DJENNE PATRIMOINE

BP 07 DJENNE Mali

 

DJENNE PATRIMOINE Informations

numéro 6, janvier 1999

 

 

NOUVELLES DE DJENNE

Une bonne crue en cette année 1998

Djenné a reçu cette année une crue comparable à celles qu’elle connaissait il y a un quart de siècle : non seulement par le niveau de l’eau, mais aussi par la durée de sa présence autour de la cité (du 13 août au 22 novembre). Par suite, les rizières ont donné une bonne récolte et le poisson a été abondant.

Koolol Pulaaku II

En février 1998, Djenné a participé aux manifestations du ‘Koolol Pulaaku’, second festival des cultures peules. Ce festival réunit tous les deux ans à Bamako les meilleures artistes et musiciens de la communauté peule de l’Ouest africain (Mali, Guinée, Nigeria, Cameroun, Sénégal, Mauritanie, etc.). Cette année, les membres djennenké de l’Association des amis de la culture peule (‘Tabital Pulaaku’) ont reçu à Djenné une forte délégation camerounaise, dans laquelle se trouvaient de hautes personnalités de ce pays (notamment l’ancien ministre de l’administration, l’épouse du Premier ministre).

Cette délégation a eu droit à tous les honneurs de la communauté peule de Djenné : elle a été reçue à Senossa (village peul situé à 4 km de Djenné) par une foule nombreuse, et en musique (avec tout l’arsenal des instruments, depuis la flûte foutanké jusqu’au violon en passant par le tam-tam). On a organisé pour elle un vrai ‘diaral’, cette fête célébrée chaque année au moment où le troupeau revient de sa transhumance. Et, tradition oblige, la communauté peule de Djenné a offert à ses hôtes, à titre de cadeau de bienvenue, sept taureaux. La fête a été belle, car les frères camerounais, qui supposent que leurs ancêtres ont émigré du Maasina vers le Cameroun, étaient donc venus rendre hommage à ‘Mamiragal’, c’est-à-dire à leurs ancêtres, et ont pu visiter des cases parées conformément à la plus pure tradition.

Amadou Tahirou Bah

 

Chantier international de reboisement

Ce chantier a été organisé par les jeunes du Club UNESCO du Mali avec le concours de plusieurs ministères. Il a eu lieu du 10 au 21 août. Il a permis de planter environ 2000 arbres, grâce au concours de 168 jeunes (dont quelques étrangers : 2 français, 1 belge, 2 américains, 2 togolais, 1 béninois, 3 ivoiriens, 1 camerounais, 2 burkinabés, 1 guinéen, et une majorité de maliens des diverses régions du Mali). Les arbres ont été plantés autour du site de Djenné-Djèno, dans l’espoir de contribuer à la lutte contre l’érosion. Ce chantier a été l’occasion pour les jeunes de participer à des activités diverses telles que projections de films (sur Djenné et sur le SIDA), ateliers de bogolan, teinture, poterie, confection des bracelets ‘camba hiré’, initiation au ‘djembé’ et au tam-tam. Les deux derniers jours ont été consacrés à une excursion en pays dogon.

Papa Moussa Cissé

 

Tabaye Hô, la chasse aux lièvres

" Le Tabaye Hô est l’une des plus anciennes fêtes traditionnelles de Djenné. Elle était en réalité conçue comme un apprentissage de la guerre ! Il s’agit, une fois par an, de partir en guerre contre les animaux nuisibles qui hantent les hautes brousses des environs, et en même temps de s’essayer au maniement des armes. Cette année, la fête de la chasse aux lièvres a eu lieu du jeudi 8 au samedi 10 octobre.

" Donc, ce jour-là, des milliers de jeunes armés de lances, harpons et gourdins, doivent se livrer à un véritable jeu d’adresse afin de tuer ou de capturer le maximum d’animaux, tout en faisant attention à ne pas blesser les chasseurs voisins. Et, comme pour les guerriers qui reviennent d’une expédition, les pirogues qui servent de moyen de transport aux chasseurs doivent porter, attaché à leurs mâts, le butin de chaque quartier (lièvres, boas, biches, chacals, etc.).

