs représentants locaux, à coordonner les réalisations financées par les divers bailleurs de fonds. La Mission culturelle a bien fait arrêter le chantier, mais en fin de compte elle n'a strictement rien obtenu : la construction a repris selon le plan-type et sans aucune adaptation du style architectural ; elle n'a même pas obtenu ce qu'elle avait tenté de négocier : que le mur d'enceinte soit en banco. Il est vrai que le chef de village et ses conseillers, les enseignants et les parents d'élèves, après avoir pendant des années constaté l'incapacité de l'administration à entretenir l'ancien bâtiment en banco, ont tous pris position en faveur d'une construction en dur. Cette position est bien compréhensible, elle devait manifestement être prise en considération, mais il était certainement possible de construire en dur dans un style qui ne jure pas avec l'environnement architectural, et on aurait sûrement trouvé des architectes maliens pour s'y essayer, et pourquoi pas, pour y réussir ! Une belle occasion manquée !
Car, qui va vraiment s'occuper de la défense du patrimoine de Djenné si l'administration montre, comme sur cet exemple, qu'elle en est elle-même incapable pour ce qui concerne les bâtiments publics financés par l'aide extérieure?
Mission de l'Institut Getty de Conservation (3-5 juillet 1997)
"A la suite de la mission Banque Mondiale de juillet 1996, l'Institut Getty de Conservation a effectué sa propre mission en vue de cerner en détail tous les aspects d'un projet pour la conservation de la ville de Djenné, dans le cadre du volet culturel du projet d'urbanisation et de décentralisation du Mali, et de rencontrer tous les acteurs. L'Institut Getty était représenté par Madame Lori Anglin, architecte, Mademoiselle Françoise Descamps, spécialiste en conservation, Monsieur Arié Rahamimoff, architecte et urbaniste, ainsi que Mademoiselle Kathleen Louw, coordinatrice. Cette mission était accompagnée par MM. Alpha Baba Cissé, architecte, Alhady Koïta, conseiller technique auprès du Ministère de la Culture, et Abdoulaye Tandina, chef de projet à l'AGETIPE.
"La mission, reçue le 3 juillet par Monsieur Diaby, chef de la Mission culturelle de Djenné, a été informée par ce dernier du rôle de cet organisme, a rendu visite au Commandant de cercle, a été reçue par les notables, dans la maison du Chef de village, en présence de l'imam, et a visité la ville en compagnie de MM. Sébastien Diallo et Boubacar Kouroumansé qui lui présentèrent notamment le programme de restauration des maisons de Djenné, avant de rencontrer, dans la soirée, les associations DJENNE PATRIMOINE, Dental et GIE. Le lendemain, 4 juillet, la délégation s'est divisée en deux groupes pour parcourir tous les quartiers de la ville, en comprendre la géographie et la topographie, en constater l'état, et mesurer les problèmes de conservation des maisons et d'évacuation des eaux, et observer l'état des berges. En fin de journée, elle a rencontré la corporation des maçons, pour se faire expliquer ses règles, mais aussi la formation des maçons et les problèmes actuels de ce métier. Le soir, un méchoui, suivi d'un spectacle de danses peules, était offert par les associations. Le 5 juillet a été consacré à l'examen des documents du projet, à la discussion du projet de Musée, et à la visite du site archéologique.
"Les membres de la mission ont été enthousiasmés et convaincus par la richesse des échanges et par la conscience des enjeux, comme par la volonté d'agir qu'ont manifestées les interlocuteurs maliens et par l'intérêt soutenu de divers partenaires extérieurs, comme par exemple la Banque Mondiale ou les Pays-Bas.
"La collaboration envisagée par l'Institut Getty découle de ses compétences en matière de gestion des sites. Pour répondre aux problèmes actuels auxquels la ville est confrontée, et pour anticiper les aspirations futures des habitants, il est proposé de définir un plan de gestion pour la ville. Ce plan devrait articuler les problèmes apparaissant aux différents niveaux de l'échelle de voisinage qui va de la concession à la région, en passant par le quartier et la ville, et programmer dans le temps des actions concertées de développement et de conservation à court, moyen et long terme. Au début de l'année 1998, l'Institut de conservation du Getty est en relation avec la Banque Mondiale, le Ministère de la Culture et la Présidence pour régler la question du financement de la mise en œuvre d'un tel plan de gestion.
