DJENNE PATRIMOINE
BP 07 DJENNE Mali
DJENNE PATRIMOINE Informations
numéro 5, juillet 1998
NOUVELLES DE DJENNE
"Pendant deux semaines, du 29 juin au 13 juillet, Djenné se souvenant de sa réputation de plus beau fleuron de l'Islam en Afrique au Sud du Sahara, de cité religieuse, de centre universitaire islamique par excellence, a veillé toutes les nuits, au son des hauts parleurs diffusant des chants religieux en l'honneur du prophète Mohamed Rassoulou (PS). Les points culminants de la ferveur religieuse étaient à Konofia, autour de Alpha Ibrahim Traore, dit Bia-Bia, et à Koyetendé autour de Alpha Bamoye Gaba.
"Le lundi 13 juillet, jour anniversaire du baptême du Prophète, hommes et femmes, jeunes et vieux, autorités civiles et politiques, ressortissants de Djenné revenus pour l'occasion de partout à travers le monde, tous habillés de vêtements taillés et brodés selon la tradition locale de l'artisanat d'art de la couture, se donnèrent rendez-vous à 16 h sur la place du quartier Koyétendé, pour rendre grâce à Dieu et à son prophète. Après deux heures de lecture du Coran, El Hadji Diafar Sonfo, maître incontesté en la matière, fit des bénédictions pour toute la nation malienne: "Puisse Dieu nous compter parmi les compagnons du Prophète Mohamed (PS)"."
Foourou Alpha Cissé, directeur d'école à Djenné
Le recensement de la population
Un recensement général de la population et de l'habitat a été organisé du 1er au 14 avril 1998. La population de Djenné-ville est d'environ 13.780 habitants.
L'inauguration de la première station FM
Le 18 mai, Journée nationale du Patrimoine, Madame Adame Konare Ba a inauguré la première station de radio FM, la radio culturelle du réseau Jamana.
Séminaire de l'Association des Parents d'Elèves et visite du Ministre de l'Education
L'organisation non gouvernementale Care-Mali a un programme de partenariat avec l'Assocation des Parents d'Elèves, portant notamment sur le renforcement des capacités des organisations locales. C'est dans ce cadre qu'a eu lieu, les 30 et 31 mai 1998, un atelier de réflexion sur les stratégies de coordination des activités des différentes associations de parents d'élèves du cercle de Djenné. Cet atelier était une première en son genre au Mali. Il a été marqué par la visite du Ministre de l'éducation de base, accompagné par Madame le Ministre de l'éducation du Royaume de Belgique, qui devaient aussi assister à un cours sur la "méthodologie convergente" en foufouldé (langue peul) dans une classe de CP2 : l'enseignement commence en foufouldé, le français est introduit comme langue étrangère en seconde année, puis les matières d'éveil sont enseignées en français à partir de la quatrième année, et enfin l'enseignement se poursuit entièrement en français à partir de la 6ème année.
Visite du Ministre de l'agriculture
Le 15 mai 1998, Djenné a reçu la visite du Ministre du développement rural et de l'eau. Il s'agissait pour lui de calmer l'inquiétude de la population à propos de l'aménagement du seuil de Talo, à environ 300 km en amont de Djenné sur le Bani. Les paysans, les éleveurs et spécialement les riziculteurs craignent que ce barrage ne diminue encore le volume des eaux qui parviennent jusqu'à Djenné.
Visite du Ministre des travaux publics
Le 16 juin 1998, le Ministre des travaux publics a visité Djenné, s'est intéressé aux pistes rurales aménageables, a visité le pont-barrage de Fokolor (qui depuis 1947 n'a bénéficié d'aucun entretien) et la piste-digue qui le relie à Djenné sur 2 km ; il a aussi examiné le pont à l'entrée de la ville, et le bac sur le Bani. En outre, en ce début d'hivernage, période pendant laquelle les engins lourds ne peuvent pas intervenir, il a sollicité le concours de la population pour remblayer les crevasses d'érosion, en promettant que la latérite serait apportée par les camions des travaux publics. A la suite de cette visite, des travaux réalisés par "investissement humain" ont effectivement commencé les 18 et 19 juillet, en présence du commandant de cercle, sur la digue qu'emprunte la sortie de Djenné vers le cimetière et vers Sirimou.
