DJENNE PATRIMOINE

BP 07 DJENNE Mali

 

DJENNE PATRIMOINE Informations

numéro 7, juillet 1999

 

NOUVELLES DE DJENNE

Elections municipales

Le Mali a organisé ces dernières semaines les premières élections municipales de son histoire. Il s’agit d’un événement d’une portée exceptionnelle. Jusqu’ici, conformément à un modèle en vigueur dans toutes les anciennes colonies françaises, le pays profond était resté aux mains de représentants de l’administration centrale (au Mali les gouverneurs, commandants de cercle et commandants d’arrondissement, ailleurs des préfets et sous-préfets, etc.). Et lorsque, pour faire bonne figure auprès des généreux donateurs étrangers et sur la scène internationale, on a organisé des élections, elles ont été nationales, et sur des listes établies au niveau national. Dans un tel système, les "représentants" de la population sont peut-être issus de la population, mais d’abord et surtout ce sont des gens en cour dans la capitale, choisis pour leur dépendance à l’égard des "barons" du parti unique (et, depuis le multipartisme, des "patrons" des grands partis) et élus d’abord grâce à l’efficacité de la propagande officielle.

L’instauration d’un véritable processus électoral à la base, dans des communes à taille humaine, est donc un événement. Au lieu de déléguer toutes les décisions à des notables inféodés au système politico-administratif national, les citoyens choisissent pour la première fois leurs délégués locaux pour traiter des affaires locales.

Au Mali, ces dernières semaines, tous les commentateurs ont noté que ces élections municipales ont permis révéler de nouvelles générations de conseillers prêts à représenter localement la population et à gérer sous ses yeux les affaires communales. Les résultats ont sans doute donné la majorité au parti au pouvoir, mais tous les partis qui sont entrés dans la compétition ont "fait de bonnes affaires", selon le titre choisi par le journal du Ministère de l’information (L’Essor du 14 juin 1999).

Résultats nationaux : sur environ 10.000 sièges à pourvoir au total dans les 492 circonscriptions électorales, 5962 sont revenus aux candidats de l’ADEMA-PASJ, 951 aux candidats du PARENA, 532 aux candidats de l’UDD, 348 aux candidats de l’US-RDA, 223 aux candidats du BDIA, 144 à des candidats indépendants, 144 à des candidats du PMDR, 136 à des candidats du PDR, 116 à des candidats du MC-CDR, 98 à des candidats du RND, 96 à des candidats du PDP, 88 à des candidats du PSP, 82 à des candidats du COPP, 56 à des candidats du PUDP, et le reste à des listes locales ou aux très nombreuses listes formées par alliance locale de plusieurs partis.

Résultats de Djenné : sur 13871 inscrits, on a dénombré 5478 votants, dont 178 bulletins nuls, soit 5319 suffrages exprimés. Les listes en présence ont obtenu respectivement :

Sont donc élus : Messieurs Alpha Nouhoum Diallo, Bamoye Sory Traore, Foourou Alpha Cissé, Madame Bocoum Sirandou Bocoum, Messieurs Mahamane Sao, Hasseye Baba Maïga, Madame Sidibe Lalla Maïga, Messieurs Amadou Ismaïla Diallo, Naouma Bocoum, Ousmane Kontao, Nouhoum Traore dit Bamoye, Sékou Touré, Alhabib Alpha Oumar Maïga, Madame Rokiata Kanta, Monsieur Hassana Bocoum et Madame Diarra Tata Souko.

La date de l’élection du maire n’est pas encore fixée.

 

Décès du marabout Ko Yaro

" Le samedi 5 juin 1999, le marabout Ko Yaro est décédé à Djenné, et la nouvelle a plongé la ville dans la consternation. Fils de Alpha Alhadi Yaro et de Aïssata Yaro dite Gassa, il était né vers 1940 à Djenné, où il a grandi et fait ses études primaires auprès de son propre père, jusqu’en 1962. Cette année-là, il a quitté Djenné pour aller continuer ses études auprès d’un grand érudit, El Hadj Ousmane Kalafo (paix à son âme). Ce dernier, qui fut imam de la mosquée de Hamdallaye à Bamako, avait d’ailleurs été un disciple de Alpha Alhadi Yaro. C’est auprès de El Hadj Ousmane Kalafo que Ko Yaro termina ses études en 1973. Dès 1964, il avait créé à Bamako une medersa dénommée "Assa Adatou Al Islamia".

" Lorsqu’il fut autorisé par son maître à rentrer à Djenné, ce fut pour y créer la medersa " Zeïnoul Abidine ", qui ne disparut en 1976 que pour céder la place à l’école franco-arabe, où il enseigna de 1976 à 1991. En 1980, le marabout Ko Yaro crée une nouvelle médersa " Khalid Ben Alwalid ", et en 1981 il succède à son père Alpha Alhadi, décédé cette année-là : pendant 19 ans, il dispensera des cours d’enseignement supérieur en arabe et en interprétant le Saint Coran pendant le ramadan. En 1986, il sera nommé imam-adjoint de la grande mosquée de Djenné par l’imam Sarmoye Korobara (paix à son âme). Il fera sa première prière devant les fidèles musulmans le samedi 25 novembre 1986, pour Salat Al Icha, la cinquième des cinq prières quotidiennes. En 1997, il fit le pèlerinage à la Mecque.

" L’illustre disparu était un grand écrivain et un rhétoricien célèbre, qui fut chargé de rédiger et lire d’importants discours lorsque Djenné recevait des personnalités éminentes. Ces discours sont aujourd’hui pieusement conservés par son fils aîné, Bamoye Yaro, lui même lettré en arabe, et étudiant à la faculté des sciences économiques de l’Université du Mali. L’illustre disparu était aussi un poète, écrivant depuis sa vingtième année : il laisse des milliers de vers.

" Le marabout Ko Yaro avait attiré l’attention de son entourage par la compréhension qu’il avait acquise de beaucoup d’aspects de l’être humain, et par sa capacité à communiquer avec tout le monde. Il conseillait ceux qui s’adressaient à lui, et tant par ses actes que par ses paroles, car les premiers ne contredisaient jamais les dernières. "

Bamoye Yaro

Ndlr : Le marabout Ko Yaro avait fourni patiemment ses meilleurs conseils aux auteurs du livre " Djenné, d’hier à demain " (cf. ci-dessous) notamment pour la préparation du plan où sont localisés les tombeaux des saints de Djenné (p. 58). Une photographie du disparu figure d’ailleurs dans ce livre (p. 52).

 

NOUVELLES DU PATRIMOINE DE DJENNE

Djenné, d’hier à demain ", Editions Donniya, Bamako

Cet ouvrage, auquel ont participé plusieurs des animateurs de DJENNE PATRIMOINE, mais aussi quelques-uns des meilleurs spécialistes de l’histoire et de l’archéologie de la cité, ainsi que de son urbanisme, était préparé depuis deux ans sous la direction du Professeur J. Brunet-Jailly. Il a été publié en mai 1999 par les Editions Donniya, à Bamako, juste au moment de la Journée Mondiale du Patrimoine, qui était fêtée le 18 mai. Il a donc été lancé à cette occasion, au cours de la cérémonie organisée par Madame Aminata Dramane Traoré, Ministre de la Culture et du Tourisme, en présence de Madame Adame Konare Ba, épouse du Chef de l’Etat, historienne et femme de lettres, et de Monsieur Y. H. Dicko, Ministre des enseignements secondaires, supérieurs et de la recherche scientifique.