"L'espoir de l'Institut Getty est d'entamer rapidement les activités de préparation de ce plan de gestion par une série de séminaires à Djenné même. Par ailleurs, l'Institut Getty pour l'Education est en train de préparer, avec l'Institut Getty pour la Conservation, à l'intention des élèves du primaire et du secondaire, des documents sur les sites du patrimoine mondial, et l'un de ces document sera consacré à la mosquée de Djenné ; il devrait paraître au cours de l'été 1998."
Kathleen Louw, janvier 1998.
Travaux de restauration des maisons de Djenné
Les travaux de restauration de certaines maisons de Djenné, commencés au début de l'année 1997, ont été terminés au gartao (la maison de la chefferie du village), dans la maison mitoyenne, celle du marabout Traoré, et dans la maison située en face sur la placette, maison du frère du chef de village, toutes dans le quartier Algassouba.
La restauration impliquait, semble-t-il, dans certaines parties de ces immeubles une reconstruction pure et simple des murs à partir du niveau du sol. Par ailleurs, elle est faite en utilisant de grosses briques de terre sèche, en forme de moellon, qu'on appelle localement toubabou ferey, à la place des djenne ferey, technique qui, nous a-t-on dit, aurait pris trop de temps.
Cependant, il apparaît à l'évidence que de tels travaux ne devraient pas être qualifiés de restauration au sens de la charte de Venise ! Ce texte, rédigé par le II-ème Congrès international des architectes et des techniciens des monuments historiques, organisé à Venise en 1964, a été adopté par l'ICOMOS dès 1965, et fait autorité en la matière(1).
Dans cette charte sont affirmés plusieurs principes qui concernent directement les travaux entrepris à Djenné. Ainsi, par exemple :
- "la conservation des monuments impose d'abord la permanence de leur entretien" (article 4) : s'est-on préoccupé de cet aspect fondamental de la question dans le projet financé par les Hollandais ? On nous dit que oui, mais les propriétaires ne le savent pas !
- "la conservation des monuments est toujours favorisée par l'affectation de ceux-ci à une fonction utile à la société ; une telle affectation est souhaitable mais elle ne peut altérer l'ordonnance ou le décor des édifices" (art. 5) : le principe d'une affectation des bâtiments à une fonction utile à la société a manifestement été respecté dans tous les travaux entrepris en 1997 ; le principe du respect de l'ordonnance et du décor a été retenu au gartao, l'a-t-il été dans les deux autres immeubles ?
- la Charte de Venise rappelle que la restauration "se fonde sur le respect de la substance ancienne et de documents authentiques" et qu'elle s'interdit des "reconstitutions conjecturales" ; ce respect de la substance ancienne doit être tel que, "tout travail de complément reconnu indispensable pour des raisons esthétiques ou techniques (...) portera la marque de notre temps", pour que ce qui a été ajouté puisse être clairement distingué de ce qui a été à proprement parler restauré : ce souci est-il présent dans les travaux qui ont été réalisés ? Le visiteur est-il capable de distinguer ce qui a été ajouté de ce qui était "la substance ancienne" ? La réponse est négative.
- "lorsque les techniques traditionnelles se révèlent inadéquates, la consolidation d'un monument peut être assurée en faisant appel à toutes les techniques modernes de conservation et de construction dont l'efficacité aura été démontrée par des données scientifiques et garantie par l'expérience" stipule l'article 10 : dans le cas qui nous préoccupe, les techniques traditionnelles étaient-elles vraiment inadéquates ? Elles exigeaient un peu plus de temps, et donc un peu plus d'argent, mais elles auraient parfaitement permis de reconstituer la "substance ancienne" des édifices !