Internet est un réseau d'ordinateurs, il tisse entre eux une toile d'araignée, d'où l'expression inventée par les Québécois. Or il est question de Djenné sur "la toile", et ceux qui peuvent se connecter trouveront quelques pages bien illustrées à l'adresse :
http://www.cyber4.com/mali/sites/djenné/djenné.htm
(Information fournie par Boubou Cissé, étudiant à Clermont-Ferrand)
Un nouveau "GIE" d'assainissement a été créé, en mars 1998, sous la tutelle de l'administration et du Chef de village: il a pour mission de balayer la place du marché et certains des ports de Djenné chaque mardi (sur ce lancinant problème, voir DJENNE PATRIMOINE Informations, n° 3, p. 2).
NOUVELLES DU PATRIMOINE DE DJENNE
Inauguration d'une salle d'exposition à la Mission culturelle de Djenné
La Mission culturelle a créé, grâce à un financement de l'American Express fourni au World Monument Fund, un petit musée pour y entreposer les objets découverts à l'occasion des fouilles. Ce musée a été inauguré par Madame Aminata Dramane Traoré, Ministre de la Culture et du Tourisme, le 23 février. Mais il n'expose pour l'instant que des objets confisqués, autour des panneaux explicatifs en anglais (!!!) que l'on a déjà vus l'an dernier à la Maison des Hôtes (et qui présentent l'intérêt des fouilles scientifiques, voir notre DJENNE PATRIMOINE Informations, n° 2, janvier 1997) et des objets confisqués à des pillards, donc des objets morts, puisque privés de leur contexte archéologique. On nous assure, comme l'an dernier, que la traduction des textes des paneaux est en cours, ce qui n'est pas acceptable : c'est un travail de quelques heures ! La Mission culturelle de Djenné ou ses bailleurs de fonds envisagent-ils donc sérieusement de protéger le patrimoine archéologique de Djenné en s'adressant en anglais à la population locale ?
Cette salle d'exposition pose surtout un problème de fond : en exposant des objets "morts" et en s'adressant en anglais à ceux qui comprennent cette langue, ne s'agit-il pas de prouver que la Mission culturelle de Djenné n'hésite pas, elle non plus, comme le ferait un collectionneur privé client des trafiquants, à exposer des objets provenant de fouilles clandestines ?
Cette opération nous semble avoir été menée dans la précipitation, et selon des principes qu'on ne pourra jamais expliquer à l'opinion. C'est bien regrettable !
Toguna national sur le patrimoine
"Du 13 au 18 mai s'est tenu à Djenné un séminaire dénommé "Toguna national sur le patrimoine culturel et la créativité", sous l'égide du Ministère de la Culture et du Tourisme et sous le haut parrainage du S.E. Alpha Oumar Konare, Président de la République. Le toguna a été animé de bout en bout par Madame Aminata Dramane Traore, Ministre de la culture et du tourisme, mais il a aussi bénéficié de la participation de Madame Bintou Sanankoua, et il a été clôturé par Madame Adame Konare Ba, historienne et femme de lettres. Les objectifs de ce toguna étaient :
"- le renouvellement de la réflexion sur le patrimoine culturel en vue de l'élargissement de la notion aux préoccupations des populations maliennes confrontées à la pauvreté ;
"- l'évaluation des efforts de préservation et de gestion du patrimoine culturel qui ont été réalisés ou sont en cours ;
"- l'élaboration d'une stratégie nationale de préservation et de valorisation du patrimoine dans une perspective de développement qui intègre la culture et le tourisme sans mettre le patrimoine en péril.
"Pour ma part, j'ai été frappé par deux interpellations adressées par les participants aux responsables politiques et administratifs et aux experts :
"Une femme explique simplement que, dans la maison qu'elle habite, il est impossible de mettre une armoire : les tailles des pièces et des ouvertures ne permettent pas de meubler cette maison comme chacun veut pouvoir le faire aujourd'hui. Cette remarque pose le problème de la conservation de cet élément du patrimoine de Djenné qu'est l'architecture des maisons. Les motifs, les contraintes et les modalités de cette conservation doivent être expliqués et acceptés par les habitants qui sont les utilisateurs au quotidien de ce patrimoine. Il est bien probable qu'il n'est pas possible de tout restaurer à l'identique comme le voudrait la Charte de Venise, et que, en dehors de quelques témoins parfaitement fidèles des constructions du passé, on devrait s'orienter vers l'aménagement d'espaces répondant aux aspirations actuelles des habitants.
