DJENNE PATRIMOINE

BP 07 DJENNE Mali

 

DJENNE PATRIMOINE Informations

numéro 8, janvier 2000

 

NOUVELLES DE DJENNE

Conseil municipal et Conseil de cercle

A la suite des élections municipales du mois de juin dernier, le conseil de la commune urbaine de Djenné est ainsi composé : MM. Alpha Nouhoum Diallo, Bamoye Sory Traore, Foourou Alpha Cisse, Mme Sirandou Bocoum, MM. Mahamane Sao, Hasseye Baba Maïga, Mme Sidibé Lalla Maïga, MM. Ousmane Kontao, Amadou Ismaïla Diallo, Moussa Ousmane Cissé dit Papa Cissé, Naouma Bocoum, Nouhoum Traore dit Bamoye, Sékou Touré, Elhabib Alpha Oumar Maïga, Alassane Bocoum, Mmes Rokia Kanta et Tata Soucko.

Le Bureau Communal a été ainsi constitué : Monsieur Bamoye Sory Traoré est maire, Monsieur Foourou Alpha Cissé est premier adjoint, Madame Bocoum Sirandou Bocoum second adjoint, Monsieur Alassane Bocoum troisième adjoint.

Quant au Conseil de cercle, il est présidé par El Hadj Alpha Nouhoum Diallo, son premier vice-président est Moussa Ousmane Cissé, dit Papa Cissé, et son deuxième vice-président Ibrahim Cissé.

Visiteurs de marque

Le Président du groupe parlementaire japonais a effectué une visite touristique à Djenné, qui lui a organisé une réception exceptionnelle le 3 octobre 1999.

Madame le Ministre de la Coopération du Royaume des Pays-Bas s’est rendue à Djenné le 23 octobre pour évaluer le projet de restauration des maisons anciennes que finance son pays. Répondant à une requête de Monsieur Bamoye Sory Traore, Maire de Djenné, elle a promis d’envoyer à Djenné en février un expert pour examiner les problèmes de l’assainissement de la ville.

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Caravane de la poésie

Du 24 octobre au 10 novembre 1999, une Caravane de la poésie a traversé l’Afrique de l’Ouest, de Gorée à Tombouctou, donnant l’occasion de rencontres et d’échanges entre griots traditionnels et poètes modernes.

Les artistes de la caravane étaient les suivants : Abbecaye Ousmane Kounta (Mali), Thierno Seydou Sall (Sénégal), Chirikuve Chirikuve (Zimbabwe), Amina Saïd (Tunisie), Eraf Hawad (Sahara central), Breyten Breytenbach (Afrique du Sud), Zein El Abdin Fouad (Egypte), Werewere Liking (Cameroun) et Antje Krog (Afrique du Sud).

Le 2 novembre, la caravane était à Djenné, et elle a pu rencontrer des artistes de Djenné : Yacouba Dembele, Abdourahmane Sarré et Nouhoum Boubou Sango, tous trois conteurs ; l’étape de Djenné a Amadou, pendant la conférence de Amadou T. Bah, le 10 janvier aussi été marquée par un spectacle de danse organisé par les associations féminines de Djenné.

Du " Carnet de bord de la Caravane de la poésie " qu’a tenu Werewere Liking, nous extrayons les passages suivants, qui montrent deux aspects significatifs de l’ambiance de la manifestation :

  " A Kaoloack, un gouverneur de province en bras de chemise attend sur la place depuis près d’une heure avec sa population. C’est certainement le gouverneur le plus simple et le plus sympathique qu’il m’ait été donné de rencontrer. Il souhaite la bienvenue aux poètes en leur rappelant ce que la population attend d’eux, c’est-à-dire de l’exaltation et de nouveaux rêves. Un griot squelettique ivoire-ébène nageant dans son boubou blanc tient sa petite kora collée contre son ventre pour égrener des paroles d’espoir, pendant que son frère harmonise sa voix. Il parle de construire des lendemains différents "  

 

" A Kita, les griots disposent d’un endroit désigné du terme merveilleux de ‘vestibule de la parole’, un terme à faire rêver n’importe quel poète, et tous les poètes caravaniers y sont invités pour le lendemain. La nuit, chacun y va de son fantasme. Un lieu de parole libre, conçu pour des gens de parole, pour eux-mêmes, pour leur réflexion théorique et pratique, un espace idéal pour rêver de nouveaux mondes ".

La caravane des poètes était donc l’occasion de vérifier que l’autre nous apporte ce que nous n’avons pas ! Elle était aussi l’occasion de créations poétiques, aboutissant par exemple à ce poème :

Renaître et marcher à Djenné

A Mathias Diawara et à tous nos rêves de renaissance

Quand la mémoire va à sa source

Elle ne ramène pas que des goujons roses

Il y a vingt-deux ans, Djenné, je foulais ton sol craquelé

O sécheresse !

Combien de temps passe entre un souvenir et un oubli

Entre une mort et une nouvelle vie 

Combien de temps coule entre le quotidien et le mythe 

Entre l’action et toute une geste 

Avant que ne vienne le jour d’un nouveau départ

Comme une nouvelle mort ou une autre vie

Qui saura jamais la vraie différence

Mourir à l’ici n’est-ce pas renaître à l’ailleurs

Ainsi la vie se perpétue et l’éternité entière

La vie demeure, éternelle

Même quand tout semble figé comme ton sol d’alors

Tout craquelé et endurci par une sécheresse torride.

Reviennent tôt ou tard les grandes eaux

Et prospère le beau riz flottant

Se disputant l’espace avec les nénuphars royaux.

Alors quoi mes frères et sœurs

Que faire d’autre sinon marcher

Marcher comme la terre comme la vie

Marcher comme une pure énergie

Marcher sans autre objectif que d’avancer

Marcher sans pensées pour marcher

Le lieu de réflexion et de destination

Etant la marche elle-même en tant qu’ultime action

Action essentielle et vitale.

Continue, Djenné, marche !

Marche Afrique, et que nous te regardions marcher !

Sur les marches de leurs temples et de leurs mosquées

Entourés de tes marchés bariolés

Investissant leurs marchés de dupes.

Marche et que nous marchions derrière toi !

A la queue leu leu des caravanes par centaines

Nous avançons en ton sein !

Marche Djenné, marche Afrique,

Et que ton destin marche vers toi !

Werewere Liking, , Djenné, 1er novembre 1999

[DJENNE PATRIMOINE remercie très chaleureusement Madame Werewere Liking d’avoir autorisé la reproduction dans ce bulletin de ces extraits de son " Carnet de route ", ainsi que de son poème " Renaître et marcher à Djenné"]

 

Assainissement de Djenné

Cette question apparaît comme le premier défi à relever par les autorités municipales qui ont été élues en 1999. Djenné a été longtemps une ville très propre, lorsque chaque femme balayait chaque jour devant sa maison jusqu’à la limite de la maison voisine, et lorsque l’eau était rare. En effet, pendant des siècles, les habitants de Djenné ne transportaient vers l’intérieur de la ville que l’eau de boisson et l’eau de la toilette pour les personnes âgées et pour quelques nobles ; tous les autres se lavaient dans le fleuve, aux " ports de bains ", les uns pour les hommes, les autres pour les femmes.

Lorsque en 1980 a commencé l’adduction d’eau, grâce à la coopération canadienne, l’eau potable est devenue abondante dans la ville même. Aujourd’hui, chacun se lave chez soi, et les femmes préfèrent payer 5 FCFA un seau d’eau de 20 litres et faire la lessive à la maison, plutôt que d’aller au puits ou au fleuve. Les eaux usées sont rejetées dans les ruelles. Par ailleurs, la prolifération des emballages légers en plastique enlaidit la ville d’une façon qui devient insupportable pour ceux qui aiment Djenné et ont une certaine idée d’elle. Si l’élimination des déchets solides n’exige pas des investissements considérables, il en va tout autrement pour l’évacuation des eaux usées.

C’est ainsi que, dès sa mise en place, le bureau communal a pris des contacts avec les organismes et pays amis. Deux réactions favorables ont été enregistrées pour l’année 2000 :

Foourou Alpha Cissé

VIIIème Colloque de l’Association Africaine d’Archéologie

Ce colloque s’est tenu à Djenné même, du 2 au 4 novembre 1999. Plusieurs des exposés qui y ont été discutés présentent un intérêt direct pour la réflexion de DJENNE PATRIMOINE, et nous y reviendrons donc dans une prochaine livraison. Signalons simplement ici les titres qui retiennent immadiatement l’attention :

 

 

NOUVELLES DU PATRIMOINE DE DJENNE

 

Campagne de sensibilisation

Dans le cadre d’un projet financé par le gouvernement des Pays-Bas pour 3 ans (projet de conservation du patrimoine), une campagne de sensibilisation a été entamée en 1999 pour informer les populations de la nécessité de préserver leur patrimoine culturel et pour les impliquer dans la démarche de conservation et de promotion.