Au cours de son allocution, Madame Adame Konare Ba a notamment déclaré : " Permettez-moi, d’entrée de jeu, de dire toute la joie que je ressens à l’occasion de la parution de cette publication sur Djenné ; toute ma joie, mais aussi tout mon plaisir, car je fais partie des auteurs de cet ouvrage collectif […] ‘Djenné, d’hier à demain’, voilà un document qui vient à point nommé, comme pour combler un vide. En effet, Djenné suscite un intérêt de plus en plus grand. Classée sur la liste du Patrimoine Mondial, par l’UNESCO, grâce à son architecture, tout le monde s’emploie à donner du sens à cette décision, tant les autorités de la IIIème République à travers le Ministère de la culture essentiellement, que l’association DJENNE PATRIMOINE. 

" Pour s’attaquer à cette délicate mission, encore nous fallait-il disposer de connaissances mises à jour sur Djenné, au plan historique et culturel, comme au plan humain tout court. Autrement dit, d’un travail de synthèse. Le voici !

"Bien sûr, cet ouvrage ne résout pas toutes les questions, loin s’en faut ! Mais, tel quel, il présente des intérêts certains. L’intérêt majeur réside, me semble-t-il, dans le renouvellement de nos connaissances, mieux, dans le retournement des clichés. Révision de nos thèses d’historiens qui, faute de sources contradictoires, avaient attribué le développement de la civilisation urbaine subsaharienne au commerce transsaharien, c’est-à-dire à l’influence arabe et arabo-berbère, période s’étendant grosso modo entre le 9ème et le 13ème siècles. 

" Mais, premier faisceau de démentis, administré par les recherches archéologiques : l’ancienne Djenné a été fondée au 3ème siècle avant le Christ ; et donc on est loin du 8ème siècle signalé comme date de fondation de l’actuelle Djenné par Abderrahmane Es’Saadi, l’auteur du Tarikh es Suddan. Djenné-Djeno avait une population industrieuse de 7.000 à 13.000 habitants, s’adonnant à l’agriculture, la pêche, la forge, la poterie, etc. ainsi qu’à toutes les fonctions caractérisant une ville.

" L’autre intérêt, qui est loin d’être subsidiaire, est le caractère volontairement pratique de ce livre. Il plonge dans la connaissance non seulement des monuments, mais aussi des hommes et des femmes de Djenné, dans leur éducation et leurs activités, voire dans leur psychologie ; mais aussi dans les projets qu’ils imaginent pour leur futur. Le visiteur et l’ami de Djenné pourront difficilement se séparer de ce compagnon de voyage, véritable guide pour eux.

" Pour ma part […] j’ai envie d’aller rêver, les yeux rivés sur le site de Djenné-Djeno et sur tous les endroits historiques, à tout le génie que nos ancêtres bozo, soninké, mandingues, songhay, bamanan, peul, toucouleur, et après eux les nouveaux arrivants, armas et français, ont dû déployer pour en arriver au façonnement du djennenka d’aujourd’hui, c’est-à-dire au ressortissant et à la ressortissante de Djenné. Le djennenka qui vous dira, quand vous foulez le sol de son territoire : " bienvenue à toi, i bismailayi, c’est ici Djenné ! yan dé ye Djenné ye ! ". Djenné, qui sait recevoir le visiteur étranger dans les règles de l’art de la convivialité, qui est si chère à ses habitants ! Djenné, qui le regardera aussi avec cette méfiance de peuple bridé, comme elle l’a été tout au long de son histoire ! Djenné qui saura aussi, avant de l’absorber grâce à son potentiel d’assimilation et d’intégration, le gruger s’il ose se montrer arrogant ! A bon entendeur salut ! "

Cette cérémonie au ton très chaleureux s’est déroulée en présence de nombreuses personnalités, parmi lesquelles il nous plaît de citer S.E. Monsieur Michel Connan, Ambassadeur de France, Monsieur Ali Nouhoum Diallo, Président de l’Assemblée Nationale, Monsieur le Doyen Drissa Diakite (Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université du Mali, ), Monsieur Tereba Togola, Directeur National des Arts et de la Culture, Monsieur Diaby, Chef de la Mission culturelle de Djenné, Monsieur Ali Ould Sidi, Chef de la Mission Culturelle de Tombouctou, Baba Alpha Cissé et Sébastien Diallo, architectes, et plusieurs de leurs confrères de l’Ordre, Monsieur Noumanssana Bagouro, Président de l’Association des Ressortissants de Djenné à Bamako, ainsi que de plusieurs co-auteurs du livre, en particulier le Doyen Drissa Diakité (déjà cité), Papa Moussa Cissé, Président de DJENNE PATRIMOINE, Amadou Tahirou Bah, trésorier de DJENNE PATRIMOINE, Pierre Ducoloner, architecte.

Par ailleurs, le samedi 10 juillet, les Editions Donniya ont organisé une réception, dans leurs locaux à la Cité du Niger, à l’occasion de la parution du numéro 3 de la revue culturelle " TAPAMA ", du lancement du livre d’Ismaël Diadié Haidara sur " Les Juifs de Tombouctou ", et du lancement national du livre " La légende de Ouagadou ". Au cours de cette réception était organisée une séance de signature du livre " Djenné, d’hier à demain " en présence de nombreuses personnalités.

Enfin, le samedi 17 juillet, les membres fondateurs de DJENNE PATRIMOINE résidant à Djenné ont reçu chacun un exemplaire du livre, qui est désormais en vente dans plusieurs boutiques de la ville et disponible aussi au Campement.

 

Quelques expériences privées d’assainissement des ruelles de Djenné

Le campement de Djenné, de sa propre initiative, a installé au début de l’année une grande fosse pour recueillir toutes ses eaux usées, avant de les déverser dans le fleuve après une décantation sommaire. D’autres réalisations du même genre sont à signaler, à l’initiative de propriétaires privés, pour assainir les ruelles passant devant leur maison.

La plus ancienne date de 1997, et revient à quatre propriétaires : Bakeye Tenentao, Afo Bocoum, Barima Gouro Bocoum et Khalil Korobara, qui se sont partagé les frais et entretiennent parfaitement l’aménagement, qui s’étend sur une bonne centaine de mètres. Tout récemment, les abords immédiats de la maison du député Mahamane Santara ont été bétonnés, et une rigole centrale profilée par des moellons a été creusée dans les ruelles adjacentes. Il est trop tôt pour juger de la pérennité de cet aménagement. Amadou Tahirou Bah a aménagé à ses frais la ruelle qui passe devant chez lui, à Sankoré, et entretient lui-même cet aménagement d’une quinzaine de mètres. Enfin, au quartier Sorkotame, un aménagement a été réalisé entre les maisons Bokary Bah et Batafa Touré, entre celle de Sékou Touré et celle de Ba Yobou Traore, et continue plus loin encore vers la maison occupée par les Peace Corp. Financé essentiellement par ces derniers, cet aménagement est déjà aux deux tiers de sa longueur (une centaine de mètres) à l’état de complet abandon.

Ces réalisations montrent quel confort peuvent présenter à nouveau les ruelles de Djenné, mais elles montrent aussi les limites de ces solutions individuelles. Ces limites sont de deux ordres :

- limites sociales : les aménagements financés par de généreux bailleurs, avec l’accord apparemment enthousiaste des bénéficiaires, qui sont en réalité indifférents parce qu’ils n’ont pas pris eux-mêmes l’initiative, sont inéluctablement voués à une rapide détérioration par manque d’entretien ; dans ce domaine comme dans tous les autres, la générosité encombrante et pressée des donateurs favorise la passivité plutôt que la mobilisation des initiatives et ressources locales ;

- limites techniques : faiblesse des pentes, rapidité du recouvrement du sol (même s’il est bétonné) par une couche de banco entraîné par le ruissellement des eaux sur les façades et dans les ruelles adjacentes, nécessité de laver fréquemment à grande eau les rigoles pour que les eaux grasses qui y circulent ne stagnent pas (si elles le font, elles dégagent rapidement des odeurs fétides), multiplicité des évacuations sur les berges, absence de système de traitement des eaux avant leur rejet dans le fleuve, etc. Bref, tous ceux qui ont réalisé de tels aménagements reconnaissent qu’ils n’ont guère fait que déplacer le problème vers leurs voisins immédiats.