2°) Les deux milliards de Tombouctou
"Les participants au Toguna national sur le patrimoine ont appris qu'une enveloppe de 2 milliards FCFA était affectée à Tombouctou, pour permettre la restauration des mosquées, mausolées et cimetières. Cette information a soulevé beaucoup de commentaires plus ou moins directs tournant tous autour de la question : est-il juste d'affecter une telle somme, qui doit être empruntée, à la restauration de ces bâtiments, alors que l'argent emprunté par le Mali dans le cadre du projet urbain est en principe destiné à édifier des équipements susceptibles de procurer les recettes, et alors que l'argent manque pour beaucoup d'autres projets ?"
Baba Alpha Cissé, architecte, Bamako
Pose de la première pierre du futur Musée de Djenné
A l'occasion de sa récente visite à Djenné, Madame Adame Konare Ba, épouse du Président de la République, a posé, le 18 mai, la première pierre du Musée de Djenné, à l'emplacement de l'ancien dispensaire, comme prévu (cf. DJENNE PATRIMOINE Informations, n° 1). L'avant projet sommaire est établi ; le programme correspond aux ambitions sans doute trop grandes assignées à ce musée par Monsieur Samuel Sidibe (voir DJENNE PATRIMOINE Informations, n° 4, p. 9-10) ; pour le style des façades, l'architecte s'est inspiré d'un saho des environs de Djenné, parce que ces bâtiments fournissent le seul exemple d'architecture publique non religieuse dans l'environnement de Djenné. Le bâtiment devrait être réalisé en banco compacté. Tous les commentaires de nos lecteurs seront bienvenus.
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Esquisse de façades du futur musée de Djenné, avec la gracieuse permission de Baba Alpha Cissé, architecte |
NOUVELLES DE DJENNE PATRIMOINE
Entretien avec Madame la Ministre de la Culture et du Tourisme
Le Président de DJENNE PATRIMOINE et le Professeur Brunet-Jailly ont eu une longue conservation, le 23 février à Djenné, avec Madame Aminata Dramane Traore, Ministre de la Culture et du Tourisme, à propos des commentaires publiés dans le précédent numéro de DJENNE PATRIMOINE Informations, portant sur les travaux de restauration.
Madame le Ministre a insisté sur la nécessité de tenir compte de la situation des habitants des maisons : ils y vivent aujourd'hui et y vivront demain, et ils n'ont pas les moyens d'entretenir eux-mêmes leurs maisons familiales. Il doit donc nécessairement y avoir une certaine spécificité de la restauration à Djenné, mais cette spécificité reste à définir.
Madame le Ministre a aussi exprimé quelques réserves sur la capacité des associations à prendre en charge des questions aussi complexes. Elle a reconnu que l'affaire de la construction de l'école en dur (cf. notre précédent numéro) était un drame créé par les dysfonctionnements de l'administration, mais elle a néanmoins estimé que l'administration a un rôle irremplaçable à jouer.
Les représentants de DJENNE PATRIMOINE ont insisté sur la nécessité absolue d'améliorer considérablement, au niveau local, les rapports entre l'administration et les chefs de famille : les comportements paternalistes et caporalistes qui sont encore la règle chez les fonctionnaires ne permettent pas de faire participer la population à des décisions aussi complexes que celles qui concernent les patrimoines familiaux.
Le bureau de DJENNE PATRIMOINE s'est réuni le 23 mai 1998 pour être informé des conclusions du "Toguna national sur le patrimoine et la créativité". Il est apparu que, pour les habitants des zones représentées à cet atelier (Bandiagara, Djenné et Tombouctou), la notion de patrimoine n'est pas parfaitement claire, et qu'elle devrait être définie avec précision. Les conceptions sont mieux partagées en ce qui concerne le seul patrimoine architectural : chacun admet l'intérêt qu'il y a à restaurer les maisons et à revaloriser les savoir-faire ancestraux. Cependant, de grandes difficultés sont survenues dans la réalisation. C'est que, comme d'ordinaire, le projet est venu du sommet et a été imposé, plus ou moins élégamment, à la base. Il conviendrait de renverser cet ordre : désormais, les projets devraient partir de la base, être fondés sur les vœux de la population.