Pour la première année, l’équipe a sillonné les 6 arrondissements du cercle, en visitant au total une vingtaine de villages, de Kouakourou à Mougna en passant par Konia, Sofara et Taga. Dans chaque village, après la prise de contact et une assemblée générale, la troupe du Koteba National donnait une représentation théâtrale sur les méfaits du pillage. Le texte en était adapté aux réalités culturelles du village, faisant allusion par exemple aux puits et bois sacrés, ou à la tombe des fondateurs du village. La représentation était suivie d’une discussion au cours de laquelle les points obscurs pouvaient être signalés et éclaircis. Mais, partout où elle est passée, l’équipe de sensibilisation a été impressionnée par la forte mobilisation des populations, par la nature et la qualité des questions, ainsi que par les motions de remerciement.

Avant de quitter le village, l’équipe procédait à la mise en place d’une brigade de surveillance composée de 5 membres choisis par la population. Chaque brigade sera dotée de vélos. La brigade sera chargée de surveiller les sites archéologiques et le mouvement des biens culturels, et servira de relais entre la communauté et la Mission Culturelle de Djenné.

Mamary Sidibé

La Mission Culturelle et la protection du patrimoine architectural de Djenné

L’émission " Racines " diffusée sur Radio Jamana le 19 juin dernier, et dont la transcription est reproduite ci-après (cf. DOCUMENT 2), a clairement montré que la politique de la Mission culturelle en matière de protection du patrimoine architectural de Djenné se ramène aux éléments suivants :

DJENNE PATRIMOINE considère que la Mission Culturelle ne protège pas le patrimoine architectural de Djenné tant qu’elle se contente de gérer les projets financés par la coopération hollandaise. La protection du patrimoine architectural de Djenné implique que l’on fasse comprendre et admettre la nécessité de respecter par tous les propriétaires, dans la vieille ville de Djenné, un minimum de règles d’urbanisme et de construction, de telle sorte que la ville ne soit pas défigurée par des initiatives malheureuses et incontrôlées.

DJENNE PATRIMOINE a déjà protesté contre la façon dont le dossier de l’école a été traité et contre le résultat, qui l’un et l’autre traduisent le mépris des administrations nationales maliennes pour les spécificités qui sont celles d’une ville inscrite par l’UNESCO sur la liste du Patrimoine Mondial. Aujourd’hui, DJENNE PATRIMOINE attire l’attention de tous ceux qui s’intéressent à Djénné sur le fait que le patrimoine architectural de la ville n’est aucunement protégé.

Pour DJENNE PATRIMOINE, la protection du patrimoine architectural de Djenné implique :

Le dossier du futur musée sera le premier à devoir respecter cette procédure, au moins tant qu’on suppose que l’administration, qui sollicite les bailleurs de fonds en s’appuyant sur le classement de Djenné, doit montrer l’exemple.

 

NOUVELLES DE DJENNE PATRIMOINE

Une mobilisation générale

Les mois de novembre et décembre ont été marqués par une intense activités des animateurs de DJENNE PATRIMOINE, pour préparer l’arrivée des visiteurs attendus pour " Fêter à Djenné l’aube du IIIème millénaire ".

De nombreuses réunions et deux assemblées générales se sont tenues pendant cette période, et des commissions spécialisées ont été constituées, dont chacune devait traiter d’un aspect particulier de l’organisation du programme : accueil et hébergement, visite de la ville, animation culturelle, conférences et débats, parade de pirogues, exposition artisanale, visite à Sénossa, visite à Kéké, visite à Kolenze, etc.

Deux conclusions peuvent être tirées de cette expérience : d’une part, l’organisation de cette fête a été l’occasion d’associer aux activités de DJENNE PATRIMOINE des personnes qui jusqu’à présent ne participaient que d’une façon assez limitée : on ne peut que les remercier de leur concours et se féliciter de leur nouvel engagement ; d’autre part, la volonté de gagner le pari que représentait le succès de cette fête a galvanisé les énergies, et appris aux responsables des diverses activités à travailler ensemble. C’est donc une expérience extrêmement positive qui montre de quoi est capable notre association.

Fêter à Djenné l’aube du IIIème millénaire

A Rondé Sirou, sous le tamarinier sous lequel préchait Sékou Amadou, pendant la conférence de Amadou T. Bah, le 10 janvier

 

Le programme de cette fête s’est déroulé du 5 au 14 janvier, selon le programme indiqué dans le précédent numéro de DJENNE PATRIMOINE Informations (n° 7, juillet 1999, p. 10-12), compte-tenu de quelques modifications qui y ont été apportées pour l’adapter à la date de la fête de Ramadan, ainsi qu’à la présence d’une équipe de la télévision malienne, dirigée par Mory Soumano (avec Abdoulaye Diarra, caméraman, Ngolo Diarra, technicien son et Mademoiselle Bah). Une vingtaine de personnes venant de France, de Suède, du Sénégal et de Côte d’Ivoire, ainsi que plusieurs membres fondateurs et tous les animateurs de DJENNE PATRIMOINE ont suivi les activités.

Les participants n’oublieront pas de sitôt quelques grands moments de leur séjour, parmi lesquels il faut sûrement ranger :

Fort heureusement, pour les absents mais aussi pour les présents, la plupart de ces moments ont été filmés. Mory Soumano a promis de consacrer 4 émissions de sa série " Terroirs " à ces festivités, puisque DJENNE PATRIMOINE a joué le rôle de producteur, et une cassette sera éditée pour être commercialisée !

Par ailleurs, le peintre ivoirien Idrissa DIARRA et le dessinateur et graveur français François CAYOL, ancien pensionnaire de la Casa de Velasquez, qui étaient au nombre des présents, forment déjà le projet d’exposer à Djenné, l’an prochain peut-être, les œuvres que ces activités leur ont inspirées.

Joseph Brunet-Jailly

 

Concertation avec les maçons

DJENNE PATRIMOINE a réuni le 5 novembre un certain nombre de maçons pour préciser avec eux de l’état des connaissances concernant la construction en djenné ferey. Etaient présents autour de Boubacar Kouroumansé dit Bayere : Ibrahim Toumagnon, Nouhoum Touré, Souleymane Yorou, Béré Yonou, avec Bamoye Guitteye et Boubacar Koïta dit Tapo.

La question, dont chacun avait été averti par avance, a rapidement été posée et les réponses ont été les suivantes :

  1. les maçons qui savent construire en djenne ferey sont tous à la retraite, ils sont tous vieux ; aucun maçon travaillant aujourd’hui n’a construit lui-même une maison en djenne ferey ;
  2. Béré Yonou, qui aurait 67 ans, et qui appelle à la prière, a construit en djenne ferey quand il était jeune, avec Belco Toure et Bokar Touré, qui sont les seuls, parmi les maçons encore vivants, à avoir construit des maisons entières en djenne ferey ;
  3. il faut peut-être trois ans pour construire un maison en djenne ferey, et donc à chaque stade on crépit pour protéger le travail, et de la sorte le chantier peut passer la saison des pluies ;
  4. le travail qu’on fait aujourd’hui (la construction en toubabou ferey) est plus rapide et moins coûteux ; mais " si on nous donne le matériel, on peut faire ; si le nécessaire est là, on fera " en djenné ferey ;
  5. dans la phase pilote du projet hollandais, on a reconstruit en djenne ferey une partie de la maison qui servait de test ; pour Bayere, c’était la première fois qu’il employait cette technique ;
  6. autrefois, pour construire, le maçon faisait appel non seulement à ses apprentis, mais aussi aux élèves coraniques, alors que de nos jours il faudra payer toute la main d’œuvre ; pour savoir ce que coûterait une maison en djenne ferey aujourd’hui, il faut la construire, personne ne peut faire un devis, il faut redécouvrir tous les coûts par une expérience ;
  7. si on fait cette expérience, on pourra ensuite créer une école, pour que la technique puisse être transmise par ceux qui la connaissent encore aux nouvelles générations ; mais, " si on veut tuer un lion, il faut un bon fusil ", donc ne pas lésiner sur les moyens.
  8. l’escalier sud de la mosquée et les trois minarets, lorsqu’ils ont été reconstruits (en 1995, nous dit-on), l’ont été en toubabou ferey.