" A 14 h, c’est toute la population qui se rend au bord du fleuve pour accueillir les chasseurs, qui pour contempler le gibier, qui pour vérifier si la troupe est bien rentrée sans accident.

" Après avoir déposé le butin chez le chef de quartier, les jeunes s’adonnent à une parade de pirogues qui forcera l’admiration des spectateurs, et cela trois jours de suite, au son du tam-tam bozo et de la flûte rimaïbé.

" Le clou de le fête se situe au soir du troisième jour, avec l’élection de la plus belle femme rimaïbé dans les quartiers de Samseye et de Sankoré.

" Le Tabaye Hô est certainement la manifestation traditionnelle qui mobilise le plus de djennenké. Heureux le touriste, le journaliste ou le reporter qui vivra ces instants à Djenné ! "

Foourou Alpha Cissé

 

A nouveau le barrage de Talo !

" Au mois de mai dernier, on s’en souvient (voir DJENNE PATRIMOINE Informations, n° 5, juillet 1998, page 2), le Ministre de l’Agriculture était venu à Djenné pour tenter de calmer l’inquiétude de la population à propos de l’aménagement du seuil de Talo, à 300 km en amont de Djenné sur le Bani. A vrai dire, son message consistait plutôt à inviter les riziculteurs et les éleveurs à ‘s’adapter aux conditions nouvelles’, c’est-à-dire à s’orienter vers la culture et l’élevage intensifs, voire à entreprendre la culture de l’oseille de Guinée (dah bleni) qui paraît-il ‘se vendrait très bien au Sénégal’. Une autre délégation ministérielle est venue à Djenné le 22 juillet, toujours pour tenter de convaincre les djennenké du bien-fondé de ce projet.

" Mais, pour eux, ce projet présente un danger évident, celui de retenir l’eau de la crue, et bien loin en amont de Djenné. Ils se souviennent de l’avis d’un administrateur colonial selon lequel ‘la plaine du Pondori, inondée par le Bani bien aménagé et maîtrisé, peut servir de grenier à riz pour l’Afrique Occidentale’. Ils savent que, même si la crue a été faible pendant de nombreuses saisons passées, celle de 1994 et plus encore celle de 1998 démontrent que Djenné peut retrouver les niveaux d’inondation d’antan.

" Ils connaissent aussi les conclusions des études techniques de l’avant-projet de seuil de Talo : d’après les experts qui en sont les auteurs, la réalisation de ce barrage aura pour conséquence une modification du régime général de crue du fleuve Bani, avec en particulier une diminution de 30 cm du niveau du fleuve en aval du barrage. Ils savent que ceci conduira inexorablement à la perte de plus de 30.000 ha actuellement irrigués par la crue. En outre, il faut tenir compte des effets spécifiques du retard de la crue, retard qui en particulier mettra en péril plus de 250.000 ha de bourgouttières – ces terrains qui produisent du bourgou, plante qui sert de fourrage- et de pêcheries. Par conséquent, il faut désormais redouter que les troupeaux de Djenné, Ténenkou, Mopti, Bankass, Koro, Bandiagara et Douentza, qui trouvaient jusqu'à présent leurs pâturages de saison sèche (de janvier à juin) dans ces bourgouttières ne soient contraints à l’exode, ce qui aurait des conséquences incalculables (voir la note " Arguments de Djenné au sujet du projet de seuil de Talo ", jointe à la supplique adressée le 28 octobre 1998 au Président de la République par le Président de la coopérative agricole, le Président de la coopérative des éleveurs, le Président de la coopérative des pêcheurs, et le Président de la coopérative des commerçants).