Cette réunion a été l'occasion d'aborder aussi la question du panneau planté devant la mosquée et qui annonce que la visite en est interdite aux non-musulmans. Depuis lors, on a appris que l'Association Malienne pour l'Unité et le Progrès de l'Islam (AMUPI, section de Djenné) a accepté, le 16 juin, d'ouvrir la mosquée aux délégations officielles.
Contribution à l'embellissement de la ville
DJENNE PATRIMOINE, qui a apporté une petite aide à l'association Dental pour l'entretien des arbres plantés le long de la route par laquelle on entre à Djenné en venant du Bani, procédera elle-même à une opération de reboisement dans la première quinzaine du mois d'août.
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DOCUMENT
Pour alimenter la réflexion sur la restauration (débat ouvert dans DJENNE PATRIMOINE Informations, n° 4), nous reproduisons ci-dessous un texte qui nous a été envoyé par Monsieur Sidiki TINTA, doctorant en sociologie-anthropologie-histoire à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, à Marseille. Nous remercions l'auteur de son initiative et de sa contribution. C'est aussi une occasion d'inviter tous nos lecteurs à participer au débat.
"L'architecture vernaculaire et la Charte de Venise
"Yves Robert propose une réinterprétation -à vrai dire une reformulation- de la Charte de Venise, au motif essentiel que les principes de cette Charte, inspirée des conceptions européennes de la notion de "monument" ne peuvent pas s'appliquer valablement aux réalités de certaines sociétés dans lesquelles l'ancienneté" ne serait pas en elle-même un élément d'appréciation de la valeur culturelle et patrimoniale d'un bâtiment. L'ancienneté n'aurait pas grande importance parce que l'essentiel serait dans les fonctions et les symboles. De là à prétendre que, dans certaine sociétés, "mieux que conserver, il s'agit plutôt de favoriser la permanence d'une société où ces formes spécifiques de pratiques sociales et religieuses (...) puissent se maintenir", il n'y a qu'un pas, qui montre pourtant le danger qu'il y a de passer de la conservation au conservatisme. Mais comme l'auteur s'appuie notamment sur des exemples pris dans la société dogon, que nous connaissons de l'intérieur, nous nous proposons de les examiner de plus près.
"L'ancienneté et les valeurs culturelle et patrimoniale d'un bâtiment dogon
"Yves Robert prétend que "les valeurs culturelles et patrimoniales d'un bâtiment dogon, par exemple, ne sont pas fonction de son ancienneté", alors qu'en Occident "la notion d'authenticité prend appui sur l'historicité de l'objet" (p. 24). Or, à première vue, il est difficile de croire que l'ancienneté ne joue aucun rôle dans une société gérontocratique où les rôles sociaux et politiques sont fonction des principes de primogéniture et d'aînesse ; il est difficile de croire que l'ancienneté des bâtiments, qui sont les symboles mêmes de ces rôles, ne soit pas d'une haute valeur sociale ; en réalité, ces bâtiments rappellent la fondation du village, ils instituent l'ancienneté comme principe fondateur des valeurs culturelles et patrimoniales.
"En effet, dans toute leur histoire, les Dogons qui arrivent dans un lieu où ils ont l'intention de s'établir commencent par édifier trois bâtiments, qui détermineront la position de tous les autres et par conséquent la distribution géographique des statuts politiques et sociaux dans le nouveau village. Ces bâtiments sont dans l'ordre, le togu-na, grand abri des hommes, la yapuno ginè ou case des femmes menstruées, et la gin'na, la maison-mère de chaque famille. Ces bâtiments ont évidemment une fonction symbolique, mais ils ont aussi des fonctions sociale et politique prosaïques.
"Le togu-na est l'édifice public le plus important du village ; il peut y en avoir plusieurs, par exemple un par quartier, mais alors le plus ancien, bâti lors de la fondation du village, prend le nom de toguna gara, grand toguna en langue diamsey. C'est la première construction du village, c'est là que les hommes venus fonder le village attendront le second groupe migrant, celui des femmes. C'est là ensuite que se débattent les problèmes qui engagent l'avenir de tout le village ; cependant, comme ces problèmes ne sont pas très fréquents, et comme certains d'entre eux sont discutés ailleurs, nuitamment, la fonction essentielle du toguna est en réalité celle d'un espace de sociabilité pour les hommes : c'est là qu'ils se rencontrent, discutent, se reposent, s'adonnent à des jeux de société ou à certains travaux (par exemple le tressage des cordes). C'est aussi un lieu d'accueil, où un visiteur arrivé tardivement et sans logeur peut passer la nuit sans risque d'être attaqué ou pillé. Ces fonctions sont encore vivantes aujourd'hui dans les villages dogon.