 

 

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DOCUMENT 1

Geert Mommersteeg

Le domaine du marabout : maîtres coraniques et spécialistes magico-religieux à Djenné (Mali)(1)

Cette étude ethnographique, basée sur des recherches effectuées à Djenné (Mali) à partir de la seconde moitié des années 1980, est centrée sur les spécialistes religieux musulmans communément appelés marabouts en français. A Djenné, comme ailleurs en Afrique occidentale musulmane, ce terme regroupe des personnes différentes. Qui dit marabout dit étude, érudition, et notamment connaissance. La connaissance que possèdent les marabouts est de deux sortes : outre la connaissance " publique " (bayanu), les marabouts possèdent également une connaissance " secrète " (siri). La connaissance bayanu est étroitement liée à la pratique de l’enseignement coranique tant au niveau primaire que secondaire. La connaissance siri, par contre, trouve son application dans la pratique du maraboutage, terme qui couvre des activités comme la confection d’amulettes et la consultation de différents systèmes de divination. Les groupes de ceux qui possèdent la connaissance bayanu et de ceux qui disposent de la connaissance siri se chevauchent en grande partie.

Comme partout en Afrique occidentale musulmane, les jeunes enfants de Djenné, dès qu’ils ont atteint un certain âge, sont confiés à un marabout qui leur enseigne la lecture du Coran, ou plutôt sa récitation. L’enseignement coranique primaire comporte cinq phases, dont trois consacrées à la lecture et deux à l’écriture. Ce qu’apprennent les élèves des écoles coraniques primaires, c’est le rituel de la récitation du Coran ; autrement dit, ils font connaissance avec la Parole divine. On n’enseigne pas à l’élève comment lire un texte, mais plutôt comment le réciter. Pendant toute leur scolarité, les élèves ne bénéficieront d’aucune explication de texte à propos des mots qu’ils apprennent à " lire " : rien ne leur sera exposé ni traduit. Ce qui compte, c’est de réciter et d’écrire les mots sacrés sans commettre de faute, d’autant plus qu’apprendre à réciter les mots du Livre Saint est un exercice religieux. Cependant, on doit considérer cet enseignement dans une perspective plus large, et signaler la fonction importante de cette institution pédagogique pour l’intégration morale et culturelle de l’enfant dans la société musulmane.

Outre une quarantaine d’écoles coraniques primaires, on trouve à Djenné une dizaine d’écoles pour l’enseignement coranique secondaire, appelées en songhay kitabu-tirahu (c’est-à-dire école des livres). La plupart font partie d’écoles coraniques plus grandes où l’on enseigne également au niveau primaire. Tandis que le père s’occupe de l’enseignement des " livres ", son fils ou éventuellement plusieurs fils enseignent la lecture du Coran. Dans les " écoles des livres ", les élèves font connaissance avec les auteurs classiques du droit islamique, la grammaire et la littérature arabes, la théologie, les traditions du Prophète et l’exégèse du Coran.

Ce sont ces écoles qui confèrent à Djenné un statut de centre régional du savoir islamique. Des étudiants originaires de villages alentour, et même au-delà, suivent, parfois des années durant, à Djenné l’enseignement d’un marabout réputé pour ses connaissances des sciences islamiques traditionnelles. Selon la saison, jusqu’à environ 250 étudiants séjournent dans la ville. Quelques dizaines d’entre eux ont leurs propres jeunes élèves, venant également de l’extérieur pour suivre leurs leçons de lecture du Coran.

Pour un élève de l’enseignement secondaire, l’apprentissage de la langue arabe est d’une importance capitale. C’est grâce à la lecture de textes de droit islamique (fiqh), et sous la conduite d’un maître qui traduit mot à mot, que l’étudiant s’imprégnera petit à petit du sens des mots arabes. L’écriture ne forme pas une barrière : des années durant, il s’est familiarisé avec elle à l’école coranique primaire. Il ignorait cependant tout de la signification des mots de cette langue étrangère. Les connaissances linguistiques qui sont indispensables à l’enseignement du niveau secondaire sont ainsi, dans un premier temps, acquises progressivement, de manière non systématisée. Ce n’est que dans un second temps, et parfois même dans la phase suivante, que s’effectue un apprentissage linguistique systématique de l’arabe, comprenant la grammaire et les autres disciplines linguistiques complémentaires. Les étudiants les plus avancés des " écoles des livres " étudient l’exégèse du Coran (tafsir) : ainsi retournent-ils au livre ultime, le Livre, dont, en bas âge, ils ont d’abord appris la récitation et ensuite l’écriture des paroles sacrées.

Quoique la dichotomie bayanu/siri se trouve à la base de l’organisation de la plupart des chapitres de notre thèse, on constatera dans les descriptions qu’il existe en plusieurs endroits une relation étroite entre ces deux domaines. Ainsi s’accordent-ils en ce qui concerne la place importante réservées aux livres. Tant au niveau primaire qu’au secondaire, les livres –ou plutôt le Livre et les livres– jouent un rôle primordial. Celui-ci est également important dans le domaine siri. Il existe tout un corps de publications sur le terrain de la connaissance siri. A part leurs livres en feuillets écrits à la main, qui contiennent entre autres des recettes pour la confection d’amulettes, les marabouts de Djenné possèdent parfois une collection plus ou moins importante de livres et d’opuscules imprimés en Afrique du Nord ou au Proche Orient, et qui traitent de l’astrologie, des carrés magiques et des significations secrètes des " plus beaux noms de Dieu ". Ils se servent de ces ouvrages pour l’étude et la pratique du maraboutage, aussi bien que pour la confection d’amulettes et pour la divination.

A part le fait qu’il y a des livres qui contiennent de la connaissance siri et qui sont par conséquent essentiels pour la pratique du maraboutage, l’importance de la parole écrite est ici d’un intérêt autrement considérable. Au moyen de l’écriture, les marabouts sont en état d’incorporer la force bénéfique (baraka) attribuée aux paroles du Coran dans une amulette. Les amulettes que les marabouts écrivent au profit de leurs clients servent une grande diversité d’objectifs, tant préventifs que causatifs. Untel est à la recherche d’une protection contre les forces du Mal ou la maladie, telle femme est stérile, tel homme cherche la femme de ses rêves, un autre aspire à la richesse ou au pouvoir, etc. : tous peuvent s’adresser au marabout pour une amulette.

Les pouvoirs attribués aux citations de la Parole Divine peuvent être utilisés de diverses façons : le tira, le nesi et le dugu. Le tira est un petit morceau de papier sur lequel on aura inscrit des citations du Coran, des noms de Dieu, des noms de Ses anges et de Ses prophètes, des carrés magiques et des signes mystérieux. Cousu dans du tissu ou du cuir, le tira peut être porté sur soi ou gardé à la maison comme une amulette. Mais on peut également utiliser les pouvoirs sous forme liquide, comme " eau-amulette " (nesi). Pour le fabriquer, on écrit les textes d’abord sur une planchette, qui est ensuite lavée avec de l’eau, et la solution ainsi obtenue est soigneusement recueillie. Le nesi peut être bu, être ajouté à l’eau du bain, être utilisé pour masser une partie du corps. On peut encore utiliser des amulettes sous forme de fumigation (dugu) : là, on se sert d’un texte écrit sur du papier, ou de l’eau-amulette, qu’on jette ou verse sur des charbons de bois brûlants dont on inspire la fumée.

Le processus de confection d’une amulette est souvent fort complexe. Les sciences ésotériques, liées à la conviction selon laquelle le Coran est la Parole Divine, et l’arabe la langue de Dieu, concernent entre autres la connaissance du sens caché et des pouvoirs des mots et des lettres, de la numérologie et des carrés magiques. Chacune de ces spécialités a son application spécifique dans la confection des amulettes. Un des chapitres de la thèse donne une description détaillée de la confection d’une amulette, et démontre comment les paroles du Coran qui sont inscrites dans l’amulette jouent un rôle déterminant dans ce processus. Différents facteurs, tels que l’heure appropriée pour écrire le texte sur le papier de l’amulette, l’endroit où déposer une copie de ce dernier, le type d’encens à brûler pour s’adresser aux esprits, pour ne citer que quelques exemples, sont choisis par le marabout en fonction de la citation du Coran qui est le cœur de l’amulette. Les pratique de numérologie jouent ici un rôle très important : la valeur numérique du texte cité du Coran est à l’origine de la plupart des éléments qui interviennent dans la confection de l’amulette.