" Aussi, c’est avec consternation et désarroi, mais sans véritable surprise, que les habitants de Djenné ont appris, au mois d’août dernier, par la radio et la télévision, que l’Assemblée Nationale avait adopté ce projet d’aménagement. Pour nombre de djennenké, le Gouvernement et l’Assemblée nationale venaient de signer l’arrêt de mort de Djenné. Les ressortissants de Bamako et d’ailleurs se sont mobilisés eux aussi, ont interpellé le Gouvernement à travers les médias (voir les journaux des mois d’août et septembre) ; des délégations ont quitté Djenné pour aller se faire entendre à Bamako…

" Apparemment, la décision a été prise sans qu’aucune étude sociologique et économique des conséquences de cet aménagement en aval sur le fleuve (et notamment à Djenné) n’ait été réalisée ! Veut-on, en ruinant délibérément ses activités traditionnelles de production, abandonner Djenné aux touristes ? "

Amadou Tahirou Bah

 

Réception provisoire des 12 classes en dur

La réception provisoire des 12 classes construites grâce à un financement de la Banque Islamique de Développement a eu lieu le 5 octobre 1998 en présence du Directeur Régional de l’Education, de l’Inspecteur et du Commandant de cercle. Ces classes, édifiées sur le site de l’ancienne mosquée de Cheikou Amadou, sont construites en béton tapissé de briques cuites fabriquées à Djenné.

DJENNE PATRIMOINE n’a jamais pris une position de principe contre la construction de bâtiments en dur dans la ville. Mais le dessin des nouveaux bâtiments, comme le caractère massif de revêtement en brique cuite, qui s’applique tant au bâtiment lui-même qu’au mur de clôture et qu’à un porche surdimensionné sont à l’évidence une insulte à la protection du patrimoine architectural de Djenné. La photo publiée ci-après donnera une maigre idée de l’erreur grossière que constitue cette construction du point de vue architectural au beau milieu d’une ville entièrement classée, faut-il le rappeler ! On savait déjà, par l’expérience de la mosquée de Gomitogo, comment un bâtiment peut être défiguré par un revêtement en briques cuites. Il était donc inutile de recommencer  en plein cœur de Djenné !

Faut-il rappeler aux notables, techniciens et autres fonctionnaires que la brique cuite n’a été introduite à Djenné que par les colonisateurs français, qui l’utilisaient pour certains sols et canalisations ? La première maison à avoir utilisé la brique cuite en façade est celle de Sékou Traore, dit Petit Sékou, mais c’était dans les années 1970 seulement. Il est donc ridicule d’essayer de faire croire qu’on a trouvé une solution respectueuse du patrimoine de Djenné en faisant recouvrir le béton par des briques cuites ; ces briques cuites ne peuvent être dites de Djenné que parce qu’elle y sont fabriquées depuis peu.

Quand donc les décisions concernant Djenné seront-elles prises en consultant les habitants de Djenné, et notamment ceux qui, cultivés, savent quel est le patrimoine de Djenné ? Combien de temps encore les administrations de Bamako commettront-elles à Djenné, en toute impunité, des atteintes irréparables à la protection du patrimoine architectural de Djenné, les responsables se contentant de se renvoyer la balle ? Ne nous dit-on pas que le nouvel hôpital de Djenné a été conçu, et que les marchés pour sa construction ont été conclus début janvier 1999, sans que la population de Djenné ait pu voir le moindre dessin, encore moins la maquette du bâtiment, comme l’architecte l’avait expressément demandé à l’AGETIPE ?

Il y a plus grave : comment le Mali conservera-t-il la confiance des défenseurs du patrimoine mondial, à l’étranger, si son administration non seulement tolère, mais commet elle-même des bévues de ce genre, et de cette taille, et en plein cœur des sites classés ? Il est devenu urgent d’arrêter le massacre de Djenné, c’est-à-dire d’obtenir le respect, par les administrations d’abord et par les particuliers aussi, du classement de Djenné ! Actuellement, on entend trop de discours sur le patrimoine pendant que l’incurie administrative se traduit par des attentats inadmissibles.