"La gin'na est symboliquement le lieu où sont déposées les petites poteries bundo (en dialecte donno), qui sont placées sous la responsabilité de son occupant, le ginna banga, "celui de la maison-mère". Or, lorsque les chefs de famille arrivent ensemble dans un lieu où ils vont fonder un village, le responsable du village, son "propriétaire", ana banga, ne sera pas forcément le doyen d'âge, ce sera celui qui aura posa le premier la première pierre de sa gin'na. Et ces fonctions éminentes dans le village seront transmises de génération en génération au sein de cette même famille. De ce point de vue, les choses ont bien changé depuis la colonisation, puisque la chefferie dépend désormais du pouvoir économique et de la collaboration avec l'administration.
"Il y a enfin la case où séjourneront les femmes chaque fois qu'elles auront leurs règles. Le sang menstruel étant supposé produire un miasme, cette pratique est une mesure de protection rituelle et symbolique de la société contre la contamination. Aussi, cette case est-elle toujours construite sur un espace qui fait symboliquement partie de la brousse.
"Tels sont les bâtiments qui sont considérés comme les plus anciens. Ce qui est constant dans leur valeur patrimoniale et culturelle, c'est qu'ils renvoient à la fondation du village, qu'ils ont une place définitivement choisie depuis la fondation, et dans une moindre mesure qu'ils ne changeront pas de forme.
"Les savoir-faire dans la construction, l'embellissement et l'entretien des monuments dogon
"Il faut savoir d'abord que, en l'absence dans la tradition dogon d'une corporation de maçons, les travaux de construction de ces bâtiments sont réalisés collectivement : tout le monde participe au tracé du plan et à l'édification. Pourtant, des savoir-faire particuliers interviennent précisément pour la décoration et le confort. Par exemple, la sculpture sur bois des piliers du togu-na sera confiée à ceux qui sont doués pour cette activité, numo bire jugom, "ceux qui connaissent le travail de la main". Au début, le premier togu-na a pu être construit à la hâte en assemblant quelques fourches portant les poutres recouvertes de feuillages, mais il sera transformé lorsque le village sera mieux installé : les premiers poteaux seront alors éventuellement remplacés par des piliers en bois sculpté, et on choisira alors pour cela le kiré (Prosopis africana), connu pour être le plus résistant, le plus durable. Lorsque ce bois est rare, notamment sur la falaise et sur le plateau, on construira des murs en pierre ; en plaine, si on est contraint d'utiliser des bois ordinaires, on ne prendra pas la peine de les sculpter. Ces éléments montrent que la préoccupation de la durée, de l'investissement matériel et culturel, est parfaitement présente.
"Evidemment, ces piliers sculptés sont de plus en plus rares. Mais l'une des raisons en est que l'administration malienne surveillait la coupe, et que des villages entiers se sont trouvés condamnés à de très lourdes amendes pour avoir abattu des arbres destinés à ces constructions. Une autre raison est que, malgré ces sanctions, le bois kiré a pratiquement disparu. Au total, le fait que, aujourd'hui, "les piliers des togu-na, naguère en bois sculpté, sont (...) en terre et ornés de motifs décoratifs peints" n'est pas essentiellement une réaction contre le vol de ces poteaux par les antiquaires, mais une conséquence plus large de l'évolution de l'environnement naturel et des techniques de construction (et celle que cite l'auteur n'est même pas généralisable).
"Il apparaît aussi que le souci d'orner, d'améliorer, d'inscrire sa culture dans le décor, est parfaitement présent, comme le souci historique de garder le contact avec la fondation du village et comme le souci d'investir dans la durée. En outre, contrairement à ce que propose Yves Robert, le respect de "l'authenticité du savoir-faire" n'assure aucunement la protection du patrimoine en milieu dogon. Au contraire, cette notion de savoir-faire est exceptionnellement ténue dans ce contexte. Les matériaux utilisés peuvent changer, le savoir-faire est diffus et n'a pas donné lieu à la constitution de corporations spécialisées, le renouvellement du bâtiment ne conserve guère que sa forme, son assise et ses fonctions. Et parmi les raisons de la disparition de ce patrimoine architectural, il faut citer non seulement le rôle des "antiquaires" (étrangers ou nationaux) et celui de l'administration, mais aussi celui des religions monothéistes (pour lesquelles la case des femmes menstruées ou la maison-mère où sont conservées les poteries consacrées aux ancêtres ne sont que symboles détestables du paganisme), celui de l'évolution économique (des familles entières ont quitté leur gin'na pour se rapprocher d'espaces arables, ou d'emplois urbains).