La façon dont les élèves de l’école coranique sont imprégnés de l’idée que les paroles du Coran contiennent un pouvoir mystérieux est assez remarquable. Ici, on constate un rapprochement très net des domaines siri et bayanu au niveau de la pratique. Même avant d’apprendre à réciter les premiers mots du Coran, l’élève absorbe littéralement la Parole Divine : à son premier jour de classe, il doit lécher un verset du Coran que son maître lui a écrit sur la paume. Par cet acte, le jeune élève est supposé s’incorporer les forces attribuées à ces paroles, qui, dans le cas présent, sont censées " ouvrir son intelligence ". La baraka des paroles coraniques qui, dans la pratique siri, est enfermée dans des amulettes, est ici mise à profit pour faciliter la tâche du marabout bayanu, celle de transmettre la connaissance dont on a besoin pour être membre à part entière de la société musulmane. Ainsi le domaine du maraboutage (connaissance siri) et celui de l’enseignement (connaissance bayanu) sont donc étroitement liés. Un autre exemple significatif de cet enchevêtrement est l’utilisation du nesi-kusu, la jarre où les élèves coraniques lavent leurs planchettes. En effet, l’eau dont se servent les élèves pour effacer les textes coraniques qu’ils ont écrits sur leurs planchettes est recueillie et conservée dans le nesi-kusu. Une ou deux fois par an, on vide la jarre hors de la ville dans de l’eau courante, car rien de son contenu ne doit parvenir à un endroit impur : on ne badine pas avec l’eau qui contient les mots sacrés de Dieu. Parfois, des gens viennent chercher un peu d’eau de la nesi-kusu, pour s’en servir comme médicament.

Dans le domaine siri, le Coran est utilisé en tant que source de pouvoirs. Le Livre contient la Parole Divine, qui possède des pouvoirs mystérieux, et ces derniers peuvent être mis à profit par qui sait comment le faire. L’importance du Coran dans le domaine siri ne s’arrête cependant pas là. Dans ce cadre, l’aspect normatif de la dichotomie bayanu/siri joue un rôle important. Depuis toujours, l’usage d’amulettes a été l’objet d’un débat à l’intérieur de l’islam, et dans la littérature sur ce sujet plusieurs opinions se dessinent : d’un côté, les savants classiques déclarent que toute pratique magique corrompt la foi islamique et que, par conséquent, il est défendu aux fidèles de s’y aventurer ; de l’autre, ceux qui défendent l’utilisation du Coran dans la confection des amulettes, interprètent les textes écrits dans ces dernières comme autant d’invocations de Dieu, comme autant de prières de demande.

C’est surtout cette dernière opinion qui ressort de la terminologie utilisée à Djenné. Les amulettes sont définies comme " demandes à Dieu " (Yer Koy narey). C’est en effet ce que font les marabouts qui écrivent ces amulettes : ils demandent à Dieu Sa protection pour leurs clients, ou la prospérité, ou la réalisation d’un but spécifique. La définition des amulettes comme prière de demande (dua en arabe, gara en songhay) constitue une justification religieuse pour leur emploi. Et d’ailleurs, en se plaçant dans le domaine bayanu, on peut trouver dans le Coran et dans les paroles du Prophète des arguments en faveur des amulettes. Dans le Coran, Dieu dit : " Appelez-moi et je vous répondrai " (40:62) ; et voici une parole attribuée au Prophète : " les prières de demande sont les armes du musulman ". Si l’on considère l’amulette comme une prière de demande, comme une invocation de Dieu, alors il est justifié d’appliquer ces deux citations à son utilisation. Effectivement, pendant nos conversations sur l’usage et la signification des amulettes, les marabouts de Djenné se référaient surtout à ce verset du Coran et à ce hadith.

Pourtant ce n’est pas tout : le Livre donne lui-même des indications montrant que son propre texte peut être utilisé dans des amulettes. On cite ici le verset suivant du Coran : " Nous envoyons dans le Coran la guérison et la grâce aux fidèles " (17 :84). Ce verset implique que les Paroles Divines possèdent une force bénéfique, et dans ce contexte ce dernier mot doit être interprété en son sens le plus large. Ainsi, à Djenné, on aime raconter que le Prophète Mohamed s’est un jour débarrassé de ses assaillants à l’aide d’une citation du Coran, et que d’autres prophètes également ont pu échapper à des situations précaires en se servant de textes envoyés par Dieu.

Tout comme la confection d’amulettes, la divination a un caractère ambivalent : là aussi, on découvre un mécanisme qui établit une relation avec le domaine respecté de la connaissance bayanu. Souvent en effet, le marabout accompagne le résultat de la divination de l’obligation de faire l’aumône (sara en songhay, sadaqa en arabe), acte que le Coran présente comme tout-à-fait méritoire. La prescription de l’aumône peut faire partie du résultat que laisse apparaître le tableau de la géomancie ou les autres moyens de divination : dans la méthode de divination qui fait usage du Coran, il existe une liste qui fait correspondre différentes aumônes sara aux caractères de l’alphabet arabe.

Bref, les prières de demande comme les aumônes appartiennent au domaine de la connaissance bayanu comme à celui de la connaissance siri : elles ont un côté public et un côté secret. Par la création d’une relation manifeste avec le domaine bayanu, des éléments du domaine siri obtiennent un caractère plus légitime.

Les domaines de la connaissance bayanu et siri couvrent toute la gamme des besoins des hommes et de leurs questions, aussi bien ceux qui concernent des problèmes existentiels que les simples incertitudes du quotidien. La connaissance des marabouts couvre tout le domaine du bien-être, depuis le bien-être spirituel et la perspective d’une vie future où toutes les bonnes actions seront récompensées, jusqu’au bien-être concret de la vie actuelle dans ses aspects de bonne santé, de longue vie et de prospérité. Les marabouts " enseignent comment suivre Dieu " et ils " savent comment demander à Dieu ", et ainsi ils jouent un rôle essentiel dans la vie des habitants de Djenné.

[Geert Mommersteeg est professeur au département d’anthropologie culturelle de l’Université d’Utrecht. On lui doit déjà plusieurs livres de première importance concernant Djenné, et notamment les suivants :

ainsi que plusieurs articles ou chapitres d’ouvrages, dont en particulier :

DJENNE PATRIMOINE remercie le Professeur Mommersteeg de son autorisation de reproduire ce résumé de sa thèse ; cette thèse n’est pour l’instant accessible qu’en néerlandais]

 

DOCUMENT 2

Racines, Radio Jamana, 19 juin 1999

" L’architecture comme élément du patrimoine national, problèmes et perspectives "

d’après la table ronde organisée le 21 mai 1999 à Bamako dans le cadre de la Journée du Patrimoine

Voix off : Boubacar Diaby a déjà parlé de ce thème la semaine précédente ; cette semaine, il échange avec Amadou Tahirou Bah, à propos d’une table ronde au cours de laquelle l’Association DJENNE PATRIMOINE a présenté un document tiré du livre " Djenné, d’hier à demain ".

(*) les passages qui apparaissent soulignés l’ont été par la rédaction (*)

 

Mamary Sidibe : Ma première question s’adresse à Monsieur Diaby, Chef de la mission culturelle, représentant le Département de la culture et du tourisme ; Monsieur Diaby, pourquoi cette année a-t-on choisi l’architecture comme thème de la Journée nationale du Patrimoine ?

 

Boubacar Hama Diaby : C’est devenu une habitude pour notre Département de la culture d’étaler sur une semaine la célébration de la Journée du patrimoine ; et au cours de cette semaine, les points saillants, importants, de notre identité culturelle, devraient faire l’objet de discussions ; l’année dernière, qui a vu le départ de telles initiatives, se sont tenues à Djenné les premières journées du patrimoine, qui ont débuté le 18 mai et ont été placées sous le signe de " Patrimoine culturel et créativité ", pour mettre en question toutes les démarches jusque-là connues de la gestion du patrimoine, et à l’issue desquelles nous devrions redéfinir notre patrimoine ou du moins essayer de revoir les approches de sa conservation. C’est sur cette même lancée que cette année l’architecture a été choisie comme thème central ; et ces journées ont été célébrées avec la participation de l’Ordre des architectes, ce qui est aussi une nouveauté.

Mamary Sidibe : Monsieur Bah, pouvez-vous nous rappeler les grandes lignes du document que vous avez présenté lors de ces Journées ?