Bien entendu, la Charte de Venise n'est pas un dogme, et ses principes sont discutés dans les milieux spécialisés. En particulier, la pertinence des principes de la Charte de Venise dans le cas de l'architecture vernaculaire est parfois contestée. Des experts qui connaissent la région nous disent par exemple, en s'appuyant sur un exemple proche, que, à la différence de ce qui vaudrait pour un monument européen, "les valeurs culturelles et patrimoniales d'un bâtiment dogon, par exemple, ne sont pas fonction de son ancienneté"(2). Ces conditions locales sont donc très différentes de celles de l'Occident où "la notion d'authenticité prend appui sur l'historicité de l'objet". Chez les dogons, nous dit-on encore, l'"historicité archéologique (...) n'est culturellement pas signifiante". Comme "l'importance culturelle, la fonction mémorielle et la valeur patrimoniale des édifices sont d'abord d'ordre symbolique", nous ne devrions pas être gênés de constater que "les piliers de togu-na, naguère en bois sculpté, sont aujourd'hui en terre et ornés de motifs décoratifs peints", même si nous savons que cette évolution est essentiellement une réaction contre le pillage de ces poteaux par les antiquaires. Nous lisons bien, mais nous nous demandons : qui parle si bien des dogons et de leurs valeurs ? Sont-ce les dogons eux-mêmes ? Non ! Alors, ne serait-il pas préférable de savoir ce qu'ils en pensent ? Et comment ils apprécient ces transformations ? Nous y reviendrons dans un prochain bulletin.
Cette critique de la Charte de Venise repose, on l'a compris, sur l'idée que le Nord ne doit pas imposer ses valeurs à la planète entière. Il y a là, à vrai dire, une idée que nous admettons volontiers, et que nous nous proposons même de défendre ! Mais faut-il supposer pour autant, et sans discussion ni preuve, que les valeurs des autres sont différentes des nôtres ?
Laissons ce point décisif de côté, au moins pour l'instant ! Notre auteur poursuit en disant que, pour placer la Charte de Venise dans une perspective pluriculturelle, il suffit de restaurer en respectant non plus l'authenticité historique ni celle de la matière, mais l'authenticité du savoir-faire. Cette notion concerne d'abord le choix des matériaux :on cite l'exemple du goûteur de terre, le bois de palmier, et leur mise en œuvre :maîtrise de la technologie de la terre crue, mais aussi choix des emplacements par les maçons bozo, seuls "à pouvoir communiquer avec les génies du lieu et accomplir les rites propitiatoires nécessaires". Et cette mise en uvre repose sur une organisation sociale particulière : place de la corporation des maçons dans la société. Tout ceci, qu'on voit coloré à souhait, presque folklorique, permettrait de protéger non pas une "substance ancienne" fétichisée, mais une "mémoire vivante".
Là encore, laissons la discussion et la controverse, pour ne retenir qu'un point: ceux qui veulent reformuler la Charte de Venise parce qu'elle donnerait trop de place, notamment, à la "substance ancienne" en viennent à proposer de ne pas tant s'attacher au respect absolu de la matière qu'à l'authenticité du savoir-faire ! Qu'a-t-on donc fait de l'authenticité du savoir-faire encore vivant à Djenné ?
Peut-on se satisfaire des arguments qu'on a entendus à Djenné, selon lesquels les spécialistes du djenne ferey "n'ont plus la patience d'apprendre aux jeunes à fabriquer ces briques, et surtout s'il faut en faire pour une centaine de maisons" ? ou encore selon lesquels l'utilisation du beurre de karité dans le mélange dont on fait la brique est très cher ? On nous a, à chaque visite du chantier, présenté le chef maçon et les maçons des familles, en faisant par là une claire allusion aux traditions. Mais n'ont-ils joué que le rôle de figurants sur un chantier qui se dit de restauration alors qu'il n'est que de pastiche ?
Les vrais problèmes sont ailleurs. Les habitants de Djenné veulent profiter de l'opération pour rendre leurs maisons plus habitables selon les normes du temps. Un seul exemple : il faut plus de place dans une chambre pour y mettre un lit que pour y poser une simple natte ! Et par ailleurs, ils n'ont pas adhéré à l'objectif de restauration, parce que cet objectif, qui est d'abord collectif et d'abord proposé par des étrangers à la cité, ainsi que les moyens de l'atteindre, n'ont pas été présentés, n'ont pas été discutés, longuement et directement, avec l'ensemble des propriétaires eux-mêmes.