IL FAUT ARRETER LE SACCAGE DE DJENNE PAR LES ADMINISTRATIONS MALIENNES ELLES-MEMES ! POUR CELA :

  1. LE MINISTERE DE LA CULTURE DEVRAIT DESORMAIS ETRE EFFECTIVEMENT DOTE D’UN POUVOIR ABSOLU DE S’OPPOSER A LA REALISATION DE TOUT PROJET PUBLIC OU PRIVE QUI DEFIGURE LE SITE ; DEPUIS 1992, LA VILLE DE DJENNE EST TOUTE ENTIERE CLASSEE, EN APPLICATION DE LA LOI 85-40 /AN-RM DU 26 JUILLET 1985, ET CE CLASSEMENT IMPOSE EVIDEMMENT DES SERVITUDES ; LE MINISTERE DE LA CULTURE EST L’AUTORITE COMPETENTE POUR FAIRE RESPECTER CES CONTRAINTES QUI ONT POUR BUT D’ " ASSURER LA PROTECTION ET LA CONSERVATION " DU SITE CLASSE (art. 25). IL EST INADMISSIBLE QUE LE MINISTERE DE L’EDUCATION OU CELUI DE LA SANTE, OU TOUTE AUTRE ADMINISTRATION, IGNORENT CES LOIS OU PASSENT OUTRE AUX PROTESTATIONS DU MINISTRE DE LA CULTURE !
  2. A PROPOS DES CONSTRUCTIONS PUBLIQUES NOUVELLES, LE MINISTERE DE LA CULTURE DEVRAIT LUI-MEME RECOURIR A UNE EXPERTISE INCONTESTABLE, ET EN PARTICULIER ORGANISER SYSTEMATIQUEMENT DES CONCOURS INTERNATIONAUX, QUI ACCROITRONT LA NOTORIETE DE DJENNE ET PERMETTRONT DE RECUEILLIR LES MEILLEURES IDEES ET LES MEILLEURES PROPOSITIONS.

CAR NOUS N’AVONS QU’UNE DJENNE ! IL N’EST PAS ADMISSIBLE DE SE TROMPER A DJENNE ! IL N’EST MEME PAS ACCEPTABLE DE PRENDRE LE MOINDRE RISQUE DE SE TROMPER A DJENNE ! IL Y FAUT LES MEILLEURES IDEES, LES PLUS HAUTES COMPETENCES !

 

Un second bac pour franchir le Bani

Désormais, deux bacs sont en service pour franchir le Bani, l’ancien étant en principe réservé au service des poids lourds, et le nouveau devant transporter les véhicules de tourisme.

 

Visite du Ministre de l’éducation de base

Djenné ayant été classée au premier rang lors de la Journée nationale de vaccination en novembre 1997, a été choisie pour le lancement de la Journée nationale de vaccination de 1998 dans la région de Mopti, et cela lui a valu l’honneur de la visite du Ministre de l’éducation de base, venu en personne pour lancer lui-même cette campagne de vaccination.

 

NOUVELLES DU PATRIMOINE DE DJENNE

Nouvelle campagne de fouilles à Djenné

" Le 14 décembre 1998, des fouilles de sauvetage ont commencé sur le site du futur musée de Djenné (à l’emplacement de l’ancien dispensaire du temps colonial). Conformément à la législation malienne, en ce qu'elle a pour objectif la protection du patrimoine de la nation, des fouilles de sauvetage devaient avoir lieu avant que ne commence la construction du futur musée. Mais ces fouilles offraient aussi une excellente occasion de tenter de répondre à un certain nombre de questions anciennes et pendantes concernant les relations entre le Djenné actuel et l’ancien site de Djenné-Djèno.

" Ces questions sont les suivantes : est-ce que le site actuel de Djenné n’a réellement été occupé pour la première fois qu’après l’abandon du site de Djenné-Djèno (environ 1400 après J.C), comme le suggèrent beaucoup de traditions ? Ou bien y a-t-il eu une longue période d’occupation simultanée des deux sites ?

" Nous avons supposé que le site du futur musée serait un endroit intéressant pour tenter de répondre à ces questions en raison des résultats d’un carrotage réalisé là en 1994. En effet, cette opération avait montré que, en dessous de la surface actuelle, il devrait y avoir une couche d’environ 8 mètres d’anciens murs et de débris accumulés par les occupations anciennes du site, avant qu’on atteigne le sol nu de la plaine d’inondation. Il faut se souvenir de ce que l’histoire de Djenné-Djèno, qui s’étend sur 1600 ans (entre la création et l’abandon du site) se traduit par une couche de dépôts qui ne dépasse pas 5,5 m.. On doit donc se demander à quel rythme les dépôts de Djenné se sont entassés !