Amadou Tahirou Bah : Merci Monsieur Sidibé, vous m’offrez cette belle occasion pour parler des Journées que nous avons passées à Bamako et qui étaient consacrées à l’architecture et surtout à la protection du patrimoine architectural du Mali. Les manifestations se sont étalées sur une semaine, mais les débats n’ont occupé qu’une seule journée, ce qui est nettement insuffisant. Pendant ces journées, il y a eu le lancement du livre " Djenné, d’hier à demain ", et puis des conférences organisées par l’Ordre des architectes, et présentées par de célèbres architectes du Mali, parmi lesquels Baba Alpha Cissé, Sébastien Diallo, que nous connaissons bien ici par le travail qu’il a fait à Djenné et aussi parce qu’il anime d’ailleurs souvent des émissions, mais aussi Abdelkader Fofana, Idrissa Nicolas Kone, et beaucoup d’autres, car la profession avait vraiment répondu à l’appel. Nous avons donc débattu de thèmes tels que " architecture traditionnelle et problèmes de la restauration ", nous avons écouté Monsieur Sébastien Diallo nous présenter l’œuvre de Baba Minta, qui fut un grand constructeur, et qui a même eu le prix Aga Khan en 1941, puis Abdelkader Fofana qui a parlé de l’architecture coloniale, et Drissa Nicolas Kone qui a traité de " architecture et urbanisme ". Tels sont les thèmes qui ont été débattus. Quant à nous, ce que nous avons présenté concernait spécialement l’architecture de Djenné

Mamary Sidibe : Oui, si on parle d’architecture du Mali, on ne peut que commencer par Djenné, qui a su s’imposer par son style " soudanais ", ce qui d’ailleurs a contribué au classement de la ville !

Amadou Tahirou Bah : Oui, justement, c’est en particulier sur le classement de la ville que nous sommes intervenu dans ce débat, mais aussi sur la restauration qui est en cours actuellement à Djenné, et enfin sur la nécessaire redécouverte de l’architecture de Djenné. En ce qui concerne le classement, nous avons attiré l’attention des autorités, de la population de Djenné, de l’humanité d’une façon générale, sur le massacre auquel nous sommes en train d’assister en ce moment : les autorités construisent des bâtiments qui ne sont vraiment pas du style de Djenné, et parfois la population elle-même introduit des éléments incongrus à l’architecture de Djenné. On risque de dénaturer l’architecture de Djenné. Nous avons estimé que le classement de toute la ville posait un réel problème, car la population de Djenné ne peut réellement pas s’y soumettre. Nous avons donc demandé que, au lieu que toute la ville soit classée, on distingue deux secteurs : un secteur classé, où la restauration serait stricte, dans le respect de toutes les conditions de la restauration ; et un second secteur protégé, où le style architectural serait respecté, mais où l’on autoriserait des innovations en matière de plan, de matériaux, de techniques de construction, pour mieux adapter l’habitat aux conditions du temps présent. Nous avons aussi pensé à l’assainissement de la ville : ça ne sert à rien de restaurer si on n’a pas assaini la ville. L’assainissement de la ville ne dépend pas d’une seule personne, c’est une tâche collective : le gouvernement, sans doute, mais en premier lieu la population ; mais cette tâche exige de gros moyens, donc la population seule ne le peut pas, il faut un apport des autorités. Mais aujourd’hui, il faut le reconnaître, la ville est excessivement sale. Nous pensons que si on se donne la main, la population et les autorités, nous pourrons réellement faire quelque chose pour l’assainissement de cette ville. Donc nous avons dit que rien ne sert de restaurer, rien ne sert de réhabiliter, si d’abord on ne règle pas ce problème de l’assainissement. Nous avons souvent discuté avec les gens de la Mission culturelle, je pense que c’est aussi leur souci majeur.

Mamary Sidibe : Votre intervention m’a suggéré un certain nombre de questions. Dans le document que vous avez présenté, vous avez donc signalé que l’Etat lui-même a introduit à Djenné des styles de construction qui ne sont pas du tout adaptés à la tradition. Qu’est-ce que, concrètement, vous reprochez à l’Etat ?

Boubacar Hama Diaby : Monsieur Sidibé, vous permettez, je voudrais ajouter à votre question une autre question, en demandant à Monsieur Bah de justifier le massacre, puisqu’il a parlé de massacre. En quoi peut-on juger que les actions menées ici et là constituent un massacre ?

Amadou Tahirou Bah : Nous parlons de massacre, effectivement, et nous pensons d’abord à l’école ; nous n’attaquons pas directement les autorités administratives locales qui s’intéressent au patrimoine, parce que nous avons vu leur réaction. Mais nous avons ensuite assisté à cette opération qui a consisté à recouvrir le bâtiment de briques cuites, alors que cette façon de faire n’est absolument pas typique de Djenné, cette technique n’existait pas à Djenné, elle n’est apparue qu’au temps de la colonisation, et n’a été employée à Djenné qu’à partir des années 1970. Nous avons dit que ce n’est pas un mal de construire en dur, on peut le faire, mais il faut construire en dur tout en conservant le style, et là il faut y mettre le prix. Et nous avons dit que Djenné mérite cela. Car Djenné est classée patrimoine national et patrimoine mondial, et pour que Djenné puisse garder son style, même si on construit en dur, il faut y mettre le prix. Par exemple, si on veut construire à Djenné en dur, il faut lancer des appels d’offres internationaux, pour avoir des architectes de talent, des architectes de niveau international, qui puissent vraiment marier, comme nous l’avons vu faire par certains architectes, le traditionnel et le moderne. On sait que c’est possible, l’Ordre des architectes nous a confirmé que c’est possible. Donc, on doit le faire à Djenné. Il ne faudrait pas que les autorités de l’Etat pensent que c’est à elles que nous en voulons, non, nous voulons seulement que Djenné, considérée comme patrimoine mondial, soit traitée comme telle aussi à l’échelon national.

Mamary Sidibe : A propos de l’école, il semble que vous ne soyez pas du tout d’accord avec l’utilisation des briques cuites ; est-ce que vous avez agi en temps utile ? Quelles sont les actions que vous avez entreprises pour manifester votre désapprobation ?

Amadou Tahirou Bah : Nous avons réagi immédiatement, nous avons saisi les responsables, nous avons pris contact avec l’entreprise, et ils nous ont dit simplement qu’ils avaient reçu l’ordre de faire comme cela ! Je ne sais pas si les autorités locales elles-mêmes ont réagi, mais nous, nous avons écrit dans le monde entier que ce matériau ne fait pas partie de l’architecture de Djenné, et que nous demandions que l’on fasse autrement. Nous avons même donné l’exemple de certaines classes qui ont été construites à l’intérieur de l’enceinte de l’école, un peu avant, et qui ont été abattues à l’occasion du récent chantier : on aurait dit que le matériau dont elles étaient faites était du banco, tant sa couleur se mariait bien à celle du vrai banco. Il était donc possible de s’inspirer de tels exemples pour réellement garder le style de chez nous !

Mamary Sidibe : Monsieur Diaby, en tant que technicien en la matière et en tant que représentant de l’Etat, nous voici devant une association issue de la population, DJENNE PATRIMOINE, qui exprime le désir d’une réadaptation du processus : est-ce possible à partir du moment où la ville est classée patrimoine mondial ?