Par conséquent, il est clair que même si l’on peut compter sur des initiatives individuelles pour des aménagements individuels, d’une ampleur forcément limitée, une solution collective doit être trouvée.

 

NOUVELLES DE DJENNE PATRIMOINE

Un don de Madame Marli Shamir

Madame Marli Shamir, photographe professionnel, a vécu au Mali dans les années 1970, à l’époque où son mari était Ambassadeur d’Israël à Bamako. Pendant son séjour, elle a réalisé de très nombreuses photographies de l’architecture de Djenné, et plus largement des pays sahéliens. Un certain nombre de ces clichés a d’ailleurs été utilisé par Madame Labelle Prussin, pour illustrer tant sa thèse intitulée " The architecture of Djenné, African Synthesis and Transformation " (Yale University, 1973) que son plus récent ouvrage " Hatumere : Islamic Design in West Africa " (University of California Press, Berkeley, 1986, 306 p.).

Le travail de Madame Marli Shamir a donné lieu à une vingtaine d’expositions personnelles, ainsi qu’à des expositions de groupe. Plusieurs institutions ont acquis des œuvres de ce photographe, en particulier l’Institut Frobenius à Francfort (Allemagne) pour son fonds " Archives du Mali ", et la Bibliothèque Nationale (Paris).

Ayant appris l’existence de DJENNE PATRIMOINE au cours de l’année dernière, Madame Marli Shamir a immédiatement adhéré à notre association. Depuis lors, elle a recherché systématiquement dans ses archives tous les clichés concernant Djenné, et nous sommes en train d’en établir un catalogue aussi complet que possible. Lorsque cela sera fait, DJENNE PATRIMOINE décidera probablement d’acquérir des tirages d’une sélection de ces images, pour poursuivre son travail de rassemblement systématique du patrimoine photographique concernant Djenné.

En outre, Madame Marli Shamir a décidé, au début de cette année, de faire don à DJENNE PATRIMOINE des 56 tirages en noir et blanc au format 50 x 60 cm, sur support de bois, qui constituaient son exposition " Sahel " . Cette exposition a été montrée à Jérusalem en 1976, en Allemagne en 1979, au Musée de Tervuren (Bruxelles) en 1981, à Strasbourg en 1982, et à Jérusalem à nouveau en 1986.

Cet ensemble exceptionnel comporte des photos de Djenné (environ une dizaine), mais aussi de San (une dizaine également), de Mopti, de Tombouctou, du pays dogon (une dizaine), de Gao, de Bamako, etc. Conformément au vœu de l’artiste, il doit être utilisé pour faire connaître les activités de DJENNE PATRIMOINE au service de la protection et de la promotion du patrimoine de cette ville. Il sera donc mis à la disposition des membres bienfaiteurs de notre association qui organiseront, en Europe dans un premier temps, peut-être bientôt aux Etats-Unis, des expositions et des conférences.

Au nom de tous les membres de DJENNE PATRIMOINE, Monsieur Papa Moussa Cissé, Président, a écrit à Madame Marli Shamir pour la remercier très chaleureusement de son geste, et pour l’assurer que les conditions qu’elle a mises à l’utilisation de cet ensemble de tirages seront scrupuleusement respectées.

 

By courtesy of Marli Shamir, Photographer, Djenné, 1969

 

 

Assemblée générale du 17 avril 1999

Cette assemblée générale, qui s’est tenue en présence de 15 membres de l’association, a été consacrée à la préparation de la fête que DJENNE PATRIMOINE organisera pour ses membres bienfaiteurs à l’orée du 3ème millénaire, et à la protection du patrimoine de Djenné.

Sur le premier point, un programme des activités proposées a été établi. C’est celui qui figure plus loin et sur le dépliant spécial. Un effort devra être fait pour associer à la préparation de cette fête les associations de ressortissants de Bamako et d’Abidjan.

En ce qui concerne le second point, Amadou Tahirou Bah a rappelé de quelle façon et en quel sens DJENNE PATRIMOINE est intervenu ces derniers mois. Il s’est en particulier élevé contre certains propos du Ministre de la Culture et du Tourisme, selon lequel DJENNE PATRIMOINE serait responsable du retard pris dans la construction du musée. Il a réaffirmé les critiques de DJENNE PATRIMOINE à l’égard des conditions dans lesquelles le projet de ce musée est étudié, ainsi que les critiques de DJENNE PATRIMOINE à l’égard des conditions dans lesquelles certaines maisons anciennes de Djenné sont réhabilitées, plutôt que restaurées au sens de la Charte de Venise.

Plusieurs membres de l’association sont intervenus pour apporter leur soutien à l’action de DJENNE PATRIMOINE : par exemple pour regretter qu’aucune personne présente lorsque le Ministre a mis en cause l’association n’ait immédiatement protesté ; et pour réaffirmer que la Mission culturelle n’a pas à faire ce qu’elle veut dans Djenné, et qu’au contraire, elle doit tenir compte de l’avis de la population, et notamment des chefs de famille de Djenné regroupés dans DJENNE PATRIMOINE.

Certaines voix se sont aussi fait entendre pour dire que les positions de l’association ne sont pas assez connues et pas assez discutées, comprises et défendues à Djenné même. C’est d’ailleurs dans cette perspective que se situent les émissions dont il est question ci-dessous.

 

Participation à l’émission " Racines " sur Radio Jamana

Le 19 juin, Amadou Tahirou Bah a eu l’occasion de débattre avec Monsieur Diaby, Chef de la Mission Culturelle de Djenné, dans le cadre de cette émission, de la protection de l’architecture de Djenné. L’occasion en était donnée par la parution du livre " Djenné, d’hier à demain ", dont le dernier chapitre aborde notamment la question de la restauration ou réhabilitation de maisons anciennes de Djenné, et par le débat organisé par l’Ordre des architectes le 21 mai à l’occasion de la semaine du patrimoine. Au cours de ce débat, Monsieur Bah avait présenté oralement le texte du Professeur Brunet-Jailly qui est reproduit ci-dessous comme document ; ce texte revient sur le question de la restauration, de la réhabilitation, sur celle du classement de Djenné, sur la connaissance de l’architecture de Djenné.

Nous publierons dans notre prochain numéro le compte-rendu de ce débat, où la politique de la Mission culturelle est exposée avec une clarté parfaite, et qui a permis de répondre aux critiques portées par l’administration contre les positions de DJENNE PATRIMOINE.

Le 24 juillet, dans le cadre de la même émission, le Professeur Brunet-Jailly était invité à présenter " Djenné, d’hier à demain ", avec les co-auteurs présents à Djenné, Amadou Tahirou Bah et Papa Moussa Cissé. L’émission est rapidement revenue sur les questions posées par les positions prises par DJENNE PATRIMOINE sur les questions d’actualité en matière de protection du patrimoine architectural de Djenné.

 

Fêter l’aube du 3ème millénaire à Djenné

Il a déjà été question dans ce bulletin du projet de DJENNE PATRIMOINE d’inviter ses membres bienfaiteurs à venir à Djenné pour y fêter l’aube du 3ème millénaire. La fête proprement dite a été déplacée vers le mois de janvier pour tenir compte du calendrier islamique, mais le programme proposé à nos hôtes commencera juste avant la fin du ramadan.