" Fin décembre, l’équipe d’archéologues a creusé jusqu’à trois mètres. Le premier 1,5 m correspond aux temps les plus récents (depuis l’indépendance) et à la période coloniale (en particulier restes du dispensaire construit en 1915). En dessous du sol en ciment de l’ancien dispensaire, on a trouvé des superpositions complexes de murs et de sols de la période toucouleur et du temps de Sékou Amadou. A la profondeur de 3 m, on a découvert une maison complète avec plusieurs pièces et une douche, datant probablement du 17-ème siècle.

" Les objets manufacturés qu’on trouve dans ces couches successives sont principalement des morceaux de céramique, de perles de verre, de pierres à fusil, quelques morceaux de fer, et un nombre surprenant de pipes à fumer le tabac, très joliment décorées. Les archéologues et les historiens savent que ces pipes n’apparaissent en Afrique de l’Ouest qu’en 1591, avec l’invasion marocaine.

" L’autre trouvaille importante a été celle du haut d’un pot en terre, sur lequel on peut lire l’inscription gravée en caractères arabes d’une bénédiction tirée du Coran ; des céréales (probablement du ri), se trouvaient au même endroit, dans les fondations de la grande maison. C’est là une pratique que suivent encore les maçons de Djenné. La comparaison de la façon de tracer les caractères arabes avec la calligraphie de documents datés permettra de savoir de quand date ce fragment de poterie.

" Encore un point ! Dans le passé, tous les objets fabriqués trouvés lors des fouilles réalisées à Djenné-Djèno étaient déposés au Musée National de Bamako. Depuis les fouilles de 1996 sur l’ancien site, et y compris pour les fouilles actuelles sur le site de l’ancien dispensaire, les habitants de Djenné seront en mesure de voir tous ce qui aura été découvert. "

Roderick J. McIntosh

 

Djenné dans le programme du Ministère de la Culture et du tourisme

Le Ministère de la culture et du tourisme a déjà organisé trois consultations nationales, dénommées ‘Toguna’, au cours desquels se définit progressivement une stratégie d’intervention de l’administration dans le domaine de la culture et du tourisme. Le document qui rend compte de ces consultations, intitulé ‘Maaya, la culture et le tourisme au service de développement social et humain durable’, contient plusieurs passages du plus grand intérêt pour tous ceux qui s’intéressent à Djenné et au processus de développement.

En matière de développement, la perspective adoptée dans ce document de programme est extrêmement proche des conceptions que défendent les membres de DJENNE PATRIMOINE. On y trouve affirmé par exemple que l’alternative à la marginalisation des cultures locales n’est pas dans le culturalisme, c’est-à-dire dans le repli sur des valeurs de sociétés qui ne devraient pas bouger ; au contraire, dans le monde d’aujourd’hui, chaque société doit puiser en elle-même les moyens de sa propre transformation, dans la cohésion, et dans le respect des êtres humains. L’Afrique doit se convaincre qu’elle détient elle-même et elle seule les moyens de son développement social et humain durable : il lui faut puiser dans la ressource humaine, dans l’éthique, dans les savoirs et les savoir-faire dont elle est riche. La démocratie à la base et une décentralisation véritable des pouvoirs sont les conditions de cette mobilisation des capacités autochtones (voir Maaya, op. cit. p. 11).

C’est à partir d’une vision aussi large que celle qui vient d’être esquissée qu’on revient facilement au patrimoine. Car, ‘la protection et la valorisation du patrimoine culturel et naturel supposent, au niveau local et national, une conscience collective de l’importance des biens culturels et de leur rôle dans la reconstruction du tissu social et économique.’ (Maaya, op. cit. p. 49). D’ailleurs, ‘le manque de motivation, la mauvaise gestion, l’absence de sens du bien commun, qui sont parmi les principales entraves au développement humain et social durable du Mali peuvent être combattus à travers une réinterprétation de la gestion économique et de la démocratie à la lumière de valeurs traditionnelles de société qui restent à redécouvrir et à partager’ (Maaya, op. cit. p. 50).