Boubacar Hama Diaby : Monsieur Sidibe, je vais commencer par les réponses. Les revendications de DJENNE PATRIMOINE sont légitimes, en tant que association, et nous respectons beaucoup cet état de fait, comme je l’ai mentionné la dernière fois. Toutefois, il faut se dire que nous sommes sur un terrain où un non spécialiste ne peut pas s’exprimer. Je parlais tantôt de massacre, mais j’ai l’impression que mon interlocuteur a dévié sa position ; puisque j’ai lu le document, j’en ai possession d’un extrait, j’ai le livre, le massacre ne concerne pas l’école, et même par rapport à l’école, j’y viens ! Je le dis aujourd’hui, haut et fort : je me suis battu, tout mon service s’est battu, pour arrêter ce qu’ils appellent massacre à propos de l’école, puisque c’est ce que Monsieur Bah a dit aujourd’hui. J’ai arrêté les travaux ici pendant deux semaines, j’ai écrit au Ministre de la Culture, mon chef hiérarchique dont je dépends directement, j’ai fait le déplacement à Mopti pour voir le directeur régional, j’ai été voir la direction du projet éducation, j’ai discuté et mon Ministre m’a fait écrire une correspondance à son homologue le Ministre de l’Education de Base, etc. Et donc, quand on dit ici qu’on ne sait pas si les autorités locales ont réagi, c’est possible, mais ce sont pourtant des actions qui ne doivent pas passer inaperçues. Et l’honorable architecte que nous avons ici avec nous, Sébastien Diallo, a écrit dans Les Echos à ce sujet. Et l’information a circulé à travers le monde par le biais d’Internet. Mais dans le document, le massacre concerne les maisons qui sont en train d’être restaurées : c’est ce que nous nous lisons dans le document. C’est pour cela que j’insistais : de quel massacre s’agit-il ? Pour notre part, nous pensons que la restauration, qui est l’unique option en Afrique au Sud du Sahara, menée par des Maliens, sur le patrimoine malien, avec tout le respect strict à notre entendement des valeurs traditionnelles, puisque ce sont les maçons de Djenné qui exécutent les travaux et grâce à qui nous assistons à l’émanation de ce style architectural, respecte tout ce qui est respectable, selon les maçons eux-mêmes. Le plus grand grief qu’on nous a toujours fait est que nous n’utilisons pas les djenne ferey ; or, l’utilisation des djenne ferey, nous avons été les premiers à l’exiger, quand on préparait ce projet-là ; mais les maçons de Djenné nous ont fait comprendre clairement que, eux, ils ne sont pas capables de l’utiliser ! Et l’utilisation de la brique rectangulaire se justifie, et peut se justifier dans un cadre patrimonial, parce que le patrimoine est une notion évolutive : chaque génération apporte son sceau, c’est pour cela que nous ne voyons pas trop de mal à l’utilisation de la brique rectangulaire, dans la mesure où ça peut être l’œuvre du temps. Et pourtant, cette restauration, j’aimerais bien insister sur ce point, cette restauration est conforme à tous les principes de la restauration, les plus grands architectes reconnus aujourd’hui à travers le monde sont impliqués dans ce projet-là, Pierre Maas qui est une référence au Mali, une référence à travers le monde entier, un grand architecte, membre du comité scientifique. Cette restauration se fait, je le répète encore, sur la base du respect du style, du plan , des photographies anciennes, des consultations au niveau des propriétaires, des photos d’il y a vingt ans, des résultats d’un inventaire mené ici il y a de cela 15 ans par Pierre Maas. C’est tout cette ensemble d’informations qui nous permet de redonner à chaque maison son style architectural d’antan. Et même, pour l’histoire, je veux vous faire comprendre que nous avons eu des difficultés, et par exemple si à la maison 64, Sebela, aujourd’hui Kone, les travaux sont arrêtés, c’est parce que nous avons eu des problèmes d’adaptation de la façade aux anciennes photos : la maison était reconstruite jusqu’en haut, et lorsque nos experts hollandais sont venus, ils ont trouvé que la façade avait été massacrée. Il faut tout redescendre, parce que les fenêtres ne correspondent pas, ne sont pas au même niveau, et les sarafar qui sont là-dessus ne sont pas bien positionnés par rapport aux fenêtres. Vous voyez, à la fin de la construction, lorsque les propriétaires sont prêts à s’y réinstaller, on leur dit : arrêtez, il faut encore faire descendre la façade ! Mais vous voyez tout de même bien là une volonté de se soumettre à une certaine rigueur. Excusez-moi d’être très long, mais il faut encore que je revienne au classement. Je dénote une fausse note dans les prises de position de DJENNE PATRIMOINE, que je respecte beaucoup ! Ma position ici n’est pas une position de guerre, je le dis très sincèrement, d’ailleurs DJENNE PATRIMOINE ce sont des frères et des amis qui sont dedans. Mais je ne peux pas comprendre que DJENNE PATRIMOINE puisse se battre pour le maintien du style et en même temps pour la construction en dur. J’ai des preuves : quand j’ai arrêté les travaux, Monsieur Bah, ici présent, s’il s’en souvient très bien, est venu avec deux autres personnes me voir devant le campement et se plaindre, et me dire que cette construction est la volonté de la population, que la construction en dur est une demande de la population, et qu’il faut poursuivre la construction, parce qu’on ne peut pas mettre les élèves dans un bâtiment en banco. Et j’ai bien dit que le classement de la ville de Djenné correspond à l’évolution historico-culturelle de la ville : on ne peut pas aujourd’hui classer une partie de la ville et laisser une autre.

Mamary Sidibe : J’allais y arriver, mais je crois qu’il faut revenir au point de départ : l’une des volontés de DJENNE PATRIMOINE est d’adapter le moderne au traditionnel ; est-ce que cela est possible en suivant les critères du classement ?

Boubacar Hama Diaby : Monsieur Sidibe, je l’ai dit tantôt, excusez-moi de n’avoir pas répondu en ce sens. Vous me demandez si, en tant qu’association, DJENNE PATRIMOINE pouvait agir pour qu’on change les principes et les critères de restauration. Mais j’ai dit la semaine dernière que nous sommes dans une ville vivante, et l’expérience que nous menons est une expérience très intéressante dans la mesure où, à l’issue de cette restauration, nous avons l’intention de proposer des démarches de classement de la ville : pas le déclassement de la ville, mais sélectionner les éléments importants qui peuvent être retenus comme répondant au style architectural, ce sera par exemple ici la façade, là le plan de la maison, de façon à permettre pourtant une certaine évolution, une réadaptation par les propriétaires qui sont soumis aux exigences du temps moderne. Mais en ce qui concerne les principes de la restauration, ni DJENNE PATRIMOINE ni nous-mêmes qui sommes conservateurs, nous ne pouvons les changer, mais nous devons tenir compte de l’état vivant. Mais l’adaptation constitue justement une menace, et c’est là que nous voyons la nécessité de marier le moderne au traditionnel, et non d’agrandir, ou de casser, ou de mettre du béton. Quand Monsieur Bah dit que, selon les architectes, on peut adapter le moderne au traditionnel, il devrait faire attention : c’est dans un contexte bien précis, ils l’ont dit, dans des villes telles que Bamako, qui n’ont rien à voir avec le classement ; là on peut voir s’ériger des maisons en bloc, des maisons modernes, dans un cadre traditionnel dont elles faussent réellement l’harmonie. C’est de cela que parlaient les architectes.

Amadou Tahirou Bah : Monsieur Diaby rappelait la position de DJENNE PATRIMOINE en ce qui concerne l’emploi des djenne ferey ; cette position est liée aux difficultés que nous avons constatées en ce qui concerne l’acceptation par la population ; beaucoup de gens ont refusé totalement la restauration proposée par le projet hollandais, parce qu’ils souhaitaient de légères modifications qui n’ont pas été acceptées par la Mission culturelle et le projet, alors que ces derniers n’hésitaient pas à adopter la brique rectangulaire à la place du djenne ferey ! Cette position est aussi cohérente avec celle que nous avons prise sur le classement : le classement de toute la ville est une erreur, parce que, comme Monsieur Diaby vient de le dire, Djenné est une ville vivante, ce n’est pas un monument qu’on peut classer comme un objet dans un musée ; la vie change à Djenné, avec l’électrification, avec l’adduction d’eau, il faut en tenir compte, nous ne sommes pas architectes mais nous savons que l’habitat doit évoluer. Dans le temps, une petite maison à Djenné pouvait contenir toute une famille, 15 à 20 personnes, mais aujourd’hui on ne veut plus vivre ainsi, les gens veulent un grand salon pour mettre leurs armoires, des chambres où l’on puisse installer un grand lit, là où auparavant on se contentait d’une petite natte, etc. Nous pensons qu’avec un peu de volonté, il est possible de trouver des solutions à ces exigences des familles sans perdre le style de Djenné. Et il ne faut pas trop se soumettre aux exigences de ceux qui viennent en disant qu’ils veulent nous aider.

Mamary Sidibe : Très concrètement, qu’est-ce que vous reprochez au projet de restauration ?