Voilà ce qui est grave ! L'administration ne peut pas imposer la restauration à l'ensemble des propriétaires : la restauration ne peut pas se faire contre les habitants de Djenné, qui ne connaissent même pas, par exemple, la liste des maisons concernées par le projet et les raisons du choix de ces maisons. Les propriétaires sont inquiets, ils craignent qu'on ne les dépossède, et ils n'ont aucune confiance dans les discours paternalistes de l'administration. La restauration est même peut-être inacceptable, dans ses contraintes, pour certains propriétaires. Le manque de communication et de concertation avec toutes les familles concernées, collectivement, qui a été la règle d'une administration encore habituée à commander, montre aujourd'hui ses effets. La négociation individuelle en vue d'une restauration à proprement parler ne peut aboutir favorablement tant qu'il n'y a pas d'adhésion aux enjeux collectifs de l'opération. Bref, il est grand temps de changer de style dans la communication, et de remettre à plat les principes mêmes de l'opération !
Action de sauvegarde et mise en valeur des sahos
"Présents dans de nombreux villages du delta intérieur du Niger, les sahos demeurent un pan particulièrement méconnu du patrimoine culturel malien. Traditionnellement, la fonction des sahos est celle de maisons de jeunes au sein du village. C'est un lieu collectif, où les adolescents se retrouvent entre eux pour s'adonner à des tâches communes et nouer des relations. Le rôle social de ces bâtiments dans la société traditionnelle est par conséquent primordial, notamment pour la cohésion de la communauté.
"D'un point de vue architectural, il s'agit de constructions en terre crue de grande valeur s'ouvrant d'habitude sur la rue par cinq arcades. Les sahos présentent, outre le rez-de-chaussée, un étage, parfois surmonté d'une terrasse. Ils attestent de la rencontre de deux conceptions constructives : celle d'une architecture "organique" propre à l'Afrique noire et celle du modèle de la médina provenant du nord du Sahara. Certains d'entre eux s'ornent d'une riche décoration modelée dans l'enduit de terre. Même si certains sahos tombent en ruine (par exemple à Toun), de nombreux bâtiments (notamment à Kouakourou et à Kolenzé) font preuve d'un état de conservation satisfaisant. Quelques bâtiments gardent encore leur fonction originale.
"Promue par une équipe interdisciplinaire formée notamment d'architectes, d'historiens de l'art et d'archéologues, l'"Action Sahos" vise à étudier, restaurer et réhabiliter ce patrimoine en coopération étroite entre la Mission culturelle de Djenné (Ministère malien de la Culture et du Tourisme) et l'Institut Supérieur d'Architecture de la Communauté française-La Cambre à Bruxelles (Belgique). D'autres institutions scientifiques et administratives participeront également à ce programme de sauvegarde.
"Lors d'une première mission en janvier 1997, l'équipe a rencontré les autorités des villages de Toun, Kouakourou et Kolenzé. A chaque fois, les populations locales se sont montrées solidaires d'un programme de réhabilitation de certains sahos qui pourrait se réaliser entre autres dans la perspective d'un tourisme culturel intégré dans le respect des populations concernées. Une deuxième mission est en préparation pour l'hiver 1997-1998. Elle aura pour objectif d'entamer la première phase (inventaire) de l'action".