Le programme débutera le 6 janvier, trois jours avant la fin du jeune de ramadan, pour que nos hôtes puissent se faire une idée de ce qu’est la vie à Djenné pendant cette période de jeune et de prière. Jusqu’au samedi 8, il n’y a dans le programme aucune activité à laquelle les musulmans ne pourraient pas participer, aucune réjouissance qui pourrait choquer les croyants. Ce programme est donc le suivant :

Jeudi 6 janvier : arrivée de nos hôtes à Djenné, accueil et installation de chacun dans son logement ; soirée libre (éventuellement, dans les rues, lecture publique du Coran);

Vendredi 7 janvier : entre 9 h et 11 h, visite guidée de la ville ; repos, repas ; à 14 h, sortie de la prière du dernier vendredi du mois de ramadan, à la grande mosquée de Djenné ; vers 16 h : visite guidée du site archéologique de Djenné-Djéno et de la salle d’exposition de la Mission culturelle ; en soirée, programme vidéo (Djenné , capitale du Pondo ; crépissage de la mosquée)

Samedi 8 janvier : si la fête de ramadan a lieu ce jour là, nos hôtes pourront assister à la prière qui, en cette occasion, se déroule sur la grande esplanade près du dispensaire à partir de 9 h ; ensuite, on leur conseillera de se reposer, de se rafraîchir et de prendre leur repas ; l’après-midi, ils pourront se promener dans Djenné, où les enfants, dans leurs plus beaux habits et leurs coiffures les plus soignées, vont de maison en maison chantant une petite chanson et demandant qu’on leur donne quelques piécettes ; en fin d’après-midi, visite de Sénossa, village peul tout proche de Djenné ; soirée libre (toute la journée est occupée pour les hommes à rendre visite à tous leurs parents, et pour les femmes à recevoir les visites à la maison et à préparer le repas de fête)

Dimanche 9 janvier : à 10 h, ouverture officielle de la fête et de l’exposition artisanale, et de l’exposition photographique, en présence des autorités ; 16 h 30 : visite commentée de l’exposition photographique, visite individuelle de l’exposition artisanale, visite des ateliers des artisans ; 20 h : dîner en musique (cuisine typique de Djenné) ; 21 h 30 : danses populaires (danses des rimaïbés, danses des esclaves).

Lundi 10 janvier : jour de marché à Djenné ; dès 9 h, les visiteurs pourront se poster aux abords de la ville pour assister à l’arrivée des marchands et des clients ; le marché est le plus animé entre 11 h et 15 h environ, c’est donc pendant cette période qu’il conviendra de le visiter ; à 16 h 30, visite des portes et des ports de Djenné, constitution de deux groupes qui se rendront à pied à Ronde Sirou, là où, au siècle dernier, s’était installé Cheikou Amadou, le fondateur de l’empire peul du Macina ; sous le fameux tamarinier où il prêchait, conférence sur Cheikou Amadou et la Diina ; au retour, soirée libre.

Mardi 11 janvier : départ en car pour le marché de Sofara, qu’on visite en fin de matinée ; retour à Djenné pour le repas de midi ; à partir de 16 h 30, parade de pirogues, soit à Djenné même (s’il y a encore assez d’eau aux abords immédiats de la ville), soit à Sanona (sur le Bani) ; 20 h : dîner (cuisine typique de Djenné) suivi d’un concours de coiffures et de vêtements traditionnels (ce concours, doté de prix, concerne chacune des traditions peul, bambara, songhay et bozo).

Mercredi 12 janvier : départ en car pour Keke, village bambara situé à une trentaine de kilomètres de Djenné : grande réception par les groupes de chasseurs et musiciens, danses des jeunes et des femmes, visite de quelques maisons (dont une chambre nuptiale) et d’ateliers d’artisanes ; repas sur place ; retour en fin de journée ; soirée libre.

Jeudi 13 janvier : départ en car pour Kouakourou, et de là en pirogue à moteur jusqu’à Kolenze, village bozo sur le Niger (et s’il y avait encore trop d’eau dans les plaines entre Djenné et Kouakourou, départ pour Gomitogo, Soa et Pana, villages bozo d’accès plus facile); visite des villages et notamment de leurs célèbres " sahos " (maisons où vivaient les jeunes célibataires) ; retour à Djenné en fin de journée ; 21 h : repas d’adieu en musique.

Vendredi 14 janvier : départ pour Bamako.

 

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DOCUMENT

En prévision des débats qui devaient être organisés à l’occasion de la Journée mondiale du patrimoine, à Bamako, le 18 mai 1999, le Professeur J. Brunet-Jailly avait préparé le texte suivant, qui a en fin de compte été présenté oralement par Monsieur Amadou Tahirou Bah le samedi 22 mai lors de la réunion organisée par l’Ordre des Architectes du Mali.

Protéger l’architecture de Djenné

Oui, il faut protéger l’architecture de Djenné ! C’est une tâche qui nous incombe ! Cette architecture est menacée, et personne ne la protégera si les chefs de famille de Djenné, avec les soutiens qu’ils sont capables de mobiliser à l’extérieur, ne le font pas eux-mêmes ! Protéger l’architecture de Djenné, c’est d’abord empêcher que des atteintes irréparables à ce site ne soient commises, par l’administration ou par des particuliers ; c’est aussi repenser le classement de Djenné ; c’est encore restaurer au sens propre du terme, c’est-à-dire en suivant les principes de la Charte de Venise, seule référence en la matière ; c’est encore redécouvrir l’architecture de Djenné ; et c’est enfin, sur ces bases, mettre la créativité au service de la protection du style architectural de Djenné

Car nous n’avons qu’une Djenné, et donc tout ce qui se fait là-bas est irréparable ! Il n’est pas possible de se faire la main à Djenné, il n’est pas possible de laisser faire n’importe quoi à Djenné, il n’est pas possible d’expérimenter à Djenné ! Toute erreur de jugement, toute faute de goût commises à Djenné sont immédiatement forfait public, forfait rapidement connu du monde entier ! Car, en effet, nous souhaitons tous que Djenné soit connue, à la hauteur de ce qu’elle mérite, nous agissons pour que Djenné conserve et protège sa célébrité, nous utilisons tous de plus en plus les moyens de communication moderne pour faire savoir à tous ses amis de par le monde ce que devient Djenné !

Repenser le classement de Djenné  !

Et Djenné est unique ! Si nous la massacrons, cet héritage de nos pères, cet héritage à nul autre pareil, les habitants de Djenné, les Maliens dans leur ensemble, l’humanité toute entière, auront perdu de leur histoire, et de leurs talents anciens qui ont survécu jusqu’à nos jours, une réalisation dont aucune autre ville, aucun autre peuple de par le monde n’a l’équivalent !

Djenné est unique par bien des aspects de sa culture, et notamment par son architecture dont nous parlons aujourd’hui ! Nous devons protéger scrupuleusement l’architecture de Djenné. Il est possible que plus de gens soient aujourd’hui plus conscients des enjeux de la protection de l’architecture de Djenné, et des difficultés créées par les premières mesures qui ont été prises dans ce but, à la hâte, au début des années 1980. C’est pourquoi nous comprenons aujourd’hui, un peu tard, que l’inscription de l’ensemble des " villes anciennes de Djenné " sur la liste du Patrimoine mondial établie par l’UNESCO, en 1987, comme en 1992 le classement de la ville entière selon la législation malienne, étaient des erreurs : ce sont des carcans que les habitants de Djenné ne sont pas tous prêts à supporter, ce sont des carcans que les habitants de Djenné ne respectent pas ! Il faut donc affronter clairement le problème de la protection de l’architecture de Djenné avec plus de réflexion que cela n’a été fait dans le passé, afin de pouvoir mobiliser en sa faveur plus de détermination qu’on en a vu jusqu’à présent.