A propos de Djenné, on relève parmi les axes d’intervention retenus par ce programme ceux qui concernent cette ville :

" - Construction d’un musée à Djenné

" Djenné, épicentre de l’Islam en Afrique de l’Ouest, est l’une des villes les plus célèbres et les plus anciennes du Mali et d’Afrique. La ville, classée patrimoine mondial par l’UNESCO en 1988, est surtout célèbre par son architecture de terre. Après avoir perdu son dynamisme, avec la fin du commerce transsaharien, elle souffre des effets de la sécheresse et de la crise économique, qui entretiennent un exode massif, surtout au niveau des jeunes. Cette situation a également comme conséquence la détérioration de l’architecture de terre, la disparition des métiers, la dégradation des sites archéologiques et le pillage des biens culturels. Le musée de Djenné sera, à travers sa structure et ses fonctions, l’une des réponses à cet ensemble de défis.

" - L’architecture de Djenné

" L’architecture de Djenné fait l’objet, depuis 1994, d’un effort conjoint du Gouvernement malien et de la Coopération néerlandaise. Sur les 168 maisons sélectionnées en raison de leur état poussé de dégradation, sept ont été réhabilitées à titre expérimental. Le projet qui vient d’entrer dans sa phase active devra en même temps qu’il poursuit ses objectifs, être source d’enseignements pour le Mali dans son ensemble en matière de réhabilitation de l’architecture traditionnelle avec la participation des populations.

" -Réappropriation et assainissement de l’espace urbain de Djenné

" Djenné, en tant que destination touristique, est à restaurer, à assainir et à gérer avec la participation des djennenké. Les transformations récentes qui y ont eu lieu, notamment l’adduction d’eau, tout en répondant à la demande en eau potable, ont créé une situation d’insalubrité préjudiciable à la santé de la population, à l’architecture en terre et au tourisme culturel.

" - Surveillance des sites archéologiques du Delta intérieur du Niger

" Il a été constaté que 40 % des sites du Delta intérieur du Niger fait l’objet de fouilles clandestines. Il en résulte que la surface de 17 % de ces sites est perturbée et que 2 % ont été totalement détruits. Les populations riveraines des sites, en majorité musulmanes, sont plus ou moins indifférentes quant à la préservation d’un patrimoine qui renvoie aux croyances et pratiques anciennes. Un travail de communication, d'éducation et de surveillance s'impose en vue de renverser cette tendance.

" - Recherche archéologique dans le Delta intérieur du Niger

" Le patrimoine archéologique du Mali fait l’objet de pillages souvent organisés qui tendent à prendre de l’ampleur en dépit des efforts d’information entrepris par des universitaires et des responsables de musées. Un programme de recherche de grande envergure sur les civilisations dont les traces sont ainsi menacées de disparaître sera mis en œuvre avec l’appui de la coopération néerlandaise. " (Maaya, op. cit. p. 51-52)

Parmi les activités à entreprendre, relevons les suivantes, qui semblent particulièrement pertinentes, en ce qu’elles signifient une rupture par rapport aux comportements actuels de l’administration :

Il est évident que, désormais, la question est de savoir qui sont "les populations" qu’il est question de consulter. Il ne peut s’agir des fonctionnaires, pour la plupart étrangers à Djenné, ni des autorités traditionnelles et d’un petit groupes de notables avec qui l’administration coopère étroitement depuis toujours : aujourd'hui comme au temps colonial, ils font partie de l'administration elle-même.

"Les populations", ce sont nécessairement les chefs de famille, en particulier les propriétaires des maisons de Djenné : ce sont eux qui doivent être informés et éventuellement formés à comprendre les enjeux des questions débattues, individuellement et collectivement. Ce travail de formation et d’information peut prendre des mois, voire des années, mais il est la garantie que les décisions prises seront partagées par les habitants de la cité. Les intellectuels, les techniciens et les fonctionnaires ont un rôle décisif dans cette étape de formation et d’information, mais il est dangereux qu’ils soient investis du pouvoir de décider à la place des chefs de famille. La démocratie est une idée neuve au niveau local, sa mise en œuvre sera une invention de tous les jours pendant des décennies.