Amadou Tahirou Bah : Nous lui reprochons de vouloir entièrement revenir sur le passé ; les conditions de vie actuelles ne le permettent pas ; pourtant nous ne sommes pas totalement contre la restauration ! Nous avons proposé que l’on distingue deux façons de faire : dans certains cas, restaurer au sens propre, mais avec l’accord plein et entier du propriétaire de la maison ; restaurer, donc, un certain nombre de maisons, pour que celui qui vient de l’extérieur sache que c’était comme ça que la maison de Djenné était construite dans le passé ; dans les autres cas, pour tenir compte des nouvelles exigences des familles, réaliser des aménagments compatibles avec le style de Djenné, par exemple restaurer la façade mais permettre la modification de l’agencement intérieur de la maison. La ville devrait conserver un bel aspect, mais en plus les gens seront à l’aise dans leurs maisons. En ce qui concerne l’école, il est vrai que nous sommes allés à deux voir Monsieur Diaby pour qu’il permette la construction en dur. Mais, nous l’avons dit, en nous en avons la preuve dans des documents qui sont là, qu’on peut marier le béton et l’architecture traditionnelle : c’est faisable, vraiment ! Nous ne sommes pas des spécialistes de l’architecture, c’est vrai, mais nous avons vu des photos, et il y a par exemple un restaurant à Abidjan, j’en ai oublié le nom, mais la photo montre bien qu’il a le style de Djenné : tu ne peux même pas imaginer que ce n’est pas en banco, or c’est en béton. Evidemment, on y a sans doute mis le prix, mais nous pensons que Djenné mérite ça ! On pourrait faire la même chose, Monsieur Diaby !

Boubacar Hama Diaby : Mais Monsieur Bah, ce que je vous demande, à DJENNE PATRIMOINE, c’est une démarche logique, il faut être logique dans tout ce qu’on fait. On ne peut pas prétendre être une association qui défend l’identité culturelle et se battre pour la construction en béton, comme vous l’avez fait lors de la construction de l’école ! Le mariage dont vous parlez, aujourd’hui à notre niveau, est inacceptable à Djenné, ici, dans les principes, dans les démarches ! Et pourtant, je vais vous livrer un secret : c’est que nous, nous n’avons jamais été exigeants vis-à-vis des propriétaires des maisons, bien que le droit nous en ait été donné ; on assiste tous les jours à des réaménagements des maisons, les gens cassent tous les jours leurs maisons et reconstruisent, mais nous ne pouvons pas nous rendre responsables de toutes les transformations qui se produisent de cette façon. Dans le cadre du projet de restauration, quand vous dites que des gens ont refusé que leur maison soit reconstruite parce que nous ne nous soumettons pas aux exigences d’agrandissement, pardonnez-moi, avec tout le respect que j’ai pour vous, mais nous n’avons jamais rencontré de cas de ce genre ! Nous avons rencontré des cas où le propriétaire a refusé parce qu’il nous demandait de lui remettre l’argent, pour qu’il réalise les travaux lui-même, ou bien parce qu’ils s’attendaient à ce que leur maison soit reconstruite complètement alors que, vu son état, on n’envisageait qu’un crépissage, puisque nous avons plusieurs niveaux d’intervention. Mais le plus important ici, c’est que nous devrions nous donner ensemble cette possibilité et ce droit de nous rapprocher, d’œuvrer ensemble et d’améliorer ce que nous faisons. Vous l’avez dit tantôt, nous ne nous sommes jamais soumis aux exigences des étrangers, au contraire, nous avons toujours voulu, par cette restauration, faire comprendre que l’Afrique a à apprendre au monde extérieur. Vous évoquez tout le temps la Charte de Venise : nous nous ne sommes pas contre la Charte de Venise, nous l’adaptons à notre condition africaine, c’est ça aujourd’hui l’avantage. Et, à des niveaux très importants d’appréciation, ce projet a le mérite d’être suivi pour ses spécificités, parce que ce sont des Africains qui l’ont pris en main. Et tout le malheur que nous avons aujourd’hui vient de ce que certains Européens sont contre cette restauration parce qu’elle est faite par des Africains. Nous prouvons que les Africains sont capables de mener des opérations de très grande ampleur sur un patrimoine mondial et à l’échelle africaine, avec des spécificités africaines.

Amadou Tahirou Bah : Nous, nous sommes à l’écoute de la population, et certains nous ont dit qu’ils ont finalement refusé la restauration parce qu’ils avaient demandé un petit aménagement dans leur maison et que vous avez refusé. Nous ne contestons pas ce que vous avez dit sur ce sujet, mais nous sommes obligés de tenir compte des témoignages que nous avons recueillis : nous sommes dans cette association justement pour aider cette population à se situer par rapport à ce problème. Je pense, comme vous, que nous pouvons toujours nous donner la main, comme nous l’avons fait par le passé, nous pouvons collaborer, et si la collaboration est sincère, nous pourrons faire beaucoup de choses ensemble.

Mamary Sidibe : Revenons à la question d’adapter l’architecture de Djenné à une certaine modernité, vous avez cité un bâtiment à Abidjan, est-ce dire que vous défendez à DJENNE PATRIMOINE la construction en béton à Djenné, comme on l’a d’ailleurs fait à l’école, comme on fait au jardin d’enfants en cours de construction, et comme on va faire prochainement à l’hôpital ? Un journaliste des Echos s’est inquiété de cette perspective, et ce journal a publié un titre en première page " qui veut marier l’argile et le béton ? " Notre inquiétude est que, inéluctablement, dans ces conditions, l’image de notre ville disparaîtra un jour ou l’autre.

Amadou Tahirou Bah : Nous n’exigeons pas le béton ! A l’époque de la construction de l’école, nous avons dit au Chef de la Mission Culturelle que la population souffre, depuis des années, du fait qu’on se contente de colmater le banco d’une école qui a été reconstruite plusieurs fois en banco depuis l’école coloniale, mais qui, n’ayant jamais été entretenue, a présenté plusieurs fois des signes d’effondrement, et a d’ailleurs failli s’effondrer il y a quelques années sur des enfants ! C’est la présence d’esprit du maître qui les a sauvés ! C’est pourquoi les parents d’élèves et les enseignants étaient favorables à une construction en dur pour en finir avec ce cauchemar. Mais, plus généralement, notre objectif est d’aider la population à préserver son patrimoine ; si donc on peut adapter le béton, d’une façon ou une autre, au style de Djenné, ou bien si on peut faire en sorte que le matériau traditionnel, l’argile, devienne un matériau durable, ce serait une très bonne chose.

Mamary Sidibe : Dans ce même cadre, les avis sont partagés à propos de la construction du complexe Jamana : certains pensent que ce devrait être en dur, d’autres en argile, pour l’harmoniser avec l’environnement. C’est comme pour le musée, d’ailleurs. Quelle est la position de DJENNE PATRIMOINE sur cette question ?

Amadou Tahirou Bah : Nous souhaitons que ce soit peut-être en argile améliorée, pourquoi pas ? Ce peut-être aussi une construction durable, pourvu que ce ne soit pas, comme par le passé, quelque chose de très périssable. Il faut conserver le style, faire de telle sorte qu’on marie, comme nous l’avons dit, le traditionnel au moderne. C’est faisable, vraiment ! C’est faisable, n’est-ce pas Monsieur Diaby ?

Boubacar Hama Diaby : C’est faisable, et c’est fait ! Mais dans le cas de Djenné, je le dis une fois de plus, nous ne sommes pas sur un terrain où l’on puisse se lancer dans l’amateurisme. Il nous faut du professionnalisme. Tout ce que vous dites est déjà expérimenté à travers le monde. Actuellement le World Disney Land, un grand espace d’attractions, reproduit en miniature la ville de Djenné, avec des matériaux spécifiques, qui ne sont pas de l’argile, mais des matériaux modernes. La possibilité existe aujourd’hui de fabriquer une maison qui donne vraiment l’impression d’être une maison de Djenné : faite avec des matériaux artificiels, transportée ici, elle pourrait être montée en quelques heures. Mais la restauration, ce n’est pas seulement le banco, c’est tout le social que cela contient, c’est le maintien des maçons, c’est le maintien de cette tradition-là, qui elle aussi est le patrimoine. Le patrimoine ce n’est pas seulement ce qui est apparent, c’est tout cet ensemble social qui est dedans. Et notre objectif principal a été de redonner un dynamisme économique, de faire revivre un savoir-faire, de contribuer à une promotion de l’architecture à l’intérieur de la ville, mais en même temps d’attirer l’attention des populations sur leur identité qui est de plus en plus menacée par des esprits de modernité. Si nous ne faisons pas attention, l’avantage que nous avons ici à Djenné d’être au centre des intérêts, nous risquons de le perdre. Parce que pour voir des maisons artificielles avec des matériaux artificiels, personne ne viendra ici ! Aux Etats-Unis, s’ils le veulent, ils peuvent construire demain mille Djenné ! Ca ressemblera à Djenné, mais ce ne sera pas Djenné, parce qu’il n’y aura pas l’histoire dedans, il n’y aura pas les hommes dedans, il n’y aura pas le social, le culturel, l’identité ! C’est ça le patrimoine, ce n’est pas seulement un amateurisme ! Ce que vous dites, et je vous invite à beaucoup plus d’attention !