Les habitants de Djenné ne respectent pas le classement ! C’est vrai ! Qui à Djenné se préoccupe de vérifier que toute construction nouvelle –qu’il s’agisse d’une maison, d’un bâtiment administratif, ou d’une dépendance, un garage par exemple–, mais aussi que tout aménagement d’une maison ancienne, sont conformes aux engagements pris par le pays lors du classement ? Personne ! Absolument personne ! D’ailleurs, ces dernières années, et pour prendre les exemples les plus évidents de l’abandon de toute stratégie de protection du patrimoine architectural de Djenné, on a vu beaucoup de constructions empiéter sur le domaine public réservé à la circulation : on a laissé se construire des toilettes dans des rues si étroites que désormais le passage des charrettes à ânes transportant du banco y est impossible, on a laissé se construire des garages entièrement pris sur la rue ! On n’imagine donc pas, a fortiori, qu’une action publique puisse se préoccuper des façades, des innovations malheureuses, de respect du style architectural de Djenné ! Quelle tristesse !

Derrière ce laxisme, il y a pire. Jusqu’à ce jour, il faut le reconnaître humblement, les habitants de Djenné n’ont pas admis les contraintes du classement ! C’est que, à vrai dire, ces contraintes ne leur ont jamais été présentées, jamais été expliquées ! Dans leur souci de montrer qu’ils sont capables d’exécuter très vite leurs " projets ", en balayant tous les obstacles, l’administration et les bailleurs de fonds mettent en avant l’aide financière qui sera associée à chaque " projet " et croient convaincre la population de cette façon. On n’a pas procédé autrement pour le projet de réhabilitation des maisons anciennes de Djenné. Trop autoritaire, trop méprisante, trop souvent corrompue –hélas–, l’administration ne joue pas son rôle pédagogique dans ces domaines qui exigent d’abord et avant tout que la population soit gagnée à la cause, soit convaincue du bien-fondé de l’opération, en même temps que de l’honnêteté de ses promoteurs. Or cette administration se contente d’aller du laxisme –fermer les yeux sur les constructions abusives– à la protestation impuissante (on se souviendra longtemps de ses lamentations à propos du scandale de l’école !), alors qu’on attendrait d’elle qu’elle sache voir venir les difficultés, qu’elle sache entreprendre de les prévenir, qu’elle explique sans relâche les buts visés et les contraintes à supporter par chacun, qu’elle prouve de façon continue et indubitable –ce qui est particulièrement difficile, il faut le reconnaître– que l’opération ne sert que des intérêts collectifs, et pas ceux de tels ou tels fonctionnaires ou notables, qu’elle sache aussi, chaque fois que nécessaire, imposer le respect de telle ou telle règle connue de tous, comprise de tous, et appliquée à tous avec la même fermeté.

Mais il y a aussi que les administrations nationale elles-mêmes ne respectent pas le classement ! Nous devons le rappeler, hélas, parce qu’elles ont appointé des verges pour se faire fouetter ! La construction de l’école de Djenné, en plein cœur de la ville, sur l’emplacement de l’ancienne mosquée de Cheikou Amadou, mais selon un dessin vulgaire appliqué à tous les clients du même banquier partout en Afrique de l’Ouest, est une erreur grossière ! Il faut reconnaître clairement cette erreur impardonnable, qui révèle l’incurie de l’administration : c’est la condition pour qu’on en tire les conséquences qui s’imposent pour l’avenir ! Comme l’association DJENNE PATRIMOINE, nous demandons que le Ministère de la culture soit doté d’un pouvoir absolu de bloquer tout projet préparé par toute administration, s’il ne respecte pas le style de Djenné (DJENNE PATRIMOINE Informations, n° 6, janvier 1999, p. 5). Car si, depuis 1992, la ville de Djenné est toute entière classée en application de la loi n° 85-40/AN-RM du 26 juillet 1985, encore faut-il que ce texte soit appliqué ! Cela exige que le Ministère dispose de compétences incontestables, et agisse avec une transparence parfaite. Difficile, oui, mais nécessaire !

C’est aussi une erreur grossière, contre Djenné et contre l’esprit démocratique qui souffle au Mali, que de repousser avec dédain les réserves de l’association DJENNE PATRIMOINE à l’égard du programme architectural et du projet de musée de Djenné. L’administration n’a pas à " gérer les humeurs d’une association ", comme l’a dit un haut fonctionnaire, et c’est vrai, mais en l’occurrence l’administration n’en est pas là : elle doit tout bonnement éclairer sa lanterne ! Nous respectons les personnes, mais nous prenons position sur leurs actes, sur leurs propositions ! En l’occurrence, nous disons que le projet de musée n’est pas au point, tant dans son programme que dans son projet architectural : il est mal conçu de bout en bout. S’il faut donc élever la qualité architecturale des projets, chacun sait comment procéder : comme l’association DJENNE PATRIMOINE l’a rappelé récemment, il suffit d’organiser systématiquement des concours, largement ouverts, internationaux, qui accroîtront la notoriété de Djenné et permettront de recueillir les meilleures idées, les meilleures propositions.

Dans l’immédiat, il est inacceptable, encore, que l’hôpital soit construit sans que la population de Djenné ait donné son avis sur le projet ! Il serait inacceptable que la bibliothèque de langue bozo soit construite demain sans que la population de Djenné ait donné son avis sur le projet !

Le caporalisme buté et borné de l’administration doit faire place à la recherche patiente et active d’un accord entre les hommes de culture et la population. L’administration de commandement a vécu –qu’on se le dise ! puisqu’il faut encore qu’on se le dise quarante ans après l’indépendance ! – le rôle de l’administration dans un pays démocratique est d’aider les capacités locales à se révéler et à entreprendre, il n’est pas de commander ni de faire !

Mais que serait " respecter le classement " ? Ce serait sortir de l’hypocrisie actuelle, dans laquelle on fait n’importe quoi à Djenné tout en prétendant que la ville entière est classée. Le classement est trop contraignant, il risque de bloquer l’évolution inéluctable de la ville et notamment l’adaptation de son habitat aux nécessités du temps présent ; il faut donc redéfinir, après de larges débats et les négociations qui pourront s’imposer, les termes du classement, de telle sorte qu’on ait bientôt à Djenné, avec l’accord des institutions internationales qui surveillent le patrimoine mondial :

1°) un secteur classé, ou des immeubles classés, dans lesquels on pratiquera la restauration à proprement parler, selon les principes de la Charte de Venise, c’est-à-dire dans lesquels on reconstruira strictement à l’identique, dans le respect des plans, dessins, matériaux et techniques de construction ; nous avons déjà pris position sur les travaux en cours, qui sont des travaux de réhabilitation et pas de restauration ; nous prétendons que Djenné doit conserver des témoignages à l’exactitude irréfutable de son patrimoine architectural, et pour cela il faut restaurer en respectant strictement les principes de la Charte de Venise ;

2°) des zones protégées dans lesquelles le style architectural de Djenné serait respecté tout en autorisant des innovations en matière de plan, dessin, matériaux et techniques de construction, et tout au moins les innovations qui paraissent s’imposer pour adapter l’habitat aux conditions du temps présent (car toute lubie d’un propriétaire ou d’un architecte n’est pas pour autant une innovation à tolérer, encore moins à encourager).

Repenser le classement de Djenné, ce n’est pas favoriser le laxisme actuel, ce n’est pas prendre acte de l’incapacité de l’administration à faire respecter des règles de protection de l’architecture de Djenné ! Tout au contraire, c’est remettre la question de la protection du patrimoine architectural de Djenné au cœur des préoccupations des habitants de Djenné et des administrations maliennes, tant à Bamako qu’à Mopti et à Djenné même. C’est proposer que l’on définisse de nouvelles règles qui seront efficaces et qui permettront à la ville de Djenné de protéger ce qui doit l’être (en restaurant au sens propre) et d’adapter ce qui peut l’être.