"Ces exemples permettent de poser clairement la question : faut-il encore chercher à conserver ou à restaurer ce que la culture du lieu elle-même tente d'enterrer ? Par exemple, pourquoi vouloir conserver ou restaurer, en milieu islamisé, la case des femmes menstruées qui choque par sa seule présence ? Que conserver ? Que restaurer selon les règles de l'art ? Que reconstruire selon les normes actuelles ?
"La question extrêmement dérangeante de savoir s'il faut restaurer contre la volonté des habitants n'a pas pour but de nous décharger de la responsabilité collective que nous avons, vis-à-vis de nos pères, dans la transmission de l'héritage qu'ils nous ont remis. Elle signifie seulement que, même si nous nous sentons responsables de cette transmission, nous recevons toujours l'héritage de façon sélective. C'est pourquoi il n'y a jamais de véritable tradition originelle : chaque culture se construit à partir de l'hérité, mais se nourrit aussi d'apports nouveaux. Ce que la culture tente d'enterrer, ce n'est pas tant ce qui lui échapperait par négligence, indifférence ou défaillance, mais -et l'exemple de la religion le prouve- ce qui du passé lui paraît désormais incompatible avec le présent. Aussi, bien que nous nous sentions tous responsables, nous devons absolument nous abstenir d'imposer ce qu'il faut conserver et transmettre, sauf si l'héritier est défaillant, auquel cas nous devons le suppléer.
"Dans cette perspective, les collectivités, groupes sociaux, Etats, auxquels nous appartenons se doivent, sans contrarier la volonté des gens du lieu eux-mêmes, d'aider à conserver ou restaurer ce qui peut l'être. Il y a beaucoup à faire pour empêcher les exploits des amateurs et autres collectionneurs qui emportent et exportent tout ce qui peut l'être, et parfois se documentent d'ailleurs très sérieusement, de sorte que leurs collections, souvent hors du pays d'origine, seront bientôt le seul témoignage que nous pourrons léguer aux générations futures de certaines cultures dont nous avons hérité ; il y a beaucoup à faire pour freiner la constitution de cette sorte de parcs culturels dans lesquels seront conservés, éventuellement après les avoir transportés et reconstruits, quelques exemplaires des habitations, monuments, outillages, habits qu'on voyait il y a peu encore dans nos villages.
"Il faut admettre la part de contrainte économique, ou écologique, qui justifie des destructions de ce patrimoine malgré qu'en aient ses héritiers, subissant leur sort la mort dans l'âme. Dans ce cas, les collectivités et Etats doivent, autant qu'ils le peuvent, intervenir, parce que la protection du patrimoine de l'humanité est l'affaire de tous. On doit cependant éviter que l'aide extérieure (ou celle de l'Etat pour une collectivité locale) ne soit un moyen d'asservissement. Il faut écarter ce risque d'autant plus ardemment que l'aide, depuis une génération, a eu pour travers de cultiver la dépendance des bénéficiaires, alors qu'il eut fallu leur donner confiance en eux-mêmes -et pleine responsabilité- pour qu'ils trouvent les moyens de s'adapter aux réalités d'un monde devenu très vaste et très dur. Cette culture de la dépendance, aujourd'hui encore entretenue par les bailleurs, est tout le contraire de la culture tout court, car cette dernière puise dans ses racines les plus profondes afin d'inventer les solutions qu'appellent les problèmes de l'heure.
"Aussi, au lieu de chercher à revenir sur la Charte de Venise avec des arguments très minces, il est préférable de considérer que la restauration doit être telle qu'elle y a été définie, et qu'elle implique l'authenticité des savoirs-faire, et qu'elle ne peut pas être remplacée par cette dernière.