 

Travaux de réhabilitation en cours

Parmi les maisons dont la réhabilitation était en cours en juillet 1998, dans le cadre du programme financé par les Pays-Bas, les travaux sont terminés dans la maison de la famille Sékou Touré à Yoboucaïna, et presque terminés dans la maison de Sékou Diall à Sankoré et dans celle de Aourou Koïta à Farmantala ; ils sont en cours dans la maison de la famille Sidibe à Farmantala (reconstruction presque complète, ne conservant qu’un mur récent) et dans la maison de la famille Gaba (cette maison était tombée au début des années 1990, il s’agit de la reconstruire depuis les fondations) à Kouyétende. Les travaux ont été entrepris dans d’autres maisons : celle de la famille de Sidiki Drame, celle de l’école coranique de la famille Dramé à Draméla, et celle de Bamoye Yattara.

 

NOUVELLES DE DJENNE PATRIMOINE

 

Une Association internationale DJENNE PATRIMOINE

Une "Association internationale DJENNE PATRIMOINE" a été créé en septembre 1998 (déclaration au Journal Officiel de la République Française, Lois et décrets, n° 40 du 3 octobre 1998, p. 4180). Elle a son siège à Aix-en-Provence, en France. Elle a pour but d’apporter son soutien à l’association malienne, et se propose notamment d’organiser dans les pays du Nord des expositions et des conférences pour faire connaître Djenné et les activités de protection et de promotion de son patrimoine.

 

Fêter l’aube du IIIème millénaire à Djenné

DJENNE PATRIMOINE organisera, au tout début de l’année 2000, une semaine de festivités à Djenné même, pour marquer l’entrée de la cité dans le IIIème millénaire. Cette grande fête s’adresse, à titre préférentiel, à tous les membres bienfaiteurs de DJENNE PATRIMOINE qui pourront faire le déplacement, mais aussi à tous les touristes qui voudront y participer en payant le juste prix.

Les dates en ont été choisies en tenant compte du fait que le ramadan durera probablement jusqu’au 7 janvier 2000 : le programme de la fête s’étendra donc sur toute la semaine du 5 au 12 janvier 2000. Certaines activités prévues sont en effet compatibles avec la retenue que le ramadan impose aux visiteurs. D’autres pourront coïncider avec la fête qui marque précisément la fin du jeûne et se développer dans les jours suivants. Ainsi seront proposées durant cette semaine les activités suivantes :

Il est prévu qu’une partie des participants pourront être logés chez l’habitant, et partager pendant quelques jours la vie d’une famille de Djenné.

Les membres de DJENNE PATRIMOINE qui souhaitent participer à cette fête sont priés de se faire connaître dès que possible en précisant le nombre des personnes avec lesquelles ils viendraient.

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DOCUMENT

Les journaux publiés à Bamako commencent à se préoccuper des questions de patrimoine, et en particulier de la préservation de la ville de Djenné. Ainsi, le 26 juin 1998, le journal ‘Le Républicain’ publiait un article sous le titre ‘Patrimoine mondial : Djenné, une ville menacée’ ; puis, le 21 août 1998, un autre article intitulé ‘Musée de Djenné : Polémique autour d’un projet’. Nous reproduisons ci-dessous le texte de ce dernier, car il montre comment se comportent les fonctionnaires en charge des dossiers du patrimoine.

‘Musée de Djenné : polémique autour d’un projet

‘Djenné la mystérieuse ville jumelle de Tombouctou ne finit pas de susciter des polémiques. Elle doit être dotée très bientôt d’un musée, si l’on s’en tient à l’affirmation de M. Samuel Sidibé, Directeur du Musée National. L’affaire fait malheureusement des mécontents.