Yves Robert et Gian Giuseppe Simeone, Coordinateurs du projet (Bruxelles)
Le rapport de Monsieur Samuel Sidibe sur le projet de musée de Djenné
DJENNE PATRIMOINE a eu connaissance, grâce à l'obligeance de la Mission française de Coopération, du rapport de Monsieur Samuel SIDIBE, Directeur du Musée National, et intitulé "Musée de Djenné : étude préliminaire" (août 1997). La lecture de cette étude est extrêmement décevante pour Djenné, ses amis et les défenseurs de son patrimoine dans la population. On y lit en effet essentiellement :
- que le musée de Djenné ne pourrait pas être autre chose qu'une sorte de section du musée national, l'argument invoqué étant qu'il n'existe pas de statut pour les musées régionaux ou municipaux au Mali ; cet argument est peut-être exact, mais la question est avant tout de savoir si la population de Djenné peut se contenter de confier au Musée national la mise en valeur et l'exposition de son patrimoine local ; la formule préconisée par le Directeur du Musée National est évidemment avantageuse pour l'institution qu'il dirige, mais elle manque d'imagination : chacun sait que les textes peuvent être modifiés si l'on veut réaliser un projet innovant ; DJENNE PATRIMOINE rêve encore d'une réelle participation de la population aux décisions et à la gestion de tout ce qui touche au patrimoine de Djenné ; le Musée national a incontestablement des compétences particulières et rares au Mali (par exemple en matière de conservation des pièces, de restauration, de muséographie, etc.) auxquelles personne n'hésitera à recourir, mais la solution proposée va bien au-delà, puisqu'elle consiste à faire comprendre aux Djennenkés que leurs affaires seront mieux traitées de Bamako par des Bamakois que par eux-mêmes ;
- que le musée de Djenné, dirigé depuis Bamako, doit s'occuper de tout, en particulier d'exposer, mais aussi de collecter les objets à conserver, de relancer l'artisanat, de délivrer un label de qualité aux produits des artisans, de vendre les produits artisanaux sélectionnés, de travailler avec les écoles et les enseignants, d'organiser des conférences et des concerts, de mettre en valeur les documents photographiques, cinématographiques et vidéographiques, etc. ; tout le monde sait que ces prétentions de l'administration à s'occuper de tout ne sont suivies d'aucune réalisation, soit par manque de moyens ou de compétences ou de motivation, soit parce qu'on a dès le départ créé le doute dans l'esprit de la population (par exemple, le label de qualité pour les produits des artisans, dont l'intérêt n'est pas expliqué, sera inévitablement source de conflits et contestations) ; en outre, si un musée géré depuis Bamako, et ne disposant sur place que de deux ou trois personnes, pouvait développer tant d'activités, le Musée national l'aurait fait depuis longtemps dans la capitale, ce qui n'est pas le cas ;
- que le rôle éventuel des associations est évoqué en une seule phrase, à la fin du rapport, et comme de mauvaise grâce, contrairement à ce qui avait été annoncé par l'auteur du rapport lorsqu'il était venu à Djenné il y a presque deux ans ; il est vrai qu'il existe des associations qui manquent de sérieux, mais, hélas, certaines sont parfois des créations de l'administration (voir notre numéro 3, juillet 1997) !
Bref, le dossier du Musée de Djenné, qui, à l'heure de la décentralisation, devra bien être discuté entre l'administration et la population de Djenné, est toujours aussi désespérément vide !
Cartes postales anciennes d'Afrique de l'Ouest
L'association Images et Mémoires (10 rue des Messageries, 75010-Paris) a édité récemment un CD ROM contenant 3200 cartes postales d'Afrique de l'Ouest, concernant 16 pays, et publiées entre 1895 et 1930, avec un logiciel permettant de sélectionner, sur tous les éléments utilisés pour l'indexation, les images qui intéressent l'utilisateur. Environ 50 cartes concernent Djenné !
NOUVELLES DE DJENNE PATRIMOINE
Le 3 janvier 1998, une assemblée générale de DJENNE PATRIMOINE s'est tenue dans la salle de conférence de la Maison du Peuple. Y assistaient, outre 24 membres de l'association, Monsieur Ba Hasseye Maïga, Chef de village, le chef d'arrondissement central, Monsieur Thiam, de la Mission culturelle de Djenné, Monsieur Foourou Cissé, directeur d'école et vice-président du Comité de Jumelage Djenné-Vitré, et Monsieur Ibrahim Kontao, membre de ce comité de jumelage.
L'ordre du jour comportait notamment un compte-rendu des activités, présenté par le Président : rapports avec la Mission culturelle, rencontre avec l'équipe des archéologues dirigés par Roderick McIntosh, rencontre avec la mission de l'Institut Getty, contribution à l'accueil de la délégation de Vitré et aux manifestations organisées à cette occasion (notamment par un concours de coiffures et une exposition d'anciennes photographies de Djenné, voir ci-après), appui à l'association Dental pour les plantations réalisées le long de la route à l'entrée de Djenné, discussion sur le rapport de Monsieur Samuel Sidibe concernant le futur musée de Djenné, rencontre avec la délégation de l'Office malien du tourisme et de l'hôtellerie en ce qui concerne l'organisation du tourisme et la formation des guides.