"Cela dit, il est évident que la restauration de tous les monuments anciens est impossible, le classement d'une ville entière est certainement une erreur, et en pratique il pourra être indiqué de restaurer certains bâtiments et de reconstruire -purement et simplement- les autres, en veillant simplement à ce que le style de ces derniers ne soit pas une injure au style des premiers. Et par ailleurs, la restauration, en particulier si elle s'applique à des bâtiments qui sont encore et doivent rester utiles, du fait des contraintes qu'elle implique inévitablement, ne peut pas être réalisée sans que quelques conditions préalables soient remplies : compréhension par les propriétaires et leurs familles des objectifs et modalités de l'opération, compréhension des contraintes qu'impose la restauration lorsqu'elle est prise au sens strict de remise du bâtiment dans son état le plus ancien connu et selon les techniques du moment, mais, en contrepartie bénéfice pour la famille de la subvention publique couvrant tout ou partie des travaux.
"C'est pourquoi les éléments qui nous semblent devoir être considérés le plus attentivement dans tout programme de restauration sont :
- le fait que tel monument ou tel type de monument éveille dans la société considérée un ensemble de souvenirs d'ordre historique ou culturel ;
- le fait que la société considérée juge elle-même utile la conservation ou la restauration de ce monument, le fait qu'elle se sente concernée par la restauration elle-même (et pas seulement par le financement que cette opération représentera) et le fait qu'elle décide elle-même à quelle fonction utile, ancienne ou nouvelle, ce monument sera consacré ;
- le fait que les moyens apportés par les bailleurs de fonds servent à réaliser un projet défini par la société considérée plutôt qu'un projet qui lui serait imposé par une expertise et une générosité encombrantes.
"Ces conditions appellent à considérer la conservation et la restauration comme des opérations de développement. Comme telles, elles demandent une grande diffusion d'information, de grands efforts individuels et collectifs pour comprendre les données du problème ; elles demandent aussi une pratique réellement démocratique, faute de quoi les choix de la collectivité lui seront imposés par l'un ou l'autre et ne seront donc pas intimement partagés par la majorité ; elles supposent aussi, du côté de l'administration, de la discrétion et de la pédagogie plutôt que du caporalisme. C'est beaucoup demander, mais c'est le prix à payer pour que des traces authentiques de la culture de nos pères puissent subsister après nous."
Sidiki Tinta, Marseille, France
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TRADITIONS DE DJENNE : L'hippopotame cousin de Wouro Ali
"Le Wouro Ali désigne dans le cercle de Djenné toutes les dépendances du village de Senossa (outre Senossa lui-même, les villages d'Ali-Samba, Wono, Kandia, etc.). L'histoire que je vous raconte remonte au temps où les hommes et les animaux communiquaient encore entre eux. Chaque année des groupes d'hippopotames venaient barboter dans la mare dite Wobi, à une centaine de mètres du village de Senossa, et ils restaient là jusqu'à la crue.
"Mais, cette année-là, une décrue subitement amorcée surprendra nos pachydermes, qui se trouveront obligés d'organiser un départ hâtif, laissant derrière eux une femelle en gestation très avancée, incapable de supporter les fatigues et les risques du voyage. D'ailleurs, quelques jours seulement après le départ des compères, notre hippo-mère mis bas un joli petit. Alors, hippo-mère et son petit furent pris au piège de la nature, situation dramatique qui ne manqua pas d'attirer l'attention de la population du Wouro-Ali. C'est dans ces conditions que les habitants du Wouro-Ali allèrent trouver Maman Hippo pour conclure avec elle un pacte de non agression entre sa race et eux.
"Les gens du Wouro-Ali demandèrent l'assistance de ceux du Pondori, seuls capables de confectionner d'énormes jarres qui permettraient à l'animal et à son petit de s'abreuver ; eux-mêmes, ils construisirent un grand hangar pour protéger la femelle et son petit des intempéries.
"A partir de ce jour, jamais un hippopotame n'a agressé un ressortissant du Wouro-Ali, et ceux-ci, à leur tour, se refusent à consommer la viande d'un hippopotame, et même à regarder son cadavre ! D'ailleurs, si par hasard un habitant du Wouro-Ali apercevait un cadavre de ce pachyderme, il en aurait mal aux yeux pour longtemps.
"Les hippopotames sont donc, de cette façon, devenus les cousins des populations de Wouro-Ali, autrement dit leur totem.
Récit recueilli et rédigé par Hamma Cissé
Ont contribué à la rédaction de ce numéro : Amadou T. Bah, J. Brunet-Jailly, Baba Alpha Cissé, Boubou Cissé, Foourou Alpha Cissé, Hamma Cissé, Papa Moussa Cissé, Sidiki Tinta