‘Samuel Sidibé a achevé les études préliminaires relatives à ‘l’entreprise’. A peine publié, le dossier fait sourire les uns, pendant que chez d’autres, notamment les militants d’une association ‘Djenné Patrimoine’, c’est une véritable levée de boucliers. En effet, le directeur du Musée national a soumis en août 1997 un rapport intitulé ’Musée de Djenné : étude préliminaire’ aux autorités. Ledit document a fait l’objet de critiques sévères de certains acteurs de la vie culturelle de Djenné, dont l’Association pour la promotion du patrimoine culturel de Djenné ‘Djenné Patrimoine’. Cette association qui regroupe plusieurs chercheurs étrangers et nationaux, dont le Président Alpha Oumar Konaré et son épouse Adam Bâ Konaré, reproche à ce projet sa conception unilatérale.

‘Dans un bulletin d’information qu’elle a publié le 4 janvier dernier, Djenné Patrimoine a fait état de sa déception à la lecture dudit document.

‘En effet, dans le rapport du Directeur National du Musée, le nouveau musée ne pouvait être qu’une sorte de section du musée national. L’argument invoqué étant qu’il n’existe pas de statut pour les musées régionaux ou municipaux au Mali. Or, selon les responsables de l’association, la question essentielle est de savoir si la population de Djenné peut se contenter de confier au Musée national la mise en valeur et l’exposition de son patrimoine local. De leur avis, la proposition de Mr Sidibé est avantageuse pour l’institution qu’il dirige, mais elle manquerait selon eux d’imagination. Ils proposent de leur côté la révision du texte régissant les musées. ‘Ceci contribuerait à rendre novateur ledit projet’ pensent-ils. Faire participer la population aux décisions et à la gestion de tout ce qui touche le patrimoine de Djenné. Tel serait le souci des sympathisants de ‘Djenné Patrimoine’.

‘Pourtant ils reconnaissent que le Musée National a des compétences particulières et rares au Mali en matière de conservation de pièces, de restauration, de muséographie. Dans ces domaines, ils approuvent bien la participation du Musée National.

‘Le second point de discorde est que le rapport de Samuel Sidibé propose que ce musée soit dirigé depuis Bamako, et surtout qu’il s’occupe de tout, en particulier d’exposer, mais aussi de collecter les objets à conserver, de relancer l’artisanat, de délivrer un label de qualité aux produits artisanaux, de travailler avec les écoles et les enseignants, de mettre en valeur les documents photographiques, cinématographiques et vidéographiques. Or, selon eux, ces prétentions ne sont pas raisonnables, faute de moyens, de compétences ou de motivations.

‘Enfin, le troisième point de discorde, qui paraît d’ailleurs essentiel, serait la petite marge réservée aux associations. La preuve, selon eux, ledit rapport n’évoque les associations qu’en une seule phrase à la fin. ‘Djenné Patrimoine’ revendique que le document élaboré par le Directeur du Musée National Samuel Sidibé soit revu et mieux adapté aux nouvelles réalités de la décentralisation.

‘Lorsque nous avons approché le Directeur, ses réponses ont été aussi claires que précises : ‘Dois-je vraiment gérer les humeurs d’un groupe d’individus ? Je pense que mon rapport était technique, il s’agissait d’élaborer un projet de construction de Musée à Djenné’. En substance, c’est ce qu’il dit avoir fait. Il n’entend donc pas entrer dans une polémique avec une association ‘Djenné Patrimoine’ seulement ; selon lui les associations peuvent s’adresser à qui de droit. ‘En tant que directeur du Musée National, je ne gère pas les associations’ a-t-il poursuivi. Ces réactions vont-elles avoir un impact sur la réalisation de ce projet ? ‘Pas du tout !’ répond notre interlocuteur avec assurance. ‘Et d’ailleurs, le dossier actuellement se trouve sur le bureau du Ministre de la culture et du tourisme, Aminata Dramane Traoré

Abdoulaye Niangaly

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Ont participé à la rédaction de ce bulletin : Amadou Tahirou Bah, Joseph Brunet-Jailly, Foourou Alpha Cissé, Papa Moussa Cissé

 

 

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