Les débats ont porté en particulier sur les problèmes de l'assainissement de la ville, des constructions incontrôlées de latrines dans des passages publics qui se trouvent obstrués, et du problème des portes en fer pour la mosquée. Le Chef de village a confirmé que ces portes ne seraient pas posées à la mosquée, mais que tous devaient aider à trouver une solution pour les vendre, de sorte que les donateurs ne soient pas frustrés et que l'argent serve à d'autres besoins de la mosquée.
Au cours de cette même assemblée générale, sur proposition du bureau, il a été procédé au remplacement d'Ibrahim Koné (parti en France pour une formation) par Hamma Cissé, maître du second cycle, au poste de secrétaire administratif.
A l'occasion des festivités qui ont marqué le X-ème anniversaire du Jumelage entre Vitré et Djenné, DJENNE PATRIMOINE a organisé son second concours de coiffure. Cette fois-ci, trois types de coiffures ont été présentés, chacun par trois ou quatre candidates. La coiffure djenné-djenné a été présentée par Aïssata Cissé, Oumou Kontao, Niakaïna Traore et Diahara Cissé. La coiffure niébé gaouri (mot-à-mot : haricot-mil) a été présentée par Fafounè Cissé, Aïssata Waïgolo et deux autres candidates. Enfin, la coiffure bambara a été présentée par Bintou Traore, Hawa Coulibaly, Kadidia Coulibaly et Léopoldine Kone.
Ce concours a mobilisé les talents de plusieurs tresseuses, notamment Alimata Sirebara (pour la coiffure bambara de Hawa Coulibaly), Namoye Dembele (pour la coiffure niébé gaouri de Aïssata Waïgolo), Mbo Sientao (pour la coiffure djenné-djenné de Aïssata Cissé), et Hawoye Fafa Cissé (pour la coiffure niébé gaouri de Fafounè Cissé). Dans chaque série, il a été décerné un premier prix (10.000 FCFA), un second (7500 FCFA), un troisième prix (5000 FCFA) et chacune des autres candidates a reçu 2000 FCFA. La soirée était animée par les danses traditionnelles des rimaïbés peulh de Balé Seina.
Ce concours a été beaucoup mieux réussi que le précédent, la plupart des coiffures ont été photographiées soit le soir du concours soit le lendemain, et les photos ont été remises aux candidates.
Exposition de photographies anciennes
Dans le même cadre, DJENNE PATRIMOINE a présenté, pour la première fois, un ensemble d'une vingtaine de photographies anciennes appartenant à la collection de l'IFAN-CAD à Dakar, proprement encadrées par l'artisan ébéniste djennenké Sory Korobara dit Sory Touré, et accompagnées des notices rédigées par Amadou Tahirou Bah grâce aux souvenirs et commentaires qu'il a recueillis, sur chacune de ces photographies, auprès des vieux de Djenné. Cette exposition a beaucoup intéressé les Vitréens, mais aussi les touristes qui ont visité Djenné entre la fin octobre et mi-décembre. Elle a été réalisée grâce à une subvention accordée à DJENNE PATRIMOINE par la Mission française de Coopération et d'Action Culturelle.
Membres bienfaiteurs de DJENNE PATRIMOINE
Deux membres bienfaiteurs de DJENNE PATRIMOINE nous ont quitté en 1997 : Monsieur Charles Brunet-Jailly et Monsieur Serge Coelo. Leurs amis de Djenné et d'ailleurs présentent à leurs familles leurs condoléances émues.
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Vues de l'exposition de photographies anciennes (et de "bogolans") dans la galerie de la cour de la Maison des hôtes
(1) Voir le texte de la charte de Venise dans Nouvelles du Patrimoine, n°61, mai 1965, p. 9 (Association des Amis de l'UNESCO, Bruxelles). Nous fournirons à tout adhérent qui nous le demandera. Retour au texte
(2) Toutes les citations qui suivent sont extraites de l'article d'Yves Robert : "L'architecture vernaculaire confrontée à la charte de Venise", Nouvelles du Patrimoine, n° 61, mai 1965, p. 23-25 (Association des Amis de l'UNESCO, Bruxelles) Retour au texte
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Ont contribué à la rédaction de ce numéro : A.T. Bah, J. Brunet-Jailly, H. Cissé, P.M. Cissé, B. Koïta, K. Louw, Y.Robert, G.G.Simeone