Restaurer au sens propre dans le secteur classé

Les travaux de restauration de certaines maisons de Djenné ont commencé au début de l'année 1997. En pratique, il s’est avéré que l’opération impliquait, semble-t-il, dans certaines parties de ces immeubles, une reconstruction pure et simple des murs à partir du niveau du sol ; mais en outre, dans nombre de cas, à la demande des propriétaires, le plan de la maison a été modifié, et éventuellement la taille des ouvertures extérieures a été augmentée ; enfin, la reconstruction a été faite en utilisant de grosses briques de terre sèche, en forme de moellon, qu'on appelle localement toubabou ferey, et non en djenne ferey, ces briques traditionnelles moulées à la main, approximativement cylindriques : cette technique, a-t-on dit, aurait pris trop de temps.

Il est vrai que, dans beaucoup de cas, les maisons ont été profondément transformées par leurs occupants successifs, soit pour faire face aux conséquences du délabrement ou de l’effondrement de certaines parties des bâtiments, soit pour tenir compte de l’évolution de la composition des familles et de leur manière d’habiter. Il est vrai que les plans d’origine sont mal adaptés à certains besoins actuels : par exemple, la taille des chambres est telle qu’on peut rarement y installer un grand lit et une armoire. Il est vrai que le mortier de terre qui lie les djenne ferey se décompose plus rapidement que ces briques elles-mêmes, et que certains murs anciens, vidés de toute trace de mortier, ressemblent à un empilement de grosses bobines de terre maintenu par des parois latérales constituées par les crépis successifs. Il est vrai que les murs sont attaqués, à leur base, par l’humidité et le sel qui remontent du sol. Il est vrai que, depuis qu’on utilise des moulins à décortiquer, la balle de riz qui est nécessaire au mélange est devenue difficile à trouver, même pour un simple crépissage. Il est vrai que le beurre de karité est désormais très cher, que le pain de singe est rare... Plus grave, il est peut-être vrai aussi, bien que les maçons nous disent le contraire, que, dans la tradition, " le djenne ferey est mis dans un mortier en argile et maçonné verticalement selon une technique disparue aujourd'hui(1) ". Autant de problèmes, assurément, autant de problèmes que la restauration doit affronter, faute de quoi elle n’est pas ce qu’elle prétend être…

Car restaurer, au sens propre, c’est inévitablement procéder comme cela a été défini il y a plus de trente ans par le IIème Congrès international des architectes et des techniciens des monuments historiques, organisé à Venise en 1964, et adopté par l'ICOMOS dès 1965 : la charte de Venise(2). Il n’appartient pas au premier venu de restaurer à son idée !

Or cette Charte de Venise rappelle que la restauration "se fonde sur le respect de la substance ancienne et de documents authentiques" et qu'elle s'interdit les "reconstitutions conjecturales"; ce respect de la substance ancienne doit être tel que, "tout travail de complément reconnu indispensable pour des raisons esthétiques ou techniques (...) portera la marque de notre temps", pour que ce qui a été ajouté puisse être clairement distingué de ce qui a été à proprement parler " restauré " !

On ne peut donc absolument pas parler de restauration s’il y a modification des plans, de façades, de la technique de construction, etc. D’ailleurs, à Djenné, la technique traditionnelle (l’emploi du djenné ferey) était-elle vraiment inadéquate ? Etait-elle vraiment perdue ? On nous dit simplement qu’elle aurait exigé plus de temps, et donc plus d'argent. Elle seule, pourtant, permettait de reconstituer la "substance ancienne" des édifices ! Or on n’a même pas entrepris un seul essai, pour voir si, oui ou non, on pouvait encore l’employer !

Certains ont cru pouvoir prétendre que la charte de Venise ne s’appliquerait pas au contexte qui nous intéresse, parce que les cultures africaines n’accorderaient aucune valeur à l’ancienneté ni à l’authenticité d’un bâtiment, mais seulement à sa capacité à remplir la fonction qui lui est assignée(3). Cette critique de la Charte de Venise repose, on l'a compris, sur l'idée que le Nord ne doit pas imposer ses valeurs à la planète entière : une idée que nous admettons volontiers, et que nous nous proposons même de défendre ! Mais faut-il supposer pour autant, et sans discussion ni preuve, que les valeurs des " autres " sont différentes des nôtres? Cette façon de considérer les autres comme absolument différents de nous est pourtant, on commence à le comprendre, une véritable tare qui a inspiré les observations et les interprétations des premiers explorateurs et des anthropologues d’antan. En sommes nous encore là à l’aube du 3ème millénaire ?

Bref, on s’est trop vite satisfait des arguments selon lesquels les spécialistes du djenné ferey "n'ont plus la patience d'apprendre aux jeunes à fabriquer ces briques, et surtout s'il faut en faire pour une centaine de maisons" ; ou encore selon lesquels l'utilisation du beurre de karité dans le mélange dont on fait la brique serait trop coûteuse. Quant aux bari, les maçons des familles, qu’on nous présente si volontiers à chaque visite de chantier, ont-ils vraiment joué un autre rôle que celui de figurants dans des travaux qui se disent de restauration alors qu'ils ne sont que de pastiche ?

Evidemment, la question se pose de savoir s’il faut encore chercher à conserver ou à restaurer ce que la culture du lieu elle-même tente d'enterrer?(4) Pourtant nous nous sentons tous responsables vis-à-vis de nos pères de la transmission de l'héritage qu'ils nous ont remis. Ce n'est donc peut-être pas de gaieté de coeur que certains d’entre nous enterrent leur culture, mais, et l'exemple de la religion le prouve, ce peut être par conviction. Toutefois, comme nous nous sentons tous responsables, nous sommes prêts à admettre que, si l'un oublie ses devoirs à l’égard de ses pères, par conversion à des idées nouvelles, les autres peuvent le suppléer : la transmission peut être assurée par d'autres que les héritiers directs.

En outre, si les collectivités, ethnies, Etats, auxquelles nous appartenons abandonnaient l'idée de conserver ou restaurer ce que les gens du lieu eux-mêmes laissent disparaître, il n'y aurait plus qu'à se réjouir des exploits des amateurs et autres collectionneurs qui emportent et exportent tout ce qui peut l'être, et parfois se documentent très sérieusement, de sorte que leurs collections, souvent hors du pays d'origine, seront bientôt le seul témoignage que nous pourrons léguer aux générations futures sur les cultures dont nous avons hérité !

Certes, il faut admettre qu’il y a, dans les comportements que nous observons, une part de contrainte économique, qui explique des destructions de ce patrimoine malgré qu'en aient ses héritiers, subissant leur sort la mort dans l'âme, mais trop pauvres pour faire face au coût de la conservation. Dans ce cas, les collectivités et Etats peuvent, et doivent, intervenir sans hésiter, puisque le patrimoine de l'humanité doit être protégé par l'ensemble des humains. On peut cependant souhaiter que, dans ce domaine, l'aide extérieure (qui est déjà celle de l'Etat pour une collectivité locale) ne soit pas un moyen d'asservissement. Il faut le souhaiter d'autant plus ardemment que l'aide, telle que nous la connaissons depuis une génération, a justement eu pour travers de cultiver la dépendance plutôt que donner confiance à ceux qui ont à s'adapter aux réalités d'un monde devenu très vaste et très dur.

Bref, si l’on dispose des moyens de " restaurer ", il ne faut pas tenter de revenir, avec des arguments très minces, sur la Charte de Venise, il faut restaurer selon les principes qu’elle a définis, et qui impliquent notamment, mais ne se limitent pas à, l'authenticité des savoir-faire. Nous devons restaurer, au sens de la Charte de Venise, pour conserver de vrais témoins de l’art ancien de construire et d’habiter : un petit nombre de bâtiments, dont les usages nouveaux ou les occupants actuels pourront supporter les contraintes de la restauration ; mais pour le reste, il faudra admettre franchement qu’on procède à de la réhabilitation, à de la reconstruction, voire à des constructions nouvelles, en veillant simplement à ce que le style de ces dernières ne soit pas une injure au style des bâtiments anciens.