Amadou Tahirou Bah : Ce que vous venez de dire, Monsieur Diaby, c’est la raison même pour laquelle nous estimons que le classement de la ville entière a été une erreur. Et nous le maintenons ! Si réellement, on avait pris des maisons témoins, qu’on restaure entièrement dans le style architectural traditionnel et avec les techniques traditionnelles, et si on avait aidé aussi la population, dans le deuxième lot, à aménager, tous vos vœux auraient été exaucés !

Mamary Sidibe : Mais Monsieur Diaby, peut-on classer seulement une partie de la ville ?

Boubacar Hama Diaby : Avant de répondre, je veux dire qu’il ne faut pas que l’arbre cache la forêt. Le projet n’a jamais concerné l’ensemble de la ville ! Nous avons 1330 maisons à Djenné, et nous a été donnée la chance d’en restaurer 168 : ce n’est vraiment pas beaucoup ! Et encore une fois, nous avons dit que nous n’allons pas restaurer une maison contre la volonté du propriétaire. Toutes les maisons qui ont fait l’objet de restauration aujourd’hui l’ont été suite à l’accord du propriétaire. Vous avez parlé de cas, je ne veux pas revenir sur les cas de refus, j’ai beaucoup de respect pour ces personnes, mais les raisons sont beaucoup plus profondes et ce n’est pas le lieu de les dire. Quant au classement total de la ville, cela n’a pas été une erreur, ce serait frustrer une partie de la ville de Djenné que de ne pas la classer, parce que toutes les parties de Djenné expriment l’histoire de la ville, il n’y a pas une maison de Djenné qui ne soit l’expression d’une créativité.

Amadou Tahirou Bah : Pardon, il ne s’agit pas de classer une partie et d’abandonner l’autre ! Non, il s’agit de restaurer véritablement une maison ici et une autre là, et pas de classer une partie et de laisser le reste !

Boubacar Hama Diaby : Encore une fois, Monsieur Bah, vous vous contredisez ! Mais je crois que nous sommes sur la même longueur d’onde. Tous les jours, nous assistons à des aménagements, même à côté de Radio Jamana quelqu’un a cassé sa maison et a construit. Diaby n’est jamais venu dans une maison pour dire aux gens " mais pourquoi êtes-vous en train de casser ? " L’Etat comprend ça, il y a la loi et l’application de la loi. Nous ne sommes jamais allés voir quelqu’un qui est en train d’agrandir sa maison. Les maisons que nous restaurons constituent peut-être un dixième de l’ensemble des maisons de Djenné. Et c’est pour cela que nous sommes sur la même longueur d’onde. Ce ne sont pas toutes les maisons de Djenné que nous allons restaurer, car nos critères de choix ne correspondent pas à toutes les maisons. Certaines maisons sont, comme vous l’avez dit des maisons témoin, et à côté nous sommes en train de voir les gens construire comme ils veulent, et pourtant c’est interdit. Moi j’ai le droit et les prérogatives, en tant que chef de mission culturelle, de m’arrêter devant toutes les maisons qui sont en train d’être cassées, et de faire interrompre les travaux. Mais je ne le ferai pas. Mais d’un autre côté, je ne financerai jamais une maison qui va être défigurée, qui va être contraire aux principes de la conservation. Je vais me contredire, mais je vais fermer les yeux sur tout ce qui est en train de se faire. Mais je n’accepterai jamais que l’on construise à l’intérieur de la ville en béton. Mais agrandir les maisons si le propriétaire a l’argent, qu’il le fasse, nous ne le ferons pas à sa place ! C’est là toute la raison du projet de restauration. Et il faut que cela soit clair pour tout le monde. Chaque année nous allons prendre deux maisons d’indigents, des pauvres, qui n’ont rien à voir avec le patrimoine, nous avons fait la promesse au chef de village, aux doyens, et à certaines personnalités ; et ces maisons de gens très pauvres, nous allons les restaurer sans tenir compte du style, mais pourvu que les gens puissent habiter.

Amadou Tahirou Bah : Ca serait une bonne chose !

Mamary Sidibe : Nous arrivons à la fin de cette émission, vous êtes tous les deux des hommes de culture, soucieux de la protection et de la promotion du patrimoine culturel, mais Monsieur Bah, je voudrais vous demander quels rapports pourraient exister entre la Mission culturelle et DJENNE PATRIMOINE en tant qu’association de la population ?

Amadou Tahirou Bah : Ces rapports doivent être de complémentarité, nous sommes en quelque sorte leur " diatigui " (celui qui reçoit des hôtes chez lui), et ce n’est pas vraiment trop dire puisque, nous, nous sommes issus de cette population. Eux, ils sont venus de l’extérieur, pour aider à la protection et à la promotion de la culture à Djenné. Nous pensons que ce sont des rapports de complémentarité qui doivent exister, et qui existent d’ailleurs entre nous. Pour donner un exemple, nous devons bientôt organiser une fête de l’entrée de Djenné dans l’an 2000, nous les avons approchés, nous avons échangé des idées, et nous pensons que nous allons faire cela ensemble. Nous devons en tout cas nous comprendre, nous aider. Car nous prétendons nous aussi contribuer à la promotion de cette culture et à la sauvegarde de son patrimoine.

Mamary Sidibe : Votre dernier mot, Monsieur Diaby ?

Boubacar Hama Diaby : Je ne saurais dire plus que ce que Monsieur Bah a dit. Nous sommes effectivement complémentaires, mais j’ai un seul appel à lancer, pas seulement à DJENNE PATRIMOINE, mais également à la population. Nous commettons des fautes, c’est certain, c’est une expérience nouvelle, mais nous voudrions être approchés par tout le monde, qu’on nous pose des questions, et qu’on évite les rumeurs. Tant qu’on gérera des rumeurs, on ne pourra pas se comprendre. Et mois, je félicite beaucoup DJENNE PATRIMOINE : j’ai cette chance que seule ma mission, sur les trois qui existent au Mali, ait la possibilité d’être observée par les populations et d’être critiquée. Pour rire une peu, si Diaby n’existait pas, il n’y aurait pas de bulletin d’information de DJENNE PATRIMOINE.

Mamary Sidibe : Ca, c’est clair et net !

Amadou Tahirou Bah : Pardon ! Il ne s’agit pas de Diaby, il s’agit de la Mission !

Boubacar Hama Diaby : Oui, pardonnez-moi de manquer de modestie ! Si la Mission Culturelle n’existait pas, il n’y aurait pas de DJENNE PATRIMOINE, parce que les Amis de Djenné ont existé et ont disparu dans la nature ! Mais je remercie beaucoup Radio Jamana de son initiative, et Monsieur Bah d’avoir vraiment voulu y participer, parce que, comme on le dit en bambara " ni ma kouman, aouté niogon famou ", il faut parler pour se comprendre. Nous avons besoin de cet échange. Et entre nous, il ne peut y avoir que des rapports de complémentarité et de fraternité. Je suis très content, et j’espère que nous allons continuer, pas seulement sur cet aspect, mais sur beaucoup d’autres, puisque l’émission " Racines " sur le patrimoine doit être animée par nous tous.

Amadou Tahirou Bah : Merci bien !

 

A TOUS LES LECTEURS DE CE BULLETIN,

A TOUS LES HABITANTS ET VISITEURS DE DJENNE,

QU’ILS SOIENT MALIENS ET ETRANGERS,

AUX DEFENSEURS DE SON PATRIMOINE ARCHEOLOGIQUE , ARCHITECTURAL ET CULTUREL,

A TOUS CEUX QUI RESPECTENT CETTE VILLE,


(1)résumé de la thèse de doctorat présentée par Geert Mommersteeg devant l'Université d'Utrech en mai 1996. L'auteur remercie tous les marabouts de Djenné, qui l'ont reçu et qui ont répondu à ses questions; il exprime aussi toute sa grtitude à son assistant de recherche, Monsieur Boubacar Kouroumanse, pour sa collaboration continue et indispensable à tout travail. Retour au texte

 

DJENNE PATRIMOINE SOUHAITE

UNE BONNE ET HEUREUSE ANNEE 2000 ! ! !

 

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Ont participé à la rédaction de ce bulletin : Forourou Alpha Cissé, Amadou Tahirou Bah, Papa Cissé, Mamary Sidibé, Joseph Brunet-Jailly, Werewere Liking, Bamoye Sory Traore

 

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