La réhabilitation s’impose donc en pratique comme complément de la restauration proprement dite, faute de quoi les bâtiments restaurés seront des pièces de musée dans un environnement dégradé, voire déserté. Si l’on veut que la ville entière vive, soit accueillante aux touristes, il faut que ses maisons anciennes soient entretenues, qu’elles soient adaptées aux conditions de vie de notre époque, qu’elles concurrencent efficacement les constructions nouvelles qui pourraient être réalisées dans des quartiers nouveaux. Mais cela ne peut pas se faire en saccageant le site, en juxtaposant des maisons de mauvais goût aux joyaux que nous avons hérités de nos pères. Il faut, dans le secteur classé, restaurer au sens propre, et dans le secteur protégé, respecter le style de Djenné. Mais qu’est-ce donc que le style architectural de Djenné ?

 

Redécouvrir le style architectural de Djenné

L’une des difficultés que l’on éprouve peut-être aujourd’hui dans la protection du style architectural de Djenné vient de ce que beaucoup de ses habitants sont si habitués à ce style qu’ils ne voient plus très bien sa valeur exceptionnelle, son originalité absolue : ils le lient trop facilement à la pauvreté dans laquelle ils se débattent, aux difficultés que rencontrent la ville et ses enfants depuis deux générations, etc. Il faut sortir de Djenné, il faut voir d’autres villes du Mali, d’autres villes sur d’autres continents, pour voir surgir cette conviction que l’architecture de Djenné est unique, et que certaines des solutions architecturales inventées à Djenné restent d’un intérêt considérable pour les grandes villes, que le style architectural de Djenné est un patrimoine pour l’humanité. Beaucoup de gens, qui ont longtemps vécu à Djenné et qui découvrent d’un coup le monde hors de Djenné, vont être un temps éblouis par ce qui se fait ailleurs : il suffira pourtant qu’ils y vivent assez longtemps pour évaluer plus exactement les avantages et inconvénients de ces solutions étrangères, et pour apprécier à sa juste valeur –à sa valeur unique au monde– l’architecture de Djenné et la structure urbaine de leur ville.

Il faut aussi lutter contre ce sentiment que l’architecture de Djenné a été trop copiée, trop utilisée, trop galvaudée par les colonisateurs, pour mériter encore d’être défendue et restaurée. Il est vrai que les pavillons de l’exposition coloniale internationale de 1931 ont été construits dans le style de Djenné ; il est vrai que l’architecture des bâtiments de l’administration coloniale, au Mali même, mais aussi dans tout le reste de l’Afrique occidentale, a beaucoup emprunté à l’architecture de Djenné ; il est vrai que certains dénoncent aujourd’hui " l’overdose " d’architecture soudanaise(5). Mais à l’évidence, le meilleur moyen de lutter contre les mauvaises imitations, c’est de protéger l’original : or l’original, la ville de Djenné elle-même est entre nos mains !

Protéger l’architecture de Djenné, c’est effectivement lutter contre les aspects décadents d’un style mal copié parce que mal connu, mal compris, imité par des dessinateurs plus soucieux de se faire valoir que de le faire connaître. A Djenné même, il n’est pas question de laisser la bride sur le cou à des architectes désireux de montrer seulement qu’ils sont capables de sortir des sentiers battus. A Djenné même, il n’est pas question de tenter de nous faire croire que la brique cuite appartient à la tradition : qui est assez ignorant de l’histoire de Djenné pendant ce siècle pour oser avancer pareille ineptie ? Non, Djenné doit être le conservatoire des traditions architecturales, le conservatoire de traditions vivantes dans ce domaine, vivantes comme elles le sont depuis plusieurs siècles, et qui ont imposé à la ville un style unique au monde. Nous proposons donc que, à côté du secteur classé, dans lequel seule la restauration au sens strict, c’est-à-dire au sens de la Charte de Venise, serait autorisée, il soit créé un large secteur protégé, mais effectivement protégé par une administration cultivée, courageuse et impartiale, secteur protégé dans lequel la créativité des architectes serait encouragée : car le style de Djenné laisse ouvert à la création un champ immense d’agencements nouveaux.

Ce style(6) de Djenné, c’est comme une langue : un vocabulaire, une syntaxe et des tournures idiomatiques. Comme les mots d’une langue, ces éléments sont empruntés à divers héritages historiques, mais ils ne sont pas utilisés n’importe comment. Comme une langue, ce style évolue sans cesse, mais ne cesse pas pour autant d’être immédiatement reconnaissable.

Un vocabulaire, comme nous le voyons à considérer deux exemples parmi beaucoup de ceux qui pourraient être choisis ! Ce vocabulaire compte un petit nombre de dessins de fenêtres, puisque ces ouvertures seront toujours munies soit d’un grillage en bois, aux motifs géométriques, soit d’une fenêtre marocaine avec ses petits volets intérieurs dans la partie haute et ses moucharabieh dans sa partie basse, soit encore d’une sorte de claustra en céramique. Ce vocabulaire comporte toujours des pilastres lorsqu’il est question de façade monumentale, mais en nombre variable selon le type de façade, et ces pilastres appartiennent à un petit nombre de types : de section rectangulaire ou demi-cylindrique, et surmontés ou non, selon qu’ils sont en angle (et dépassent alors le niveau de la balustrade qui ceinture la terrasse supérieure) ou pas, d’une poterie en terre cuite.

Une syntaxe, dont les règles indiquent comment les éléments se combinent, et dont on peut prendre pour exemple les trois grands types de façades (on ignore ici la façade " coloniale ", qui ne se signale que par ses larges ouvertures, et par la balustrade de claustras qui la couronne) :

Vocabulaire, syntaxe, mais aussi tournures idiomatiques, qui tiennent en particulier ici aux proportions. Là est la difficulté, là est la subtilité, dans le style architectural comme dans la langue : tout ce qui est conforme à la syntaxe n’est pas utilisé et peut choquer. Mais c’est donc bien là que s’offre au créateur, en l’occurrence au bari, le maçon, dans la tradition, mais aujourd’hui à l’architecte avec lui, un espace dans lequel ils sont appelés, comme toujours, à proposer une solution originale et ingénieuse à un problème caractérisé par un ensemble de contraintes. Là est l’art dont nous avons besoin pour le secteur protégé de Djenné. Cet art subtil des proportions est particulièrement nécessaire si l’on veut construire des bâtiments administratifs qui ne soient pas une insulte au style architectural de Djenné : car, si les maisons de Djenné ont parfois des façades monumentales, leur taille n’est pourtant jamais celle qu’on voudra parfois donner à des bâtiments administratifs.

Mais, voilà, nous ne voulons pas voir dans Djenné des constructions baroques empruntant tel élément à l’architecture bozo, tel autre à l’architecture civile dite toucouleur, tel autre à l’héritage marocain, et les noyant dans des façades immenses marquées d’ouvertures de taille elle aussi tout-à-fait incongrue. Nous ne voulons pas non plus d’un revêtement à la hâte en briques cuites, introduites par les colons pour couvrir les sols, et qui n’ont pas à escalader les façades : nous connaissons d’avance le résultat, à contempler la mosquée de Gomitogo, qui a subi cet affront il y a quelques années ! Pouvait-on espérer que le résultat serait meilleur sur l’école de Djenné ? Non, nous ne voulons pas de ces innovations apportées par des constructeurs incultes soucieux de faire du neuf et du voyant à tout prix. Non, avant de proposer un bâtiment quelconque pour Djenné, les architectes doivent assimiler le vocabulaire et la syntaxe, et puis se familiariser lentement avec les tournures idiomatiques. Rien de cela ne peut être improvisé : tout au contraire, il y faut un long et important investissement intellectuel.

Pour cette raison, les architectes, historiens et anthropologues maliens ne devraient pas laisser des auteurs étrangers (qui ont eu le mérite de nous ouvrir les yeux : les Labelle Prussin, Pierre Maas et Geert Mommersteg, par exemple), rester les seuls spécialistes de l’architecture de Djenné : ils devraient l’étudier eux-mêmes de près, de très près, et se former l’œil et la main à son dessin, pour apprendre petit à petit ce qui est tolérable et ce qui est, dans cette culture, grossière faute de goût. Ces auteurs étrangers ont fait un travail remarquable, qui est désormais pour les Maliens un " héritage sans testament " : il leur revient d’en faire leur miel, de l’approfondir sans doute, grâce à leur plus grande familiarité avec la culture du lieu, grâce à leur plus grande facilité à glaner des informations complémentaires, avant d’en user librement pour des créations authentiques et, en même temps, parfaitement respectueuses du style propre de Djenné.

Ce travail de redécouverte de l’architecture de Djenné par les architectes du Mali, aidés autant que nécessaire par les spécialistes d’autres disciplines, s’impose à l’évidence. C’est un travail passionnant, un travail qui permettra à ceux qui le feront comme à ceux qui en profiteront, de retrouver leur culture, de retrouver leurs racines très profondes, et par là de retrouver une source d’inspiration unique au monde, une source de créativité absolument originale. Car ce travail de redécouverte peut déboucher sur le langage architectural de la Djenné d’aujourd’hui, un langage qui entretiendrait des rapports évidents et harmonieux avec le langage architectural des générations anciennes qui ont construit Djenné, tout en permettant aussi de dire l’habitat d’aujourd’hui, bref un langage qui exprimerait de façon éclatante la créativité de Djenné. C’est dans ce cadre, et dans ce cadre seulement, que peut-être envisagée la recherche de matériaux susceptibles de se substituer au banco : là encore, le domaine ouvert à la créativité est immense, mais il y faut des hommes nourris des formes, des fonctions, et respectueux des contraintes du site.

Ce travail est nécessaire, car Djenné est désormais classée comme patrimoine de l’humanité ! Oui, et nous en sommes fiers ! Mais cela signifie, parmi bien d’autres choses, que beaucoup d’étrangers connaissent parfaitement Djenné et son architecture. Ce qui se fait, ce qui se fera en matière d’architecture à Djenné sera donc jugé par les djennenké, bien sûr, mais aussi par un vaste public cultivé de Maliens et d’étrangers attachés à Djenné ! C’est son image, et à vrai dire derrière cette image son avenir tout entier, que joue Djenné dans cette affaire.

Mais il est encore un problème important dont il n’a pas été question jusqu’à présent, et dont la solution est devenue une condition sine qua non de la protection du patrimoine architectural de Djenné : l’assainissement de la ville !

 

Commencer par le commencement

Djenné est une ville dont les bâtiments privés et les aménagements publics ont été conçus et progressivement réalisés à l’époque où les ressources en eau se limitaient aux quantités qui pouvaient être amenées à dos d’homme –si l’on ose dire, puisque cette corvée était réservée aux femmes– depuis les collections naturelles. A cette époque, la toilette, comme la vaisselle et la lessive étaient faites le plus généralement à la rivière ; et, pour la satisfaction des besoins naturels, les djennenké avaient inventé ce système de fosses sèches servant à collecter les matières fécales, un système parfaitement adapté au contexte et dont on découvre aujourd’hui en Amérique du Nord les grands avantages. L’eau apportée dans les maisons servait donc essentiellement à la boisson, à la cuisine, et aux besoins des vieillards, des femmes nobles et des jeunes enfants.

Tout a bien changé depuis que des bornes fontaines ont été installées dans la ville ! C’est donc une nouveauté que de voir de la boue en toute saison dans les rues de Djenné ! Autrefois, on pouvait s’y promener avec ces babouches, justement fabriquées à Djenné, et dont la semelle ne résiste pas à l’eau, mais aujourd’hui toutes les ruelles sont boueuses et certaines sont des caniveaux ! La première urgence, si l’on se préoccupait de résoudre les problèmes dans l’ordre de leur véritable priorité, consisterait donc à assainir la ville. Les experts en conviennent, mais ils savent que les bailleurs renâcleront devant le coût de l’opération ! Ils savent aussi que ces travaux obscurs, souterrains, invisibles, ne plaisent guère : ils ne font pas ces belles photos, ces inaugurations prestigieuses, ces réalisations ornées d’une apparence –d’une simple apparence le plus souvent– de culture, dont vivent les projets !

On parle donc d’assainissement, mais au lieu d’entreprendre avec détermination ce qui s’impose, on se contentera de stigmatiser certains comportements de la population, ou bien d’envisager tout ce qu’elle pourrait faire, au niveau de chaque concession, pour éviter que les eaux évacuées dans la rue ne soient trop grasses ou trop chargées  ! Loin de nous l’idée de critiquer la prise en charge par la population des problèmes qui sont à la mesure de ses moyens, mais reconnaissons que cette mobilisation des énergies familiales n’est pas à la hauteur du problème. S’il faut assainir Djenné, ce que nous croyons, il faut y créer un réseau d’évacuation des eaux usées, et ce ne peut être là qu’un grand chantier.

On ne peut donc pas se satisfaire d’apprendre que l’administration envisagerait le pavage de la rue qui permet aux visiteurs de pénétrer dans la ville, ainsi que de la place de la mosquée, qui sert aussi, chaque lundi, de place du marché ! Voilà quelque chose de visible, certes, mais de très insuffisant ! Car c’est construire sur un marécage que de restaurer les anciennes maisons de Djenné sans avoir résolu le problème de l’évacuation des eaux usées ! C’est pourtant bien ce qu’on a entrepris !

Oui, il faut protéger l’architecture de Djenné ! C’est une tâche qui nous incombe !

J. BRUNET-JAILLY


(1) Pierre Maas et Geert Mommerteeg : Djenné, chef œuvre architectural, Institut de Sciences Humaines de Bamako-Université de Technologie d'Eindhowen-Institut Royal des Tropics d'Amsterdam-Musée National de Bamako, 1992, p. 80 Retour au texte

(2) Voir le texte de la charte de Venise dans : Nouvelles du Patrimoine, n° 61, mai 1965, p. 9 (Association des Amis de l'UNSECO, Bruxelles). Retour au texte

(3) Par exemple : Yves Robert "L'architecture vernaculaire confrontée à la Charte de Venise", Nouvelles du Patrimoine, n° 61, mai 1995, p. 23-25 (Association des Amis de l'UNESCO, Bruxelles) Retour au texte

(4) Sidiki Tinta : L'architecture vernaculaire et la charte de Venise, DJENNE PATRIMOINE Informations, n° 5, juillet 1998, p. 7-12 Retour au texte

(5) Sékou Sissoko, administrateur civil : "Architecture : l'overdose soudanaise", l'Essor, 15 février 1999 Retour au texte

(6) Il faut lire et relire l'ouvrage fondamental de Pierre Maas, Gert Mommersteeg : chef-d'euvre architectural, déjà cité plus haut Retour au texte

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Ont contribué à la rédaction de ce bulletin : Madame Adame Konaré Ba, Amadou Tahirou Bah, Joseph Brunet-Jailly, Hamma Cissé, Papa Moussa Cissé, Bamoye Guitteye, Bamoye Sory Traore, Bamoye Yaro

 

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